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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le goût du Québec. L'après référendum 1995. Des lendemains qui grincent (1996)
Antipréface ou de l’impossibilité de préfacer de livre


Une édition électronique réalisée à partir de l'ouvrage collectif sous la direction de Marc BRIÈRE, Le goût du Québec. L'après référendum 1995. Des lendemains qui grincent. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1996, 260 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par M. Marc Brière, le 18 octobre 2006 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Antipréface

ou de l’impossibilité de préfacer de livre

Par Michael Olivier*

J'ai été intrigué lorsque Marc Brière m'a téléphoné pour me demander de préfacer, à la place de quelqu'un d'autre, ce recueil d'essais sur les conséquences du Référendum de 1995 au Québec. Il m'a dit que les collaborateurs représentaient un bon échantillonnage de la population québécoise anglophones, francophones, allophones et autochtones et il a mentionné le nom de quelques personnes que je connaissais et estimais. L'idée du livre me plaisait : les Québécois devraient parler librement, par-delà les frontières politiques et sociales qui les divisent. J'ai accepté, et le juge Brière m'a envoyé les chapitres  manuscrits ; mais, pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas, près de deux semaines se sont écoulées avant que je puisse les lire. Quand finalement je m'y suis plongé, j'ai été consterné. je ne suis pas séparatiste ; je crois fermement que le Canada peut et devrait être sauvé. Comment pouvais-je alors écrire la préface d'un ouvrage qui était manifestement en faveur de l'indépendance du Québec ? De nombreux chapitres étaient excellents, tous présentaient de l'intérêt en ce qu'ils reflétaient le questionnement intense entrepris par le Québec post-référendaire. Mais le parti pris pour l'indépendance y était tel que seul un séparatiste pouvait utiliser les outils essentiels du préfacier, à savoir les exhortations habituelles à lire le livre et à y trouver un enrichissement.

Lorsque j'ai tenté de me soustraire à mon engagement, j'ai compris à quel point cela dérangerait. Après un moment de réflexion, j'ai estimé que si une recension était présentée en guise de préface, je n'aurais pas lieu de me plaindre après tout, il est fort possible que l'on ne me demande jamais d'écrire une recension ! Marc Brière accepterait-il un article intitulé « De l'impossibilité de préfacer ce livre » ? Oui. Alors, le voici, cet article. Et tout le mérite revient à Marc Brière pour son courage. Y a-t-il en effet beaucoup de metteurs en scène qui laisseraient un critique hostile dire le prologue d'une pièce qu'ils sont en train de monter ?

Quel genre de livre m'étais-je attendu à préfacer ? Et pourquoi celui-ci ne correspondait-il pas à mes attentes ? J'avais escompté une égalité sommaire entre les points de vue sur l'avenir du Québec, une équation tout à fait différente de celle que je découvrais. À part le juge Brière lui-même, le préfacier (plus l'auteur de l'anti-préface) et les auteurs des articles documentaires, le livre compte seize collaborateurs, dont celui qui se cache sous le pseudonyme de Jean du Pays. À première vue, la représentation des communautés est remarquable de par la diversité et le souci de parité : cinq d'origine française, trois d'origine britannique, cinq d'« autres groupes ethniques » et trois d'origine autochtone. Regardez-y de plus près : la perspective change. On trouve huit souverainistes déclarés (plus un sympathisant), quatre auteurs qui n'affichent pas leur couleur et trois francs fédéralistes. Parmi les collaborateurs d'origine française, pas un seul fédéraliste, bien qu'environ 40% des Franco-Québécois aient voté NON. Cette omission flagrante donne inévitablement l'impression que la question de l'indépendance est un débat entre un bloc uni de Franco-Québécois et une coalition formée par « les autres ». Quoique la communauté autochtone ait voté massivement pour le NON, deux auteurs des Premières nations sur trois plaident pour la souveraineté du Québec ou, du moins, sympathisent avec cette cause. Les groupes s'y opposant le plus fortement constitués d'environ 40% des autochtones du Québec (Cris et Mohawks) ont un seul (plaisant) porte-parole, qui ne se prononce pas, du reste. L'un des auteurs d'origine britannique se place du point de vue des autochtones du Québec et prend bien soin de ne pas se prononcer sur l'option de la souveraineté ; un autre, séparatiste convaincu, étudie également avec une grande minutie la situation des Premières nations. La communauté juive du Québec est fortement représentée et n'inclut aucun indépendantiste déclaré ; cependant, même lorsqu'on sait qu'un auteur (francophone) préfère l'option fédéraliste, on ne trouve pas de franche déclaration d'opinion dans son discours. C'est pourquoi, face à ce bilan rapide des éléments en présence, un fédéraliste invité à recommander ce livre ne peut réprimer un mouvement de recul. Malgré tout, il se peut que la place occupée par les fédéralistes dans le corpus soit si substantielle que le nombre de chapitres consacré aux avantages du Québec à rester dans le Canada importe peu. Je n'ai aucunement l'intention de dénigrer les témoignages animés d'Henry Mintzberg ou de Joseph Rabinovitch quand je dis que l'on peut difficilement comparer leur contribution (qu'il est peut-être possible de considérer comme une contrepartie aux chapitres indépendantistes d'Isabelle Guinard et de Louis Cornellier) aux arguments souverainistes développés abondamment dans le chapitre de Jean du Pays ou dans celui de Claude Corbo.

Le texte de Peter White est en fait le seul à présenter des arguments solides en faveur du fédéralisme. Je l'ai trouvé excellent. Son recours au concept de « minorité nationale » de Will Kymlicka est pertinent, et il bâtit un exposé convaincant sur les arrangements constitutionnels asymétriques et la reconnaissance claire du caractère distinct du Québec. Néanmoins, dans un certain sens, son texte s'apparente aux chapitres qui militent en faveur de la souveraineté du Québec, au lieu de s'y opposer. Parfois explicitement, mais toujours implicitement, White critique le « reste du Canada », son manque de compréhension des aspirations de la majorité des Québécois et son incapacité à faire preuve d'une véritable bonne volonté d'en tenir compte. Il insiste très peu sur les avantages que tous les Québécois peuvent trouver en restant dans la Confédération ; il ne s'attarde pas à réfuter les revendications de ceux qui prétendent que la souveraineté est la solution que les Québécois privilégient et considèrent même comme nécessaire pour organiser leur avenir. Il fait chorus avec le vent de critique du Canada qui souffle avec force à travers le livre, au lieu de le contrer par les arguments de Québécois s'adressant à des Québécois en faveur d'un Québec restant au sein du Canada, ou par un bilan des vertus que présente la Confédération du point de vue du Québec. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit aucunement là d'une critique de ce que Peter White a écrit, et si bien écrit. je tenais simplement à dire que ce chapitre, seule contribution d'un non-séparatiste, ne constitue pas la forte contrepartie fédéraliste dont le livre aurait besoin, ni un butoir suffisant pour repousser certaines assertions des séparatistes, pourtant très sujettes à caution.

Par-dessus le marché, inutile de dire que mon irritation n'a fait que croître lorsque j'ai vu le Canada se faire traiter de « pachyderme asthmatique » (belle invective) sans la moindre allusion au genre d'animal qui pourrait représenter un Québec souverain (doué de quelle agilité, de quelle grâce ? ). Dans un autre ordre d'idées, les motifs des politiciens canadiens sont fréquemment contestés lorsqu'ils tiennent compte de la responsabilité constitutionnelle du gouvernement fédéral envers les Premières nations, mais les excuses sont toutes trouvées quand il s'agit des gaffes (ou pire) des dirigeants du Parti québécois. Les « faits » historiques sont trop souvent sélectionnés de façon tendancieuse et reflètent souvent une profonde ignorance du Canada anglophone et de son évolution.

Pour en revenir aux assertions souverainistes contestables, que devons-nous penser de la prétention de Claude Corbo selon laquelle (a) le Canada est constitué de trois collectivités : la canadienne, la québécoise et l'autochtone, et (b) le Canada, en amendant la constitution sans le consentement du Québec, en 1982, « a manifestement réinstauré sa relation de conquérant à l'égard du Québec » ? Il semblerait que dans cette nouvelle Conquête le Québec ait été envahi par des non-Québécois. Si c'était le cas, comment expliquer le fait que la nouvelle Conquête a été menée par Pierre Trudeau et Jean Chrétien, avec l'appui de tous les autres membres québécois du cabinet fédéral, tous élus au Parlement du Canada par des Québécois ? Il est indubitable que la Conquête affecte le raisonnement des Québécois francophones. Cependant, la simplification outrancière des identités et des loyautés en présence brossée par Corbo et, en particulier, son tableau d'un Canada monolithique reconquérant un Québec monolithique sont certainement indéfendables aux yeux de tout préfacier fédéraliste canadien.

Je me suis suffisamment étendu sur les exemples de parti pris et de déséquilibre ainsi que sur mes raisons de refuser de préfacer cet ouvrage ; il y a autre chose à dire sur ce recueil. Deux questions distinctes mais connexes sous-tendent presque tous les chapitres : Le Québec devrait-il se séparer du Canada ? Quels principes devraient régir les relations entre les groupes culturels au Québec ?

La première question a été posée maintes fois, surtout au cours des trente dernières années. Elle se pose avec une urgence particulière en 1996, en raison du résultat frappant du référendum de l'année dernière qui, en fait, a précipité la publication de ce livre. Les lecteurs n'y trouveront pas grand-chose de neuf. Peu changeront d'opinion. Les mieux informés et les plus sympathisants parmi les Québécois non francophones pourront examiner les arguments présentés par les nationalistes, partager leur immense déception à la suite de l'échec du Lac Meech, et pourtant demeurer tout à fait sceptiques devant la proposition qu'un Québec séparé est la seule, ou la meilleure, réponse au désir légitime de garantir la survie d'une communauté culturelle française en  Amérique du Nord. Mais cela ne veut pas dire que les différents auteurs traitent la question de la souveraineté de façon inintéressante. Un des aspects fascinants qui caractérise particulièrement les chapitres de Jean du Pays et de Claude Corbo est la transformation des griefs des Canadiens français, définis ethniquement et linguistiquement et répartis géographiquement d'un océan à l'autre, en griefs du « peuple québécois », défini géographiquement, et ethniquement et linguistiquement composite. Sont mis de côté les arguments concernant ce qui était historiquement juste pour les Canadiens français dans l'ensemble du Canada : le bilinguisme officiel, la représentation proportionnelle dans les services publics, et le respect d'un partenariat égal français-anglais à l'intérieur d'un seul État. En leur lieu et place émerge un concept de justice qui doit prévaloir dans un État « normal », celui justement que les souverainistes veulent faire du Québec : un État officiellement unilingue, qui promeut une seule culture prééminente, et que domine une majorité péremptoire. En fait, c'est un État qui ressemble étrangement à celui que les critiques  nationalistes canadiens-français voyaient dans le Canada et dénonçaient par le passé. Par ailleurs, les subtilités conceptuelles et linguistiques qui se traduisent par les passages successifs de l'expression « Canadiens français » à celle de « peuple du Québec » ne sont pas toujours faciles à suivre. Les souverainistes peuvent rarement employer le « nous » ou bien « notre peuple » pour se référer aux descendants des 65 000 Français qui sont restés après 1759 ; la plupart du temps, le « nous » doit faire référence à tous les citoyens du Québec. Mais il est facile de se tromper. Seuls, les fédéralistes francophones peuvent encore se payer le luxe de laisser échapper un « nous » ethnique au cours de nombreuses discussions politiques canadiennes et continuer imperturbablement à déplorer, au nom de la justice, la violation de leurs droits de partenariat ethnique au Canada. Le chapitre écrit par Bauer est particulièrement réussi en ce qui concerne la classification des termes se rapportant à l'identité.

La manière dont la seconde question les relations entre les groupes culturels au sein du peuple québécois est abordée confère distinction et originalité au livre. À ma connaissance, il n'existe pas d'autre ouvrage écrit par des non-spécialistes qui envisage avec autant de sérieux les relations entre les peuples autochtones du Québec et le reste des citoyens. Ne serait-ce que pour cette raison, les essais forcent l'attention. Effectivement, le statut et les droits des Premières nations au Québec constituent le sujet principal de cinq chapitres ; et dans la majorité des autres, on leur consacre une attention sérieuse. Un cynique pourrait alléguer que le seul but du livre est de séduire une partie de l'électorat allophone/autochtone/anglophone afin qu'elle vote « oui » au prochain référendum, mais, comme d'habitude, ce cynique aurait tort. On perçoit en effet un profond engagement personnel chez les auteurs, en particulier chez les collaborateurs francophones de vieille souche et chez ceux des Premières nations, dans leurs tentatives de trouver les meilleurs moyens pour le Québec de promouvoir la culture française tout en respectant les autres. Ces passages-là sont particulièrement intéressants parce qu'ils abordent une question dont il faudra s'occuper, que le Québec se sépare ou non ; car il y a bien une société distincte au Québec, et il continuera à y en avoir une, qu'il fasse partie du Canada ou non. Il ne sera pas facile de garantir que non seulement les autochtones mais tous les groupes culturels seront à l'aise et auront un véritable sentiment d'appartenance à cette société. En tout cas, les collaborateurs de ce livre, sans exception, ont bien l'intention d'y parvenir.

Qu'il me soit permis de conclure en répétant qu'il y a des passages merveilleux et d'autres tout aussi injustes dans ce livre. Il présente un tableau remarquable, bien qu'incomplet, des aspirations et des dilemmes des Premières nations au Québec, de leur quête d'une reconnaissance et d'un gouvernement autonome. Chose encore plus importante peut-être, il donne une idée, rarement perçue hors Québec, du processus laborieux qui consiste à faire d'une minorité francophone pleine de griefs une majorité québécoise ouverte, réceptive et équitable, et à transformer des Anglo-Québécois préalablement dominateurs en citoyens québécois pleinement participants. Que la séparation ait lieu ou non, ces transitions-là sont d'une importance cruciale pour la démocratie au Québec.


* Traduit de l'anglais par Dominique Issenhuth.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 10 mars 2009 18:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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