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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le goût du Québec. L'après référendum 1995. Des lendemains qui grincent (1996)
Préface de Guy Rocher


Une édition électronique réalisée à partir de l'ouvrage collectif sous la direction de Marc BRIÈRE, Le goût du Québec. L'après référendum 1995. Des lendemains qui grincent. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1996, 260 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par M. Marc Brière, le 18 octobre 2006 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Préface

Par Guy ROCHER

Comment se fait-il que j'écrive cette préface ? Et pourquoi le fais-je ? J'ai eu à répondre à cette question pour moi-même. Il n'est donc pas inutile que je fasse état publiquement des réponses que je me suis données. Il faut pour cela que j'annonce d'abord mes couleurs et mes intentions. je suis souverainiste indépendantiste depuis plus de vingt-cinq ans. J'ai été d'abord sympathisant du Mouvement souveraineté-association (le MSA) créé par René Lévesque après qu'il eut quitté le Parti libéral du Québec en 1967. Je suis devenu membre du Parti québécois à la suite du recours contre le Québec à la Loi des mesures de guerre par le gouvernement canadien en 1970. J'ai accepté de travailler durant plus de quatre ans avec le PQ au gouvernement, notamment à l'élaboration de la Charte de la langue française. Durant le dernier référendum, j'ai été un co-fondateur du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté (l'IPSO) dans lequel je continue de militer et j'ai signé la Préface du Manifeste des intellectuels pour la souveraineté.

Si j'évoque ainsi mon engagement dans la cause souverainiste, c'est pour souligner qu'au cours de ces quelque vingt cinq années, l'histoire politique du Canada, les événements qui l'ont ponctuée, l'évolution du Québec n'ont fait que nourrir et renforcer mon option. Et ces jours derniers, j'ai lu soigneusement les textes du présent ouvrage, dans leur forme presque finale. De cette lecture, mes convictions ne sortent aucunement altérées. je ne dis pas cela pour déprécier les chapitres de cet ouvrage, bien au contraire : ils peuvent être de nature à faire réfléchir, sinon à emporter l'adhésion.

Si je participe à l'exercice de ce livre, c'est précisément parce que je suis souverainiste et que j'espère que le Québec pourra accéder à sa souveraineté politique dans un climat de calme, de négociation raisonnée et raisonnable, dans un esprit de compréhension et d'acceptation mutuelles. Si les Québécois avaient majoritairement voté « Oui » au référendum de 1980, la souveraineté québécoise aurait été acquise dans une certaine sérénité. Elle aurait été accueillie comme une conséquence prévisible et inéluctable de la victoire surprise du Parti québécois de 1976. Mais depuis, les choses se sont gâtées. Une attitude d'agressivité s'est développée et répandue à l'endroit de la souveraineté du Québec, même à l'endroit de cette coquille pourtant vide qui s'appelle « la société distincte ». La panique qui s'est emparée des fédéralistes, de langue française aussi bien que de langue anglaise, n'est pas un phénomène de génération spontanée : elle est l'aboutissement de la montée des esprits observable au cours des quinze dernières années. La peur règne maintenant dans les deux camps, peur de l'autre, peur de soi, peur de l'avenir. C'est cette peur qui est aujourd'hui le plus à craindre.

Sera-t-il possible de juguler cette peur réciproque ? Pourrons-nous exorciser les fantômes, j'ose même dire les démons, qui se sont emparés de certains esprits et qui risquent d'étouffer la voix du bon sens ? Est-il trop tard pour retrouver la rationalité et l'éthique de « l'agir communicationnel », fondement de la véritable pratique démocratique ?

Cet ouvrage se veut à la fois une réponse à la peur et un geste d'appel au dialogue. Il se présente comme un effort d'ouverture à il autre, en réunissant des contributions venant de différents horizons, exprimant la diversité (ou la divergence) des options. Atteindra-t-il cet objectif ? En lisant ces textes, chacun en jugera.

Je disais plus haut qu'en ce qui me concerne, la lecture des chapitres de ce livre n'a pas entamé mes convictions. La faute n'en revient ni aux auteurs ni à l'initiateur du projet. Ce n'était d'ailleurs pas l'intention de cette initiative de faire des « conversions ». Mais elle me fait constater une fois de plus combien, au cours des vingt cinq dernières années, l'écart est allé grandissant entre ce que j'appellerais la culture politique (d'autres parleraient ici d'idéologie) des souverainistes et celle des fédéralistes, et plus globalement entre celle du Québec (toutes options confondues) et celle du reste du Canada. Les interprétations données aux mêmes faits, événements, symboles sont devenues de plus en plus divergentes. Les arguments opposés se croisent, presque sans se heurter.

Je crois personnellement qu'une des causes profondes de cet écart grandissant réside dans le malentendu identitaire engendré par la définition multiculturelle du Canada. Je sais que je touche ici à un monstre sacré : le multiculturalisme a été associé à la vertu et le mettre en question risque de nous faire taxer de xénophobie. Il en résulte que ce malentendu, pourtant fondamental, est généralement occulté. On n'ose pas s'attaquer au fait que la définition du Canada multiculturel ne cadre ni avec l'histoire, ni avec l'esprit, ni avec les institutions de la société québécoise et de l'État québécois. Mais on a réussi à convaincre les Canadiens que le multiculturalisme est la seule conception possible du pluralisme social. Or, je crois fermement que le Québec n'est pas moins pluraliste d'esprit et de coeur que le reste du Canada, mais veut l'être autrement.

Charles Taylor a eu le courage, ailleurs, d'entamer une réflexion sur ce thème, qui devrait être poursuivie. En ce qui concerne cet ouvrage-ci, il aurait fallu plus que quelques rencontres relativement courtes et la convivialité de quelques repas - dont l'atmosphère paraît bien rappelée par Henry Mintzberg dans sa contribution à ce livre - pour aller au fond d'une question aussi délicate. Elle n'est donc pas traitée ici.

Mais je m'arrête à ce point. On n'attend pas du préfacier qu'il évalue et juge l'ouvrage dont il propose la lecture. Il lui revient plutôt de faire part de certaines idées, de quelques réflexions que la lecture des textes encore à l'état de manuscrits a pu lui inspirer. Je le ferai sur le ton assez personnel que le préfacier peut se permettre.

*   *   *

Et comme point de départ, je recours à des souvenirs qui me sont revenus à l'esprit en lisant notamment les chapitres de Peter G. White, Naïm Kattan, Henry Mintzberg, Joseph Rabinovitch, René Boudreault, Bernard Cleary, Claude Corbo et Marco Micone.

C'était dans les années 1950, peut-être en 1954 ou 1955. J'étais jeune professeur de sociologie à l'Université Laval. Je reçus un jour une invitation à rencontrer à Québec un groupe de journalistes venant de différents journaux de langue anglaise du reste du Canada, principalement de l'Ontario et des provinces de l'Ouest. On m'avertit qu'ils voulaient entendre un sociologue leur dire pourquoi le Québec demeurait une province traditionaliste, tournée vers le passé et dominée par son clergé catholique (la « priest-ridden province », selon l'expression alors consacrée).

Je m'employai de mon mieux à répondre à cette attente, dans un court exposé de présentation, que je terminai cependant en disant que cet état de choses tirait à sa fin, qu'un changement important était prévisible dans un très proche avenir. J'ajoute tout de suite que, ce disant, je n'avais pas le mérite de prédire la Révolution tranquille quelques années à l'avance. Car, en réalité, la conclusion de mon exposé était plutôt une bravade : je voulais un peu impressionner et provoquer le petit groupe d'auditeurs, j'avais le sentiment de livrer un espoir bien plus qu'une attente et d'évoquer pour les besoins du moment un avenir encore incertain.

Les questions fusèrent rapidement. Directe est toujours l'interrogation chez les journalistes anglophones. Première question : on me demanda de justifier ma prévision. Cela me donna l'occasion d'un second petit exposé sur, d'une part, l'intense et rapide modernisation dans laquelle le Québec était engagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors encore toute proche, et, d'autre part, le nationalisme canadien-français, les frustrations qu'il exprimait en même temps que la vision qu'il portait de l'avenir du Québec et du Canada. Deuxième question : que faut-il faire pour satisfaire les Canadiens français ? J'étais jeune et effronté : je répondis qu'il fallait ouvrir un réseau d'écoles publiques de langue française dans chaque province, comme nous avons au Québec des écoles publiques de langue anglaise, et reconnaître la langue française comme langue officielle dans tout le Canada !

Je n'oublierai jamais les yeux étonnés et incrédules qui accueillirent ces derniers propos. La troisième question témoignait bien de cette incrédulité : « You mean Catholic schools, not French schools ? » Réponse : « No, no,  I really meant French schools ! » Il n'y eut pas de quatrième question sur le sujet : ma suggestion fut jugée impraticable et donc pure utopie. On passa au thème de la « priestridden province ».

Quelques jours plus tard, je reçus les coupures de presse des articles publiés par ces journalistes à la suite de leur traversée du Québec. Je n'y trouvai pas la moindre allusion à mes propos. Je ne crus pas utile de leur écrire un petit mot.

À cette époque, je n'avais eu l'occasion de visiter que l'Ontario ; l'Ouest canadien était pour moi une terre inconnue. Ce que j'en pouvais dire me venait des lectures que j'avais faites depuis mon temps de collégien. Voici qu'en 1963, je m'engage dans une tournée des provinces canadiennes avec d'autres membres de la Commission Parent. Dans chacune, la journée était consacrée à de longues séances de travail avec le personnel du ministère de l'Éducation et divers représentants d'associations. Et dans la soirée, nous recevions à l'hôtel, presque en cachette, des représentants de la communauté francophone qui nous exposaient leur triste situation et nous priaient de profiter de nos contacts et de notre statut pour intervenir en leur faveur. Je constatais de visu l'état des choses que mes lectures m'avaient déjà fait connaître.

*  *  *

La lecture des chapitres composant cet ouvrage-ci me reportait à ces souvenirs, parce qu'ils relancent pour moi une question que je me suis souvent posée depuis un bon nombre d'années : que serait aujourd'hui le Canada s'il avait pris au sérieux la thèse des deux nations et l'avait appliquée d'un océan à l'autre ? Je crois que c'est tout ce qui a manqué à ce pays pour qu'il réussisse, pour qu'il soit ce que d'autres croient qu'il est, c'est-à-dire un pays ouvert, accueillant, tolérant, vraiment respectueux de sa diversité constitutive. Par un dangereux paradoxe de l'histoire, c'est pour ses immigrants les plus récents qu'il est peut-être ce qu'il dit être ; mais il ne l'a certes pas été suffisamment pour sa minorité canadienne-française et il l'a été moins encore pour ses autochtones.

Je sais bien qu'on dira, en lisant ce que je viens d'écrire, que je fais partie de ces nationalistes revanchards qui ne font que rabâcher les brimades du passé, et en reviennent toujours à « la conquête », comme le regrette plus loin - non sans raison - Henry Mintzberg. Ce n'est cependant pas dans cet esprit que je fais ces rappels et que j'évoque ces souvenirs. Je veux au contraire mettre en lumière l'évolution présente du nationalisme québécois d'aujourd'hui. Je peux en effet le comparer avec le nationalisme canadien-français dont il est issu, que j'ai personnellement connu et pratiqué.

Tant que j'ai cru au Canada, j'ai milité au sein du nationalisme canadien-français. Et je souligne en caractères gras le fait – trop méconnu - que ce nationalisme était profondément canadien. En effet, il consistait à revendiquer, sur la foi de la thèse des deux nations, la reconnaissance d'un océan à l'autre d'un Canada bilingue et biculturel, l'officialisation des deux langues et des deux cultures dans des symboles concrets tels que la monnaie, les timbres-poste (longtemps unilingues l'un et l'autre), le drapeau, les appellations (traduire, par exemple, le Dominion Bureau of Statistics et autres institutions fédérales aussi unilingues). C'est ce même nationalisme canadien-français pancanadien qui m'engageait à faire aux journalistes anglophones les suggestions tellement « osées » que j'évoquais plus haut.

Ce n'est pas sans de grands déchirements que je dus faire un constat de réalité : le Canada auquel je m'identifiais existait plutôt dans mon imagination que dans la réalité. Quelques symboles avaient pu entretenir mon illusion : la monnaie et les timbres bilingues, des traductions. Mais l'essentiel n'y était pas, manquait même de plus en plus : la thèse des deux nations était récusée, mise au rancart. Rejetant le biculturalisme, le Canada se définissait tout à coup comme multiculturel. Ce n'est pas la reconnaissance de l'apport de l'immigration et des communautés ethniques qui me gênait en cela ; c'était le sort fait à une conception du Canada qui aurait pu être accueillante à ces communautés croissantes sans réduire pour autant « l'autre nation » historique fondatrice. Cette conception du Canada, la Commission Dunton-Laurendeau l'avait bien vue et bien exprimée. Son rapport fut le chant du cygne d'un certain Canada, celui auquel j'avais cru. Il fut balayé du revers de la main par le gouvernement Trudeau-Chrétien.

Il me fallut reconnaître que ceux et celles qui étaient déjà indépendantistes avaient été plus clairvoyants que moi, ou l'avaient été avant moi. Il restait à se replier sur le Québec et à substituer un nationalisme québécois au nationalisme canadien-français, un nationalisme du Québec au nationalisme ethnique qui avait été le nôtre au sein du Canada.

Mais la redéfinition du territoire « national » - du Canada vers le Québec - appelait un changement de contenu. S'il fut d'abord ethnique, le nationalisme québécois s'est engagé dans une évolution vers un nationalisme territorial, nourrissant le projet d'un peuple québécois capable de s'adresser à tous les Québécois. Cette évolution est en cours, elle n'est pas terminée. Mais c'est celle que j'observe tout autour de moi. Les lectures que j'ai faites sur les nationalismes dans le monde me permettent d'affirmer qu'il est difficile d'en trouver un qui ait connu une évolution aussi rapide et aussi radicale. Je suis persuadé que la plupart des souverainistes adhèrent à l'idée d'un Québec qui, majoritairement francophone, sera respectueux des droits acquis de sa minorité anglophone et de la vitalité des différentes communautés ethniques.

Malheureusement, je constate par ailleurs que cette évolution n'est ni connue ni reconnue par un trop grand nombre de nos compatriotes de langue anglaise. Ils ne voient encore que les relents d'un nationalisme ancien, sans porter leur regard sur le nouveau en voie de transition. Il y a là une source grave de malentendus, qui empêche ceux qui veulent sauver le Canada (ce qui est évidemment bien justifiable) de voir ce que le projet québécois peut par ailleurs lui aussi comporter d'avenir pour tous les Québécois, sans exclusion d'aucun.

Je suis sans doute plus sensible aux défauts de compréhension que je relève chez ceux qui ne partagent pas mon option qu'à ce qui, dans mes idées, les irrite ou peut même leur paraître à certains égards erroné ! C'est à dissoudre des malentendus de cette nature, sur lesquels bute le dialogue, que l'initiateur de cet ouvrage a consacré ses énergies, en réunissant ce groupe de collaborateurs qui ont généreusement répondu à son invitation. Ce qui m'entraîne à espérer que, s'il n'est pas possible d'en venir à partager les convictions de l'autre, on puisse au moins lui reconnaître sa bonne foi, l'écouter jusqu'au bout et respecter son option.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 10 mars 2009 18:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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