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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Christian Bromberger, Pour une analyse anthropologique des noms de personnes”. Un article publié dans la revue Langages, 16e année, n° 66, 1982. pp. 103-124. Persee. [EN LIGNE] Consulté le 18 juin 2013. [Autorisation accordée par l'auteur le 17 février 2012.]

[103]

Christian Bromberger

Pour une analyse
anthropologique
des noms de personnes
.”  *

Un article publié dans la revue Langages, 16e année, n° 66, 1982. pp. 103-124. Persee. [EN LIGNE] Consulté le 18 juin 2013.

1. Un lourd passé philologique
2. Les fonctions des noms de personnes
3. Le système des noms propres comme code de classification sociale, enjeux et stratégies.
3.1. Le nom propre comme sanction de l'existence sociale.
3.2. Comment les noms classent-ils ?
3.3. dénonciation
3.4. L'anthroponymie, un outil heuristique pour l'anthropologie sociale ?
4. Les noms propres comme symboles.
4.1. Le pouvoir des noms : règles d'usage et interdits.
4.2. Le pouvoir des noms : fonctions propitiatoires et tutélaires.
4.3. Le pouvoir des noms : les enjeux symboliques de l'identité.
ARTICLES et OUVRAGES CITÉS


« On classe comme on peut, mais on classe »
(C. Lévi-Strauss)


1. Un lourd passé philologique

Dans un mémoire consacré aux noms de personnes du Forez au Moyen Age, A. Vallet rappelle les buts qu'assignent, en général, philologues et historiens à la recherche anthroponymique : 1) classer et interpréter les noms de personnes ; 2) en décrire l'évolution (Vallet, 1961 : 13). Ce sont bien là les deux axes majeurs qui ont orienté la plupart des études anthroponymiques jusqu'à un proche passé. Les articles publiés dans la Revue Internationale d'Onomastique, les travaux plus synthétiques d'un Dauzat (1942, 1949, 1951...) ou d'un Lebel (1946), témoignent de l'intérêt, mais peut-être surtout des limites, de ces perspectives. Pour ces auteurs, et pour d'autres au savoir plus fragile (tel Vroonen, 1967), la démarche anthroponymique se confond, en fait, avec une gigantesque entreprise de classification : des relevés minutieux établis sur plusieurs siècles permettent de distinguer des catégories de noms de personnes soit en fonction de leur origine linguistique ou dialectale (on s'efforce dès lors de dégager des couches ou des aires anthroponymiques) soit en fonction de leurs propriétés sémantiques (on classe les noms par registres suivant les affinités qu'on leur reconnaît : prénoms d'inspiration religieuse ou profane, sobriquets dénotant des particularités physiques, professionnelles, etc.) soit en fonction de leur formation ou de leur composition (on s'attache à suivre par le menu les étapes de fixation des noms, en montrant, par exemple, comment, aux XIP-XIIP siècles en France, le patronyme héréditaire a complété le nom de baptême qui était jusqu'alors la seule dénomination individuelle).

Sans remettre en cause l'apport — parfois important (cf. infra) — de cette tradition onomastique [1], on peut se demander si les tenants de la méthode historico-philologique ont véritablement pris la mesure de leur objet d'étude, de sa définition, de ses fonctions. La vocation propre de la recherche anthroponymique devrait être, en bonne logique, de dégager, au sein d'une société, les règles d'attribution des noms, les principes selon lesquels on classe, en les dénommant, des individus similaires [104] et différents (par leur sexe, par leur appartenance à une famille, à un clan, à une génération, à une localité...), les lois qui régissent le système des appellations (on sait qu'un individu reçoit, en général, plusieurs noms soit dans les jours ou les mois qui suivent sa naissance soit au cours de son existence), enfin les propriétés — syntagmatiques — qui différencient, dans les énoncés, les noms de personnes des autres classes nominales et les normes — sociales — qui en prescrivent ou en interdisent l'emploi dans le discours. Or, paradoxalement, la plupart des études anthroponymiques se sont situées aux antipodes d'un tel programme : plutôt qu'à analyser comment les sociétés classent les individus à travers les noms qu'elles leur assignent, on s'est attaché à classer les noms, selon des critères (formels ou sémantiques) extérieurs aux cultures considérées ; plutôt que d'étudier la structure du système anthroponymique dans son ensemble, on s'est trop souvent cantonné dans des analyses fragmentaires d'une seule catégorie d'appellations (prénom ou nom ou surnom) ; quant aux travaux d'onomastique historique ou géographique, ils ont naturellement privilégié les phénomènes de changement et de variation qui masquent la logique des systèmes en équilibre ; enfin, l'analyse des normes sociales qui régissent renonciation des noms propres est totalement absente de la littérature anthroponymique « traditionnelle ». Détournée de son objet — le repérage des structures et des fonctions des systèmes de noms propres —, l'anthroponymie est devenue pour beaucoup un simple outil de recherche, une discipline vouée à l'auxiliariat, utilisée par les uns pour étudier l'histoire du peuplement (stratification des couches anthroponymiques), par les autres pour cerner les limites d'aires culturelles (aires anthroponymiques), par d'autres encore pour appréhender des phénomènes de mode ou de dévotion religieuse (choix des prénoms). Dans la plupart de ces analyses, les noms propres sont traités comme de simples indices de réalités (historiques, sociales...) qu'ils ne désignent pas.

Dans les dernières années, trois types de démarches ont mis particulièrement à profit ce recours circonstanciel à l'anthroponymie : la démographie historique pour étudier les processus de peuplement {Annales de démographie historique, 1972), l'anthropologie physique qui « tantôt s'appuyant sur les formes régionales de transmission des noms, reconstruit les généalogies d'un ensemble de lignées et calcule leur taux d'apparentement (...), tantôt postulant que les noms s'héritent comme des gènes, mesure (...) dans ces communautés spécifiques — géographiquement isolées, comptant peu de noms portés par un grand nombre d'individus — le taux de consanguinité à partir du nombre de mariages unissant deux porteurs d'un même nom » (Zonabend, 1980 : 8) ; l'histoire des mentalités, enfin, qui a trouvé, dans l'évolution du choix des prénoms, un indice privilégié pour apprécier l'importance de la dévotion à tel ou tel saint protecteur selon les époques (voir, entre autres, Vovelle, 1978 : 175, 182). Mais il en est de l'anthroponymie comme des noms : leur bon usage doit se plier à un certain nombre de règles et de précautions. La faiblesse de certaines des analyses évoquées ci-dessus tient à une réflexion insuffisante sur les fonctions assignées aux noms propres. Étudiant l'évolution des prénoms dans la Provence du XVIIIe siècle, Vovelle note justement qu'on peut se demander dans quelle mesure le choix du prénom est révélateur de préférence réelle, de choix délibéré, et non d'une tradition ou d'une transmission familiale extrêmement contraignante, qui laisse peu de place à l'initiative personnelle (op. cit. : 175). On sait, en effet, (Benoît, 1975, Bromberger, 1976, Canestrier, 1951) que, dans la plupart des sociétés méridionales, mais aussi ailleurs (voir infra), le fils aîné hérite le prénom de son grand-père paternel, le cadet celui de son grand père maternel ; pour les filles le choix est symétrique et inverse : l'aînée reçoit le prénom de sa grand-mère maternelle, la cadette celui de sa grand-mère paternelle. Pour cerner le poids de la dévotion à tel ou tel saint sur le choix du prénom, il aurait fallu faire la part entre les contraintes liées au système (très fortes pour les aîné(e)s et les cadet(te)s) et les cas où le choix du prénom peut vraiment répondre à une intention personnelle (au-delà du cadet et de la cadette). [105] Bref, plutôt qu'une statistique d'ensemble sur les prénoms, comme celle qu'utilise Vovelle, ce sont des statistiques partielles distinguant les prénommés selon leur rang de naissance qu'il aurait fallu établir ; la démonstration à coup sûr eût été plus convaincante ; elle aurait permis de dégager soit que la dévotion s'exprime là où le système lui en laisse la place (dans le choix du prénom au-delà des cadets) soit qu'elle en perturbe les règles traditionnelles [par l'attribution du prénom d'un saint(e) vénéré(e) à un(e) aîné(e) ou un(e) cadet(te)]. Si cette dernière formule était attestée, elle constituerait un indice supplémentaire de l'importance de ces dévotions. En définitive, on le voit, on ne peut rigoureusement analyser les noms propres comme des indices, si l'on n'a pas d'abord identifié avec précision les fonctions qu'ils remplissent dans la société que l'on étudie.

2. Les fonctions des noms de personnes

À l'inverse de la plupart des philologues et historiens, linguistes et logiciens ont tenté de définir les fonctions des noms propres. Leur apport est analysé et discuté dans les pages précédentes de ce volume. Bornons-nous à signaler les questions que posent à l'anthropologue les définitions avancées par certains d'entre eux ; pour beaucoup, le nom propre ne serait qu'une sorte de déictique, n'ayant pour seule fonction que de désigner et d'identifier un individu ; Benveniste (1976 : 200) exprime ce point de vue quand il propose la définition suivante : « Ce qu'on entend ordinairement par nom propre est une marque conventionnelle d'identification sociale telle qu'elle puisse désigner constamment et de manière unique un individu unique ». Si les dénominations individuelles avaient pour seule fonction d'identifier (tels des numéros singuliers qui caractériseraient chacun une personne distincte), les systèmes de noms propres attestés dans les diverses sociétés apparaîtraient largement dysfonctionnels. En effet, ce qui frappe, quand on examine le système anthroponymique d'une collectivité, c'est l'étroitesse du champ des appellations individuelles : patronymes en nombre limité à l'échelle d'un village ou d'une région, prénoms souvent similaires au sein d'une même lignée ou encore d'une même classe d'âge, bref là où les nécessités de distinction sont pourtant les plus prégnantes [2]. Sans doute peut-on arguer que, dans beaucoup de sociétés, le surnom individuel joue un rôle de « soupape de sûreté », garantit l'identification personnelle, évite les confusions dues à l'identité des noms de famille et des prénoms ; mais cet argument n'emporte pas entièrement la conviction : d'une part, les surnoms ont tout autant une fonction d'intégration sociale, nous y reviendrons, [106] que d'individuation ; de l'autre, ils n'assurent qu'imparfaitement la distinction entre individus (beaucoup d'entre eux ne sont pas surnommés) ; enfin et surtout, le nécessaire recours aux surnoms individuels témoigne, s'il le fallait, de la faiblesse distinctive du système des noms propres considéré dans son ensemble.

En outre, si les noms de personnes avaient pour seule fonction de « désigner constamment de manière unique un individu unique », on comprendrait mal pourquoi beaucoup de sociétés institutionnalisent — et beaucoup d'autres tolèrent — qu'un même individu reçoive un nom différent à chaque étape de sa biographie — ce qui complique encore les processus d'identification. On le voit, les arguments empiriques ne manquent pas pour infirmer les définitions qui traitent le nom propre comme un « index ».

Une réflexion sur les fonctions des noms individuels s'ouvre donc par la reconnaissance d'un paradoxe : à quoi tient la faiblesse distinctive de systèmes voués, à première vue, à assurer l'identification personnelle ? Une série d'exemples, empruntés à des sociétés lointaines et proches, permettra de prendre la mesure de ce paradoxe et de mieux situer l'enjeu du débat.

Chez les Guidar du Nord-Cameroun, tout individu reçoit « au cours de son existence deux noms : à sa naissance d'abord, un nom qui indique son rang de naissance, puis, trois ou quatre mois plus tard, un « surnom » qui le désigne de façon plus personnelle » (Collard, 1973 : 45). Les premiers noms sont identiques pour tous les Guidar qui ont le même rang de naissance ; ainsi tous les aînés sont nommés Tizi, toutes les aînées Keza ; la distinction sexuelle n'est d'ailleurs marquée que pour les quatre premiers enfants ; le cinquième né recevra indifféremment, qu'il soit garçon ou fille, le nom de Madi, le sixième celui de Todou, etc.. Ces prénoms ordinaux « sont, si l'on veut, des numéros » (ibid.), étiquetant chacun selon son degré de séniorité. On pourrait penser que le surnom est, lui, unique, à des fins de distinction ; il n'en est rien : « C'est en général le nom du père, qui est d'ailleurs le plus souvent un nom-numéro. Ainsi, la plupart des Guidar ont-ils un nom composé en fait de deux noms numéros ; le leur propre et celui de leur père » (op. cit. : 48). Qu'un tel système permette l'identification personnelle (par l'usage du prénom ordinal au sein de la famille, et du nom-composé à l'intérieur du groupe), on en conviendra sans peine ; mais là n'est pas sa seule fonction : il classe en fait les individus selon leur position généalogique, si bien que les homonymes sont ceux qui ont le même statut natal.

De ce premier exemple, retirons deux enseignements : premièrement, les propriétés sémantiques de ces noms individuels sont de même nature que celles des autres catégories nominales ; je peux définir « Tizi », en le décomposant en plus petits éléments de signification (analyse sémique) : enfant + mâle + aîné de sa mère (et non nécessairement de son père), comme je peux définir par les « sèmes » qu'ils incluent « cheval », « homme » ou « tortue ». On est loin des définitions assimilant le nom propre à un simple déictique. En second lieu, on remarquera qu'un tel système semble gouverné par deux fonctions antagonistes : une fonction de classification assignant le même nom à tous ceux qui partagent le même rang de naissance, une fonction d'identification, rendue possible — mais pas toujours certaine — par la combinaison d'un petit nombre d'unités appartenant à une série fermée. On repère là un trait commun à la plupart des systèmes anthroponymiques : mieux ils classent, moins bien ils identifient ; ou encore, pour parler comme les logiciens, ce qu'ils font gagner en extension (sociologique), ils le font perdre en compréhension et en identification (individuelle). Au vrai, la faiblesse distinctive d'un système de noms propres n'est que l'envers de sa richesse classificatoire.

[107]

En voici une autre illustration. Traditionnellement, en Europe, les garçons prennent le prénom de leur parrain, les filles celui de leur marraine (Bromberger, 1976, Zonabend, 1977, 1978, 1979, 1980) ; c'est souvent aux grands-parents que revenait, jusqu'à une période récente, le droit à la parenté spirituelle (pour une discussion de ce problème, voir Zonabend, 1978). [3] Comme nous l'avons noté précédemment, l'aîné recevait, dans ce cas, le prénom de son grand-père paternel (PP), le cadet celui de son grand-père maternel (PM) ; l'aînée des filles héritait le prénom de la mère de sa mère (MM) ; la cadette celui de la mère de son père (MP). Deux critères se combinaient donc pour l'attribution du prénom, la séniorité et le sexe, l'aîné recevant son prénom de la lignée paternelle, l'aînée de la lignée maternelle, la situation s'inversant pour les cadets. On peut aisément juger des effets d'un tel système : un certain nombre de cousins germains portaient le même prénom, les uns parce qu'ils étaient les petits-fils aînés en ligne agnatique, les autres parce qu'ils étaient les petits-fils cadets en ligne utérine. Le sous-système des prénoms permettait donc, à l'intérieur d'une même lignée, de classer les individus selon leur sexe, leur position généalogique (tous les homonymes appartenaient soit à une même génération soit à des générations alternées), la nature de leurs liens à leurs grands-parents et leur rang de naissance (au sein d'une même génération, aînés en ligne agnatique et cadets en ligne utérine recevaient le même prénom : celui d'un même grand-père, PP pour les uns, PM pour les autres). La richesse classificatoire des systèmes anthroponymiques attestés dans les sociétés européennes ne s'épuise pas dans ces conventions qui régiss(ai)ent le choix du prénom.

Considérons l'ensemble des appellations utilisées dans une commune de l'Hérault [4] : le prénom, on vient de le voir, était attribué selon des règles strictes ; tout individu porte, par ailleurs, un patronyme qui se transmet, comme son nom l'indique, en ligne agnatique ; ce patronyme fonctionne comme un classificateur de lignée, indiquant, d'une part, l'apparentement de tous ceux qui portent le même nom de famille, confirmant, d'autre part, la dominante patrilinéaire du type de filiation ; en 1870 on comptait, dans cette commune, 37 familles G., 36 B., 28 D., 19 P., 18 T., 18 I, 17 Bi., etc. Bref le champ des patronymes était particulièrement étroit ; ce n'est, à coup sûr, ni le nom de famille ni même la combinaison prénom + nom de famille qui pouvaient permettre l'identification sans ambiguïté d'un individu. Un autre type d'appellation était couramment utilisé : le diminutif patronymique, formé du patronyme auquel on adjoignait un suffixe diminutif. Ainsi le diminutif du patronyme « Bigot » était « Bigotou » pour les garçons, « Bigotoune » pour les filles ; [108] le diminutif avait tout autant une fonction classificatoire que distinctive : seuls les aîné(e)s enfants d'aîné y avaient droit ; il signalait ainsi, davantage que le rang de naissance, le statut natal dans la lignée ; contrairement aux prénoms, sa transmission est continue, au moins pour les garçons : « Bigotou » est le fils aîné d'un « Bigotou » lui-même fils aîné d'une branche aînée ; « Bigotoune » est la fille aînée d'un « Bigotou » mais elle ne transmettra pas son diminutif à l'aînée de ses filles, l'attribution de ces « surnoms » se faisant exclusivement en ligne agnatique.

Davantage qu'à ces appellations qui classent plus qu'elles n'identifient, on recourt pour distinguer les individus entre eux aux sobriquets ou aux diminutifs des prénoms ; mais le port de ces appellations, proprement individuelles celles-là, n'est pas général dans la communauté ; la distribution des sobriquets varie sensiblement d'un groupe socio-professionnel à l'autre ; l'analyse fait ressortir que, dans cette localité, située en bordure de l'étang de Thau, les « gens de l'étang » (ceux qui vivent de la pêche et de la conchyliculture) sont souvent surnommés ; les « gens de la vigne » (ceux qui vivent des activités agricoles et notamment de la viticulture) sont, à l'inverse, rarement désignés par un sobriquet ; quant aux gens de passage, aux « étrangers », aux « néo-résidents », ils ne sont jamais surnommés.

Si l'on pousse plus loin l'analyse, on s'aperçoit que les sobriquets individuels sont réservés, en général, aux hommes et que leur usage est subordonné à un ensemble de règles strictes : on ne les emploie ni devant un étranger à la collectivité ni en dehors du cadre communautaire [5]. Ici encore l'identificateur fonctionne comme un classificateur : il signale le statut professionnel, l'autochtonie, l'appartenance locale. En définitive, l'ensemble de ces appellations fonctionne comme un code dont chaque élément (prénom, patronyme, diminutif patronymique, surnom) indique l'appartenance du sujet désigné à une « classe préordonnée » (Lévi-Strauss, 1962b : 240) : un sexe, un rang de naissance, un statut natal, un groupe socio-professionnel. Notons que les différents éléments de ce code n'assignent pas seulement des positions aux individus dénommés mais qu'ils expriment les relations que ceux-ci entretiennent entre eux (homonymes par leur prénom, ils appartiennent à des générations alternées (grand-père, petit-fils) ou semblables (cousins germains), homonymes par leur diminutif patronymique ils appartiennent à des générations consécutives : PP — P — F etc.). S'il fallait comparer de tels systèmes de noms propres avec d'autres systèmes classificatoires, on conviendrait volontiers, avec C. Lévi-Strauss, qu'ils s'apparentent aux taxinomies végétales ou animales. L'« individu » y est « défini » comme une « espèce » occupant une place déterminée dans un « système » comportant « plusieurs dimensions » {op. cit. : 248).

Classer les animaux et les végétaux ne consiste pas seulement à assigner aux différentes espèces une position particulière dans une taxinomie en fonction des caractères permanents et distinctifs qu'on leur reconnaît. La pensée scientifique, comme la « pensée sauvage », distingue également les plantes et les animaux en fonction des phases de leur croissance ; à titre d'exemple, les Kissi de Guinée désignent du terme dixi la sous-espèce de riz que les botanistes identifient comme Oryza sativa L.O. indica (Kato) Gutschin ; ils utilisent cette unité pour identifier cette sous-espèce, quelle que soit la phase de maturation de la plante ; parallèlement, ils disposent d'une gamme très riche de mots ou de syntagmes pour désigner les différents cycles [109] de la végétation : sanõ désigne « le trempage des semences », malo tolio le « riz repiqué », malo wil, le « riz qui lève », mal? fura, le « riz qui pousse », malo dèdu, le « riz en fleurs », malo diw le « riz mûr » (voir Portères, 1966 : 24). Comme les taxinomies animales et végétales, beaucoup de systèmes anthroponymiques sont organisés selon ces deux dimensions : l'individu reçoit, dans les jours ou les mois qui suivent sa naissance, un ou plusieurs noms fixes (qui signalent son statut natal, son degré de séniorité, etc.) puis, au cours de son existence, il se voit attribuer d'autres noms qui signalent chacun une modification de sa position statutaire.

Chez les Nuer du Soudan, l'enfant reçoit peu après sa naissance deux noms particuliers, l'un attribué « sur décision finale du père », le second par ses grands-parents maternels (Evans-Pritchard, 1971 : 185-187) ; il « hérite », par ailleurs, « d'un cot paak, nom propre à son clan et titre d'honneur » (ibid.). À côté de ces noms stables, il reçoit, au fil du temps, d'autres noms qui scandent les grandes étapes de sa vie : « un nom de bœuf » au moment de son initiation, le nom de son père ou de sa mère (précédé de « fils de ») quand il est trop âgé pour qu'on le désigne de son « nom de bœuf » et encore trop jeune pour qu'on l'interpelle par un teknomyme (« père de »).

La plupart des systèmes anthroponymiques sont ainsi animés par ces deux tendances contradictoires : assigner des positions fixes aux individus, signaler les changements de statut qui « jalonnent » « leur biographie » (Zonabend, 1980 : 15).

Qu'attestent ces différents exemples ? Tout d'abord que la plupart des systèmes anthroponymiques traitent « l'individuation comme une classification » (Lévi-Strauss, 1962b : 261) ; qu'en second lieu les noms propres attestés dans une société forment un système de signes, série relativement fermée d'unités dont chacune est pourvue d'un signifié distinct, plusieurs d'entre elles pouvant d'ailleurs désigner un même individu ; qu'en troisième lieu, nous l'avons déjà dit, la faiblesse distinctive de ces systèmes n'est que l'envers de leur richesse classificatoire ; qu'enfin ces systèmes classent les individus selon des critères qui varient d'une culture à l'autre, sans que l'on puisse pourtant dire, nous y reviendrons, que les procédés de classification soient en nombre illimité à l'image des différences qui singularisent les cultures et les sociétés.

Doit-on conclure, sur la foi de ces exemples, que « le nom propre demeure toujours du côté de la classification » (op. cit. : 285) ? Les exemples que nous pourrions puiser dans nos sociétés contemporaines semblent, à première vue, infirmer cette généralisation. Le choix du prénom de l'enfant, par exemple, apparaît beaucoup plus subordonné aux intentions particulières des parents et des proches qu'à des règles sociales strictes. Le stock des appellations individuelles apparaît ainsi varié et mouvant, à tel point que le calendrier liturgique doit être périodiquement mis à jour pour enregistrer les innovations, à défaut de pouvoir en endiguer le flux. Cette labilité ne caractérise pas seulement les inventaires de noms propres contemporains.

Dans l'étude qu'il a consacrée à l'anthroponymie des Mosi de Haute-Volta, M. Houis remarque qu'il est purement fortuit que deux individus portent le même yure » (nom individuel) (1963 : 9). Même situation chez les Yanômami d'Amérique du Sud. J. Lizot note que « certains noms propres sont forgés de toutes pièces » et qu'« habituellement on évite d'octroyer un nom déjà attribué » (1973 : 62-63). Dans ces deux cas, les noms propres forment des séries ouvertes et ne se différencient pas des autres catégories nominales. « Les noms individuels ne constituent pas (...) une catégorie linguistique à part, du moins formellement. La catégorie des 'noms propres' s'opposant à celle des 'noms communs' ne concerne pas le moré » (Houis, 1963 : 7). « Pour la formation des noms personnels, la totalité du lexique est mise à contribution. Tout radical est susceptible d'entrer dans la composition d'un nom propre » (Lizot, 1973 : 61). Existerait-il donc deux formules extrêmes de dénominations, l'une [110] rigide assignant un ou des noms à un individu en fonction d'un code préétabli, l'autre plus souple, voire asystématique, où le nom choisi ferait écho à des circonstances particulières ou à des intentions personnelles ? D'un côté, « les noms propres » semblent former « la frange d'un système général de classification (...). Quand ils entrent en scène le rideau se lève sur le dernier acte de la représentation logique » (Lévi-Strauss, 1962b : 285) ; de l'autre, nul modèle mécanique ne permet de rendre compte de leur distribution dans un groupe social ; la dénomination apparaît alors comme « une libre création de celui qu'il nomme, un état transitoire de sa propre subjectivité » {op. cit. : 240) ou encore de celle des autres : « Combien de mères, note Lizot, lors de séjours dans les groupes les plus lointains, m'ont demandé en brandissant leur enfant à bout de bras : 'donne-lui un nom' ! » (1973 : 61).

L'opposition entre ces deux formules, pour réelle qu'elle soit, est cependant moins nette qu'elle n'apparaît à première vue. Notons d'abord que seuls les noms (ou surnoms) individuels sont voués à cette apparente anarchie. Les appellations familiales, claniques, teknonymiques... demeurent, dans tous les cas évoqués ci-dessus, des repères classificatoires intangibles. Remarquons ensuite que quelques règles — qui ne sont pas reconnues comme normes — gouvernent l'anarchie. Je choisis d'appeler mes enfants Sébastien, Stéphane, Karine et Katia ; ce faisant, je confirme leur appartenance à la génération la plus jeune ; leur nom les distingue de leurs parents (souvent prénommés Daniel, Gérard, Martine, Claudine...), de leurs grands-parents (les Pierre, Paul, Henriette... des années 20-30), de leurs arrière-grands-parents (les Auguste, Roger, Marie... du début du siècle) (voir Léon, 1976 : 221) [6]. Le prénom fonctionne ici comme une marque distinctive de l'âge et de la génération ; il indique dans beaucoup de cas l'identité sexuelle du porteur (pour les Yanômami, voir Lizot, 1973 : 62) ; souvent aussi, « libre » création, il devient lui-même un instrument de classification, un paradigme : chez les Mosi, si le premier enfant reçoit le nom de « poule » (noga), tous ses frères et sœurs seront désignés par des syntagmes « traduisant la même référence » (Houis, 1963 : 31) : par exemple noraogo, « la poule mâle » ou nopoko, « la poule femelle » pour le second enfant, nobilla, « le petit de poule » pour le troisième, etc. Le prénom fonctionne donc ici comme un classificateur de fratrie. On connaît un usage similaire en Iran (entre autres) où une terminaison identique du prénom sanctionne le même type de liens (ainsi des frères et des sœurs seront appelés Hamid, Vahid, Sahid, Nahid...). Il faut noter enfin, avec C. Lévi-Strauss, que l'attribution d'un nom en dehors des conventions et des usages dominants est encore un procédé de classification. J'appelle mes enfants Charles, Marie et Auguste à une période où fleurissent les Yann, Katia : je me classe comme traditionaliste, à rebours des modes et des goûts du moment [7].

Les deux formules opposées que nous avions dégagées ne seraient, en fait, que des variantes du processus classificatoire, tapi, omniprésent, imposant sa loi là même où l'on tente de s'en affranchir. « Le choix, semble-t-il, écrit Lévi-Strauss, n'est qu'entre identifier l'autre en l'assignant à une classe, ou, sous couvert de lui donner un nom, de s'identifier à travers lui. On ne nomme donc jamais : on classe l'autre, si le nom qu'on lui donne est fonction des caractères qu'il a, ou on se classe soi-même si, se croyant dispensé de suivre une règle, on nomme l'autre « librement » : c'est-à-dire en fonction des caractères qu'on a. Et, le plus souvent, on fait les deux choses à la fois » (Lévi-Strauss, 1962b : 240).

[111]

Mais, à coup sûr, les deux procédés ne revêtent ni les mêmes significations ni les mêmes enjeux ; d'un côté, je me plie à des normes invariantes ; de l'autre, je niche sous le nom imposé mes expériences personnelles, mes partis-pris, mon idéologie ; j'accorde volontiers un pouvoir à ce nom, j'y lis en filigrane un destin. Autant que comme un classificateur, le nom fonctionne ici comme un symbole, faisant écho à un ensemble de croyances et de convictions.

En définitive, ce n'est pas tant l'individuation qui prend le pas sur la classification, c'est le symbole qui l'emporte sur le signe [8] ; dans nos sociétés, des ouvrages (dictionnaires spécialisés, magazines d'inspiration religieuse ou profane), répertorient les vertus qu'on peut attribuer aux différents prénoms, codifient la métaphysique résiduelle qui s'y attache ; dans les sociétés traditionnelles, le nom individuel est souvent, par sa forme comme par son contenu, un message à l'intention des puissances numineuses qui traduit une intention, « celle d'assurer la vie contre la mort » (Houis, 1963 : 22). À ce titre, l'usage du nom est soumis à un ensemble de rites qui confirment les valeurs qu'on y investit.

Ainsi le nom propre peut avoir un double statut, celui de repère classificatoire assignant à l'individu dénommé une ou des positions déterminées dans la structure sociale, celui de symbole participant d'une vision du monde, système organisé de représentations et de croyances. Ces deux fonctions — également ou inégalement réunies sous un même nom de personne, dont l'importance respective varie non seulement d'une société à l'autre mais aussi d'un type d'appellation à l'autre au sein d'un même système anthroponymique — méritent chacune une analyse complémentaire.

3. Le système des noms propres comme code
de classification sociale, enjeux et stratégies.

À la question : « Pourquoi nommer ? » [9], nous avons répondu globalement : « Pour classer ». Ce n'est qu'avancer d'un pas. Reste, en effet, à savoir qui, comment, en fonction de quels critères on classe en assignant un ou une constellation de noms propres. Les exemples que nous avons évoqués précédemment illustrent la variété des principes classificatoires qui régissent, ici ou là, les systèmes anthroponymiques : sexe, rang de naissance, statut natal, filiation... critères souvent combinés, gouvernant chacun le choix d'une des appellations que l'on attribue à un individu. Mais qu'en est-il de ces principes classificatoires ? Sont-ils de pures conventions ou sont-ils homologues à ceux qui structurent le champ social ? Trouve-t-on des procédés classificatoires identiques dans des sociétés différentes, des procédés différents dans des sociétés gouvernées par les mêmes principes ? Poser ces questions, c'est non seulement s'interroger sur la pertinence sociologique de ces systèmes classificatoires mais aussi se demander dans quelle mesure l'anthroponymie peut être un outil heuristique pour l'anthropologie sociale.

3.1. Le nom propre comme sanction
de l'existence sociale.

La dation du nom ou des noms propres est, avant tout, un acte de socialisation ; elle s'accompagne d'une cérémonie ou d'un ensemble de rituels, variables selon les sociétés et les cultures, qui consacrent l'intégration de l'individu au groupe. Avant d'être [112] dénommé, l'enfant n'a pas de statut déterminé. « C'est entre un et trois ans, note Lizot au sujet des Yanōmami, que les enfants se voient attribuer un nom ; ils entrent alors de plain-pied dans la culture. Avoir un nom personnel, c'est posséder une existence sociale » (1973 : 64). Pour les Ouehon (Guère) de l'Ouest ivoirien, « tout nouveau-né, quel que soit son sexe, est un Lebaï (étranger) » (Tiérou, 1977 : 17). Dans les sociétés européennes, la déclaration du nom de famille consacre l'existence sociale, celle du prénom (nom de baptême) la filiation spirituelle et l'insertion dans la communauté chrétienne ; de l'enfant qui n'a pas reçu le baptême, Pitt-Rivers nous dit que « it was regarded as a 'Moor' (Maure), an animal or at any rate scarcely human » (1976 : 319).

Forme de reconnaissance sociale, l'attribution du ou des noms est, selon les termes de Van Gennep, un rite d'agrégation. Mais par là même, un processus de distinction : il y a des entités qui ont « droit » au nom propre et d'autres qui n'y ont pas « droit » ; il y a, dans l'usage quotidien, ceux dont on connaît et ceux dont on ignore le(s) nom(s).

Qui reçoit un nom de personne ? Pas seulement les êtres humains mais aussi des animaux, des objets, des lieux... En Europe on a coutume de désigner par des noms de personnes — ou des simulacres de noms — des animaux, des maisons, des cloches, des bateaux, des avions ou des trains, jadis des armes... A chaque type d'entités correspond une série réservée de noms propres : on n'appellera pas un chat « Médor » ou une chienne « Minouche » sans prêter à sourire. Prénommer un animal, c'est à la fois le classer (parmi les animaux qu'on prénomme) et le distinguer (de ceux qu'on ne prénomme pas). Y a-t-il un trait commun aux entités que l'on affuble d'un nom propre ? Non pas l'humanité — qu'on leur prêterait par dérision ou dévotion — mais plutôt la reconnaissance d'une existence sociale et/ou symbolique particulière qui les singularise par rapport aux autres entités. Parmi les animaux, seuls, en général, ceux avec qui l'on vit, veille ou travaille reçoivent un nom (chats, chiens, vaches, chevaux, ânes...). Les types de noms choisis révèlent d'ailleurs souvent la nature des liens qu'entretient le propriétaire avec ses animaux. À S. (Alpes de Haute-Provence), on déteste les vaches, dont l'élevage a relayé celui, moins astreignant et plus rémunérateur, des juments poulinières et des mulets. « Les vaches, c'est le merdier, c'est sale et c'est long ; il n'y a pas une bête plus bête que la vache ». À celles-ci on attribue de simples noms ordinaux (en fonction de leur année de naissance, selon les prescriptions des services vétérinaires) ; à l'inverse, on réserve aux juments les anthroponymes de Margot, Fanny, Rosalie... symbolisant par là un type de liens privilégiés.

Quant aux objets, on n'affuble, en général, de noms propres que ceux que l'on baptise, donc que l'on agrège. On sait que la construction, le faîtage d'une maison, l'installation d'une famille dans sa nouvelle demeure, la mise en service des cloches paroissiales, la mise en eau d'un navire... sont sanctionnés par des rites qui rappellent ceux du baptême : rameau sur le toit à la fin des travaux, huile dans la maison lors de son inauguration, parrains et marraines pour les cloches, les navires, etc. La dénomination répond ici à deux fonctions : distinguer des objets au statut particulier au sein de séries anonymes (l'appellation individuelle de la maison est un signe de distinction réservé, en général, aux habitations dispersées, aux domaines patrimoniaux, aux maisons bourgeoises du village : l'appartement ou la modeste maison mitoyenne ne sont, en général, pas dénommés [10]) ; assigner à l'objet une fonction symbolique : désigné, baptisé, celui-ci devient l'expression, sur le mode de la svnecdoque, [113] d'une unité sociale pourvue, elle, habituellement d'un nom propre (la famille symbolisée par la maison, la paroisse ou la communauté par les cloches, la nation par « Le France », etc.).

Si des animaux ou des objets sont couramment désignés par des noms propres, des individus en sont, dans l'usage quotidien, totalement ou, plus souvent, partiellement privés. Ce sont les marginaux, les gens de passage, les sans-grade « dont on ne connaît pas le lieu d'origine et qui, souvent, n'ont pas de patronyme : un sobriquet, parfois un prénom les caractérise (...). Lorsqu'on parle d'eux, on dit simplement : 'Ils n'avaient pas de nom ces gens-là...' (Zonabend, 1977 : 261). Connaître la complète identité d'autrui, c'est l'inclure — directement ou indirectement — dans le champ de ses relations sociales ; l'anonyme, le mal nommé, c'est l'inconnu ou, pour le moins, le méconnu. Signer son appartenance à une collectivité, c'est maîtriser un lot commun d'appellations, dont certaines sont d'ailleurs « cachées à l'étranger » (op. cit. : 269). La société s'arrête là où les repères que constituent les noms propres s'estompent : « Là-bas, on ne connaît pas ! », c'est-à-dire qu'on ne saurait mettre un nom sur un individu.

L'aire de connaissance des noms propres se superpose à celle des relations sociales, trace une limite entre « nous » et « les autres ».

3.2. Comment les noms classent-ils ?

Il n'est pas possible, dans le cadre de cet article, de répertorier les divers procédés attestés à travers le monde pour classer, en les nommant, les individus. Au reste, nous ne disposons que d'inventaires limités et la volumineuse Anthroponymie universelle comparée de Vroonen (1967) comporte trop d'inexactitudes pour servir de référence. Le plus souvent, une ou plusieurs appellations classent les individus selon leur filiation : nom gentilice dans le système romain puis, plus tard, cognomen héréditaire différenciant les lignées au sein d'une même gens (Nicolet, Kajanto, 1977). « Presque toutes les sociétés que nous avons citées, constate Lévi-Strauss après avoir examiné un très vaste échantillon de cas africains, australiens et amérindiens, forment leurs noms propres à partir d'appellations claniques » (1962b : 228). Les règles de transmission des noms confirment les tendances dominantes du système de parenté (patri-linéaire, matrilinéaire, bilinéaire...). Le système de transmission des prénoms et du diminutif patronymique que nous avons dégagé précédemment sanctionne le type de filiation en vigueur dans les sociétés méridionales (bilatéral à dominante patrilinéaire). Dans ces mêmes sociétés, un surnom collectif peut sceller la continuité et l'identité de la lignée ; dans ce cas, il fonctionne comme un repère fixant la limite entre mariages prohibés et autorisés : « Sur quelque 500 mariages, étudiés à Beuil (...), il n'y a pas un seul cas de mariage entre un homme et une femme portant le même surnom » (Liautard, 1979 : 7). D'autres systèmes anthroponymiques font référence non pas à une ascendance mais à une descendance commune (teknonymie) : « The systematic application of teknonymous names, note Geertz qui a étudié le phénomène à Bali, serves to mark out explicit age-grades within each (...) village » (1964 : 94). On distingue ainsi, au maximum, quatre générations. Nous avons, par ailleurs, noté que beaucoup de systèmes enregistrent le degré de séniorité, absolue ou relative au statut natal, l'appartenance à une même fratrie, à une même classe d'âge et, bien évidemment, le sexe. L'identité sexuelle ne se lit pas seulement à travers des marques formelles spécifiques mais à travers des types de désignations différentes réservées à l'une ou l'autre catégorie : ainsi les femmes romaines portaient rarement un praenomen et jamais un cognomen héréditaire.

Mais il est des usages plus ambigus, qui apparaissent comme des transgressions des normes et révèlent des contradictions au sein d'un système social. Il en est ainsi [114] quand le principe de localité ou l'appartenance à une « maison » l'emporte sur le principe de filiation [11]. On en connaît des usages contemporains quand, par exemple, un chauffeur de maître est désigné de son prénom suivi du nom de son « patron ». Cet usage est similaire à celui qui régissait, à Rome, l'attribution du prénom et du gentilice à un esclave affranchi : celui-ci adoptait ceux de son ancien maître dont il devenait le « client ». Mais la contradiction est encore plus nette dans les sociétés paysannes où la « maison » est le cercle de référence et d'appartenance sociale par excellence. Notons, tout d'abord, que le nom de famille qui a survécu était souvent à l'origine un « nom de terre », désignant la propriété exploitée. Remarquons ensuite que « le gendre (...) prenait le nom de son beau-père (ou de sa femme) s'il venait s'établir sur les terres de celui-ci » (Vallet, 1961 : 271). Cet usage s'est perpétué jusqu'à la période contemporaine mais sous deux formes différentes : soit le gendre prend le nom de son beau-père, ce qui jure avec les modèles dominants de patrilinéarité (on sait que ce sort peu enviable était souvent réservé au(x) cadet(s) pour éviter le morcellement du patrimoine), soit le principe d'appartenance à une maison l'emporte sur la filiation : c'est le cas dans le Sud-Ouest où « le nom adhérait davantage à la maison qu'à la famille » (Le Saulnier, 1951 : 227). À la fin du Moyen-Âge — et, semble-t-il, jusqu'à un passé récent — le système des appellations témoignait du conflit entre ces deux principes classificatoires : « Le nom de famille de l'enfant était celui de son père, son nom de maison était celui de la maison qu'occupaient ses parents, qu'elle vînt de son père, de sa mère ou de quiconque par achat ou par succession. S'il était l'héritier, il gardait plus tard le même nom de maison ; sinon, il prenait celui de la maison où il s'établissait. (...) Le nom de maison servait dans l'usage courant » (ibid. : 54-55). Ici apparaît clairement l'intérêt heuristique, pour l'anthropologie, d'une analyse des anthroponymes ; le système des appellations, envisagé dans son entier, exprime les contradictions du système social, désigne les lieux stratégiques autour desquels s'articule la société.

Ces contradictions, on les saisit aussi quand divers systèmes d'appellations coexistent au sein d'une même société. Ainsi à Bali ; le nom propre, chez les gens du peuple, est un teknonyme ; les fonctions de ce type d'appellation sont précisément analysées par Geertz : « First, there is the identification of man and wife as joint procreators (père et mère de X). Second, there is the generational or age-stratification of the community (PP de X, MP de X, etc.). And there is the feature we find only in Bali : the delineation of a four-position chain of filiation, a truncated 'descent' — line with ail members bearing the same name » (1964 : 104). Ce qui frappe ici, c'est la faible profondeur généalogique de l'unité de parenté (le dadia) : « Any tie is intrisically untraceable which is based on a common ancestor more than four générations ascendant from the oldest living member of the kin group » (op. cit. : 101). Geertz peut, à bon droit, parler de « systematic genealogical amnesia » (ibid.) pour caractériser cet usage de la teknonymie. Quels enjeux cette amnésie structurelle recouvre-t-elle ? Que veut-on oublier ? Geertz démontre que la conscience d'une commune appartenance généalogique perturberait le fonctionnement de la société balinaise, structurée en groupes de localité. Les mariages étant endogamiques, la reconnaissance d'un même ancêtre éponyme entraînerait que l'on contracte ses alliances « over the bounds of the local community », ce qui serait « disruptive rather than integrative in effect » (op. cit. : 103). Sous la teknonymie se loge donc une stratégie : l'amnésie généalogique a pour fonction de privilégier les liens de localité par rapport aux « translocal descent ties » (op. cit. : 104). À l'inverse, la noblesse balinaise n'utilise pas les teknonymes ; à l'amnésie généalogique, elle oppose la mémoire généalogique : « Their kin groups are more strongly corporate, larger, more enduring and are [115] buttressed by lengthy genealogical traditions, traditions which are absent among the commoners » (op. cit. : 94). Cette tradition généalogique sanctionne et légitime le pouvoir — translocal — de la noblesse. En définitive, les différences entre les systèmes d'appellations des gens du peuple et de la noblesse reproduisent la contradiction majeure de la société balinaise : des groupes stables de parenté dominent des groupes de localité.

L'attribution des noms est donc plus, dans ces cas, qu'un simple procédé classificatoire ; elle recouvre des enjeux, ceux-là mêmes qui structurent le champ social ; mais l'analyse ne peut les dévoiler qu'à une condition : qu'elle envisage le système anthroponymique dans son entier, c'est-à-dire la totalité des appellations qu'on utilise pour désigner un individu et les différences entre les divers systèmes d'appellations attestés dans une société.

Les noms propres peuvent aussi classer les individus selon leur origine et leur statut social, mais selon diverses modalités formelles. Dans nos sociétés, la simple consonance d'un nom me renseigne — approximativement au moins — sur l'origine ethnique ou régionale de son porteur ; on sait à quelles confusions peut mener ce genre d'ethnologie spontanée. Dans beaucoup de collectivités, une appellation signale l'origine (sobriquet, kunya dans le système arabe, etc.). Les distinctions de classes et d'occupations se lisent soit dans la signification même du nom (dans l'ancien monde celtique, par exemple), soit à travers des marques formelles propres à une catégorie d'individus (la particule, par exemple), soit à travers le nombre et la nature des noms portés (à Rome, alors que l'esclave ne portait que son prénom, les patriciens ajoutaient à leur praenomen et gentilice plusieurs cognomen ; au Japon, jusqu'en 1870, seuls la famille royale, la noblesse et certains privilégiés avaient des noms de clan et de famille, les autres ne portaient en général qu'un nom de profession), soit encore à travers le prestige qui s'attache à un nom particulier (« Tiens ! C'est un Rotschild ! »).

Sur la base de ces quelques exemples, on conviendra volontiers avec F. Zonabend (1980 : 12) qu'« à partir des anthroponymes, chaque société répartit ses membres au sein d'une hiérarchie qui lui est propre (...) ; le nom apparaît alors comme un outil mnémotechnique dont la fonction est, entre autres, de définir les différents champs de référence de la société en question : champ parental, champ social, champ symbolique... L'individu est, en quelque sorte, situé, de par son nom, au carrefour de ces champs de force ».

3.3.  dénonciation

Les règles d'énonciation confirment la vocation distinctive et classificatoire que l'on assigne aux noms propres. Dans le discours, ceux-ci se combinent avec d'autres appellatifs (titres honorifiques, pronoms personnels, etc.), qui ont aussi pour fonction de classer les individus (ceux que l'on tutoie/ceux que l'on voussoie, ceux que l'on interpelle par un titre/ceux que l'on interpelle par une interjection : « eh ! », etc.). Les analyses socio-linguistiques ont largement démontré que la nature des appellatifs utilisés (en référence à soi ou à autrui, en adresse) varie selon le statut relatif des interlocuteurs et des délocuteurs (voir, entre autres, Perret, 1970, Centlivres, 1972, Ervin-Tripp, 1972). La variété des appellations utilisées pour se référer ou s'adresser à un individu renvoie à la variété des positions statutaires relatives qu'il occupe dans le système social. Chez les Nuer (Evans-Pritchard, 1971), un locuteur adulte utilise soit un nom de naissance (pour s'adresser à une jeune fille ou à un homme qui appartient à la même classe d'âge que lui et se trouve dans le village de son père), soit le second nom, celui donné par les grands-parents maternels (pour s'adresser à un individu qui réside dans le village de sa mère), soit encore le nom de clan (maternel [116] ou paternel selon le lieu et lors de circonstances sociales particulières : cérémonies notamment)... Il peut employer aussi, selon la situation et le statut de son interlocuteur, un nom de bœuf (conféré lors de l'initiation), un nom de danse en composition avec le nom de bœuf, un patronyme, un matronyme, un teknonyme.

Tout autant que des positions relatives dans le système social, le choix des appellations peut signaler un type particulier de relations ou une forme de manipulation de la distance sociale. Dans la commune du Loir-et-Cher étudiée par M. Léon (1976) comme ailleurs en France, les enfants et les adolescents se désignent et s'interpellent par leur prénom ; c'est là la règle générale, mais on signale l'amitié ou l'hostilité par une appellation particulière.

Amitié

Neutralité

Hostilité

Surnom

Prénom

Prénom + nom de famille

le ou la + nom
de famille.


Dans cette même collectivité, les adultes confèrent une certaine solennité aux séances du Conseil Municipal en s'adressant les uns aux autres par un titre suivi du nom de famille, alors que dans l'usage quotidien ils s'interpellent par leurs prénoms. En adresse, un choix judicieux de l'appellation ou la prolifération de titres précédant le nom peuvent répondre au souci d'influencer l'interlocuteur. « Dans l'acte de marchandage, note Centlivres qui a analysé les appellatifs utilisés dans le nord de l'Afghanistan, pour des raisons commerciales, le vendeur confère en paroles à l'acheteur éventuel un statut plus élevé que le sien propre, afin d'imposer un comportement généreux (...). Dans les relations sociales en général, l'adresse est fonction de ce qu'on veut obtenir de l'interlocuteur et aussi de l'idée qu'on veut donner de soi » (1972 : 100).

3.4. L'anthroponymie, un outil heuristique
pour l'anthropologie sociale ?

Si l'anthroponymie est un outil privilégié pour l'anthropologie, c'est d'abord parce que, en général mais pas toujours, le système des noms propres traduit les tendances dominantes d'une société. Qu'enregistrent les noms propres européens ? La « filiation » (biologique, sociale et spirituelle), la « résidence », la « bilatéralité », l'« accentuation patrilinéaire » (Zonabend, 1980), l'appartenance locale... bref les lignes de force autour desquelles s'organisent les sociétés villageoises. Mais l'intérêt de l'anthroponymie ne s'épuise pas dans cette confirmation de l'ordre social ; sous les noms propres se nichent des enjeux, des conflits, des stratégies : soit les systèmes anthroponymiques enregistrent ces enjeux (ainsi le nom de maison le dispute au patronyme dans les sociétés rurales du Sud-Ouest), soit ils les entérinent indirectement (cf. ce que nous avons dit plus haut des fonctions du système teknonymique à Bali), soit encore, dans certains cas, ils le camouflent. C'est le cas chez les Bororos, analysés par C. Lévi-Strauss, où sous l'apparente bipartition de la société en deux moitiés exogamiques et complémentaires, symbolisée chacune par un nom (les Tugaré et les Cera), se cache une partition moins harmonieuse entre trois groupes sociaux hiérarchisés. Mais, dans ces différents cas, les systèmes anthroponymiques soit par leur transparence soit par les contradictions qu'ils recèlent par rapport à la réalité sociale sont des points d'observation privilégiés des normes et du fonctionnement d'une société. Au-delà du système des noms propres et de ses fonctions apparentes, c'est donc le fonctionnement de ce système dans l'ensemble de la structure sociale qu'il faut analyser.

Un certain nombre de procédés classificatoires identiques sont attestés dans des sociétés très différentes et, à l'inverse, des sociétés similaires classent les individus selon des procédés différents. Un tel constat devrait entraîner beaucoup de réserve [117] sur l'intérêt heuristique de l'anthroponymie pour l'anthropologie. En fait, beaucoup de convergences font écho à des situations très largement répandues : la dation du nom du grand-père paternel au petit-fils aîné, attesté en Grèce, en France mais aussi en Égypte, dans certaines sociétés africaines, etc., fait sans doute écho aux règles générales qui gouvernent les relations entre générations consécutives et alternées (scission des familles à chaque génération mais continuité de la lignée), de même l'appellation teknonymique, attestée dans des sociétés très diverses (Indonésie, Moyen-Orient arabe, etc. ) doit sans doute sa fréquence au fait qu'elle signale la paternité (ou la maternité) qui confère généralement un statut particulier à l'individu. À l'inverse, des procédés différents peuvent consacrer des fonctions identiques : on pourrait s'étonner que l'attribution des prénoms ne suive pas le même ordre en Corse, en Provence et en Espagne ; en fait, les procédés, pour différents qu'ils soient, respectent les mêmes principes : l'équilibre entre les lignées maternelles et paternelles, l'alternance des générations.

Mais sous des procédés identiques peuvent se loger des enjeux différents. Sous la teknonymie, par exemple, se cachent des « stratégies » bien distinctes. On a vu, en faisant référence aux travaux de Geertz (1964), quels services on attendait, à Bali, de cette forme d'amnésie généalogique. À l'inverse, chez les Pena d'Indonésie, étudiés par R. Needham, la teknonymie est un simple procédé classificatoire ; elle a pour fonction essentielle « of focusing attention on the marital couple as joint procreators by classifying them together socially under the single name of their child, and setting them appart from the immature, the childless, and the aged, but lacks the (...) other implications we have traced for Bali » (Geertz, 1964 : 104). En définitive, on conviendra avec cet auteur qu'on peut faire jouer à un même paradigme culturel des rôles bien différents selon le contexte social et structural où il s'intègre.

Il en est des prénoms des grands-parents comme de ceux des enfants : leur attribution peut recouvrir, outre les fonctions générales que l'on a dégagées plus haut, des enjeux, des stratégies, des sens bien différents d'un cas à l'autre. En France, la dation du prénom du grand-père à l'enfant sanctionne souvent la proximité, l'association en maintes circonstances de « l'aïeul et du petit-fils » (Zonabend, 1980 : 13) ; elle peut aussi connoter « l'idée que les traits héréditaires sautent toujours une génération et se transmettent des grands-parents aux petits-enfants » (Burguière, 1980 : 41) ; elle peut encore, là où elle n'est pas — ou plus — une règle générale, assumer une fonction distinctive, singularisant une classe sociale soucieuse de ses atavismes, de la pérennité de son patrimoine symbolique. Dans un certain nombre de sociétés méditerranéennes, cette pratique fait écho à des croyances, à des enjeux d'une autre nature ; dans la Florence de la Renaissance, elle visait tout à la fois à signifier la continuité du lignage et à permettre la réincarnation des aïeux disparus (on n'attribuait le nom d'un grand-parent qu'après le décès de celui-ci). « En honorant et en réincarnant les défunts, les vivants évitent de se les aliéner ; ils les neutralisent, les « rachètent », les empêchent de flotter impunément dans l'espace indécis et menaçant des ombres » (Klapisch-Zuber, 1980 : 99) ; dans l'île de Karpathos, en Grèce, l'attribution des prénoms du grand-père et de la grand-mère sanctionne, comme ailleurs, la continuité des lignées (seul(e)s les aîné(e)s enfants d'aîné(e)s ont droit à ces appellations) mais aussi la transmission des biens (le mode de filiation est ici bilinéaire) (Vernier, 1980). Autrement dit, les règles d'attribution du capital économique et du capital symbolique sont, dans ce cas, isomorphes. On comprend dans un tel contexte la vigilance des cadets — qui sont déshérités — à surprendre la moindre défaillance des couples d'aînés (stérilité...) pour s'approprier les noms des grands-parents et par là même le capital qu'ils symbolisent.

Sous la transmission alternée du prénom se logent donc des significations et des enjeux sans commune mesure : ici le prénom de l'aïeul fonctionne comme un simple [118] repère classificatoire, là il symbolise le pouvoir avec sa suite de privilèges et d'honneurs. L'analyse anthropologique, loin de se borner à un inventaire des règles d'attribution des noms, doit mettre au jour les facteurs contextuels qui modulent les significations de ces règles.

Au total donc, l'analyse des systèmes anthroponymiques peut révéler tout à la fois les principes selon lesquels une société classe les individus et les enjeux autour desquels s'articule le champ social.

4. Les noms propres comme symboles.

En proposant, à la suite de C. Lévi-Strauss, un renversement des perspectives traditionnelles en matière d'anthroponymie, nous avons délibérément laissé de côté ce qui constituait naguère (voir, par exemple, Larock, 1932) le chapitre majeur d'une étude ethnologique sur les noms de personnes : l'analyse des fonctions symboliques qu'on leur prête, le pouvoir, l'efficacité qu'on leur reconnaît. Cette dernière approche doit, pour être fructueuse, lever préalablement les problèmes que pose l'interprétation des significations attribuées aux noms propres. J'appelle ma fille Marguerite ; ce faisant, j'entends soit consacrer une tradition familiale (sa grand-mère portait ce nom), soit placer ma fille sous la protection d'une sainte vénérée, soit, plus banalement, me plier à une mode qui a d'ailleurs pu avoir pour origine une dévotion, soit comparer ma fille à une fleur, soit encore évoquer une ou des Marguerite dont j'ai gardé un souvenir ému, soit enfin retenir le nom qui me paraît le plus harmonieux, dont les qualités rythmiques et acoustiques s'accordent le mieux avec celles de mon patronyme. Le choix de « Marguerite » peut répondre à une ou à plusieurs de ces intentions. La difficulté d'une analyse des fonctions symboliques des noms propres réside précisément dans la mise au jour de ces intentions hiérarchisées ou entremêlées. Peu d'auteurs ont étudié rigoureusement les mécanismes précis du choix du nom, les valeurs qu'on leur attribue, indépendamment des fonctions classificatoires qu'on leur assigne et sans sombrer sous le flot d'une interprétation exégétique qui dévoile, sous chaque mot, une prolifération de symboles. En fait, trois révélateurs permettent de « mesurer » l'importance symbolique du nom : les conditions qui en régissent l'usage, les fonctions propitiatoires qu'on leur reconnaît, l'apparentement explicite que l'on établit entre le dénommé et le personnage éponyme, mythique ou légendaire.

4.1. Le pouvoir des noms :
règles d'usage et interdits.

L'usage du nom est, dans beaucoup de sociétés, soumis à un ensemble de règles et d'interdits qui en consacrent le statut symbolique. Chez les Yanōmami étudiés par Lizot, seuls les enfants, jusqu'à l'âge de dix ans, sont désignés par leur nom personnel. « Les restrictions d'usage se renforcent » ensuite « progressivement pour devenir pleinement effectives à la puberté » (Lizot, 1973 : 65). Les interdits les plus forts portent sur les noms des morts, du père et de la mère ou encore des « personnes dont on peut recevoir une femme » (ibid. : 66). Toutes ces restrictions, largement attestées dans les sociétés « primitives » (voir Lévi-Strauss, 1962b : 234), reposent sur un même principe : l'identification du nom et de celui qui le porte. Nommer, dans ces conditions, c'est agir sur celui que l'on désigne. « La pensée indigène », commente Lizot (1973 : 70), « est (...) convaincue que nommer l'objet redouté entraîne nécessairement la manifestation de celui-ci, de même que nommer l'objet désiré menace celui-ci de disparition ». Chez les Dogon du Mali, l'identification nom-personne est tout à fait explicite ; chaque individu reçoit quatre noms qui indiquent son appartenance à autant de groupes sociaux ; le « nom secret » confirme son appartenance [119] totémique, le « nom courant » fait référence à sa famille paternelle, le « nom de la mère » à sa famille maternelle, le « nom de camarade » enfin à la classe d'âge dont il fait partie (Calame-Griaule, 1965 : 351). Mais, au-delà des fonctions classificatoires qu'il remplit, chaque nom correspond, selon la tradition Dogon, à un élément constitutif du « moi » qui a son siège dans une partie déterminée du corps ; ainsi le « nom secret » répond au principe « intelligent femelle » et sur le plan organique à la « tête du foie » ; le « nom courant » s'identifie à « l'intelligent mâle » dont le siège est le « cœur » (ibid. : 352-353) etc. Prononcer l'un de ces noms, c'est donc faire appel à l'un des principes constitutifs de la personnalité et, selon les circonstances, augmenter ou diminuer le nãma (« force vitale ») de l'individu que l'on désigne. Dire, c'est ici faire, pour paraphraser le titre de l'ouvrage de J. Austin.

On comprend, dans ces conditions, que beaucoup de sociétés accordent un statut particulier aux noms des morts ; certaines en bannissent l'usage : ainsi chez les Dogon, « on ne donne jamais à un enfant le nom d'un mort (...) car ce serait néfaste ; l'enfant n'aurait pas longue vie » (Calame-Griaule, 1965 : 348) ; d'autres, au contraire, en prescrivent l'attribution systématique, non seulement pour symboliser la continuité de la lignée mais aussi pour permettre la réincarnation des défunts (voir, plus haut, nos remarques sur cette tradition dans la Florence de la Renaissance et, plus généralement, Lévy-Bruhl, 1910 : 407-408). Ces deux pratiques inverses reposent, en fait, sur la même croyance dans l'efficacité symbolique du nom ; tantôt on cherche à la neutraliser (quand le nom du défunt est perçu comme symbole de mort), tantôt, à l'inverse, à la valoriser (quand la transmission du nom est censée perpétuer à l'infini l'existence des défunts). L'identification du nom et de la personne qui le porte est encore dans nos sociétés le ressort d'une série de coutumes répertoriées par les folkloristes : l'interdiction de prononcer le nom des morts de peur de susciter leur retour parmi les vivants [12] ; le changement de prénom, au cours de l'existence, pour parer au mauvais sort qui s'attache à la première appellation ; l'évocation du nom personnel, lors d'une opération magique, condition nécessaire pour avoir prise sur celui qui est l'objet du maléfice.

4.2.  Le pouvoir des noms :
fonctions propitiatoires et tutélaires
.

Les significations des noms, comme les règles qui en conditionnent l'usage, portent l'empreinte des valeurs qu'on leur attribue. Dans nos sociétés, le sens de bien des prénoms est devenu opaque : « Qui pense encore à une fleur ou à une perle devant une femme nommée Rose ou Marguerite, ou bien à la noirceur du maure, à la Renaissance ou au chiffre huit, devant un Maurice, un René ou un Octave ? » (Lévi-Strauss, 1973 : 329). À l'inverse, en Afrique de l'Ouest par exemple, la signification des anthroponymes — qui ne se différencient pas des noms communs — est tout à fait transparente ; chez les Mosi, les enfants reçoivent pour noms individuels des termes appartenant au vocabulaire courant : « poule », « musaraigne », « serpent », « tamarinier »... Un examen superficiel de ces appellations amènerait à conclure que les Mosi identifient chaque individu, selon un vaste système de correspondances symboliques, à une plante, à un animal ou encore à une circonstance sociale particulière. Les faits sont plus complexes.

Les noms individuels se réfèrent, en fait, à une expérience préalable à la naissance qui a été reconnue, immédiatement ou médiatement, par la mère elle-même ou après consultation d'un devin, comme une « injonction » des « Puissances numineuses » [120] (Houis, 1963 : 24). Ainsi le nom individuel bèngdo : « feuilles de haricot » rappelle que les premières douleurs se sont produites soit quand la mère était dans un champ de haricots soit quand elle préparait un plat de haricots ou une sauce de feuilles » (ibid. : 55). Le nom apparaît ici comme une réponse à l'injonction des puissances, garantissant que leur message a été reconnu et visant, par là, une alliance propitiatoire avec elles. « Le yure, commente Houis, réponse des humains à une injonction, vise à l'efficacité, c'est-à-dire à assurer la vie de l'enfant » {ibid. : 25). La pratique mosi s'inscrit dans la très large gamme des usages qui reconnaissent au nom propre une fonction tutélaire ou propitiatoire, comparable, toutes proportions gardées, à la coutume, bien ancrée dans nos sociétés, de placer le baptisé sous la protection d'un saint (Maître, 1965 : 36-43, 56-63) ; dans tous ces cas, le choix du nom vise à établir une communication avec l'au-delà. Mais l'usage mosi se différencie par un trait essentiel : tandis que dans les sociétés chrétiennes la dation du nom vise à attirer la protection et à transmettre les qualités du saint éponyme, chez les Mosi le choix de l'appellation — qui n'est jamais celle de la « puissance » à laquelle on s'adresse — a pour but de détourner les forces hostiles. Les rapports entre l'« émetteur » et le « récepteur » du « message » sont donc, d'un cas à l'autre, affectés d'un signe inverse.

4.3.  Le pouvoir des noms :
les enjeux symboliques de l'identité
.

L'analyse des fonctions propitiatoires des noms propres offre donc une collection d'indices pour appréhender le système de valeurs et de croyances qui constitue l'horizon symbolique d'une société. L'examen des significations des anthroponymes, des registres sémantiques où celles-ci s'inscrivent, des connotations que les noms propres suggèrent ouvre une autre voie pour cerner le « profil culturel » (Zonabend, 1980 : 14) d'un groupe et le statut symbolique que l'on prête ou que l'on souhaite aux individus, mais à deux conditions : tout d'abord que le symbolisme de ces noms demeure transparent et conventionnel pour les usagers (voir plus haut la remarque de C. Lévi-Strauss) ; en second lieu, que le choix de l'appellation consacre l'intention d'associer les qualités de l'éponyme à celles du dénommé (ce qui n'est pas toujours le cas : on a vu à quel genre d'erreurs en s'exposerait en déduisant des seules données onomastiques que les Mosi identifient les individus à des entités animales, végétales, etc.).

Dans beaucoup de sociétés, les noms propres font écho au mythe fondateur ; il en est ainsi des noms théophores, attestés, par exemple, dans l'ancien monde sémitique (Yohannan (Jean) : « Dieu a manifesté sa grâce ») ou encore de nos jours dans le monde musulman (Abdallah : « le serviteur de Dieu ») ; les appellations totémiques, quant à elles, consacrent l'apparentement de l'individu aux espèces éponymes fondatrices de l'ordre social ; faut-il rappeler cependant que ces appellations dans leur diversité témoignent tout autant de cet apparentement que d'une classification métaphorique des groupes, des sous-groupes et des individus ? « La diversité des espèces », commente Lévi-Strauss (1962a : 145) fonctionne comme le « support conceptuel de la différenciation sociale ».

Référés explicitement aux mythes d'origine, les noms propres prennent la plénitude de leur sens, préfigurant le destin de ceux qui les portent, identifié à celui des protagonistes du drame mythique. Ainsi chez les Guidar dont on a souligné plus haut la rigueur classificatoire du système anthroponymique. Les « noms-numéros », qui indiquent le rang de naissance de leurs porteurs, symbolisent aussi le destin qui s'attache à chacun des siblings. « Les quatre premiers noms pour les garçons n'expriment [121] en effet rien d'autre », selon les traditions mythiques Guidar, « qu'une âpre lutte pour la succession » : Tizi, nom de l'aîné, qui « fait référence à un meurtre », « est tué pour qu'il ne succède pas trop vite à son père » ; Zourmba qui signifie « malin », « fort » est celui « qui hérite » ; Toumba (« collant », « idiot ») est tué parce qu'il colle de trop près à l'héritier ; Vondou (l'épervier) est l'oiseau de proie qui guette la succession » (Collard, 1973 : 56). Comme les mécanismes d'attribution, les significations mêmes des noms propres peuvent donc exprimer métaphoriquement les enjeux qui structurent le champ social. Dans le cas des Guidar, ce que suggère la logique classificatoire des noms-numéros (à savoir l'importance du rang de naissance) trouve confirmation et explication dans le contenu mythique des anthroponymes (qui fait écho aux conflits de succession).

Les registres où l'on puise préférentiellement pour former ou choisir des noms individuels sont souvent de bons révélateurs des tendances dominantes de la symbolique culturelle. Notre époque voit s'avancer sur le devant de la scène une floraison de Jack, Jackie, Johnny, etc., tribut payé au culte de la modernité et de l'américanisation des modes de vie il y a quelques décennies. Plus loin de nous, chez les Nuer, l'importance accordée au « nom de bœuf » qui évoque la répartition des tâches, la forme des cornes ou quelque autre particularité de l'animal » (Evans-Pritchard, 1971 : 188) favori du dénommé, reflète — faut-il le souligner ? — le rôle majeur, stratégique du bétail dans cette société.

En marge des registres sémantiques qui singularisent chacune des cultures, il existe aussi une symbolique universelle où puise invariablement l'onomastique. Ainsi, un grand nombre d'ethnonymes et de sobriquets collectifs font référence au domaine de l'alimentation : aux « frog-eaters », « roast-beef », « macaroni », kalle-mâhi-xor (« mangeurs de têtes de poisson »), etc., utilisés par les Anglais pour désigner les Français, par les Français pour désigner les Anglais, par les uns et les autres pour parler des Italiens, par les Téhéranais pour se gausser des populations des provinces caspiennes... fait écho la longue série des sobriquets de villages qui, en Europe, typent les populations voisines par leur comportement alimentaire, réputé, le plus souvent, en marge de la culture. Les « mange-escargots » y disputent aux « mange-chenilles », « mange-charançons », « mange-limaces » ou « mange-moustiques » (voir, par exemple, Bernardy, 1962)... Bref, l'identité collective s'exprime fréquemment sur le mode alimentaire. Deux problèmes méritent ici d'être posés : pourquoi les sobriquets collectifs conférés par les groupes voisins sont-ils si généralement dépréciatifs ? Comment expliquer la fréquence de la corrélation identité sociale-nourriture ?

Les ethnonymes ou les sobriquets collectifs à référence alimentaire jouent le plus souvent sur deux pôles : la répulsion et la dérision. Les autres, les sociétés proches, sont relégués au rang d'amateurs de mets crus, d'insectes répugnants, voire de charognes, qualités négatives qui font ressortir par contraste l'excellence du groupe autochtone. « L'humanité, commente Lévi-Strauss, cesse (au moins symboliquement) aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village » (1969 : 21). Ces procédés dépréciatifs s'intègrent dans le vaste dispositif de différenciation symbolique (linguistique, vestimentaire, etc.) qui scelle, par un jeu d'oppositions, l'identité du groupe local. Notons, au reste, que plus grande est la proximité culturelle avec les sociétés voisines, plus s'affirme et s'affiche ce souci de différenciation [13]. S'ils signifient, [122] par contraste, l'identité et la supériorité de ceux qui les emploient, ces sobriquets dépréciatifs, empreints d'ironie et de dérision, jouent également un rôle d'exutoire : ils catalysent l'agressivité, les relations conflictuelles..., ressorts, parmi d'autres, de la définition différentielle d'un groupe par rapport à ses voisins.

Qu'en est-il enfin de la symbolique alimentaire ? Un faisceau de faits [14] et d'analyses — celles consacrées au totémisme notamment — consacre l'association de l'identité sociale et du symbole alimentaire. Parmi les pratiques communielles, la commensalité est partout une de celles qui symbolise la cohésion sociale : « Manger, boire avec un autre » est « à la fois un symbole et un moyen de renforcer la communauté sociale et de contracter des obligations réciproques » (Freud, 1977 : 155). Au-delà, un réseau de métaphores et d'interdits associe la consommation alimentaire au pur ou au sacrilège (selon la nature des mets), à la perpétuation du groupe et à la reproduction de l'espèce (dans beaucoup de langues « manger » signifie métaphoriquement « avoir des relations sexuelles »)..., bref aux fondements mêmes de la société et de la culture. Sous les sobriquets collectifs, pittoresques et narquois, se loge peut-être au fond un totémisme résiduel et dérisoire...

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Envisagés dans la pluralité de leurs fonctions et de leurs significations, les noms propres constituent un matériel particulièrement riche pour l'analyse anthropologique. Le système onomastique apparaît, en fait, comme une double grille de lecture de la société et de la culture dont il participe ; c'est, d'une part, un système classificatoire dont l'étude permet de cerner les principes — patents ou latents — selon lesquels une société regroupe et distingue les individus ; c'est, de l'autre, un système de symboles dont l'analyse dévoile les valeurs et les enjeux qui se greffent sur l'identité individuelle et collective. D'une société à l'autre, mais aussi à l'intérieur d'un même système, d'une catégorie de noms à l'autre (patronyme, prénom, sobriquet...), ces deux fonctions peuvent se moduler différemment. C'est en tout cas en se référant à l'une et à l'autre de ces fonctions que l'on pourra rendre compte de la logique des systèmes anthroponymiques et, partant, comprendre la situation que Montaigne rapporte avec étonnement : « Henry, duc de Normandie, fils de Henry second, roy d'Angleterre, faisant un festin en France, l'assemblée de la noblesse y fut si grande que, pour passe-temps, s'estait divisée en bandes par la ressemblance des noms : en la première troupe, qui fut des Guillaumes, il se trouva cent dix chevaliers assis à table portant ce nom, sans mettre en conte les simples gentils-hommes et serviteurs ». Décidément, nommer, c'est beaucoup plus qu'identifier.

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[124]

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* Cet article doit beaucoup aux réflexions pionnières de C. Lévi-Strauss dans La Pensée Sauvage (1962 b) et aux travaux de F. Zonabend sur l'anthroponymie dans le domaine européen, notamment à sa récente étude « Le Nom de personne » (1980). F. Zonabend m'a, par ailleurs, apporté le concours de ses suggestions et remarques lors de la confection de cet article. Qu'elle soit ici remerciée pour son amicale coopération.

[1] Signalons d'emblée un article remarquable publié dans la Revue Internationale d'Onomastique, celui de R.H. Le Saulnier de Saint-Jouan (1950-1952) consacré aux noms de familles dans le Béarn.

[2] Tous les auteurs qui ont étudié les noms propres dans l'ancienne France signalent la faiblesse distinctive des systèmes anthroponymiques « traditionnels ». A. Collomp note qu'« en 1760, les 128 ménages de St André (en Haute-Provence) se partagent 29 patronymes. Mais près de deux tiers d'entre eux (...) n'en ont que 5 à utiliser » (1980 : 46). « Les prénoms, ajoute-t-il, ne diffèrent pas d'une communauté à l'autre, d'un groupe familial à l'autre (...) ; les quatre prénoms les plus utilisés sont portés par les deux tiers des hommes » (ibid. : 50). Ces données, parmi d'autres, confirment le verdict général d'A. Burguière sur la répartition des prénoms dans l'ancienne France : « Tout corpus de prénoms entre les XIIIe et XVIIIe siècles (...) présente à peu près la même répartition : (...) un petit nombre de prénoms leaders sont portés par plus de la moitié de la population » (1980 : 28). À l'échelle des collectivités rurales, cette situation ne s'est guère modifiée jusqu'à un proche passé ; les taux d'homonymie partielle ou totale demeurent relativement élevés. Dans une commune du pays bigouden sud, « l'homonymie, note M. Segalen, continue d'être un trait caractéristique. En 1856, près de 24% des chefs de ménage portaient les trois mêmes patronymes ; en 1876 près de 44% cinq patronymes et, en 1975, près de 22% trois patronymes. Le nombre des prénoms des habitants âgés de plus de quarante ans est relativement restreint et les homonymies totales sont fréquentes » (1980 : 64). Pour des données comparables sur l'Espagne, voir Pitt-Rivers (1971 : 163).

[3] Dans certaines sociétés européennes et méditerranéennes, les faits apparaissent plus complexes, en marge de ce schéma général : l'attribution du prénom et la parenté spirituelle sont nettement dissociées ; ainsi en Corse où l'enfant reçoit le prénom d'un grand-parent qui est rarement parrain ou marraine ; ainsi dans la Florence de la Renaissance où « s'il existe (...) un jeu de règles liant le choix du prénom au champ de la parenté, ce n'est pas par la médiation des parents spirituels qu'il prend forme » (Klapisch-Zuber, 1980 : 81). Entre ces deux formes extrêmes — confusion ou dissociation des parents spirituels et des « donneurs » de prénom — prennent place les compromis évoqués par Burguière (1980 : 31) dans son analyse des noms de personnes en France du XVIe au XVIIIe siècle : « Pour concrétiser la paternité spirituelle qu'il contractait à l'égard de l'enfant, l'usage accordait souvent au parrain le privilège de donner son propre prénom. Or, pour faire droit à ce privilège sans contrarier la circulation des prénoms à l'intérieur de la parenté, il arrivait souvent qu'on choisisse le parrain en fonction du prénom à transmettre ou, mieux encore, qu'on prenne comme parrain le parent dont on souhaitait transmettre le prénom ». Dans bien des cas, il est difficile de savoir si c'est le choix du parrain qui entraînait celui du prénom ou l'inverse.

[4] Pour plus de détails et la formalisation du système anthroponymique en usage dans cette commune, voir Bromberger, 1976.

[5] Dans les sociétés rurales européennes, l'usage du surnom est rigoureusement réservé à la collectivité familiale ou locale. Tandis qu'on utilise les patronymes dans les rapports avec l'administration publique et privée, « les surnoms, marques d'insertion sociale dans la communauté, constituent un code interne inaccessible à l'étranger, mais immédiatement intelligible pour les membres du groupe qui forge ainsi sa propre histoire » (Segalen,  1980 : 72).

[6] Changer volontairement de prénom dans notre société, c'est le plus souvent vouloir déjouer l'usure du temps en se pliant à la mode de la nouvelle génération (de donneurs de noms). Quand les « Janine » des années 25 chassent les « Marie » d'avant la guerre de 14, une partie des « Marie », parvenues à d'adolescence, se rebaptisent « Janine ».

[7] Voir l'analyse de Lévi-Strauss (1962 b : 240-242).

[8] Un nom transmis selon des règles peut être tout à la fois un signe et un symbole, confirmant une position dans un système et faisant écho à un ensemble de croyances.

[9] C'est là le titre de l'étude de F. Zonabend (1977).

[10] Voir, entre autres, Bromberger (1980). 112

[11] Sur ce point, voir l'étude fondamentale de Lévi-Strauss (1979). 114

[12] Sur  cette  coutume,   attestée   dans  un  grand   nombre  de  sociétés,   et   l'interprétation psychanalytique que l'on peut en donner, voir Freud (1977 : 68-69 et 75).

[13] Les dialectologues, et notamment Séguy (1973), ont bien mis en relief ce processus de différenciation en montrant que les différences sont plus importantes entre deux parlers voisins qu'entre deux parlers proches mais non contigus géographiquement.

[14] C'est, par exemple, dans le registre de l'ethnicité que l'on puise préférentiellement pour qualifier les préparations culinaires : « salade niçoise », « spaghetti bolognese », « gratin dauphinois »... C'est encore le vocabulaire de l'alimentation qui offre le maximum de variation mais surtout d'inversion d'une région voire d'une nation à l'autre : le terme employé ici pour désigner le melon désigne là la pastèque ; celui utilisé là-bas pour les côtelettes se réfère ici à la viande hachée...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 30 juin 2013 9:32
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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