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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Paul Brodeur, “Police et coercition.” In Revue française de sociologie, vol. 35, no 3, 1994, pp. 457-486. [Autorisation de l’auteur accordée par Jean-Paul Brodeur le 21 septembre 2009 de diffuser toutes ses publications en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[457]

Jean-Paul Brodeur

criminologue, professeur agrégé, École de criminologie
Université de Montréal

Police et coercition.”

In Revue française de sociologie, vol. 35, no 3, 1994, pp. 457-486.

Zusammenfassung / Resumen / Abstract / Résumé
Introduction [457]
I. Le rayonnement et les sources de la pensée de Bittner [459]

Le rayonnement [459]
Les sources [460]

II. La théorie de la police d’Egon Bittner [462]

La force retenue [462]
La force généralisée [465]
Une vision réductrice de la policer [466]
Les caractères de l’intervention policière [466]
Une théorie consensuelle de la police [467]

III. Une analyse critique de la thèse de Bittner [467]

Syntaxe [467]
La nature des concepts utilisés [468]
La mise à  l’épreuve empirique [468]
Un fonctionnement sans finalité [470]
La construction des situations d’intervention [471]

Sémantique [472]

Les limites empiriques de la théorie (473]
Un monopole fictif [475]
Les pouvoirs de la police d’exercer la force physique [476]
Le recours ultime [477]
L’emploi de la force [478]

Le pragmatisme [479]

CONCLUSION [480]
Références bibliographiques [482]


Zusammenfassung

Jean-Paul Brodeur : Polizei und Zwang.

Der Artikel prūft kritisch die Définition der Rolle der Polizei, die 1970 vom amerikanischen Soziologen Egon Bittner vorgeschlagen wurde, der sie als einen "Verteilungsmechanismus einer zwingenden, nicht verhandiungsfâhigen Kraft" darstellt, "im Dienste eines intuitiven Verstândnisses der Forderungen einer Situation". Zunächst wird gezeigt, dass dièse von der Ethnomethodologie beeinflusste Definition den Status eines Paradigmas fur die Soziologie der Polizei einnimmt. Weiterhin wird unterstrichen, dass Bittner die Polizei ùber die Fähigkeit definiert, eher zur Gewalt zu greifen als zu wirksamen Zwangsmassnahmen. Die Dringlichkeit der Situationen, der sie entsprechend dieser Théorie begegnen muss, wird im weiteren Verlauf dièses Aufsatzes diskutiert, wie auch die Besonderheiten des polizeilichen Eingriffs. Der Artikel kritisiert schliesslich Bitters Vorschlàge und zeigt, dass dièse vorwiegend normativ sind, also nicht empirisch Validationsfähig, zu eng, um die Mehrheit der Polizeiaktionen darzustellen, und falsch in einer Anzahl spezifischer Punkte, wie das Polizeimonopol der physischen Macht, ihre Verpflichtung Rechenschaft abzulegen und ihre Beziehung zum Gesetz.

Resumen

Jean Paul Brodeur : La policia y la coerción.

En este articulo la defínición del papel de la policia propuesta en 1970 por el sociólogo americano Egon Bittner es sometida a un juicio critico. Este la formula como : "un mecanismo de distribución de la fuerza coercitiva no négociable puesta al servicio de una comprensiôn intuitiva de las exigencias de una situación". Se muestra primera que esta definiciôn, influenciada por la etnometodologia posée el status de un paradigma en el campo de la sociologia policial.

Después se señala que Bittner defina a la policia por su capacidad de recurrir a la fuerza, mas bien que por el recurso efectivo a medidas coercitivas. El caracter urgente de las situaciones a la que esta es obligada de reaccionar, de acuerdo a esta teoria es cuestionado de inmediato, del mismo modo que los rasgos particulares de la intervenciôn policial. El articulo finalmente, también critica las propuestas de Bittner y demuestra que estas son normativas esencialmente, por lo tanto no son suceptibles de una validación empirica, demasiado restrictivas para dar cuenta de la mayoria de las acciones policiales e incorrectas sobre un conjunto especifico de puntos, como el monopolio de la fuerza fisica de la policia, su obligación de rendir cuentas y su relación con la ley.

Abstract

Jean-Paul Brodeur : The police force and coercion.

This article places the définition of the role of the police force, put forward by the American sociologist Egon Bittner, under critical examination. The role is defined as "a mechanism used to distribute non-negotiable coercive force with intuitive understanding of the requirements in a given situation". Firstly, it is shown that this définition, under the influence of ethnomethodology, has gained status as a paradigm in police sociology. Then, it is pointed out that Bittner defines the police force in terms of its capacity to use force rather than in terms of its actual resorting to coercive measures. The urgent nature of the situations to which the police is required to react according to this theory is then discussed, along with the characteristics of police intervention. Finally, the article criticizes Bittner's proposais and points out that they are for the most part normative, and therefore, cannot be validated empirically, too restrictive to take into account the majority of police actions and lastly incorrect on a number of points, such as police monopoly as regards physical strength, its obligation to deal in certain ways, and in its relation to law.

[457]

RÉSUMÉ

Cet article soumet à un examen critique la définition du rôle de la police, proposée en 1970 par le sociologue américain Egon Bittner, qui l'énonce comme « un mécanisme de distribution d'une force coercitive non négociable, mis au service d'une compréhension intuitive des exigences d'une situation ». On montre d'abord que cette définition, influencée par l'ethnométhodologie, a le statut d'un paradigme pour la sociologie de la police. Puis on souligne que Bittner définit la police par sa capacité à recourir à la force plutôt que par son recours effectif aux mesures coercitives. Le caractère d'urgence des situations auxquelles elle est sommée de réagir, selon cette théorie, est ensuite discuté, de même que les traits particuliers de l'intervention policière. L'article critique enfin les propositions de Bittner et démontre qu'elles sont essentiellement normatives, donc non susceptibles de validation empirique, trop restrictives pour rendre compte de la majorité des actions policières et incorrectes sur un ensemble spécifique de points, comme le monopole de la police de la force physique, son obligation de rendre des comptes et sa relation avec la loi.


INTRODUCTION

La définition de la police qui est proposée par David Bayley (1983) dans le troisième volume de The Encyclopedia of crime and justice se lit ainsi : « Dans le monde moderne, police désigne en général des personnes employées par un gouvernement qui sont autorisées à utiliser la force physique afin de maintenir l'ordre et la sécurité publics » (p. 1120, c'est nous qui traduisons).

Ce type de définition, qui voit dans l'usage autorisé de la force coercitive le trait spécifique de la police, se rencontre aussi fréquemment dans les textes juridiques que dans les travaux de recherche de la plupart des pays occidentaux. Comme l'indique sa formulation, cette définition se contente de donner les référents du mot « police » et ne prétend pas être l'expression d'un concept théorique. Cette élucidation du sens du terme de police opère comme une présupposition issue de l'expérience vécue et on la retrouve à ce titre dans des textes qui ne traitent de la police que par incidence. C'est ainsi par exemple qu'Althusser (1970, pp. 9-14) décrit la police comme un appareil d'État qui fonctionne surtout à la violence. On trouve dans cette caractérisation les deux idées maîtresses de la définition précitée, à savoir l'usage de la force et sa légitimation par l'État. Althusser et la myriade d'auteurs qui entendent ainsi l'expression « police » [458] ne s'engagent pas dans une discussion théorique élaborée sur la nature de la police, où seraient développés les fondements d'une telle définition. Celle-ci s'inscrit plutôt au niveau d'un sens commun informé par la norme juridique.

Il est cependant un sociologue américain, Egon Bittner, qui a tenté d'en expliciter les fondements théoriques. Il n'est pas fortuit que l'auteur de cette définition soit David Bayley, puisqu'il a publié des études dont Bittner est le cosignataire (Bayley et Bittner, 1984 et 1985). Poursuivant des travaux antérieurs (Brodeur, 1983, 1984 et 1990), nous nous proposons de soumettre à un examen critique la sociologie de la police, qui constitue l'effort le plus élaboré pour articuler une théorie de la police fondée sur l'usage de la force physique. Cette remise en question de la définition de la police par son usage de la force a récemment été entreprise aux États-Unis par Peter Manning (1988, 1992 et surtout 1993, pp. 2-5) et par Albert Reiss, qui a déclaré que « la technologie de base des organisations policières était la production et le traitement de l'information » (Reiss, 1992, p. 82). Au Canada, Richard Ericson (1994) conduit maintenant ses travaux sur la police à partir de la prémisse que celle-ci doit avant tout être conçue comme le dépositaire d'un savoir expert. En accord avec des critiques formulées au Royaume-Uni par M. Cain (1973 et 1979) et par L. Johnston (1992), C. Shearing (1984 et 1992) a fait valoir que le cadre développé par Bittner était trop étroit pour rendre compte du secteur de la sécurité privée.

Cet article comporte trois parties. La première traite de l'influence de la sociologie bittnérienne de la police et des sources de sa pensée. Les deux dernières parties proposent une présentation et une critique de ses principales thèses.

L'un des apports majeurs de Bittner est d'avoir montré les limites d'une théorie légaliste de la police, qui concevait celle-ci comme un automate du droit dont la fonction consistait à appliquer de façon mécanique les lois pénales, sous la surveillance des tribunaux. Bien que Bittner ait critiqué avec succès cette approche, il ne l'a pas remplacée par quelque chose d'entièrement différent. L'application des lois pénales est une dimension incontournable du mandat de la police et il n'est pas d'effort de construction de l'objet qui puisse l'évacuer complètement. Cet effort serait aussi futile que de nier que les sapeurs-pompiers ont un rôle à jouer dans la lutte contre les incendies. En d'autres termes, la critique bittnérienne du légalisme a produit un déplacement plutôt qu'un remplacement de perspective. On doit en dire autant de notre propre critique d'une théorie de la police fondée sur l'usage de la force. Son ambition n'est pas d'expulser la force du champ des notions fondatrices d'une sociologie de la police, mais de tenter de procéder à son décentrement.

[459]

I- Le rayonnement
et les sources de la pensée de Bittner


Le rayonnement

La pensée d'Egon Bittner est très peu connue en France et dans le monde francophone. La raison principale en est que la sociologie de la police y demeure un chantier seulement fréquenté par quelques spécialistes dont plusieurs des livres sont récents : Gleizal (1993) ; Gleizal, Gatti-Domenach et Journès (1993) ; Lévy (1987) ; Loubet del Bayle (1988 et 1992) ; Monet (1993a et b) ; Monjardet et al. (1984) ; Monjardet (1993). Or, les travaux les plus influents de Bittner appartiennent tous à une sociologie de la police [1]. Il est donc normal qu'ils soient peu connus, d'autant plus qu'à une seule exception près (Bittner, 1991) ils n'ont pas été traduits en français.

Bittner (1974/1990, p. 264) désigne Herman Goldstein comme son mentor dans ses recherches sur la police. Goldstein est l'un des rares chercheurs dont les travaux aient une influence perceptible sur les pratiques policières et il est considéré avec raison comme le père de la « police communautaire » (1977, 1979, 1987 et 1990). Il a rendu un hommage sans équivoque à Bittner : « L'explication la plus sophistiquée de la myriade des tâches assignées à la police a été élaborée par Egon Bittner, qui soutient que la faculté de la police d'utiliser la force coercitive confère une unité thématique à toute son action » (Goldstein, 1979, p. 27, c'est nous qui traduisons).

Aux États-Unis, plusieurs des chercheurs les plus productifs ont adopté la théorie proposée par Bittner de la fonction de la police ou une variante de cette théorie (Bayley, 1983, p. 1120, et 1988 ; Black, 1968 et 1980, pp. 27-30 et 109-110 ; Manning, 1977b, p. 14 ; Skolnick et Bayley, 1986). D'autres chercheurs ont élaboré une théorie de la police qui est essentiellement un prolongement de celle de Bittner (Muir, 1977) ou s'affirment les disciples et même les vulgarisateurs des thèses de Bittner (Klockars, 1985a pp. 18 et 120, 1985b et 1988 ; Elliston et Feldberg, 1985).

[460]

Au Royaume-Uni, le chef de file de la sociologie britannique de la police partage la conception de Bittner, à laquelle il se réfère explicitement (Reiner, 1985, pp. XIII et 114-115 ; 1992, pp. 458-459). Punch (1979, p. 20), dont les travaux portent en partie sur la police des Pays-Bas, a déclaré que Bittner était l'un des deux inspirateurs de ses travaux.

L'importance de Bittner a été marquée en France par la publication de la traduction d'une partie de son ouvrage majeur, The functions of police in modern society (1970), dans une série des Cahiers de la sécurité intérieure intitulée « Les textes de la recherche » (Bittner, 1991). L'influence des analyses de Bittner sur des chercheurs comme Dominique Monjardet, qui a fait la présentation française du texte précité [2], René Lévy ou Jean-Louis Loubet del Bayle est, pour autant que nous ayons pu en juger par leurs écrits et par de nombreux échanges avec eux, sensible. La police française étant l'un des appareils les plus centralisés du monde occidental, son lien à l'État est immédiat et son investissement dans le maintien d'un ordre défini par l'État constitue sa tradition la plus stable. C'est pourquoi les thèses de Bittner, qui se situent dans l'orbe d'une théorie wébérienne de l'État, trouvent d'emblée un terrain fertile en France (Monjardet, 1993 ; Monet, 1993a).

Bittner ne compte toutefois pas que des partisans et nous nous sommes déjà référé à un mouvement de critique qui s'amorce tant aux États-Unis qu'au Royaume-Uni et au Canada. Toutefois, qu'on s'oppose à lui ou qu'on le suive, la recension des travaux de sociologie sur la police démontre qu'il est le chercheur de référence. Comme Monjardet l'a déjà remarqué, la grande majorité des écrits sur la police - nous n'avons rien dit des manuels, des précis et des collections de textes - reprennent son modèle coercitif, que d'autres ont commencé à ébranler. L'important est moins de départager les fidèles des hérétiques que de constater à quel point cette œuvre est perçue comme exemplaire, quel que soit le degré de conviction avec lequel on y adhère. Le dernier mot sur cette question revient à Peter Manning qui, en dépit de sa recension très critique de Bittner (1990), écrit : « Il est véritablement difficile d'exagérer (l'importance des) contributions intellectuelles d'Egon Bittner dans la définition du domaine analytique de la recherche sur la police » (1991, p. 435, c'est nous qui traduisons).

Les sources

La théorie bittnérienne de la police s'inscrit dans le cadre d'une théorie wébérienne de l'État, où celui-ci se définit par sa faculté d'exercer de [461] manière légitime la force coercitive (Muir, 1977, chap. 1). Bittner ne mentionne Weber qu'une seule fois dans ses travaux sur la police (1974/1990, p. 234). Cependant, il consacre toute une section d'une revue de la littérature sur la police à vanter les mérites de l'ouvrage de Muir, qui construit une théorie de la police se réclamant explicitement des travaux de Weber (Rumbaut et Bittner, 1979, pp. 269-275).

La principale source de la pensée de Bittner se trouve toutefois ailleurs. L'un de ses premiers écrits sur la police porte sur les interventions de celle-ci auprès des personnes sans abri atteintes de maladie mentale (1967b/1990). L'année de sa parution, Garfinkel publiait son traité intitulé Studies in ethnomethodology (Garfinkel, 1967). Cette étude, qui constitue l'un des manifestes de l'ethnométhodologie, porte sur le travail des intervenants au sein d'une institution psychiatrique. Or, Bittner est l'un des co-auteurs du sixième chapitre de ce traité, l'autre étant Garfinkel lui-même (Garfinkel et Bittner, 1967). A cette époque, Bittner était d'ailleurs rattaché à un centre de recherche hospitalier (The Langley Porter Neuropsychiatrie Institute). En 1973, il publie une étude sur le vol à main armée avec Conklin, un autre ethnométhodologue (Conklin et Bittner, 1973). Son association avec les ethnométhodologues pendant les premières années de ses travaux sur la police et même par la suite ne fait donc pas de doute. Pour l'essentiel, l'ethnométhologie est une microsociologie qui s'efforce de débusquer sous les constructions universalisantes du langage les situations existentielles particulières qui sont à la source de leur signification.

Cette pratique de la sociologie se retrouvera chez Bittner dans trois traits de méthode. Renouant avec la grande tradition inaugurée par Westley [3] et par Skolnick (1966) aux États-Unis et par Ban ton (1964) au Royaume-Uni, Bittner a consacré ses travaux initiaux sur la police à des recherches sur le terrain, accompagnant des policiers dans leur ronde (Bittner, 1967a/1990 et 1967b/1990). Ces premiers observateurs du travail policier ont tous été saisis par ses deux aspects pour eux les plus inattendus et dramatiques, soit son caractère discrétionnaire et son caractère coercitif, voire violent.

On peut affirmer en deuxième lieu que sa pratique du terrain, très attentive aux contextes particuliers d'intervention et aux types d'interactions des policiers avec leurs « clients », est celle d'un ethnographe. Elle est toutefois relativement étrangère à une perspective structurelle. Bittner a fait la théorie de ce que font les policiers en tenue mais il nous apprend peu de choses sur la police considérée comme une organisation irréductible à la somme des gestes de ses membres et qui entretient des relations complexes avec d'autres appareils. Lorsque Manning (1991) reproche à Bittner de pratiquer une approche essentiellement analytique, il fait précisément [462] référence à ce souci presque exclusif des situations particulières marquées par l'interaction de quelques individus.

Le troisième trait de méthode tient dans la sélection que fait Bittner de ses objets, qui s'inscrit également dans le droit fil de l'ethnométhodologie (Cicourel et Kitsuse, 1963 ; Cicourel, 1976). Les recherches sur le terrain de Bittner se sont en effet largement portées sur l'intervention de la police auprès de groupes de personnes qui ne sont pas en mesure d'exercer un contrôle efficace sur leur comportement, à savoir les malades mentaux, les alcooliques chroniques, les jeunes en difficulté et de façon plus générale la population des bas-fonds d'une ville (skid row, pour reprendre l'expression utilisée par Bittner ; voir 1967a/1990, chap. 2 ; 1967b/1990, chap. 3, 1968/1990, chap. 14 ; 1976/1990, chap. 9). Sans être déterminant, ce choix d'objet est d'une grande importance. En effet, non seulement ces personnes sont relativement incapables de se contrôler, mais un grand nombre d'entrés elles - les alcooliques chroniques et les malades mentaux, pour prendre des exemples évidents - ont également perdu la maîtrise du langage, ce qui les rend peu accessibles à la persuasion. Pour la police, les contrôler implique presque par nécessité l'adoption d'un comportement autoritaire qui force la soumission. À cause de la nature des terrains de recherche qu'il a choisis, Bittner pouvait difficilement observer autre chose que des interventions policières manifestant à divers degrés une volonté de coercition.

II. — La théorie de la police d'Egon Bittner

La définition que donne Bittner du rôle de la police s'énonce ainsi : « (...) le rôle de la police se définit comme un mécanisme de distribution d'une force coercitive non négociable, mis au service d'une compréhension intuitive des exigences d'une situation » (1970/1990, p. 131, trad. des Cahiers de la sécurité intérieure, p. 233).

Cette définition est paradoxale. Prise en elle-même, en effet, non seulement elle s'applique d'emblée aux appareils policiers les plus répressifs, mais il semble même qu'elle soit plus apte à définir le rôle de ce type d'appareil policier que celui d'une police opérant dans le contexte d'une société démocratique. Or, si l'on replace cette définition dans l'économie de la pensée bittnérienne, une interprétation répressive de sa définition se révèle paradoxalement être un contresens.

La force retenue

Bittner (1970/1990, p. 108) affirme qu'il était « excessivement improbable » que l'idée de la police moderne ait pu avoir naissance dans un autre contexte que celui de l'Angleterre du XIXe siècle. Pourquoi ? La réponse  [463]tient dans son interprétation ethnocentrique de l'histoire moderne. De son propre aveu cette interprétation est relativement partiale et exagérée (ibid., p. 107). Il n'en estime pas moins que dans son ensemble elle est juste. Elle nous fournit donc une des clés de sa pensée.

Bittner interprète la période qui s'étend de la fin des guerres napoléoniennes jusqu'à la première guerre mondiale comme une montée du pacifisme et de la condamnation du recours à la violence. Cette interprétation s'appuie sur deux constatations. La première est que l'exercice du gouvernement pendant cette période aurait davantage reposé sur le consentement des gouvernés que sur l'exercice de la force coercitive par l'État. C'est ainsi, remarque-t-il, que les gens commencent au XIXe siècle à payer leurs taxes sans qu'il soit besoin d'envoyer des hommes armés pour les collecter. Il s'appuie en outre sur la réforme de la justice pénale qui eut lieu au début du XIXe siècle et qui produisit ce que Michel Foucault a appelé « l'adoucissement des peines » pour conclure à l'existence d'une réticence croissante à user de la force pour gouverner (Bittner, 1970/1990, pp. 102-109).

L'un des résultats les plus visibles de ces tendances à la modération aurait donc été la création de la police britannique par Sir Robert Peel en 1829. Cette création ne doit pas s'interpréter comme celle d'un sur-pouvoir, qui viendrait s'ajouter à celui d'autres instances, mais au contraire comme le projet de restreindre systématiquement l'usage de la force coercitive en octroyant le monopole de son exercice à un corps de spécialistes. A défaut de pouvoir complètement abolir la force, on la limitera en en faisant la prérogative exclusive de la police (ibid., p. 131).

Cette interprétation de la création de la police comme une tentative de limiter l'usage de la force coercitive entraîne plusieurs conséquences pour la théorie de Bittner. Elle donne un sens nouveau à sa définition du rôle de la police et elle explique certaines de ses prises de position qui semblent au premier abord inconsistantes.

D'abord, la police se définit beaucoup moins par son usage effectif de la violence que par sa capacité d'y recourir selon les exigences d'une situation. La police doit donc être conçue comme un mécanisme de distribution virtuelle de la force coercitive (Bittner, 1970/1990, pp. 125 et 128 ; 1974, p. 256 ; Bayley et Garofalo, 1989). Dans un texte plus tardif, Bittner atténuera davantage l'aspect actualisé du recours policier à la force en disant que ce dernier constitue pour la police une responsabilité plutôt qu'il ne décrit son action effective (1983/1990, p. 27). Il imagine même un avenir où le recours policier à la force physique cessera complètement d'être nécessaire (1970/1990, p. 187).

L'interprétation que fait Bittner des tendances qui ont amené la création de la police est essentiellement normative, l'usage de la force étant décrit comme un geste absurde (foolish) et comme un mal parfois inévitable (ibid., p. 108). La régression de l'usage de la force lui apparaît donc comme le fruit d'un progrès de la raison et de la morale. Or, la théorie [464] bittnérienne de la police comporte elle-même une dimension normative qui est absolument fondamentale : elle est en effet tout entière soumise à l'impératif de modération. L'ouvrage principal de Bittner — The functions of the police in modern society (FPMS) — débute par une discussion sur la nécessité de trouver des critères rigoureux pour évaluer l'action de la police (1970/1990, pp. 89-90). En conformité avec cet impératif, il distingue deux ordres de problèmes. Il faut d'abord produire une description adéquate du mandat de la police : celui-ci sera défini comme le recours à la force dans des situations qui le justifient. Il faut ensuite formuler un critère d'évaluation pour mesurer la compétence de l'intervention policière. À l'opposé du mandat, ce critère résidera dans le caractère minimal du recours à la force. La nécessité de ne recourir qu'au minimum de force justifié par les circonstances d'une intervention policière est un des leitmotive des travaux de Bittner (1970/1990, pp. 187 et 190 ; 1974/1990, p. 262 ; 1983/1990, p. 27). Le bon policier est celui qui accomplit bien son devoir en évitant dans toute la mesure du possible de recourir à la force.

Enfin, si le rôle de la police est d'intervenir dans des situations qui réclament l'usage de la force, il devrait s'ensuivre que les désordres civils collectifs (émeutes, manifestations violentes, mouvements de foule) constituent la terre d'élection des interventions de la police. Bittner affirme exactement le contraire : « Toutes les fois, dit-il, qu'un simple bris de la paix prend l'aspect d'un conflit factieux (factional strife), le rôle de la police doit être assumé par une autre force de l'ordre » (1970/1990, p. 191). Cette position est au premier abord difficile à expliquer. Bittner soutient en effet que l'essence du mandat de la police est profondément incompatible avec toute attitude militaire (ibid., p. 136). Pour lui, l'existence au sein de la police d'un corps comme celui des CRS serait intolérable. Cette extrême réserve de Bittner face à l'engagement de la police dans les tâches de maintien de l'ordre, entendu comme le rétablissement de la paix dans le contexte de violences collectives, est largement passée inaperçue parmi les défenseurs français de sa pensée. Revendiquer la vérité de la sociologie bittnérienne de la police à partir du maintien de l'ordre à la française revient à l'interpréter littéralement à contresens. Bittner a réagi dans toute son œuvre contre la militarisation de la police, qui est une des conditions de son intervention en masse au sein de désordres collectifs.

La seule explication qu'il nous fournisse de sa position par rapport à la répression des violences collectives est en partie tributaire de son adhésion à l'ethnométhodologie, qui répugne autant aux phénomènes de masse qu'aux effets de système : la police ne serait habilitée à intervenir que dans des situations particulières où le policier exerce sur une base individuelle son pouvoir discrétionnaire (ibid., p. 191).

La position de Bittner contredit dans une certaine mesure son interprétation de la naissance de la police britannique moderne. En effet, à moins que les désordres collectifs ne s'évanouissent par magie, il faudra bien qu'un autre appareil intervienne pour les contenir (Bittner semble favoriser [465] une milice comme la garde nationale des États-Unis). Cet autre corps ne pouvant par définition éviter de recourir à la force physique, il s'ensuit qu'il est faux de prétendre que la création de la police a concentré et limité le pouvoir de coercition au lieu de le multiplier. Même après celle-ci, l'existence du pouvoir de l'armée et d'un corps ou d'une milice spécialement créés pour combattre les désordres collectifs intérieurs demeure un prérequis de la théorie bittnérienne de la police.

La force généralisée

Bittner s'élève vivement contre la conception légaliste du travail de la police, qu'il a largement contribué à discréditer. Sa position sur les relations entre la loi et la police s'énonce dans un passage très dense de fpms : « (...) l'autorité dont dispose la police d'utiliser la force est radicalement différente de celle d'un gardien de prison. Alors que les pouvoirs de ce dernier découlent de son obligation d'appliquer la loi, le rôle de la police se conçoit bien mieux si l'on dit que sa capacité de procéder à l'arrestation des contrevenants découle de son pouvoir d'utiliser la force » (1970/1990, p. 123, c'est nous qui traduisons).

Ce passage très ramassé demeure énigmatique, hors de son contexte. Bittner y discute de deux questions. La première est la place de la lutte contre le crime dans les tâches de la police et la seconde est le degré d'encadrement exercé par la loi sur les interventions de la police. Ces deux questions sont intimement liées. Selon la conception légaliste de la police, celle-ci a pour mandat essentiel d'appréhender ceux qui ont violé la loi et, dans cette mesure, elle tire toute son autorité d'être l'exécutif de la loi pénale. Cette caractérisation, estime Bittner, correspond davantage à la situation des gardiens de prison qu'à celle de la police. Toute l'autorité des gardiens de prison pour maintenir les détenus dans un état de privation de liberté provient de ce qu'ils appliquent la peine légalement imposée par un magistrat. De plus, les tâches des gardiens de prison sont exclusivement définies en fonction d'une population de gens qui ont été reconnus coupables d'un crime. Il en va tout autrement de la police. Celle-ci serait investie d'une autorité plus générale pour utiliser la force dans toutes les situations qui la requièrent. Les crimes ne constituent qu'une faible partie des contextes d'intervention de la police. En outre, son pouvoir de procéder à des arrestations ne serait que l'un des instruments de coercition dont elle dispose.

En d'autres termes, le pouvoir de la police ne dérive pas de sa mission de lutte contre le crime mais c'est l'inverse qui est vrai : c'est sa mission de répression du crime qui découle de son pouvoir général d'user de la force. Cette thèse est séduisante et elle correspond sûrement à des pratiques dans certaines des chasses gardées de la police, comme les ghettos. Toute [466] la question est de savoir si cette thèse peut être généralisée et si Bittner n'a pas poussé trop loin sa critique du légalisme en produisant une théorie de la police proprement a-juridique.

Une vision réductrice de la police

La théorie bittnérienne de la police comme appareil général de coercition a pour conséquence inattendue d'imposer des limites considérables à notre conception de l'action policière.

Les premières de ces limites sont sociales et territoriales. Bittner concentre l'action de la police dans des zones urbaines dégradées, l'essentiel de ses interventions ayant pour théâtre les bidonvilles, les bas-fonds, les quartiers réservés et les ghettos (1970/1990). Il déclare qu'il est rarissime (exceedingly rare) que les décisions des policiers aient un effet direct sur les conditions d'existence des membres des classes moyennes et des classes supérieures (ibid., p. 159). Il est effectivement rare que ceux-ci soient mis en état d'arrestation. Mais, s'ils ne font pas l'objet de mesures coercitives, faut-il également penser qu'en tant que classe ils ne retirent aucun bénéfice de l'action policière au niveau de leur sécurité ? Nous touchons là une des difficultés les plus profondes du bittnérisme, qui définit la police par son usage de la force sans préciser les fins ainsi poursuivies.

Un second type de limites est de nature opérationnelle. Bittner prétend que la police ne s'intéresse ni à la criminalité économique ni à la criminalité astucieuse (1974/1990, p. 242 ; 1983/1990, p. 27). La répression de ce genre de criminalité implique rarement le recours à la force physique, les fraudeurs et les escrocs n'étant pas portés, selon Bittner, à résister à leur interpellation quand ils ont été découverts. D'où le manque d'intérêt de la police pour ce type d'opération.

Ces exemples pourraient être multipliés car la théorie de Bittner demeure relativement indifférente aux tâches de police judiciaire. En effet, personne n'a été plus explicite que Bittner lui-même (1974/1990, p. 241) sur les limites de sa théorie : celle-ci se rapporte au premier chef au travail des patrouilleurs en tenue. Et encore, elle porte essentiellement sur l'action des simples agents et demeure muette sur celle des gradés qui les commandent.

Les caractères de l'intervention policière

Bittner a résumé dans une formule souvent citée la nature des situations où doit intervenir la police : quelle que soit leur diversité, ces situations se caractérisent toutes par « quelque-chose-qui-ne-devrait-pas-être-en-train-de-se-produire-et-à-propos-de-quoi-il-vaudrait-mieux-faire-quelque-chose-maintenant » [467] (1974/1990, p. 249, tirets dans le texte, c'est nous qui traduisons).

Il découle de l'ensemble des affirmations de Bittner que l'intervention policière peut être caractérisée ainsi : 1) c'est une intervention d'urgence à caractère ponctuel (1974/1990, p. 255) ; 2) elle se produit dans un contexte de crise et dans des circonstances (virtuellement) dramatiques ; 3) elle est individuelle plutôt que collective et ses cibles sont également plutôt individuelles que collectives ; 4) elle est essentiellement de nature réactive, plutôt que proactive ou préventive ; 5) elle se rapporte le plus souvent au maintien individuel de la paix qu'à la répression du crime {ibid., p. 318) ; 6) elle n'est pas normée par un savoir explicite et partagé mais constitue plutôt un métier ou un art (craft, p. 254) ; 7) les solutions qu'elle apporte sont provisoires.

Une théorie consensuelle de la police

Ce dernier caractère de la sociologie bittnérienne de la police peut s'énoncer simplement. Bittner soutient que sa description de l'action policière correspond aux attentes profondes de ceux qui réclament son intervention (1970/1990, p. 123-125). En d'autres termes, réclamer l'intervention de la police c'est faire consciemment appel à sa capacité de soumettre par la force toute résistance que rencontrerait l'application de la solution qu'elle a décidé d'imposer. De même que définir l'intervention policière par son usage de la force confère une unité thématique aux formes apparemment hétérogènes de l'action policière, de même dire que tous ceux et celles qui réclament l'intervention de la police souhaitent une action coercitive rassemble ces attentes, probablement diverses, dans une sorte de consensus.

III. - Une analyse critique
des thèses de Bittner


Les critiques que nous ferons sont regroupées sous trois chefs, en conformité avec la trichotomie de Peirce/Morris, qui distingue la syntaxe, la sémantique et la pragmatique.

Syntaxe

La syntaxe dénote ici des considérations formelles d'ordre épistémologique.

[468]

La nature des concepts utilisés

La théorie de Bittner repose sur un champ de concepts qui comprend la force (physique ou non physique, effective ou virtuelle), la coercition, la violence, le pouvoir et l'autorité. Depuis Hegel, qui nous rappelait dans la Phénoménologie de l'esprit que l'utilisation de la notion de force ne peut produire que des explications tautologiques, jusqu'à Foucault, en passant par Eric Weil et Emmanuel Lévinas, les avertissements sont constants sur la difficulté de penser ces concepts et de les utiliser avec rigueur. Or, Bittner manie de façon interchangeable les concepts de force physique, de menace de recourir à la force physique, d'intimidation et de comportement autoritaire, ce qui les rend encore plus incertains. Cette pratique repose sur le présupposé qu'il existe un continuum entre le recours à des modes de coercition non physique et l'usage de la force physique et que l'on peut passer insensiblement et sans rupture des premiers au second. Non seulement cette présupposition accroît considérablement le flou des concepts, mais elle est juridiquement intenable. Dans son état actuel, la loi établit une rupture claire entre l'exercice de la violence physique et les modes non physiques de coercition. Le recours à la force physique est norme par la loi et requiert une autorisation judiciaire en dehors des situations d'urgence véritable.

Il est un second aspect de ce champ conceptuel qu'il importe de souligner : il entraîne des attitudes normatives très marquées. L'usage de la violence est socialement condamné et il l'est aussi par Bittner. Or, la perspective normative où baignent les concepts de Bittner se répercute de façon directe sur la mise à l'épreuve empirique de ses thèses sur la police.

La mise à l'épreuve empirique

En effet, Bittner estime que la part prise historiquement par la police dans la répression d'aspirations légitimes entretenues par des personnes ou des collectivités a fait du métier de policier une fonction dont la réputation est souillée (tainted occupation) (1970/1990, p. 94). C'est pourquoi, quels que soient leur provenance - elles peuvent émaner de la police elle-même - et leur mode de recueil, on peut toujours soupçonner les opinions émises sur la police d'être de mauvaise foi et de manifester très imparfaitement la pensée véritable de ceux qui les expriment publiquement. Bittner lui-même nous fournit un exemple significatif de cette pratique du soupçon.

Nous avons vu que la police se caractérisait bien plus par son usage virtuel qu'effectif de la force physique. Un usage virtuel étant par définition [469] inobservable, Bittner doit chercher ailleurs que dans la pratique policière elle-même le fondement de sa définition du rôle de la police. Or, ce fondement, il le trouve en grande partie dans son interprétation de la nature des demandes qui sont faites à la police et qu'il considère comme un facteur « d'une extraordinaire importance pour la distribution du service policier » (1974/1990, p. 252 ; voir aussi pp. 250, 251 et 254). Sa définition du rôle de la police par sa capacité de recourir à la force correspond, affirme-t-il avec vigueur, aux attentes et aux aspirations de ceux qui réclament son intervention (1970/1990, p. 123). Toutefois, immédiatement après avoir écrit cette phrase, il ajoute entre parenthèses la réserve suivante : « même si (cette conception de la police) entrait en conflit avec ce que la majorité des gens dirait ou voudrait entendre, en répondant à une question sur la fonction propre de la police » (ibid., p. 123).

Nous ne faisons pas grief à Bittner de cette parenthèse, qui comporte sa part de vérité. Nous insistons cependant sur la difficulté de vérifier une théorie qui doit s'appuyer empiriquement sur les attentes manifestées par le public à l'égard de la police, lorsqu'il est explicitement affirmé que le discours des gens sur leurs propres attentes vis-à-vis d'elle pourrait être mis en contradiction avec la thèse du chercheur, sans que sa vérité en soit entamée. La validation empirique oscille ici entre l'impossible observation du virtuel et une analyse de la demande de service qui écarte d'emblée ce que cette demande dit d'elle-même pour lui substituer le discours de l'analyste.

Depuis les Topiques d'Aristote, tous les logiciens s'accordent pour estimer qu'une définition ne doit pas reposer sur une négation : dire d'une chose ce qu'elle n'est pas n'est rien dire sur ce qu'elle est. La définition que propose Bittner du rôle de la police repose sur sa capacité ou sa faculté de recourir à la force. Même en taisant le fait que cette conception nous reporte au paradigme scolastique de l'acte et de la puissance, nous pouvons encore soulever deux difficultés. Le concept de faculté se situe quelque part entre l'affirmation et la négation. Si ce n'est rien dire d'une chose que de dire ce qu'elle n'est pas, est-ce en ajouter beaucoup plus que de révéler ce qu'elle peut faire (en précisant qu'il est concevable que la faculté qui lui est attribuée ne soit jamais effectivement exercée ; Bittner, 1970/1990, p. 187) ? Cette question est d'autant plus pertinente que la faculté en question porte sur l'usage de la force, ce qui redouble son aspect virtuel et nous rapproche de la tautologie : la police est en puissance un mécanisme pour exercer la puissance.

Le champ de la virtualité avec sa terminologie afférente (l’ultima ratio, le dernier recours, la dernière instance) échappe par principe à toute mise à l'épreuve empirique : même si l'on démontrait que la police n'utilise jamais la force physique - on sait déjà que, par rapport au nombre de ses interventions, elle l'utilise très rarement —, on n'aurait pas progressé d'un iota dans la réfutation de la définition de la police par sa capacité à recourir à la violence.

[470]

La difficulté de définir la fonction d'un appareil par son recours ultime peut être illustrée par l'exemple de l'armée. Plusieurs pays possèdent un arsenal nucléaire, qui est l'arme de recours ultime. Dira-t-on que définir l'armée comme un mécanisme destiné à la distribution non négociée de missiles nucléaires constitue une procédure heuristique ? Nous ne le croyons pas, bien qu'il soit toujours possible de construire une telle définition.

Un fonctionnalisme sans finalité

À cause de l'emploi du terme de fonction dans le titre de fpms et de celui de rôle dans la formulation de la définition de la police, plusieurs chercheurs ont pensé que Bittner proposait une définition fonctionnaliste de la police. On peut en douter.

Lors de nos travaux, nous avons soumis à un échantillon de 646 policiers du Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) un questionnaire leur demandant, notamment, de choisir une définition de leur fonction [4]. Une infime minorité de policiers (3,48%) a choisi ce qui correspondait à une version édulcorée de la définition bittnérienne (« imposer son autorité » dans les circonstances le justifiant). On peut évidemment tenter d'expliquer ce faible pourcentage par la réticence des policiers à indiquer leur préférence pour une conception coercitive de la police. Ce facteur a sûrement joué. Il est cependant une autre explication que nous avons découverte au cours des entrevues effectuées avec une partie de notre échantillon pour compléter le travail commencé avec le questionnaire. Plusieurs policiers nous ont expliqué leurs réserves par rapport à cette définition en alléguant qu'à la différence des autres choix du questionnaire celle-ci n'indiquait qu'un moyen - l'imposition de l'autorité - sans en préciser la fin.

Cain (1979) et Reiner (1992, p. 458) ont remarqué qu'en dépit de son vocabulaire la définition bittnérienne du rôle de la police restait muette sur la fonction du recours à la force. C'est comme si l'on définissait le rôle des sapeurs-pompiers par la distribution de jets d'eau sans indiquer que le but de l'opération est d'éteindre les incendies. Quelques auteurs ont tenté de reprendre la définition de Bittner en y ajoutant une dimension explicitement fonctionnaliste. Ces efforts ont produit des résultats d'une extrême pauvreté ou bien susceptibles de soulever la controverse et de briser le consensus autour de sa définition. Pour Marenin (1982, p. 252), la police est habilitée à utiliser la force « pour faire le nécessaire » (to do whatever needs doing), ce qui est parler pour ne rien dire. Reiner (1992, [471] p. 459, note 12) suggère que cette fin pourrait consister dans l'application de la conception dominante de Tordre. Cette suggestion est intéressante mais elle équivaut à une refonte en profondeur de la théorie bittnérienne de la police qui est caractérisée par son apolitisme. En outre, cette reformulation briserait à coup sûr l'unanimité autour de la définition de Bittner.

La construction des situations d'intervention

Bittner hésite souvent entre deux formulations de sa thèse sur le rôle de la police. Selon la première, la police a pour mandat de recourir à la force dans des situations où ce recours est justifié (1970/1990, p. 123). Mais il n'indique pas qui décide de l'aspect justifié ou non de l'usage de la force et il laisse entendre que des situations exigent d'elles-mêmes, en vertu de leurs caractéristiques « objectives », l'usage de la force pour être résolues (ibid., p. 125). Dans d'autres contextes, Bittner suggère que c'est l'intervenant policier qui décide, à partir d'une saisie intuitive de la situation, dans quelle mesure la force doit être utilisée.

Les difficultés dues à cette ambivalence ne résident pas tant dans le fait que l'évaluation par le policier de la nécessité d'utiliser la force est faillible et parfois même délibérément erronée (Bittner en est pleinement conscient) que dans l'extrême hétérogénéité des situations où intervient la police et dont on peut toujours imaginer qu'elles réclameront l'usage de la coercition. Pour démontrer que le concept de l'usage de la force confère une « unité topique » à la diversité des interventions policières, Bittner (1970/1990, pp. 128-129) raconte cette histoire classique du policier qui offre une glace à un enfant perdu pour le faire patienter au commissariat en attendant que ses parents viennent le réclamer, ajoutant que si l'offrande de la glace ne suffisait pas à retenir l'enfant, le policier devrait recourir à « d'autres moyens » (other means) pour le retenir. Que veut-on entendre ici ? Qu'un policier peut commencer par offrir une glace à un enfant perdu et qu'il doit éventuellement user de sa force physique si l'enfant se met à pleurnicher ? Si ce scénario est plausible, il n'y a pas une seule situation que le chercheur ne puisse construire de manière à ce qu'elle conforte la théorie bittnérienne sur l'usage de la coercition.

Les problèmes viennent ensuite et surtout de ce que Bittner semble méconnaître le caractère absolument fondateur de la construction de l'événement dans les opérations de la police (McBarnet, 1979).

Parmi les procédures opérationnelles de la police de Montréal (spcum), on trouve la directive suivante : « Aux fins de la présente directive, un événement signifie tout fait porté à la connaissance d'un membre du Service nécessitant la rédaction d'un rapport » (SPCUM, Procédures opérationnelles, n° 520-6). On ne saurait être plus clair : l'événement est ce qui est constitué/recueilli par la rédaction d'un rapport policier. Ce processus de construction opère à tous les niveaux. L'intervention policière se caractérise selon Bittner par son urgence. Nous avons demandé à notre échantillon [472] de policiers dans quel genre de situations ils intervenaient : 84% ont répondu qu'ils avaient souvent affaire à des situations d'urgence et 81% qu'ils intervenaient souvent dans des situations qui n'étaient caractérisées ni par leur urgence ni par leur violence (en raison de l'ambiguïté du terme « souvent », ces deux réponses ne sont pas mutuellement exclusives). Toutefois une autre question portait sur les procédures d'intervention et les équipements qu'on utilise dans les situations d'urgence, particulièrement la conduite à grande vitesse et le déclenchement de la sirène. La proportion des policiers ayant souvent recouru à ces moyens est tombée au-dessous de 50%, ce qui nous oblige à relativiser la proportion élevée de ceux qui disent intervenir souvent en situation d'urgence. Pour préliminaires qu'ils soient, ces résultats indiquent que la perception de l'urgence est profondément labile. Il en va ainsi a fortiori de la perception de la nécessité d'utiliser la force qui est souvent mise en forme par des enjeux professionnels. Nous avons siégé pendant quatre ans au sein d'un comité civil chargé de recueillir les plaintes des citoyens contre les policiers et nous avons pu constater que, dans un nombre élevé de plaintes contre la police pour brutalité, la victime était elle-même accusée de voies de fait contre un agent de la paix. Le but de cette invention policière était de justifier ex post facto la force déployée contre le citoyen.

Une attention soutenue portée à la construction des événements par la police pourrait conduire à une inversion du bittnérisme. Au lieu de dire que la police use de sa force dans les situations qui requièrent une solution coercitive, on dirait alors que les policiers structurent l'événement de telle manière qu'ils puissent utiliser la force dont ils disposent pour dénouer une situation. Cette inversion ne saurait être que partielle, car les policiers interviennent le plus souvent en réponse à l'appel d'un citoyen qui a déjà défini l'événement à sa manière. Outre le fait que rien n'empêche le policier de surimposer sa propre définition, cette remarque ne fait toutefois que déplacer d'un cran une difficulté sur laquelle Bittner est silencieux. Les citoyens qui réclament l'intervention de la police construisent-ils de façon homogène les événements qui déclenchent leur appel ? Seule la recherche empirique peut apporter une réponse à ce genre de question.

Sémantique

La sémantique ne renvoie pas ici à la théorie du sens des mots, comme en linguistique, mais désigne plutôt le rapport des signes avec ce qu'ils désignent, comme on l'entend en logique. En d'autres termes, nous allons traiter de la conformité de la sociologie bittnérienne aux données empiriques, telles qu'elles ont été recueillies par la recherche. Nous traiterons d'abord des limites générales du bittnérisme et nous aborderons ensuite un ensemble de points particuliers.

[473]

Les limites empiriques de la théorie

Les critiques de Bittner lui reprochent d'avoir élaboré une théorie qui ne rend pas compte d'une partie significative des activités de la police. Comme nous l'avons vu, Bittner a lui-même précisé que ses affirmations s'appliquaient surtout à la police en tenue et, avons-nous ajouté, sans grade. Cet avertissement a été oublié et ceux qui ont adopté sa théorie la tiennent pour une théorie générale de la police. Articulée sur les concepts d'urgence, de crise et de réaction à une demande extérieure pressante, la sociologie de Bittner est tout entière investie dans une description du présent de l'intervention policière. Or, l'activité policière précède souvent l'événement et, de façon systématique, elle en constitue le suivi. Nous présenterons donc un relevé de ce qui n'est pas pris en compte par Bittner en fonction de ce qui précède l'événement, de ce qui lui est contemporain et de ce qui le suit.

Pour ce qui précède l'événement, on peut identifier trois activités : le renseignement, la prévention du crime et les actions proactives. Le renseignement peut suivre ou précéder l'événement, mais nous le rangeons parmi les actions qui précèdent l'intervention policière car son but est de la guider, ce qui implique logiquement une préséance temporelle du renseignement sur l'opération. Si l'on excepte les formes, d'ailleurs rigoureusement illégales, de recours à la force pour obtenir des renseignements (la torture, le passage à tabac), définir la police par son usage de la force dans des situations d'urgence présente peu d'intérêt pour rendre compte de cette activité. La prévention, quant à elle, consiste dans un ensemble de mesures qui ont pour but d'empêcher l'apparition d'incidents criminels ou de désordre. Il est donc difficile d'en rendre compte par le moyen d'une théorie essentiellement réactive de la police. À l'heure actuelle, les activités de prévention ne constituent pas une part importante de l'action policière. Néanmoins, ceux qui s'efforcent de réfléchir à l'avenir de la police leur accordent une place prépondérante. Enfin, la proaction désigne les opérations déclenchées à l'initiative de la police, qui occupent un rôle privilégié dans la lutte contre la criminalité transactionnelle (le trafic de drogue, la contrebande, la prostitution). Comme Manning (1980) l'a montré de façon définitive dans le domaine de la lutte contre la drogue, la proaction policière consiste à créer l'événement qui justifiera l'intervention policière. Il est dans cette mesure impossible d'en rendre compte dans le cadre d'une théorie réactive de la police, où les contextes d'intervention sont en principe générés indépendamment de son action.

Pour ce qui est contemporain à l'événement, on peut retenir la question de la sécurité privée et celle de la mobilisation de l'intervention policière. La seconde moitié du XXe siècle a été caractérisée par le développement accéléré des agences privées de sécurité. Une sociologie de la police qui privilégie la réaction à l'événement et l'usage de la force ne constitue pas un cadre adéquat pour en rendre compte : on aurait peine à trouver un seul sociologue de la sécurité privée qui adopte les positions de Bittner. [474] Le plus récent ouvrage sur cette question (Johnston, 1992, pp. 188-195) critique sévèrement sa conception monopoliste de l'usage de la force. Ces critiques s'adressent moins à Bittner lui-même, qui n'a jamais prétendu avoir étudié la sécurité privée, qu'à toute sociologie qui prétendrait, surtout en cette période de dispersion du contrôle social, faire la théorie de la police en omettant sa composante privée (Ocqueteau, 1992 et 1993 ; Shearing et Stenning, 1981).

Depuis les premiers travaux de Cumming et al. (1965), Berçai (1970), Webster (1970) et Reiss (1971), les recherches sur ce qui déclenche la mobilisation policière se sont multipliées (Punch et Naylor, 1973 ; Punch, 1979 ; Antunes et Scott, 1981 ; Ericson, 1981 et 1982 ; Shearing 1984 ; Walsh, 1986). Pour l'essentiel, ces recherches soulignent la diversité des appels que reçoit la police ainsi que celle des motifs pour lesquels les citoyens réclament son intervention. Dans une étude effectuée pour le compte de la Commission de réforme du droit du Canada, Friedland (1975, pp. 49-50) a estimé que l'une des catégories d'appels le plus fréquemment reçus par la police de Toronto concernait des demandes d'information juridique : sur les dix millions d'appels annuellement reçus par vingt services de police desservant une population estimée à huit millions d'habitants, il en a répertorié plus de trois millions qui consistaient dans ce type de demandes. En plus de ses résultats empiriques, l'importance de la démarche de Friedland tient dans sa méthode. Il n'a pas seulement analysé les appels dirigés vers les services d'urgence de la police (l'indicatif 9-1-1), mais il s'est penché sur les très nombreux appels (de trois à six millions) qui aboutissaient sur les lignes téléphoniques administratives de la police, trop peu fréquentées par les théoriciens bittnériens de la police. La nature de ces appels révèle que les citoyens considèrent la police comme une source d'information presque autant que comme une source d'intervention.

Shearing (1984, pp. 20-22) estime à plus de 35% la proportion des appels reçus par la police de Toronto se rapportant exclusivement à sa fonction de service. Dans l'ensemble, ces études auraient plutôt tendance à infirmer une conception univoque du rôle de la police et n'apportent a fortiori aucune confirmation aux thèses de Bittner. En effet, même en tenant compte des demandes d'intervention des préposés aux systèmes d'alarme installés par les agences privées de sécurité, les appels qui relèvent de situations d'urgence ne dépassent pas 15% (le vol à main armée, qui constitue l'une des seules situations d'urgence véritable, ne constitue que 0,3 % des appels). Par contre, les appels des policiers entre eux pour des raisons d'administration interne comptent pour 23,6% du total.

On possède très peu de travaux sur l'action de la police en milieu rural et dans des territoires spéciaux, comme les réserves aborigènes. Landau (1993) vient de soutenir une thèse à Toronto, qui s'efforce de démontrer les insuffisances de la sociologie bittnérienne pour rendre compte de l'action de la police dans ces réserves.

[475]

Pour ce qui est des actions de la police postérieures à un incident ayant réclamé son intervention, nous retiendrons l'enquête policière et la prise de rapports. Si l'on excepte son aboutissement recherché, la résolution d'un crime et une arrestation, tout le travail de l’enquête criminelle consiste en une recherche d'information. Certes, l'usage de la coercition peut être pertinent pour rendre compte de l'enquête - pensons aux pouvoirs des juges d'instruction et, dans un contexte anglo-saxon, aux autorisations judiciaires de perquisitionner -, mais le travail de l'enquête ne saurait s'interpréter à travers une grille d'analyse qui octroie une place privilégiée à l'usage de la force. Plusieurs des questions relatives à l'enquête s'accordent mal avec la perspective de Bittner. En effet, comment interpréter au regard d'une problématique de l'usage perçu de la coercition toutes ces opérations dont le caractère coercitif n'est jamais connu parce qu'elles sont conduites en secret (par exemple, l'interception des communications privées et les diverses formes de surveillance) ? Il faut insister sur le fait qu'une grande partie des activités de corps comme la Police judiciaire, Scotland Yard, le bka ou le FBI américain, qui sont des symboles puissants de l'action policière, tombent en dehors du paradigme bittnérien.

Selon nos propres recherches sur le SPCUM, la prise de rapports occupe 16% du temps des policiers en tenue. Ericson (1994, p. 6) nous apprend que la police de Toronto dispose de 350 formulaires de rapport différents et que la Gendarmerie royale du Canada en possède 2000. La rédaction des rapports, qui pourtant représente un investissement significatif du temps de la police, constitue un contre-exemple irréductible à la thèse de l'usage de coercition, aussi virtuel qu'on veuille le concevoir. En plus de requérir du temps, ces rapports constituent la base des banques de données policières, dont le rôle est déjà déterminant et qui sont appelées à jouer un rôle croissant.

Dernière lacune, enfin, qui relève d'un défaut fondamental de perspective : la définition bittnérienne du rôle de la police ne nous éclaire en rien sur sa fonction par rapport aux victimes et plus généralement aux demandeurs de service, dans la mesure où leurs besoins peuvent excéder la simple maîtrise de leur(s) agresseur(s).

Il semble donc que le paradigme bittnérien ne peut concerner qu'une seule partie - et pas la plus grande ni même la plus significative - des activités de police.

Un monopole fictif

Nous avons vu qu'au terme de sa description de la montée du pacifisme au XIXe siècle Bittner parvenait à la conclusion que le meilleur moyen que les Britanniques avaient trouvé pour limiter l'usage de la force avait été d'en donner le monopole à la police. Or, ce monopole a été mis en cause par plusieurs chercheurs (Sykes, 1977, p. 238 ; Brodeur, 1984, pp. 19-20, et 1990 ; Lustgarten, 1986, p. 94). Le Code criminel du Canada  [476]

reconnaît explicitement le recours aux châtiments corporels par les parents sur leurs enfants et par les instituteurs sur leurs élèves. À ces pouvoirs s'ajoutent les facultés d'internement des psychiatres, l'emprise des travailleurs sociaux sur les assistés, l'autorité des agents de probation et de libération conditionnelle sur leurs clients, celle des gardiens de prison sur les détenus et les immenses pouvoirs de coercition dont dispose la magistrature, après qu'un contrevenant a été estimé coupable d'une infraction. À la condition de restreindre la signification de l'expression « situation » utilisée par Bittner dans sa caractérisation du rôle de la police, sa définition s'applique en effet littéralement au rôle des juges qui imposent des peines privatives de liberté selon leur « compréhension intuitive des exigences de la situation des condamnés ». On ne saurait minimiser l'importance de ces relations coercitives, maintenant que l'on commence à connaître l'étendue des pouvoirs qui sont exercés à l'intérieur des familles, des internats, des tribunaux et des prisons. À ces remarques sur l'irréalité du monopole policier de la force coercitive s'ajoute la reconnaissance décisive par Bittner du rôle de l'armée et d'organismes para-militaire s dans la répression des désordres civils et des violences collectives. De son aveu même, le monopole est partagé. Rappelons enfin que ce monopole devient véritablement illusoire si l'on tient compte des agences privées de sécurité et de ce que Johnston (1992) appelle des appareils policiers « hybrides » [5]. La seule façon de sauver le bittnérisme est alors de l'enfermer dans un cercle vicieux où la police disposera toujours du monopole de l'exercice légitime de la violence parce qu'on s'obstinera à définir comme policier toute personne qui exerce légitimement la violence, serait-ce un père de famille.

Les pouvoirs de la police d'exercer la force physique

Dans un texte précité, Bittner affirme que le mandat de la police de procéder à l'arrestation des contrevenants dérive de son autorité générale d'exercer la force. Cette affirmation est juridiquement incorrecte, aucun [477] texte ne conférant à la police une autorisation générale d'user de la force à sa discrétion, à tout le moins dans les sociétés de droit anglo-saxon comme le Canada. Il se peut toutefois que la description de Bittner ait adéquatement rendu compte de la situation qui prévalait dans les bas quartiers et les ghettos des États-Unis pendant les années soixante et auparavant. À cette époque, la police n'avait de compte à rendre à personne et, pour reprendre l'expression de Bittner, le policier représentait dans les ghettos et les quartiers défavorisés une figure dont le pouvoir et l'importance inspiraient la terreur (« a figure of awesome power and importance », 1970/1990, p. 159).

Cette situation a cependant profondément évolué sous deux aspects. D'abord, la police est loin d'être aussi intimidante qu'elle le fut. En particulier dans les ghettos ethniques - au Canada, dans les réserves autochtones -, son autorité est ouvertement défiée et elle est en butte à une hostilité telle qu'elle est réticente à y intervenir, sinon dans le cadre d'un déploiement collectif de force policière. Le problème de l'insécurité policière est une réalité avec laquelle la police a de plus en plus de difficulté à composer (qui protégera la police contre les délinquants les plus résolus et les plus violents ?). Le second changement est plus important : la police est maintenant sommée de rendre des comptes par un grand nombres d'instances (les groupes de pression, les organismes administratifs de surveillance externe, les tribunaux civils et, enfin, la presse) et de façon encore plus pressante quand elle use de la force physique. Or, la seule défense que peut présenter un policier accusé d'avoir abusé de son pouvoir de recourir à la force physique est d'avoir dû l'employer pour prévenir un crime ou pour procéder à l'arrestation d'un contrevenant. Lorsque le policier use de son arme, les marges des justifications qu'il doit fournir sont encore plus étroites. Au cours des quatre années où nous avons siégé au sein d'un comité de surveillance de la police du gouvernement québécois, nous n'avons jamais été témoin d'un seul cas où un policier, pour se défendre d'avoir abusé de son pouvoir, s'en soit remis à une prétendue autorisation générale d'exercer la force. Dans tous les cas, la défense du policier reposait sur son action pour prévenir ou réprimer un délit. Il ne nous apparaît pas contestable que l'un des effets du renforcement de l'obligation pour la police de rendre des comptes a été de contraindre celle-ci à faire la preuve que l'exercice de son pouvoir de coercition physique était exclusivement fondé sur sa mission de lutte contre le crime. Nous donnerons un autre indice de ce changement.

Le recours ultime

L'un des passages les plus cités de fpms est celui où Bittner réfute l'objection que le travail policier est une forme de thérapie et de travail social (1970/1990, p. 27). Cette objection, répond l'auteur, néglige le fait [478] capital que les médecins et les travailleurs sociaux appellent la police quand ils ne peuvent plus contrôler une situation. Nous avons tenté de soumettre cette affirmation à une validation empirique en interrogeant des responsables d'institutions susceptibles de recourir en dernière instance aux services de la police (hôpitaux, cliniques psychiatriques, centres d'accueil pour jeunes et pour personnes âgées et prisons). Les institutions visitées règlent elles-mêmes les crises violentes qu'elles ont à affronter. Le plus souvent, l'intervention de la police est sollicitée pour prendre livraison d'un client de l'institution, qui a été maîtrisé par les soins de son personnel mais dont les autorités administratives estiment qu'il doit faire l'objet d'accusations criminelles. La seule exception à cette règle se présente dans les institutions psychiatriques qui utilisent effectivement la police comme ressource de dernière instance, lorsque leurs patients ont des comportements homicides. Or le personnel de deux des plus grandes institutions psychiatriques de Montréal nous a confié que les policiers étaient réticents à répondre à ses appels, même dans des cas de grande urgence, car ils ne peuvent espérer qu'un maigre bénéfice judiciaire de ces appels. Les personnes qu'ils devraient alors arrêter étant à divers degrés des malades mentaux, elles ne peuvent en effet que difficilement faire l'objet d'accusations criminelles. C'est pourquoi la police tarde à répondre à ces appels et a tendance à laisser au personnel de ces institutions le soin de résoudre les crises.

L'emploi de la force

Nous avons interrogé les policiers de notre échantillon sur les stratégies qu'ils utilisaient pour résoudre les conflits au cours desquels ils intervenaient. À peine 2,33% ont reconnu qu'ils utilisaient la coercition et 51,7% se sont dits en désaccord avec un recours à la contrainte dans les cas où ils essuyaient un refus de la solution qu'ils proposaient initialement. Il est évidemment possible de rejeter ces résultats en alléguant la mauvaise foi des policiers qui ont répondu à notre questionnaire. Ce serait négliger délibérément la confusion extrême qui règne chez les policiers au sujet de la légitimité de l'emploi de la force et se fonder davantage sur des présupposés que sur l'observation du travail de terrain et sur des entretiens avec des policiers, auxquels nous nous sommes systématiquement livré. Notons enfin que les réponses que nous avons obtenues correspondent en fait à la proportion très peu élevée de recours à la violence par les policiers.

Tous ces résultats ne réfutent pas une théorie qui se dérobe à l'épreuve des faits. Nous pensons toutefois qu'ils devraient nous faire hésiter à voir dans la sociologie bittnérienne de la police le paradigme qui doit être utilisé pour penser l'évolution future des actions de police, que celles-ci relèvent du domaine public ou du domaine privé.

[479]

La pragmatique

Une pragmatique de la police tient dans l'évaluation de la qualité de ses opérations en fonction du rôle qui lui a été attribué. Or, force est de constater que le lien entre la définition bittnérienne du rôle de la police et l'évaluation de la qualité de ses interventions est de nature essentiellement paradoxale. Ce paradoxe peut être mis en lumière par le moyen d'une comparaison.

Soit cette définition de l'instruction obligatoire, que nous avons évidemment fabriquée pour les besoins de notre argumentation : l'école publique est un mécanisme destiné à la distribution non négociable des connaissances, mis au service d'une compréhension intuitive du développement d'un enfant. On ne saurait définir de cette façon l'instruction publique et ajouter d'un même souffle qu'il est souhaitable que l'enseignant(e) transmette le moins de connaissances possible à ses élèves. Or, c'est pourtant très exactement ce que fait Bittner en définissant la police comme un mécanisme destiné à la distribution de la force coercitive, tout en limitant cette distribution, comme nous l'avons vu, à un minimum (rappelons que Bittner, 1970/1990, p. 187, considère qu'il est pensable que la police renonce complètement à la force physique dans le futur). Bittner établit donc une dichotomie entre ce qu'il appelle une description de la fonction policière, qui repose sur le concept de force, et une évaluation de la performance policière, dont le critère basique est une exigence radicale de limiter l'usage de la force. Cette dichotomie, il faut le souligner, ne s'applique pas de façon univoque à toute institution qui fait usage de la force. Comme Clausewitz, on peut en effet soutenir à la fois que la fonction de l'armée est de faire la guerre et que bien faire la guerre implique l'anéantissement total de l'ennemi par tous les moyens.

Sans nier les apports très considérables des travaux de Bittner à une pragmatique de la police, nous soulèverons un problème. La dichotomie bittnérienne entre la description de la fonction policière et l'évaluation des prestations de la police ne risque-t-elle pas de communiquer un message d'une redoutable ambiguïté aux intervenants policiers ? Ce message s'énoncerait ainsi : votre mission est de frapper, mais faites-le avec le plus de mesure possible ! Selon ce qu'elle retiendra de ce mot d'ordre, la police peut donner aveuglément la charge comme à Waco au Texas, avec les résultats désastreux que l'on sait, ou elle peut s'installer dans la tolérance, avec le risque d'en payer elle-même le prix ou de le faire payer à ceux qu'elle est censée protéger. Il se peut toutefois - et cette possibilité ne doit en rien être écartée - que le caractère équivoque du mot d'ordre précité cristallise toute la difficulté d'avoir une police efficace dans une société libre. Il arrive à Bittner de traduire la dichotomie entre la description du rôle de la police et l'évaluation de ses pratiques par la distinction entre la responsabilité du policier (intervenir dans des situations qui réclament [480] l'usage de la force) et ses aptitudes effectives (skills) à réduire au minimum ce recours à la force. Cette polarisation entre les responsabilités et les aptitudes de la police est peut-être indépassable.

*
*      *

CONCLUSION

Comme nous l'avons dit dans notre introduction, notre propos n'était pas tant de montrer que la sociologie bittnérienne de la police devait être complètement écartée que de mettre en lumière la nécessité d'une réévaluation de la place du recours à la force dans la définition du rôle de la police. Nous croyons que l'ensemble des critiques que nous avons formulées à l'endroit de la sociologie de la police développée par Bittner justifie la conclusion que le paradigme bittnérien doit effectivement être transformé, en conservant ce qu'il y a d'irréductible dans sa vérité. Pour ce qui est de la force, la caractéristique de la police est moins d'en monopoliser l'exercice que d'y avoir recours dans des situations beaucoup plus variées que d'autres appareils qui partagent avec elle la prérogative de l'exercer légitimement. Toutefois, cette affirmation ne résoud pas le problème de l'importance qu'il convient d'attribuer à la force dans la définition du rôle de la police. Ceci étant dit, plusieurs questions continuent de se poser.

Première question : une critique de Bittner équivaut-elle à une critique de toute théorie de la police qui accorderait une place centrale au recours à la force dans sa définition du rôle de la police ? Il faut répondre par la négative, mais se hâter d'ajouter que Bittner est le sociologue de la police qui a construit l'appareil théorique le plus développé - à notre avis, cet appareil théorique demeure en sociologie le seul - pour établir scientifiquement l'importance du recours à la force dans la définition du rôle de la police. Si on retire à cette définition de la fonction policière par la force son fondement bittnérien, on reste avec un lieu commun imprécis soutenu par un dogmatisme juridique athéorique. En d'autres termes, si on fait l'impasse sur Bittner, non seulement une théorie coercitive de la police reste à faire, mais elle doit au moins se hisser au niveau des exigences exemplaires d'une sociologie de la police telle qu'elle a été développée par cet auteur.

Deuxième question : comment rendre compte du pouvoir de persuasion très considérable — on pourrait même soutenir qu'il est indépassable — du paradigme coercitif de la fonction policière ? La réponse est relativement simple. En dépit de toutes les démonstrations que la police ne possède pas le monopole exclusif de l'usage de la force, une définition de la police qui octroie une place centrale à cet usage semble satisfaire à la plus impérative des exigences de la définition, à savoir l'énoncé du caractère distinctif de son objet. C'est en quoi pèchent actuellement ceux qui s'efforcent de dépasser Bittner. Pour l'essentiel, le paradigme de rechange proposé [481] par Manning (1979, 1988 et 1989), Ericson (1994), Ericson et Shearing (1982) et cautionné par Reiss (1992) repose sur une définition de la police partant de son rôle dans la production et le traitement de l'information, du renseignement et d'un savoir expert. On peut objecter à cette théorie qu'elle ne propose rien qui soit spécifique à la police. En effet, tous les appareils de l'État, sans compter les grands réseaux commerciaux privés, accumulent une masse de renseignements sur leurs cibles et sur leurs clients. Il faudrait donc montrer en quoi l'informatique policière est irréductiblement distincte des autres banques de données. On pourrait tenter de le faire en établissant un lien contraignant entre l'information policière et la gestion des risques et de la sécurité.

Ces remarques nous amènent à soulever une dernière question. Est-il une alternative véritable au bittnérisme, c'est-à-dire à une conception coercitive de la police ? Cette question est redoutable et on peut l'aborder de deux manières.

La première manière peut être illustrée en référence à Bittner lui-même. En bon ethnométhodologue, il accorde une grande place à la médecine, qui lui fournit la métaphore fondatrice de sa pensée. Cette métaphore est celle de la chirurgie dans son rapport avec la médecine. La chirurgie est l'arme ultime de la médecine, à laquelle on ne doit recourir qu'en toute dernière instance (Bittner, 1970/1990, p. 190). On voit bien dans cette métaphore ce à quoi la police est assimilée — c'est évidemment la chirurgie ; on voit beaucoup moins bien ce qui tient dans les actions de police le rôle de la médecine générale, à savoir une fonction qui resterait en retrait de l'usage de la force physique. On pourrait imaginer qu'à l'avenir la police reproduise la distinction entre la médecine générale et la chirurgie. On assisterait alors à un resserrement des fonctions de la police, réduite à des escouades de spécialistes de l'intervention d'urgence violente (genre SWAT, gign ou CRS) ou à des brigades spécialisées dans la lutte contre certaines formes de criminalité (trafic des stupéfiants, crime organisé et terrorisme). Même si cette évolution est conforme à la métaphore de Bittner, elle s'écarte doublement de sa théorie. Dans ses tendances actuelles, cette évolution accorde en effet un rôle prépondérant à l'enquête et au renseignement, pour ce qui est des brigades spécialisées. Or, comme nous l'avons vu, on ne peut rendre compte de l'enquête et du renseignement policiers dans le cadre d'une théorie coercitive de la police accordant un statut privilégié à l'intervention d'urgence. Ensuite, la police se voit octroyer la responsabilité première du maintien de l'ordre dans des situations de violences et/ou de désordres collectifs, ce qui s'écarte une deuxième fois de l'orthodoxie bittnérienne.

La seconde manière de sortir de l'impasse consiste à consacrer son existence. Les manifestations du crime et du désordre, dit-on souvent, sont tellement hétérogènes que toute tentative pour leur trouver un commun dénominateur en dehors de la prohibition légale dont elles font communément l'objet est d'avance vouée à l'échec. On argumenterait semblablement [482] par rapport à la police : ses tâches sont trop diversifiées pour qu'on y trouve une trame commune. On pourrait même être tenté de situer la spécificité de la police dans le contraste entre la généralité indépassable de ses tâches et la spécificité de celles des autres appareils de l'État et de la société civile. Ce qui distingue l'homme à tout faire est précisément qu'il est le seul à tout faire.

Jean-Paul BRODEUR
Centre international de criminologie comparée
Université de Montréal, CP 6128, succ. A
Montréal (Québec),
Canada H3C 3J7



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[1] La plupart des écrits de Bittner sur la police ont été récemment réunis sous la forme d'un livre (Bittner, 1990). Comme ses travaux sur la police s'échelonnent de 1967 à 1990, on masquerait leur évolution en n'utilisant que cette référence. Ce mode de renvoi est cependant très utile, car il est uniforme et se réfère à un ouvrage qu'on peut facilement se procurer. Dans leur mode de parution original, les travaux de Bittner sont en effet difficilement accessibles. Nous utiliserons donc un double mode de renvoi. Par exemple, « Bittner (1967a/1990, p. 8) » renvoie d'abord à la parution originale de l'œuvre, dont le titre se retrouve dans notre bibliographie, et ensuite au livre de 1990 à la page indiquée.

[2] Dans sa présentation du texte de Bittner, Monjardet écrit : « Publié pour la première fois en 1970, il est reproduit depuis dans pratiquement tous les manuels, cours, "readers" qui traitent de choses policières. On sait qu'en Amérique du Nord celles-ci font l'objet d'un enseignement universitaire et parfois de débats publics approfondis » (Monjardet, 1991, p. 223).

[3] L'ouvrage de Westley a été publié en 1970. Il reprend pour l'essentiel sa thèse de doctorat rédigée en 1951, qui a exercé une grande influence sur les premiers sociologues de la police. Westley est véritablement le pionnier des études empiriques sur la police.

[4] Ils avaient le choix entre le maintien de l'ordre, l'encadrement et l'assistance aux citoyens, la poursuite des auteurs de crimes, l'imposition de leur autorité dans les circonstances appropriées (ce choix correspondait à la fonction bittnérienne de la police), la prévention du crime et la négociation des conflits.

[5] Dans son remarquable ouvrage sur la sécurité privée, Johnston consacre le chapitre 6 aux appareils policiers hybrides. Ceux-ci sont constitués par des appareils mixtes qui tiennent à la fois du public et du privé, comme un service officieux de renseignement fondé aux États-Unis par d'anciens policiers gardant le contact avec leurs ex-collègues du public, qui leur fournissent des renseignements de façon systématique. Il existe en outre un très grand nombre d'appareils para-policiers qui ont été créés par divers services gouvernementaux et qui peuvent être qualifiés d'hybrides, comme la « police » des postes, des transports et les sections d'enquête de diverses agences de régulation. Rappelons à cet égard que le premier assaut contre la secte religieuse de Waco aux États-Unis, qui fit plusieurs morts et qui précipita la crise, fut donné par un groupe d'intervention d'un service gouvernemental américain non policier chargé d'appliquer la législation sur le tabac, l'alcool et les armes à feu. Les appareils de contrôle hybrides constitueront à l'avenir un chantier de recherche de plus en plus important. Johnston (1992, pp. 115-117) en fournit une première énumération pour le Royaume-Uni.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 7 novembre 2016 9:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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