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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'ALENA À 20 ANS: un accord en sursis, un modèle en essor.
Actes du colloque annuel de l'Institut d'études internationales de Montréal. (1978)
Conférence inaugurale


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Dorval Brunelle, L'ALENA À 20 ANS: un accord en sursis, un modèle en essor. Actes du colloque annuel de l'Institut d'études internationales de Montréal. Montréal: I.E.I.M., 2014, 605 pp. [L'auteur nous a accordé le 1er septembre 2016, conjointement avec la direction de l’Institut d’Études internationales de Montréal, l’autorisation de diffuser ce livre, en texte intégral et en libre accès, dans Les Classiques des sciences sociales.]

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Conférence inaugurale

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L'ALENA et les nouveaux modèles d'intégration

Gilbert Gagné [1]

Le colloque « L'ALENA et les nouveaux modèles d'intégration » a été tenu les 13 et 14 février 2014, à Montréal. Il a été organisé à l'instigation de l'Institut d'études internationales de Montréal (IEIM-UQAM), avec la collaboration de plusieurs de ses unités constituantes, notamment le Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation (CEIM), l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, et la Chaire Nycole-Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques.

Le colloque fait le point sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) 20 ans après son entrée en vigueur et il s'intéresse aussi à d'autres arrangements d'intégration économique régionale. Mis sur pied dans les années 1980 par [40] les professeurs Dorval Brunelle et Christian Deblock, le Groupe de recherche sur l'intégration continentale (GRIC), qui relève du CEIM, a été parmi les premiers centres de recherche à se pencher sur l'intégration économique nord-américaine, avec pour toile de fond les négociations et la conclusion, en 1987, de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, l'accord commercial qui a précédé l'ALENA. L'exposé qui suit présente le programme et les thèmes centraux du colloque, tout en soulignant brièvement certains aspects fondamentaux de la mise en œuvre et de l'évolution de l'ALENA.

Parmi les traités de libre-échange des années 1990, l'ALENA s'est révélé un pionnier, d'abord de par son membership. Il est en effet le premier accord d'intégration économique régionale à compter à la fois des pays industrialisés et un pays en développement. La portée de l'ALENA était aussi unique, notamment en incluant le secteur des services. Comme modèle d'intégration régionale, si cet accord a pour particularité de ne pas comporter de véritables institutions, il compte cependant beaucoup de règles ou de dispositions, pour l'essentiel inspirées de la logique du marché. En ce sens, pour reprendre les termes de Christian Deblock, l'ALENA doit être vu comme un contrat. L'ALENA incorporera également deux accords-cadres, portant respectivement sur l'environnement et sur le travail.

Assez vite, l'ALENA a été perçu comme un authentique modèle d'intégration régionale, autant par son contenu que par ses résultats. Au cours de ses premières années, il a entre autres mené à une augmentation massive du commerce entre les États parties à l'accord. Depuis les années 2000, on remarque plutôt une stagnation des échanges commerciaux, quoique l'intégration des trois économies nord-américaines se soit accrue, notamment dans la production. Toutefois, l'ALENA n'a pas su créer une véritable solidarité entre ses trois partenaires, que ce soit pour réduire les inégalités dans le développement et ce, malgré les demandes du Mexique en ce sens, ou encore pour pousser plus loin l'intégration sur un plan institutionnel et politique.

[41]

Qui plus est, malgré qu'il ait favorisé une certaine croissance économique, l'ALENA n'a pas eu les effets de convergence économique attendus, les écarts de productivité s'étant même accentués. Néanmoins, alors qu'on craignait une assimilation de l'économie du Canada à celle de son puissant voisin du sud, au point où un économiste canadien appartenant au courant nationaliste, Mel Watkins, disait à la blague au début des années 2000 que, même par temps clair, on ne pouvait voir l'économie canadienne, les événements récents, et notamment la crise financière et économique de 2008, ont montré que l'économie du Canada avait mieux tiré son épingle du jeu et n'était pas aussi tributaire de l'économie des États-Unis qu'on avait pu le laisser croire. Quant aux effets escomptés de redistribution, entre les gagnants et les perdants de l'intégration économique, ils n'ont pas non plus été au rendez-vous.

Enfin, l'ALENA se révèle maintenant un modèle de régionalisme éclaté, du fait notamment que ses États parties y vont chacun de la conclusion de leurs propres accords commerciaux préférentiels avec des pays tiers.

Le colloque sur les 20 ans de l'ALENA permet à des chercheurs confirmés tout autant qu'à des chercheurs débutants d'aborder quatre grands thèmes. Le premier porte sur l'avenir de l'ALENA. Depuis sa conclusion, le texte du traité n'a jamais été amendé. S'il n'est pas assuré que les parties soient vraiment intéressées à rouvrir l'accord pour l'améliorer, c'est parce qu'il y a des désaccords fondamentaux quant à la nature des changements à apporter. Alors que le Mexique souhaite depuis longtemps des mesures qui iraient dans le sens d'une plus grande solidarité, le Canada désirerait notamment renforcer le mécanisme de règlement des différends en matière de recours commerciaux (droits antidumping et compensateurs), à la suite du non-respect par les États-Unis du caractère exécutoire du Chapitre 19 dans l'affaire du bois d'œuvre. Les États-Unis, pour leur part, obsédés par les questions de sécurité depuis les événements du 11 septembre 2001, y sont allés de mesures unilatérales qui ont eu pour conséquence de rendre plus difficile l'accès à leur marché. En réponse à ce problème, certains ont proposé une forme plus avancée d'intégration économique, [42] comme une union douanière. C'est l'idée d'un « grand bar gain » qui permettrait à la fois de répondre aux impératifs de sécurité tout en facilitant l'accès au marché américain. À noter cependant que, pour ses promoteurs, un tel scénario ne devrait comprendre que le Canada et les États-Unis, sans inclure le Mexique.

Pour ce qui est d'ouvrir la boîte noire des institutions de l'ALENA afin de les rénover, la question de leur fonctionnement ne peut que s'avérer problématique. Au vu de l'asymétrie entre les trois parties en présence, l'économie des États-Unis comptant pour neuf fois celle du Canada et quinze fois celle du Mexique, on voit mal une mise en application du principe de l'égalité souveraine des États à travers la formule « un État, une voix ». Pourquoi les États-Unis y consentiraient-ils ? Une autre formule, comme celle des voix pondérées, n'aboutirait quant à elle qu'à une mainmise américaine.

Le second thème est celui des autres modèles d'intégration. Plusieurs observateurs soulignent à l'heure actuelle que les énergies en matière d'intégration économique régionale se concentrent ailleurs. On pense, entre autres, aux négociations du Partenariat transpacifique dans lesquelles le Canada, les États-Unis et le Mexique sont tous les trois engagés. Les parties à l'ALENA ont également le regard tourné vers l'Europe, un accord de libre-échange entre le Mexique et l'Union européenne (UE) étant en place depuis 2000, alors qu'un accord de principe pour un Accord économique et commercial global (AECG) était conclu entre le Canada et l'Union européenne, au moment où débutaient les négociations pour un Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI, Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) entre les États-Unis et l’UE.

On peut considérer que le modèle ALENA a eu une certaine influence dans les négociations avec LUE, puisque le Canada a obtenu, pour la première fois, que la Commission européenne adopte l'approche dite « des listes négatives ». Alors que l’UE dénombrait jusque-là les secteurs et mesures qui faisaient l'objet d'engagements de libéralisation, en vertu de [43] cette approche, tout est libéralisé hormis les secteurs et mesures qui sont spécifiquement mentionnés dans les listes d'exceptions. À cet égard, il est intéressant de considérer la place qu'occupe le modèle ALENA face aux autres modèles d'intégration dans les multiples négociations commerciales dans lesquelles les trois partenaires nord-américains, et notamment les États-Unis, sont engagés.

La nouvelle conjoncture économique constitue le troisième thème du colloque. Cette dernière renvoie au ralentissement en Asie, à la révolution énergétique aux États-Unis et aux changements dans les chaînes de valeur qui, tous trois, mettent à l'épreuve le modèle d'intégration filialisée et polarisée autour des États-Unis. Or, comment combiner éducation, recherche et développement, politique industrielle et organisation des entreprises, afin de faire face aux défis économiques actuels ? On peut souligner notamment que les chaînes de valeur, ainsi que les échanges ou le commerce intra-firme sont des phénomènes qui se sont le plus clairement manifestés en Amérique du Nord avant de se généraliser à travers le monde. Mentionnons également la réduction de l'interdépendance commerciale entre les parties à l'ALENA. Par exemple, alors que 87% des exportations canadiennes, en 2001, étaient destinées aux États-Unis, depuis les dernières années, ce chiffre avoisine les 70%. L'importance relative des pays tiers dans le commerce extérieur des États parties à l'ALENA s'est entre-temps affirmée, au point où l'on peut ironiser que la Chine est le principal partenaire que l'ALENA n'ait jamais eu !

Enfin, le quatrième et dernier thème du colloque rappelle que l'espace nord-américain est plus qu'un espace économique. Mais comment doit-on aborder les questions sociales, culturelles, politiques et juridiques ? À ce chapitre si, sur le plan économique, pourtant l'aspect le plus développé, l'ALENA est bloqué, que penser des autres aspects ? On peut toutefois souligner que, dans les premières années de l'ALENA, les études nord-américaines avaient connu une certaine popularité. L'Amérique du Nord était étudiée en tant [44] que région au sein de laquelle devait graduellement émerger une identité nord-américaine.

Durant les premières années de sa mise en œuvre, l'ALENA a été marqué par une dynamique d'intégration continentale. Or, depuis le début des années 2000, l'ALENA a perdu tout momentum. Ce constat guère reluisant ne doit toutefois pas faire perdre de vue les acquis de l'ALENA. Le traité a en effet donné lieu à une intégration en profondeur de la production à l'échelle nord-américaine, quoique centrée sur les États-Unis. Cette intégration se remarque notamment par les mouvements transfrontaliers de produits intermédiaires jusqu'à leur transformation en produits finis. Ce qui fait dire que les Nord-Américains n'échangent pas des marchandises, mais les produisent ensemble.

Pour tout dire, l'initiative à la base du colloque montre que l'intégration nord-américaine demeure un sujet incontournable pour quiconque veut comprendre les grandes tendances économiques et autres qui marquent le monde à l'heure actuelle.



[1] L'auteur est professeur à l'Université Bishop et directeur du Groupe de recherche sur l'intégration continentale (GRIC).



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le lundi 13 février 2017 14:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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