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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Émile Bouvier, “L’autodétermination de l’économie du Québec.” Paris: Éditions Bibliophane, 1988, 135 pp. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 366-401. Montréal: Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié dans Revue de l’Université de Sherbrooke, mai 1964, pp. 213-250.


Émile Bouvier, s.j. (1964)

L’autodétermination de l’économie du Québec”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 366-401. Montréal : Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié en 1964. Texte originalement publié dans Revue de l’Université de Sherbrooke, mai 1964, pp. 213-250.


Introduction
1. Plan du secteur d'État

a) le secteur des entreprises nationalisées
b) le secteur des régies mixtes
c) le secteur du contrôle de certains revenus
d) le secteur des prix contrôlés

2. Le plan du secteur libre

a) Planification globale
b) Planification par l’organisation professionnelle
c) Planification par les coopératives

Conclusion

[366]

Introduction


Quiconque envisage les problèmes économiques d'aujourd'hui se sent saisi non par l'urgence d'une question particulière, mais par le tableau d'ensemble des périls qui menacent toute la vie économique. D'une part en effet, les techniques progressent à un rythme sans cesse croissant : automation, électronique, énergie nucléaire, au point de laisser derrière elles les institutions. D'autre part, un nombre immense de travailleurs, de petits salariés ne s'estiment pas intégrés à la vie économique et malgré leur apport quotidien de travail ne participent pas à l'essor de ce secteur vital. Ce qui est en cause dépasse le jeu des mécaniques économiques, il affecte même les structures. Et si nous descendons sur un plan moins élevé tel que la vie économique d'une région ou d'une province, les inquiétudes et les angoisses nous serrent à la gorge. Et plus précisément au Québec, certains événements récents nous obligent à repenser les structures économiques provinciales.

L'échec de la conférence fédérale provinciale du 1er avril dernier, les affirmations du ministre fédéral de l'Industrie, de la Production et de la Défense sur le recul que constituerait au Québec une économie autonome, les critiques du Financial Post du 11 janvier sur l'attitude sérieuse du Québec à reprendre en main les destinées de son économie et qui ont été relevées par le lieutenant-colonel Sarto Marchand et réfutées par le président provincial de la jeune Chambre de Commerce, voilà autant de raisons qui indignent les jeunes et les poussent à une démocratie économique d'une autre couleur. N'en déplaise à l'habile politique néo-centralisatrice pratiquée par Ottawa sous le couvert du fédéralisme coopératif, la libération économique ne s'accomplira à la seule condition que le Québec maîtrise son économie, l'oriente, fasse le choix des priorités, exécute ses plans, repense ses structures. Qu'au besoin, il réalise la collaboration avec les autres pouvoirs, mais jamais en acceptant l'intégration ou la subordination aveugle à un plan fédéral dominateur.

On constate qu'une période d'évolution rapide et de changements explosifs exige des institutions renouvelées, des hommes adaptés, transformés. Et chacun y va de ses solutions, les unes partielles, les autres [367] générales, mais celle qui, dans le cadre géographique de notre existence, s'impose à nous, paraît être la thèse de l'auto-détermination économique du Québec, la révision des structures, leur réaménagement, leur transformation.

Cet exposé n'ambitionne pas d'autres résultats que de baliser la route qui mène aux réalisations ; s'il dégage d'une masse de renseignements quelques notions claires qui orientent le travail des jeunes, il aura fait beaucoup. C'est un point de départ, celui d'une longue chaîne d'études qui aboutiront par étapes successives à une économie québécoise progressive et enrichie. Guider l'esprit, lui ouvrir des perspectives pour diriger les volontés, bâtir un programme qui donne des raisons d'espérer, voilà le but de ces réflexions sur la « restructuration » économique du Québec.

Partons d'abord de certaines définitions : par structures économiques d'un pays, on entend d'ordinaire les données relativement stables et intégrées dans un ensemble économico-social a une époque, dans un espace déterminé. Ainsi l'on parlera d'un pays à structure agricole, industrielle : le Québec d'avant 1930 était une province à structure agricole. Par contre, le système est une organisation cohérente, logique de l'activité économique mais déterminée par un cadre idéologique v.g. le système capitaliste au Canada et aux États-Unis, le système soviétique en U.R.S.S. et dans les pays du rideau de fer. Le régime économique est un système concrétisé, fixé, ordonné par des normes définies par le droit, les lois, les institutions et le régime politique v.g. le régime soviétique, le régime socialiste des pays scandinaves.

Inutile de dire ici que les structures et le système économique au Québec se classent dans un économie de capitalisme libéral d'un caractère fortement concentrationnaire et solidement dominé par le capital étranger. Pour s'en rendre compte, il suffit de jeter un coup d'œil sur les deux tableaux suivants :

En outre, le Québec présente l'image d'une économie à développements opposés : économie développée favorable à une minorité et économie sous-développée pour le bloc majoritaire qui constitue 80% de sa population. Devant ces données sommaires, chacun y va de ses solutions. Les uns proposent le séparatisme, d'autres, l'indépendance et quelques-uns suggèrent l'auto-détermination économique.

[368]

Pourcentage de contrôle américain
dans diverses industries canadiennes en 1958

Total estimatif
des investissements
(en millions de
$ canadiens)

% du capital utilisé
contrôlé par :

Canada

E.-U.

Autres pays

Automobiles et pièces détachées

382

3

97

Caoutchouc

184

2

90

8

Pétrole et gaz naturel

4,980

25

69

6

Fusion et affinage des métaux indigènes non-ferreux

880

35

65

Appareils électriques

504

21

65

14

Produits chimiques

993

26

51

23

Autres produits miniers n.s.a.

2,066

41

45

14

Papier et pâte à papier

1,700

45

43

12

Outillage de transport n.s.a .

275

30

25

45

Boissons

435

86

13

1

Textiles

605

80

11

9

Fer et acier primaire

615

75

8

17



Propriété et contrôle de certains secteurs de l'économie canadienne en 1958 (1)

% de capital utilisé appartenant

% de capital utilisé contrôlé

à des résidents
canadiens

à des résidents
des E.-U.

à des
résidents
d’autres pays

par des
résidents
canadiens

par des
résidents
des E.-U.

par des
résidents
d'autres pays

Industrie manufacturière

49 (58)

40 (34)

11 (8)

43 (62)

44 (32)

13 ( 6)

Pétrole et gaz naturel

36

58

6

25

69

6

Industries extractives

 44 (60)

47 (31)

9 (9)

40 (58)

51 (38)

9(4)

Chemins de fer

71 (43)

10 (18)

19 (39)

98 (97)

2 (3)

Autres services publics

86 (73)

12 (20)

2(7)

95 (74)

4(26)

1

Source : Bureau fédéral de la statistique. Les pourcentages entre parenthèses sont donnés à titre indicatif pour 1939.


Le séparatisme représente une sorte de sécession politique, économique et sociale du Québec en dehors du pacte confédératif. L'indépendance comporte un statut politique et économique autonome qui libère le Québec de toute allégeance politique et de liens économiques en matière de relations monétaires, fiscales et commerciales. L'autodétermination [369] est l'état d'une unité économique et politique qui prend elle-même ses décisions par le fait qu'elle contrôle ses capitaux, ses débouchés commerciaux et son développement. Cette auto-détermination se distingue du séparatisme et de l'indépendance en ce sens qu'elle peut se réaliser dans un régime fédéral. Toutefois, pour assurer son efficacité, il faudrait exiger trois amendements à la Constitution : l'autonomie fiscale, l'autonomie commerciale et le pouvoir à chaque province de créer sa banque provinciale ou une institution équivalente qui collaborerait avec la Banque centrale du Canada.

Assuré de ces modifications fondamentales, le régime économique du Québec pourrait devenir autodéterminant en ce sens que les centres de décisions relèveraient du Québec et aboutiraient à sa rentabilité, dominant par le fait que les pôles d'influences favoriseraient les intérêts de ses habitants et développeraient une économie de croissance favorable aux Canadiens français.

Pour arriver à cette restructuration, il faudrait recourir à un réaménagement, à une coordination des structures, à une orientation de l'activité économique par un plan et une planification. Le plan représente les devis, les maquettes qui ordonnent l'ensemble et la planification, la mise en branle, l'inspiration et l'exécution du plan.

La planification est l'ordonnancement libre et en équipe des activités économiques d'une région, d'une province ou d'un pays par une utilisation optima des ressources matérielles et humaines en vue du plein emploi et de la prospérité sociale. Cette planification peut être:


- impérative, obligatoire ou coercitive
- indicative, informatrice ou éclairante
- incitative, libre ou stimulante
- dominante.


La planification impérative, obligatoire ou coercitive, est un ordonnance de l'économie que le gouvernement impose de force. L'autorité de l'État élabore le plan dans ses détails et l'impose à chaque entreprise par le contrôle des budgets détaillés, sorte de planification soviétique où le gouvernement impose les décisions centrales par la révision des budgets particuliers et la surveillance du rendement de la production. Le cerveau central oblige le cerveau particulier à se plier aux exigences et [370] aux réalisations du plan. Cette planification dictatoriale qui s'étend aux détails de la production caractérise les régimes soviétiques.

La planification indicative est un ordonnancement qui ne se dégage pas d'une volonté dirigeante mais d'un ensemble de renseignements, d'informations, de statistiques, d'études, de recherches qui facilitent la connaissance et l'action des agents de la vie économique. Cette forme de planification existe depuis longtemps. Elle se pratique par les hommes d'affaires dans leurs conseils d'administration où la planification est sans cesse révisée, corrigée amendée. S'agit-il d'expansion, de placements futurs, les experts présentent aux directeurs les statistiques sur la densité de la population, le nombre des mariages, des familles, des consommateurs, les développements futurs par voies de communications, les possibilités de produits nouveaux, de substituts, etc. On ne laisse rien au hasard, on projette, on extrapole, on calcule, on mesure la situation économique, sociale, politique, on analyse les marchés, nationaux et internationaux. En présence de données sûres, les directeurs émettent leurs opinions, les discutent et décident. Voilà une planification qui se pratique avec plus ou moins de raffinement dans toute entreprise libre.

La planification incitative est un ordonnancement de la vie économique d'une région et d'une nation en vue du plein emploi et de la prospérité sociale mais appuyé par des stimulants économiques tels que taux d'intérêt à rabais, exemption d'impôts, accessibilité du crédit, subsides d'état, certains traitements de faveur. C'est une planification aguichante qui amène les agents économiques à entrer dans le jeu tout en leur laissant la maîtrise et le contrôle de leurs entreprises.

Ainsi pour une coordination des entreprises privées, pour un appel à l'expansion ou à la contraction, à une modification des territoires, une autorité s'impose, une force de direction, de sanction, d'obligation qui oblige les récalcitrants à entrer dans le jeu. Cette autorité au lieu de procéder par décrets, résolutions, ordres en conseil, fera appel à des éléments nouveaux, étrangers à la force tels que : la programmation libre, la participation des intéressés, la force logique des renseignements et des connaissances et les stimulants de la vie économique. L'homme d'affaires aujourd'hui à la merci des marchés des concurrents, des substituts et du chômage n'hésiterait pas à faire partie d'une programmation libre, d'un ordonnancement des activités qui permettra à chacun non seulement de vivre, mais de mieux vivre.

[371]

La programmation indicative ne s'impose pas au nom d'un dictateur ; elle respecte la liberté du patron, les choix des consommateurs, la liberté du producteur ; elle procède par contrat libre dans ses activités, dans la nature et le volume du placement. La programmation qui part d'en bas, des intéressés eux-mêmes, et qui se distingue de la programmation soviétique par l'esprit d'équipe, la participation active des corps professionnels, syndicats ouvriers, associations patronales. Chambre de Commerce, etc., amène les intéressés à entrer dans le jeu par l'influence positive des renseignements et la force des stimulants. C'est une chambre d'informations, un centre de confrontation de projets. Il est vrai que pour un bon nombre, la réalisation du plan ne découlera pas d'un acte de foi mais d'un acte de salut personnel : il vaut la peine d'entrer dans le jeu. Pour aider la nature humaine à ne pas tricher, biaiser, s'évader, l'État offre des stimulants comme des dégrèvements fiscaux, accès prioritaires au crédit, bonifications d'intérêt, primes d'équipement, facilités de crédit, exemptions d'impôts, prêts à taux préférentiels.

La planification incitative jumelée à la planification indicative est une forme d'organisation libre et collective des activités économiques d'une région ou d'un pays par une utilisation optima des ressources matérielles humaines en vue du plein emploi et de la prospérité sociale.

La planification dominante est un ordonnancement de l'économie qui se dégage d'un ensemble de renseignements et de statistiques mais qui exige l'entrée au jeu et le respect des règles. Elles est indicative au point de départ, mais impérative au point d'arrivée v.g. la planification française de 1946 en vient en 1964 à planifier les revenus, à déterminer les salaires.

Or, pour restructurer son économie, le Québec devrait recourir selon les besoins à la planification indicative, incitative, parfois impérative et dans certains cas à la planification dominante.

Cette planification devra porter sur deux plans parallèles :

a) celui de l'État qui comprendrait :

- le secteur nationalisé
- le secteur des régies mixtes
- le secteur du contrôle de certains revenus
- le secteur du contrôle de certains prix

[372]

b) celui de l'entreprise libre qui comprendrait :

- la planification globale incitative
- la planification par les corps professionnels ou intermédiaires
- la planification par les coopératives.

Tableau I
Autodétermination économique du Québec

LE SECTEUR D'ÉTAT

LE SECTEUR LIBRE

Entreprises nationalisées

Planification globale

Hydro-Québec

- matrices industrielles

Régie des Alcools

- consommation investissement

Ressources naturelles

- développement

Complexes sidérurgiques

Planification par des corps intermédiaires

Certains monopoles

- industrie

Régies mixtes

- agriculture

Société générale de Financement

- commerce

Certains hôpitaux

- services

Certaines institutions

- finance

Contrôle de certains revenus

- professions

Fonctionnaires provinciaux

Planification par les coopératives

Professeurs     - primaires

- crédit

                       - secondaires

- production

                       - techniques

- habitation

                       - universitaires

- assurances

Employés d'hôpitaux

- consommation

Contrôle de certains prix

- agriculture

Lait, sucre d'érable

- services

Transport, etc...



1. Plan du secteur d'État

En examinant la situation économique du Québec, l'on reste frappé par l'augmentation croissante des activités économiques qui [373] entrent sous le contrôle du gouvernement. Dans ce secteur d'État, il faut distinguer quatre types d'activités :

a) le secteur des entreprises nationalisées

C'est un secteur où le transfert de la propriété des moyens de production passe au gouvernement. La personnalité de l'exploitation est distincte de celle de l'État mais les administrateurs sont nommés par le gouvernement. Ainsi la nationalisation de la "Montreal Light Heat and Power" et tout récemment celle de la Shawinigan Water and Power ont constitué l'Hydro-Québec. À cette entreprise nationalisée, ajoutons la Régie dey Ligueurs du Québec et bientôt le complexe sidérurgique. Bien plus, si certaines entreprises exercent trop de puissance et font peser sur les consommateurs une dictature économique démesurée, elles pourraient rentrer dans ce secteur public tels que certaines ressources naturelles, certains services publics, certains monopoles de consommation.

b) le secteur des régies mixtes

Ce secteur comprend une forme d'exploitation en vertu de laquelle le capital de l'entreprise appartient en tout ou en partie à des particuliers mais dont la gestion, à cause des fonds publics utilisés, dépend d'une régie autonome, intéressée mais composée aussi de représentants du gouvernement. La possession et la gestion de l'entreprise est mixte. Au Québec, certains hôpitaux, l'Université de Montréal, la Société générale de Financement appartiennent à ce secteur. Le gouvernement, par sa participation financière, exerce une influence sur ces entreprises par la surveillance des budgets, des bilans, des dépenses capitales.

c) le secteur du contrôle de certains revenus

En outre, le gouvernement influence la part des revenus qui vont en traitements et en salaires à différentes catégories de travailleurs :

- aux fonctionnaires provinciaux ;

- en vertu de la loi sur l'éducation à tous les professeurs de l'enseignement primaire, secondaire, technique et universitaire ;

- à tous les employés d'hôpitaux, médecins, techniciens, gardes-malades, manoeuvres, etc. parce que le gouvernement doit approuver les budgets des institutions qui recourent à lui pour les subsides.

[374]

d) le secteur des prix contrôlés

Le gouvernement provincial, dans le but d'éviter des abus dans la manipulation des prix, a établi la Commission du transport, celle du lait, celle du sucre d'érable.

Quiconque évaluerait la quantité des capitaux, de main-d'œuvre, les salaires et les investissements publics et sociaux que le gouvernement du Québec tient sous sa juridiction et son emprise, s'étonnerait de ce glissement vers le socialisme. D'où l'importance de protéger le secteur libre des activités économiques. Trop souvent, hélas ! les partisans du libéralisme économique sont responsables de l'envahissement de l'activité économique par le gouvernement.


2. Le plan du secteur libre

Les piliers fondamentaux sur lesquels repose l'économie contemporaine sont la propriété privée, l'entreprise, l'intérêt personnel, la concurrence et le marché. Ils supposent la liberté personnelle, la liberté des contrats, la libre disposition des biens, l'auto-détermination dans les décisions, la responsabilité et l'initiative économique. Toutefois, de cette liberté ou de cette libre concurrence, on ne peut attendre l'avènement d'un régime économique bien ordonné. Un ordonnancement des parties à un tout est essentiel et exige la planification en respectant les droits et les libertés démocratiques. C'est pourquoi dans une économie à pluralité de groupes et d'activités, on pourrait recourir à une triple planification : une planification globale, une planification par les corps professionnels, une planification par les coopératives, et coordonner les plans de chacun de ces secteurs pour le bien commun de l'État. Au Québec, cette triple planification s'opère déjà lentement mais sûrement.

a) Planification globale :

La loi du Québec instituant le Conseil d'Orientation Économique du Québec sanctionnée le 22 février 1961, crée d'après l'article 2 « un organisme d'étude, de recherche et de consultation en matière économique », et se donne pour mission « d'élaborer le plan de l'aménagement économique de la province en prévoyant l'utilisation la plus complète de ses ressources matérielles humaines » et de « conseiller [375] le gouvernement, de sa propre initiative ou sur demande, sur toute question économique ».

Il s'agit de planification incitative en favorisant par l'appui d'une aide financière ou autre substitut l'entrée dans le jeu des agents de la vie économique ou encore de planification indicative qui, par la seule présence du plan, entraînerait les intéressés à le suivre plutôt que d'appliquer des formules disparates et suivre une route qui aboutirait à la jungle.

Par cette philosophie, la province, au lieu d'être sujette à la loi de la jungle ou du plus fort, suivra un principe d'ordre, de coordination, d'organisation qui favorisera le primat des valeurs humaines au-dessus des valeurs brutales de rentabilité économique.

Toute planification exige un but, un objectif précis qui est soit l'augmentation du niveau de vie, soit le maximum de croissance économique, soit l'augmentation de l'emploi. Supposons que le but de la planification provinciale serait le plein emploi des milliers de chômeurs du Québec et la reprise de notre économie ; avec pareil objectif, nous buttons à des difficultés, à des contradictions, à des problèmes de réparation qui vont se résoudre plus facilement par l'autorité que par le consentement ou les procédés démocratiques. La plus grave des difficultés soulevée par la Confédération est celle d'une planification intégrale presqu'impossible par le fait que la province ne possède pas les pouvoirs fiscaux, monétaires, et commerciaux qui garantissent le succès de la planification comme dans des pays unifiés tels que la France, la Norvège, la Suède, l'Italie et la Hollande. Malgré ces obstacles du point de départ, le Québec pourrait réussir une planification partielle.

Vu que l'objectif capital d'une économie se propose d'obvier au chômage sans cesse croissant, il importe de dégager les ressources disponibles en biens et en services de la Province de Québec pour les développer au maximum. A cette fin en guise de suggestion, il faudrait partir des comptes nationaux et grâce aux renseignements du Bureau fédéral de la statistique, dégager les sommes globales de la production, des investissements et de la consommation. Ensuite, il faudrait dresser un tableau économique que les économistes appellent une matrice "d'input-output". Ces tableaux en effet peuvent constituer des guides pour la planification à l'exemple de l'expérience française [376] de 1946. Ces tableaux servent à analyser les flux entre les secteurs de l'économie et à préparer les décisions sur l'augmentation ou la diminution de rendement de certains secteurs.

Une fois admis le principe du tableau économique comme instrument de prévision du programme, on peut l'appliquer à chacun des grands secteurs des comptes nationaux, tels que la production, la consommation, l'investissement. Aussi pour la production, nous pourrions utiliser les dix-sept (17) secteurs du B.F.S., [1] les appliquer aux quatorze régions de la province de Québec et dégager les coefficients technologiques ainsi que les cœfficients d'emploi de chaque secteur.

Au point de départ, on se fixe des taux de croissance réalisables, soit 4%, 5% ou 6%. En se servant des comptes nationaux, on fixe comme donnée constante les dépenses publiques (G). Le calcul de la consommation privée est en fonction du produit national brut ; la formation du capital fixe est fonction de la consommation privée et publique et des investissements ; la formation des stocks est fonction de l'excédent de la balance commerciale et aussi fonction du produit national brut.

Une fois ces données établies, on dresse un tableau pour un certain nombre d'entrées. Ici, une difficulté surgit au sujet de l'équilibre des importations et des exportations et celui de la main-d'œuvre. Si la productivité nationale augmente de 4%, 5% ou 6%, la quantité des importations excédera celle des exportations et l'équilibre de main-d'œuvre variera d'une manière inversement proportionnelle. Pour corriger cette anomalie, il faudrait corriger la balance commerciale entière du Canada, sans quoi le calcul provincial serait arbitraire et illusoire. Le Fédéral pourrait hésiter à faire une correction de la balance commerciale en faveur d'une province au détriment d'une autre. Si ce terme du tableau économique n'est pas corrigé, celui de l'équilibre de la main-d'œuvre sera impossible à calculer et l'échafaudage des calculs ultérieurs ne pourra jamais aboutir à l'équilibre. C'est là une objection sérieuse qui fera obstacle au succès de la planification québécoise. D'où la nécessité pour le Québec de réclamer l'autonomie commerciale.

Le deuxième obstacle surgira du calcul du système des prix. Si l'on dresse un tableau de planification basé sur une augmentation de productivité de 4%, 5% ou 6%, il faut éviter l'inflation. Pour y [377] arriver, il faut un contrôle sur la politique monétaire ; il importe que la province ait sa banque centrale. En outre, elle ne pourrait pas se lancer dans les investissements sociaux sans le contrôle fiscal.

Par suite de la structure constitutionnelle du Canada, une planification provinciale serait possible sans ces amendements à la Constitution. Mais alors sur quoi peut porter l'effort de planification pour qu'il soit efficace et de rendement immédiat ? Il devrait porter sur l'orientation de la consommation, le développement de l'industrie régionale, le contrôle des investissements et sur la direction de la croissance économique de la province.

Par orientation de la consommation, il faut entendre que les produits destinés à la consommation au Québec proviennent du Québec. Pour illustrer, prenons deux exemples : les denrées alimentaires vendues par les chaînes de magasins aux consommateurs proviennent dans le cas des « cannages », de la farine, du poisson, de certains fruits de provinces autres que la nôtre. Dans un autre ordre d'idées, les écoles, hôpitaux, universités qui s'élèvent dans la province avec les impôts des contribuables du Québec achètent le matériel mobilier à l'étranger et à d'autres provinces que la nôtre. Une planification dans la récupération de nos achats et ventes pour des sommes qui s'élèvent à plusieurs millions n'aiderait-elle pas à relever nos industries ? Quand on sait que les investissements sociaux s'élèvent à plus d'un milliard dans la province, n'y aurait-il pas là une planification réalisable par la simple récupération des ressources économiques du Québec.

Au sujet du capital, ne faudrait-il pas obliger les étrangers à réinvestir leurs profits au Québec, à exiger comme en France que les Conseils d'administration se composent d'un pourcentage raisonnable de Canadiens français, que le personnel de maîtrise soit en majorité canadien-français comme en plusieurs pays d'Amérique latine ; ne faudrait-il pas activer des relations commerciales avec le marché commun ? Voilà donc une première étape de caractère général. Mais il reste un pas plus important à faire, celui d'organiser l'économie du Québec par l'organisation professionnelle. Celle-ci servirait de guide à la planification globale.

b) Planification par l'organisation professionnelle :

C'est une structure de l'économie libre qui repose sur les groupements professionnels. On l'appelle tantôt organisation professionnel [378] le, organisation corporative, tantôt économie des corps intermédiaires ou économie pluraliste. Ici, l'opposition de certains économistes ressort du fait de l'incompatibilité de l'économie corporative avec l'économie libre.

Quelques-uns considèrent l'organisation corporative comme une intéressante tentative pour apporter une solution au problème de la restauration sociale, mais ils la croient utopique et sans prise sur le monde économique actuel. En 1936 la presque unanimité des participants au congrès des économistes de langue française s'est prononcée contre le système. L'économiste Jean Marchal, dans son cours, formule clairement son opposition au régime : « Cette solution qui a connu une indéniable vogue aux alentours de 1930 paraît avoir peu de chances de s'imposer » dit-il, parce que, d'après lui, elle se heurte à deux obstacles majeurs : l'un d'ordre structural. L'auteur suppose, à tort, que le capitalisme moléculaire disparaît, par un texte de loi, pour faire place au régime corporatif. De plus, ce nouveau régime présente, du point de vue de son fonctionnement, une lacune très grave : l'égoïsme corporatif. « Personne n'a jamais prétendu, dit Marchal, que du choc des mêmes intérêts groupés résulte nécessairement le bien commun ».

Plusieurs économistes ont abondé dans le même sens. En général, les spécialistes sont opposés au corporatisme d'État, mais bon nombre, à la suite de G. Pirou et L. Baudin, admettent que ce corporatisme n'a jamais pu être réalisé. Quelques sociologues venus de l'étranger pour enseigner dans nos universités ont exprimé la même hésitation sur l'esprit pratique de cette réforme sociale. Leur pensée a été suivie par certains professeurs du Québec. Par contre, tout un groupe d'économistes catholiques ont défendu le corporatisme d'association. En Belgique, Charles Périn en fut le précurseur méconnu ; Victor Brandts, dès 1886, avait recommandé la constitution de syndicats mixtes de patrons et d'ouvriers, comme première étape dans la voie de l'organisation professionnelle. Suivirent Vogelsang, Ketteler, Mermillod, Descurtins et G. Hellepute. Le Fondateur de l'A.P.I.C., George Theunis, et le grand chef ouvrier H. Pauwells de Belgique, abondèrent dans l'attitude du cardinal Mercier qui affirmait que « seule la réorganisation corporative neutralisera les antagonismes de classes ».

[379]

En ce moment, nous assistons à une décadence du capitalisme qui doit céder la place à un régime nouveau et constructif. Ni le bolchévisme ni le socialisme n'offrent de solution acceptable. « Mais où donc faudra-t-il la trouver ? s'écrie le grand économiste des temps modernes, M. J.A. Schumpeter. Il faudra recourir à l'organisme corporatif tel que préconisé dans Quadragesimo anno. Il n'appartient pas à l'économiste de faire l'éloge du message moral du Pape. Mais il lui est permis d'en dégager une doctrine économique. Cette doctrine ne fait pas appel à des théories hasardeuses ; elle ne repose pas sur des prétendues tendances inexistantes. Elle reconnaît tous les faits de l'économie moderne, tout en portant remède à l'initiative privée dans un cadre nouveau. Le principe corporatif organise, mais il n'enrégimente pas. Il s'oppose à tout système social à tendance centralisatrice et à toute enrégimentation bureaucratique ; il est, en effet, le seul moyen de rendre impossible cette dernière. »


« Cependant, d'excellents hommes dont les consciences sont pleinement ouvertes au message de Pie XI n'y voient que la vision d'un idéal. Mais le Pape ne parlait pas des nuages. Il nous montrait une méthode pratique pour la solution de problèmes pratiques et d'urgence immédiate. Ce sont précisément les problèmes qui, par l'impuissance du libéralisme économique à les résoudre, appellent l'intervention du pouvoir politique. Pour n'en donner qu'un exemple, demandons-nous ce qui se passe dans une dépression. L'entreprise A ne peut pas travailler, parce que l'entreprise B ne travaille pas ; B ne le peut pas parce que C se trouve dans l'impossibilité de produire et ainsi de suite. Aucune entreprise ne peut, par son action politique individuelle, briser ce cercle vicieux. D'où retraite de l'industrie entière, retraite qui ne finit que trop aisément dans la déroute qui menace toutes les entreprises et dont les ouvriers sont les victimes. Mais l'action corporative des associations professionnelles, par le fait même qu'elle garantit à toute entreprise individuelle qu'elle ne sera pas la seule à s'avancer, que par conséquent, elle trouvera dans la production des autres la demande de ses produits, en est le remède le plus naturel. Il s'ensuit que le corporatisme d'association éliminerait le plus sérieux des obstacles qui s'opposent à la coopération paisible entre ouvrier et patron. Dans le monde économique stabilisé par l'action corporative, l'idée du salaire annuel ne se heurterait plus à des difficultés insurmontables et n'imposerait plus de risques intolérables à personne. » (Schumpeter).


[380]

Devant cette affirmation écrasante du plus puissant économiste des temps modernes, au simple point de vue scientifique, il serait désormais puéril pour les économistes de croire que l'enseignement des Papes vient des 'nuages'. Dès 1940, Schumpeter avait manifesté un vif intérêt à l'élaboration d'une théorie économique de l'organisation corporative, parce que, dans sa vision de l'histoire, il observait le sinistre craquement du capitalisme actuel. Il fallait une fois pour toutes sortir de l'ornière du libéralisme.

Parmi les économistes qui tout récemment ont pris position en faveur de l'organisation corporative, mentionnons entre autres : J. Schumpeter, F. Perroux, E. Duthoit, Oswald Nell-Breuning s.j., G. Gundlach s.j., Henri Culman, Henry Sommerville, B.W. Dempsy s.j., Joseph Solterer, G. Briefs, puis au Québec, François-Albert Angers et Esdras Minville. D'où la nécessité d'élaborer la thèse de l'organisation professionnelle même au risque d'imposer au lecteur des développements qui alourdissent et allongent le texte.

Que faut-il entendre par une économie de groupes ?

C'est une organisation économique et sociale de la société où les groupements professionnels (ordines, ordres) en vertu du principe de subsidiarité, constituent les organes institutionnels, démocratiques, légalement reconnus qui, en vertu de leur action conjointe, concourent à une meilleure distribution des ressources économiques, à une croissance normale de l'économie et au bien-être de la société. Nous sommes loin de la formule d'un Laski, d'un Figgins, d'un Studenski ou d'un Galbraith. Tous admettent la pluralité des groupes, mais il leur manque l'idée d'intégration raisonnée et raisonnable. Pour les uns, elle se fait par la lutte des puissances, pour les autres par la guerre des classes, et pour quelques-uns par le procédé de destruction et de création. A chacune de ces théories manque la finalité.

Cette finalité dépend en tout premier lieu de l'ordre qui comporte à la fois unité et pluralité. « L'ordre, dit Pie XI, résulte de l'unité &objets divers harmonieusement disposés. Le corps social ne sera vraiment ordonné que si une véritable unité relie solidement entre eux tous les membres qui le constitue ». Voilà le fondement même du corporatisme social à savoir : l'unité d'un groupement professionnel et l'unité d'une société.

[381]

Ces groupements professionnels constituent des petites communautés, sociétés ou associations, telles qu'on les rencontre chez les avocats, les médecins, les ingénieurs, les architectes, les banquiers, les hommes de métiers et les travailleurs d'une industrie. La nature du groupe ne dépend pas d'une simple agglomération ou juxtaposition d'individus de même fonction, mais d'un lien vivant découlant de l'exercice de la même profession ou du même métier. Et ce lien revêt un caractère de permanence : ces hommes ne remplissent pas leur tâche à l'occasion ou en passant, mais d'une manière permanente, par vocation. D'où découle l'expression anglaise "vocational groups".

Cet ordre pluraliste comporte donc une intégration dynamique des individus au groupe et des groupes à l'unité de la société. L'ordre pluraliste ne comporte pas que des problèmes économiques mais avant tout des problèmes humains et sociaux. Si nous soulignons davantage l'aspect économique du corporatisme, c'est à cause de la pression du marché de travail qui constitue le centre de la société moderne. L'ordre pluraliste repose sur une communauté de professions et de réalisations tandis que l'ordre de l'économie libérale repose sur la puissance des classes.

Il n'est pas nécessaire ici de définir les lignes de démarcation entre les différentes professions. Déjà, nous avons une classification des professions, des métiers et des occupations qui peut changer sous l'influence des progrès de la science et de l'industrie, comme l'atteste l'épineux problème de juridictions syndicales. Plusieurs fonctions ne sont pas clairement définies : elles ont des ramifications jusque dans l'industrie, tels les comptables, les publicistes. D'ailleurs une classification précise ne s'impose pas ici.

Le principe qui doit nous guider sera la fonction, la spécialité, la profession ou le métier et le principe d'union se trouvera « pour chaque profession dans la production des biens ou la prestation des services qui vise l'activité combinée des patrons et des ouvriers qui la constituent » (Pie XI). La raison d'être de ces groupes d'après certains économistes, dépend de leur puissance et de leur pouvoir économique ; pour nous elle dépend de la communauté de tâche et de travail.

Ce groupement professionnel implique trois éléments essentiels :

a) l'unité ;
b) le dynamisme fonctionnel ;
c) l'intégration économique et sociale :

[382]


a) L'unité de l'ordre social repose sur l'unité du groupement professionnel, l'unité des groupements professionnels intégrés entre eux et l'unité de la société. Cet axe exercera sa puissance de traction à des degrés divers, Il amènera l'individu par exemple, à collaborer au bien de son groupe par l'action individuelle v.g. un service, l'exercice d'une même profession ou d'un même métier. Si la finalité du groupe guide les actes des individus, tout le groupe travaillera en accord. Et plus le bien du groupe sert de mobile à l'activité de ses membres, plus l'harmonie sera parfaite et les liens qui unissent les membres au groupe seront plus forts.


En ce qui concerne les groupes eux-mêmes et la société entière, l'axe exercera sa puissance de traction par le bien commun de la société qui se dégagera de la convergence vivante de tous les groupements professionnels. Plus ce pôle d'attraction exercera de puissance, plus l'union qui relie les différents groupes pour la cause commune deviendra forte. Cette puissance d'attraction ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des hommes, mais aussi sur la nécessité économique. Partout où des hommes se réunissent en vue d'une tâche commune, la fin même pour laquelle ils se mettent ensemble exerce une influence d'unification déterminée non par philanthropie ou sens social mais par la nécessité et par les pressions économiques. C'est ce qui constitue une différence essentielle entre un groupement professionnel et un groupement d'intérêts.

Dans un groupement d'intérêts, des associés peuvent avoir des intérêts parallèles mais qui ne postulent pas d'action commune. Une communauté professionnelle exige en vertu de la similitude des fonctions, une unité d'action et une combinaison de fonctions. Si trois hommes retirent une voiture du fossé, ce geste par lui-même les unit dans leur activité. Il se peut qu'il eût fallu faire appel à leur bonne volonté au début, mais une fois lancés, leur action exerce sur eux une influence d'unification. On observe le même phénomène dans n'importe quelle corvée.

Si l'on compare maintenant les groupements du régime capitaliste avec les groupements qui reposent sur une similitude d'action, de devoir ou de fonction, on comprend pourquoi ceux-ci ont une unité interne beaucoup plus forte que les précédents dont la structure repose unique [383] ment sur l'intérêt économique. Le groupement du régime capitaliste repose sur une lutte de classes i.e. une association tend à dominer l'autre tandis que l'association professionnelle de l'économie pluraliste repose sur la coordination pacifique des groupements entre eux. L'association professionnelle du régime capitaliste lutte sur le marché du travail par le pouvoir, le crédit qu'elle commande, l'association professionnelle de l'économie pluraliste repose sur la tâche, la fonction et la réalisation commune. La première, l'État lui-même par ses lois, ne peut la contenir, la seconde l'État ne fait que la seconder dans son action. Sa force est dans la finalité même de la société.


b) Le dynamisme fonctionnel. Comment assurer des relations économiques normales entre les individus, le groupe et les groupes entre eux quand le mobile de toute activité économique est l'intérêt personnel et l'intérêt du groupe ? Les échanges, les prix, les marchés dépendent tous de décisions économiques individuelles. Dès lors, n'y aura-t-il pas danger de lutte, de mésentente, de concurrence effrénée et de dictature économique ?


Tout d'abord, examinons d'un peu plus près la notion d'intérêt qui constitue le mobile de l'activité économique. Elle est la pierre d'achoppement des économistes ; quand un groupe agit pour son intérêt, on peut être sûr que dans une certaine mesure, il nuira à l'intérêt général. Le professeur H. Chamberlin de Harvard affirmait récemment qu'il n'est pas facile de démontrer l'harmonie entre l'intérêt individuel et social. Est-ce que ce qui est bon pour un puissant monopole est bon pour le pays tout entier ?

Il convient de distinguer soigneusement entre l'intérêt individuel, l'intérêt commun, l'intérêt collectif, l'intérêt général et l'intérêt de l'État.

Par intérêt individuel, entendons l'utilité que l'individu recherche par toute décision ou action économique. C'est le point de départ de la science économique qui est une science de choix et de décisions. Qu'on relise tous les traités sur la notion d'utilité et de la valeur, l'intérêt individuel compose la cédule de l'offre et de la demande qui sert de base à l'analyse économique.

L'intérêt commun représente la somme totale des intérêts individuels d'un groupe d'hommes. Bref la courbe de l'offre globale et de la [384] demande globale représente l'addition de chacune des courbes d'offre et de demande pour chaque individu.

Si des individus se groupent ensemble et constituent une personne morale distincte d'eux-mêmes, cette collectivité éprouve dès lors des intérêts distincts des personnes qui la constituent, ce que nous appelons l'intérêt collectif. Ainsi les intérêts de General Motors peuvent exiger que les réserves augmentent et que pour un certain temps, il n'y ait pas de déclaration de dividendes. Chaque actionnaire s'il poursuit son intérêt individuel préfère recevoir ses dividendes et l'intérêt commun d'un grand nombre d'actionnaires exige la distribution des dividendes.

Mais l'intérêt de la collectivité, distinct de l'intérêt individuel et de l'intérêt commun, exige un sacrifice parce que celle-ci dotée d'une autonomie, d'une vie, d'un dynamisme en propre tend à se développer selon ses lois, ses exigences et non selon celles des individus. Ainsi la notion d'intérêt collectif s'applique à un syndicat de patrons, à un syndicat d'ouvriers, à une société moderne.

Si une collectivité dépasse les cadres d'un groupe, d'une industrie, si elle est nationale, alors on parlera d'intérêt général d'un pays, d'une nation. Cet intérêt est distinct de l'intérêt individuel, de l'intérêt commun et collectif. Il faut distinguer cet intérêt général de l'intérêt de l'Êtat qui est chargé de concevoir, d'exprimer et de réaliser l'intérêt général.

En guise de récapitulation, disons que l'intérêt particulier d'un manufacturier de chaussures est de travailler au plein rendement de sa capacité de production. L'intérêt commun des manufacturiers de chaussures exige que dans le cas où chacun ne peut donner son maximum de rendement que l'on ramène chaque manufacturier à la même proportion de travail que celle de chacun de ses collègues.

L'intérêt collectif de la profession envisagée comme un tout doté d'une vie propre et assumant une fonction économique déterminée aura pour objectif de contribuer au rendement maximum de l'industrie. Il pourrait arriver que dans certains cas, l'intérêt général exige l'importation du produit plutôt que sa production au pays. Ainsi pour protéger l'industrie laitière, l'État dût, au Québec, interdire la production de la margarine et des succédanés du beurre.

Le principe qui doit nous guider est celui de la coordination hiérarchique des intérêts : ceux du groupe, ceux de l'individu, ceux de la société ou des groupements. L'association professionnelle n'a pas [385] pour but d'absorber les intérêts des particuliers mais de les contenir, elle n'a pas non plus pour objectif de concentrer ses efforts sur les siens propres au détriment de la société. Autrement, elle deviendrait un monopole aussi dangereux que les monopoles du régime capitaliste. Les groupements professionnels doivent concourir au bien de la société en tant que partie intégrante de la société et chaque individu doit concourir au bien de son groupe.


c) L'intégration économique. L'intégration des associations professionnelles se réalisera par la liberté, l'autonomie, l'incorporation légale et le principe de subsidiarité. Les conditions ne sont pas strictement économiques, mais elles sont essentielles à une intégration économique.


Dans la société d'aujourd'hui, l'homme fait face immédiatement à l'État. La société lui apparaît comme réalité lointaine, distante, sans âme, irréelle et sans relation avec lui. L'association ou le groupement professionnel au contraire le met dans un cadre vivant, personnel, bien à lui où évolue sa vie de tous les jours. Elle entre en contact direct avec l'homme, elle lui apporte les éléments qui serviront à son développement. La liberté qui reste toujours la condition fondamentale de l'ordre social y trouve son plein et entier épanouissement. Le groupe rend l'homme plus libre, l'empêche d'être absorbé immédiatement par l'État et l'aide à mieux remplir sa tâche pour le bien du groupe et de la société elle-même. Nous aurons une véritable société au jour ou les puissances libres auront été coordonnées et intégrées dans l'ordre. Même l'autorité de l'État présuppose la soumission, la collaboration libre des citoyens. Une autorité qui agirait uniquement par la force serait mécanique, inorganique et contraire à la vie. Dans une société organisée, l'organisation professionnelle est la meilleure protection de la liberté de ses membres. Elle demeurera la source de l'initiative et de la responsabilité personnelle.

L'association professionnelle, tout en sauvegardant la liberté empêche l'individu de tomber dans la licence ou les excès. Cette sage combinaison de liberté et de contrainte est précisément ce qui protège l'individu contre l'individualisme ou contre toute forme de collectivisme. Encore faut-il une véritable association professionnelle, sans quoi elle peut dégénérer en cartel ou instrument de collectivisme ou de socialisation.

[386]

Une autre condition pour que les groupes soient intégrés dans l'économie exige l'autonomie et l'auto-détermination. L'association professionnelle est une cellule de la société. C'est une société naturelle dont l'existence et les droits ne dérivent pas de l'État. « Les sociétés privées, dit Léon XIII, n'ont d'existence qu'au sein de la société civile, dont elles sont comme autant de parties. Il ne s'ensuit pas, cependant... qu'il soit au pouvoir de l'État de leur dénier l'existence. Le droit à l'existence leur a été octroyé par la nature elle-même et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l'anéantir ».

En conséquence, le principe de subsidiarité doit régir les relations entre l'État et les associations professionnelles. Ceci veut dire que celles-ci doivent s'administrer elles-mêmes du moment qu'elles ne viennent pas renverser l'ordre social ou violer les principes du droit naturel. Elles rédigent leurs règlements, déterminent les modes de leur action et les cadres de l'organisation. Les sociétés privées qui se constituent au sein de la société publique « tirent leur origine de la naturelle sociabilité de l'homme » (Léon XIII). Elles ont donc le pouvoir de se régir, de s'administrer, d'évoluer « en vue de l'utilité particulière exclusive de leurs membres ». L'État peut seconder cette activité privée et lui donner force de loi comme dans le cas des conventions collectives avec extension. C'est à l'État de surveiller, de contenir et de voir à ce que l'action d'une association ne nuise pas au bien de la société. Ce point est d'autant plus important que l'arrière plan du capitalisme actuel constitue une tendance à la division et à la lutte des classes ainsi qu'à la course au pouvoir. Toute action paritaire ou conjointe au moyen de comité ou de tribunaux d'arbitrage doit aboutir à des décisions qui résultent souvent - à cause de la structure capitaliste - de la force ou de la supériorité d'un groupe sur un autre.

À tout événement, toute décision qui concerne un groupe ou une association doit relever de la compétence des membres du groupe. Est-ce à dire que dans l'organisation corporative les intérêts des groupes disparaîtront ? Non, loin de là ! Tant qu'il y aura des hommes, il y aura des divisions, des luttes tout autant que dans le régime capitaliste actuel.

Les intérêts « in se » n'ont rien de mauvais en eux-mêmes. Ce qui est mauvais c'est d'organiser toute une société sur la base des conflits d'intérêts plutôt que sur la base de collaboration commune. Dans la [387] société capitaliste, les plus grandes puissances qui ont fait triompher leurs intérêts sont devenues des puissances de droit public. Dans une société organisée, dans une économie pluraliste, les organisations d'intérêts sont limitées à la sphère du droit privé et ne doivent pas s'imposer connue puissance de droit public.

Pourquoi alors faire de cette société privée une institution de droit public ? Si elle renferme en elle-même sa raison d'être, son existence, son principe d'action, pourquoi lui apposer un caractère de droit public ? C'est tout simplement pour assurer la coordination des groupes et la simultanéité d'action en vue du bien commun de la société.

Ce caractère impliquerait une juridiction avec sanction conditionnée par la fin même de la société ; cette juridiction quoiqu'investie par l'État aurait son fondement naturel sur les groupements eux-mêmes, cette juridiction serait obligatoire et serait partie intégrante du nouvel ordre social. L'État aurait toujours son droit de surveillance pour éviter la lutte des groupes entre eux.

Pour éviter l'ingérence indue, l'État devrait respecter le principe de subsidiarité : il ne doit pas absorber des fonctions qui peuvent être remplies par des groupements inférieurs, sans quoi, il se substitue peu à peu à l'initiative privée et étend son influence bureaucratique sur les groupes pour les mettre au service de fins politiques particulières plutôt que de contribuer à l'avènement d'un meilleur équilibre social. Ainsi l'État s'élève au-dessus des querelles d'intérêts et conserve son rôle de gardien du bien commun. Il doit se limiter à aider, stimuler, surveiller et au besoin contraindre mais non remplacer ou conduire.


« De même en effet, que ceux que rapprochent des relations de voisinage en viennent à constituer des cités, ainsi la nature incline les membres d'un même métier ou d'une même profession, quelle qu'elle soit, à créer des groupements corporatifs, si bien que beaucoup considèrent de tels groupements comme des organes sinon essentiels, du moins naturels dans la société » (Pie XI). « De ce qui précède, on conclura sans peine qu'au sein de ces groupements corporatifs, la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ; entre tous, le plus important est de veiller à ce que l'activité collective s'oriente toujours vers le bien commun de la société » (Quadragesimo anno).

[388]

Interprétations fautives de l'organisation professionnelle :

Cette économie pluraliste a créé une certaine confusion chez les économistes et a provoqué des erreurs d'interprétation qu'il faut éviter à tout prix pour ne pas tomber dans une fausse orientation de l'économie. Il n'est pas du tout question ici de relever les interprétations politiques du corporatisme. Le débat est classé : aucun économiste n'accepte le corporatisme d'État. Les divisions surgissent dans l'interprétation même de l'économie pluraliste.

Nous pouvons partager ces erreurs en quatre classes :

- la conception médiévale du corporatisme
- la théorie de la parité des groupes
- la théorie du cartel
- la théorie de la planification centrale.


Il est clair que tous les catholiques sociaux regrettent la disparition des corporations du Moyen Âge. En dépit du fait que ce corporatisme s'est détruit par ses propres erreurs, il a laissé deux idées de grande importance à la société d'aujourd'hui. La première : l'exercice d'une profession ou d'un métier ne peut être laissé à l'arbitraire des individus qui ne recherchent que le profit personnel. Une certaine direction s'impose et l'organisme tout désigné pour l'assurer est l'association professionnelle elle-même. La seconde : l'association professionnelle ou dans ce cas, la corporation, est ni capitaliste ni anti-capitaliste. Ses relations au capitalisme sont indifférentes. Tout comme elle s'oppose à un état totalitaire, aussi elle s'oppose à un système capitaliste vicié par le monopole ou la dictature économique. Le régime corporatif est compatible à un capitalisme ordonné et purifié. Il ne s'oppose pas a un régime où il y a séparation du capital et du travail.

Une autre fausse interprétation de l'organisme corporatif a trait à une théorie de la représentation paritaire. Celle-ci relève particulièrement de la tendance de certains économistes et sociologues à identifier l'organisation corporative avec les régimes paritaires ou conjoints. Ainsi aux États-Unis, une école de sociologues propose les conseils d'industrie comme cellules de base de l'ordre nouveau. En somme, la structure de la société repose sur le marché du travail par l'union des travailleurs et des patrons en corps professionnels paritaires. Ainsi dans chaque industrie, une association patronale et une association ouvrière s'unissent de part et d'autre et se constituent en corps public, appelé corporation.

[389]

Que vaut la représentation paritaire dans la structure capitaliste actuelle ?

Une représentation paritaire maintient toujours les deux classes en lutte. Cette formule paraît inapte et inadéquate à dépasser le marché du travail. Avec le marché du travail comme terrain d'entente, il reste toujours la subordination du travailleur aux conditions économiques. La formule doit donc dépasser le marché du travail. D'où la nécessité de recourir à des ordres ou 'professions' qui groupent les hommes non pas d'après la position qu'ils occupent sur le marché du travail mais d'après les différentes branches de l'activité sociale auxquelles ils se rattachent. Une société qui repose sur le marché du travail est une société qui repose sur des principes de force. Nous ne rejetons pas le fait que les institutions basées sur la représentation paritaire préparent les voies à une saine économie pluraliste et à une saine organisation professionnelle. Mais il existe une marge entre une voie et l'objectif qui est à son terme. Ce n'est pas le lieu ici de critiquer les sociologues catholiques qui poussent de l'avant la représentation paritaire par les conseils d'entreprises. Il suffirait d'apporter ici quelques correctifs à l'orientation de ce mouvement.

Reste maintenant l'objection des adversaires les plus acharnés : le corporatisme pour eux est une réglementation des marchés, une forme de cartel, une sorte de contrôle de l'économie par les patrons et les ouvriers. Ici, on rejoint l'objection de J. Marchal à savoir que du choc des mêmes intérêts groupés, on retrouve le bien véritable. Sans aucun doute, l'association professionnelle pourrait aboutir à l'égoïsme corporatif, si elle n'était pas régie par un code de morale professionnelle. Est-ce une raison alors pour répudier le régime ? Nous sommes plutôt portés à croire que l'individu sera moins tenté de mettre son intérêt personnel au-dessus de celui de la profession à cause du cadre dans lequel il agit. D'ailleurs quel régime social pourrait survivre sans la conscience des hommes ? Le régime libéral avec ses harmonies entre l'intérêt personnel et celui de la société a fait faillite et dans un régime collectiviste, toute forme de contrôle ne fait qu'aggraver le conflit entre l'intérêt personnel et celui de l'État central au point de détruire tout standard moral. Qu'on se rappelle les formes infinies du marché noir dans les pays socialistes. Nous pouvons affirmer que même si le corporatisme social ne peut réussir sans responsabilité ou conduite morale, c'est encore la forme économique la plus accessible et réalisable en tenant compte des erreurs et de la faiblesse humaine. Elle ne [390] demande pas de l'héroïsme, mais seulement une petite dose de bonne volonté et de courage moral.

Une autre objection que l'on porte contre le corporatisme est la suivante : le corporatisme est une forme d'État central qui dirige la production, le marché, les prix. Dans l'État socialiste, le gouvernement agit lui-même et directement sur ces secteurs de l'économie ; dans le corporatisme c'est le même État qui agit mais en diffusant son autorité par les canaux des corporations ou des ordres. En somme, c'est une planification camouflée de l'État qui, par les 'ordres' ou les 'professions' se tient très près de ses victimes.

Si les Encycliques sociales s'opposent à l'économie centralisée, elles défendent l'idée d'une certaine orientation de l'économie. Ce qui veut dire qu'elles défendent la restauration d'un principe directeur : « Il est absolument nécessaire, dit Pie XI, de replacer la vie économique sous la loi d'un principe directeur ». Ce n'est pas à la libre concurrence, ni à la dictature économique qu'il faut recourir. C'est donc à des principes supérieurs et plus nobles qu'il faut demander de gouverner avec une sévère intégrité ces puissances économiques, c'est-à-dire à la justice et à la charité sociales ». Le justice doit pénétrer les institutions et son efficacité doit se manifester par la création d'un ordre juridique et social qui informe en quelque sorte toute la vie économique et la charité doit être l'âme de cet ordre. Voilà la directive générale qui doit venir d'en haut. Mais les décisions concrètes, les modes d'application doivent être fixés par les groupes eux-mêmes, en dehors de toute pression politique. Voilà l'affaire des groupements inférieurs. Il n'est pas question d'élaborer une planification centrale qui détermine la production, les prix ou les marchés. Un état doit libérer un peuple de chaînes socialistes. Il faut que l'économie reprenne son dynamisme et ses ressorts. L'organisation professionnelle n'est pas une économie dirigée, contrôlée : elle favorise une économie libre, une économie de responsabilité et d'initiative, tout en évitant la licence, l'arbitraire ou le "free for all".

L'organisation professionnelle n'a pas pour but de réorganiser la société en une structure verticale plutôt qu'horizontale : elle cherche surtout à dépasser la structure des classes. En conséquence, le corporatisme n'est pas une structure politique au sens fasciste, ce n'est pas une réorganisation de l'économie sur une base paritaire, ni un cartel, ni une [391] économie centralisée par un camouflage de diffusion de l'autorité centrale.

Hélas ! trop d'économistes, de sociologues ont faussé la notion des ordres. Pour en bien comprendre le sens, relisons Pie XI : « Mais, comme les habitants d'une cité ont coutume de créer aux fins les plus diverses des associations auxquelles il est loisible à chacun de donner ou de refuser son nom, ainsi les personnes qui exercent la même profession gardent la faculté de s'associer librement en vue de certains objets qui, d'une manière quelconque, se rapportent à cette profession. Comme ces libres associations ont été clairement et exactement décrites par notre illustre Prédécesseur, il suffira d'insister sur un point : l'homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d'ordre et de droit privé, mais encore de leur donner les statuts et le règlement qui paraissent les plus appropriés au but poursuivi » (Q.A.).

Fonctions économiques des groupes :

Parmi les fonctions, mentionnons les suivantes


a) la fonction de représentation suppose une personne physique et morale chargée d'exprimer les besoins de la profession. Cette personne peut être désignée par l'autorité publique ou le suffrage universel.

b) la fonction de direction « peut être définie comme la prévision des états futurs qualitatifs et quantitatifs de la profession, l'élaboration des politiques propres à les réaliser et l'application de ces politiques ». [2] La profession n'est pas immuable. Les forces dynamiques de son évolution sont multiples : le progrès technique, la substitution des produits, le volume total du chiffre d'affaires, les fluctuations du chiffre de la population, les variations de sa composition par classes d'âge, le développement de l'énergie atomique et nucléaire et ses répercussions sur la production industrielle constituent un réseau d'influences qui peuvent nuire à la profession ou la fortifier. D'où la nécessité d'une direction qui corrige les données, se renseigne sur les faits, en prévoie les répercussions sur la profession.

[392]

Direction stable, continue, qui ne change pas avec les partis au pouvoir et qui évolue non en une superstructure de trusts économiques mais dans le sens de l'intérêt général de la profession et de la nation. Il est clair que cette fonction de direction se distingue de la fonction de gestion. La première s'occupe de politique, de directives générales ; la seconde est caractérisée par la technicité. La direction ressemble à un état-major d'armée qu'aucune spécialité n'aveugle et qu'aucun mouvement d'opinion ne trouble dans son jugement.


c) La fonction de gestion met sur pied les services que comporte la gouverne intérieure de la profession organisée. C'est l'aspect administratif de l'organisation professionnelle.

d) La fonction d'organisation coordonne tous les rapports entre les entreprises multiples et différentes cœxistant au sein de la profession dirigée. Celle-ci toutefois présente un caractère interprofessionnel et son action doit s'intégrer dans un cadre qui déborde celui de la profession.


Sur quels secteurs de l'économie l'organisation professionnelle pourra-t-elle exercer dès lors une action efficace, sans être législative ? Mentionnons, entre autres, les relations du travail, la production, les prix et la situation générale de l'économie. Grâce aux conventions collectives et aux comités paritaires du Québec par exemple, l'organisation professionnelle peut exercer une saine influence sur les relations du travail, l'établissement des salaires et des conditions de travail. Cette influence peut être plus étendue que ne le laissent croire les conventions collectives généralisées et particulières. Aussi, par les comités d'entreprises, les ouvriers et les patrons peuvent améliorer les conditions humaines et le rendement des travailleurs. Du côté des salaires, l'étude des taux comparés pour les tâches similaires tend à diminuer les différenciations de salaires et les injustices du zonage géographique.

Faut-il conclure que l'organisation professionnelle doit régir les prix ? Sans entrer dans le détail de cette discussion sur les prix, disons tout de suite que l'organisation professionnelle ne doit pas fixer les prix ; tout au plus peut-elle suggérer une marge de prix minimum et maximum, limites où jouera le prix du marché. Un prix et un salaire ne sont ni justes ni injustes en soi : c'est plutôt la relation entre les prix et les salaires qui influence la détermination du juste prix. Si la loi de l'offre et de la demande ne peut établir l'équilibre des prix et des salaires, [393] il faut donc recourir à des mesures économiques, lesquelles affectent l'ensemble de l'économie. L'organisation professionnelle manquerait son but, si l'industrie A fixait seule ses prix sans que les industries B et C suivent. Ce qui importe, c'est le rapport des prix entre eux. Pour cela, il faut aider le marché où l'équilibre se fait et agir sur les éléments qui déterminent les prix à savoir l'offre et la demande des produits et certains prix de monopole.

L'organisation professionnelle peut tout au plus agir sur les éléments qui déterminent les prix - à la manière de la Commission de contrôle sélectif des prix qu'on eut en 1939. Celle-ci porta son action sur la restriction des quantités de sucre, par exemple, de corps gras et de beurre plutôt que sur une détermination arbitraire de prix.

Faut-il en dire autant de la réglementation de la production ? Les unités de production devraient maintenir leur pleine liberté. Si par hasard, la nécessité économique obligeait les comités paritaires à restreindre la production, ils pourraient s'inspirer des expériences canadiennes du passé. Ainsi, lors de la deuxième guerre, le gouvernement est intervenu pour restreindre la production, contingenter les importations, régler l'écoulement des produits sur le marché, fixer des prix de vente. Dans le Québec, pour éviter les abus, n'avons-nous pas déjà la régie du lait, des alcools, du transport, de l'électricité et des loyers ?

Certaines enquêtes royales ont révélé que les manufacturiers entre eux fixaient les prix de vente aux détaillants, par exemple les meuneries, les charbonnages, l'industrie de la houille en Saskatchewan, le prêt aux pêcheurs dans l'Île-du-Prince-Édouard, le charbon en 1944, l'industrie textile, le lait en Ontario en 1946 et les ressources forestières en Saskatchewan.

L'organisation professionnelle pourrait suggérer à l'État des mesures législatives opportunes, comme d'assurer l'équilibre de la production et de la consommation interne et externe, de fournir réponse aux questions techniques et commerciales, par exemple sur la standardisation des produits, sur le classement et le contrôle des différentes qualités d'un même produit, sur la fixation des conditions de vente, sur l'élaboration de contrats-types. Au besoin, elle verrait au contingentement des matières premières et surveillerait le marché des exportations et des importations. Autant de mesures qui sont de son ressort.

[394]

Quant à la politique générale de l'économie, tous les groupements professionnels représentés par un corps supérieur, pourraient, avec les connaissances sures propres à leurs milieux respectifs, suggérer au pouvoir exécutif les directives à suivre sur l'expansion ou la contraction du crédit, sur la politique fiscale et la taxation, afin d'assurer un niveau plus élevé de l'emploi.


Relations avec l'entreprise et autres groupements professionnels

La crainte d'un bon nombre d'économistes et de sociologues, en ce qui concerne l'organisation professionnelle, provient du fait que cette nouvelle structure absorberait l'entreprise privée, que les syndicats finiraient par disparaître et que l'État deviendrait le grand patron de toutes les unités productives d'un pays. Examinons chacune de ces hypothèses à leur valeur.

L'entreprise libre, par définition, est une combinaison de facteurs économiques, techniques et humains en vue d'une production utile à la société. Elle suppose la propriété des moyens de production, la rentabilité, la comptabilité de prix de revient et le marché concurrentiel. L'organisation professionnelle ne doit pas s'immiscer dans la régie interne, la constitution des budgets et la vérification des plans. Elle pourra influencer l'entreprise soit par l'éducation, soit par les clauses normatives du contrat collectif ou, au besoin, par l'exercice du pouvoir réglementaire, comme nous l'avons pour les congés, l'apprentissage et le contrôle des bordereaux de salaires.

La collaboration syndico-patronale s'étend au domaine social et économique. Le domaine social englobe les relations entre patrons et ouvriers, l'hygiène, la sécurité, les renvois, l'embauchage et le réémbauchage. Dans le domaine économique, les accords dans certains pays attribuent aux comités des fonctions importantes : étude des changements technologiques, réorganisation de l'usine, analyse des bilans, instauration de nouvelles méthodes de fabrication, préparation de programmes de production et de vente, suggestions, accès aux comptes des profits et pertes, examen des rapports de la direction et des vérificateurs.

Les relations de l'organisation professionnelle avec le syndicat restent un sujet très délicat à discuter. Les organismes syndicaux en sont à douter de l'utilité de leur existence dans cette réforme sociale nouvelle. Tout d'abord, disons que le syndicalisme ouvrier est parfaitement [395] compatible avec l'organisation professionnelle. En principe, on peut affirmer que celle-ci n'est que l'achèvement du syndicalisme dans son développement et son objectif. En fait, le syndicat lui est essentiel comme organe constitutif et distinct, comme organe actif et libre.

Le syndicat doit demeurer autonome avec sa charte et son incorporation, sa philosophie et son esprit. Il doit demeurer un organe actif et dynamique dans son organisation et son action syndicale. Il lui incombe de recruter ses membres, de négocier les conventions collectives, de surveiller le marché du travail, la marche économique des affaires et de continuer sa vie libre, autonome, distincte de la corporation professionnelle dont il fait partie. Le point capital n'est pas de changer sa structure mais d'adapter sa fonction économique au nouveau rôle que lui confie une société organisée. Au lieu d'agir à l'aventure, il se meut dans un cadre de vie organisée. La liberté de son action s'exerce dans la préparation, la négociation et l'administration des contrats collectifs. Au niveau de l'usine, son instrument de collaboration reste le comité mixte. A l'échelon de l'industrie, il peut pousser la collaboration syndico-patronale par les conventions collectives types sur le plan industriel - ainsi en est-il au Québec de la métallurgie, du textile, des papiers et pâtes à papier - ou encore par le comité paritaire.

Sur le plan professionnel et celui de l'économie, l'action du syndicat se continue par ses recherches, ses suggestions, son action sur les relations entre prix de vente et prix de revient et sur la politique fiscale et de plein emploi. En conclusion, le syndicat n'est ni absorbé, ni fusionné, ni assimilé par l'organisation professionnelle ; il reste ce qu'il est avec toutes ses potentialités d'action et d'expansion.


Application au Québec :

L'économie des groupes peut s'insérer dans la structure économique et sociale du Québec. L'association professionnelle peut se concevoir comme un « corps légalement constitué groupant tous les membres d'une même profession sous une autorité unique, ayant le pouvoir d'agir en vue du bien commun et d'imposer ses décisions à tous les intéressés » (Ordre nouveau, 5 décembre 1938). Elle constituerait un corps social, autonome, de droit naturel, intermédiaire entre la famille et l'État, régi par un droit propre. L'État lui reconnaîtrait l'existence civile. Ainsi les syndicats ouvriers et patronaux pris en eux-mêmes sont des groupements professionnels et reliés par leurs représentants peuvent constituer [396] un groupe paritaire, un corps de droit public. Leur rôle serait économique, nullement politique, limité à la stabilisation de la production, des prix, des échanges et des salaires, tandis que leur rôle social tâcherait d'assurer le bien-être des travailleurs par les services sociaux, de collaborer avec les autres professions et d'ordonner la vie économique, sans prendre part au gouvernement de l'État, et se limitant à un rôle purement consultatif. Voilà en résumé les idées fondamentales prônées par l'Action corporative et qui cadrent non seulement avec la doctrine de l'Église mais avec la structure économique et sociale du Québec.

Dégageons maintenant les éléments précorporatifs et voyons comment, par l'action conjointe des syndicats professionnels, les corps intermédiaires surgissent et concourent à la gestion du bien commun. Les syndicats patronaux ou ouvriers seuls ne peuvent prendre part à la gestion du bien commun à tous les échelons de l'activité économique et sociale, tels que entreprise, profession et économie générale. Mais les corps intermédiaires, paritaires, le peuvent grâce à leur caractère de droit publie. Déterminons les étapes de cette évolution vers cette structure sociale nouvelle. D'abord sur le plan de l'entreprise, quels sont au Québec les moyens qui peuvent acheminer patrons et ouvriers vers la collaboration paritaire ?

D'abord et indéniablement, la convention collective particulière. Le patron discute avec ses ouvriers des clauses qui doivent déterminer les salaires et certaines conditions de travail : sécurité syndicale, promotions, congés, assurances, griefs. Il est vrai que pour la négociation, les parties ne se rencontrent qu'une fois l'an. Mais il reste l'administration du contrat qui, grâce au comité de griefs, amène les parties en contact constant. Le deuxième élément de collaboration, exigé par l'administration des contrats particuliers, est fourni par le comité des relations ouvrières ou de collaboration. Il a pour but d'apporter une solution aux conflits qui surgissent lors de l'application des contrats collectifs. Ainsi lorsqu'un ouvrier n'a pu régler un différend avec son contremaître ou son supérieur immédiat dans un délai donné, il peut recourir à l'échelon supérieur de l'autorité. Sinon, le comité de griefs vient à son secours. L'expérience a prouvé que ces organismes offrent une excellente occasion de développer l'esprit de collaboration chez les deux parties, le sens de la cogestion sociale qui prépare le mieux les esprits à la collaboration professionnelle paritaire.

[397]

Ce comité surveille l'application de la convention collective. Son action efficace dépend de plusieurs conditions : a) composition paritaire ; b) nomination des représentants par les parties signataires ; c) choix des représentants ayant compétence technique, connaissance des conditions locales, caractère représentatif, équilibre ; d) fréquence des réunions qui permettent un fonctionnement efficace ; e) détermination précise de la procédure de réglementation des griefs ; f) autorité exécutoire des décisions du comité ; g) conscience de leurs responsabilités chez les membres et conviction de la supériorité du règlement par entente sur le règlement par arbitrage. A ces comités, on peut ajouter les comités mixtes de production.

À l'échelon de l'industrie, le lien entre les patrons et les ouvriers seraient les comités paritaires. Ces organismes constitués en corporation, autonomes et indépendants, représentent les intérêts patronaux et ouvriers de la profession et demeurent la preuve incontestable d'une application concrète du futur régime des relations professionnelles.

Parmi les autres organismes paritaires, mentionnons les commissions d'apprentissage, qui pourvoient à la formation professionnelle des apprentis pour les différents métiers, formation donnée en dehors de l'industrie mais en fonction de ses besoins. Signalons aussi les différentes commissions paritaires gouvernementales telles que celles du salaire minimum, des relations ouvrières et des accidents du travail. Par la représentation paritaire, ces commissions, dans leurs domaines respectifs, assurent une collaboration syndico-patronale.

Enfin, soulignons un essai récent : la création de conseils mixtes pour répondre au besoin de constituer des contrats-types dans des cas particuliers. Locaux ou régionaux, ces conseils réunissent représentants d'employeurs et d'employés et étudient en commun et tâchent de résoudre les problèmes qui échappent aux comités paritaires. Parmi les nombreux avantages qu'ils offrent, le plus saillant paraît être leur aptitude à créer et à développer une atmosphère de collaboration et de sympathie entre patrons et travailleurs. Pour y arriver, les employeurs et les employés devront étudier ensemble et résoudre leurs problèmes communs.

Une heureuse application du système se rencontre dans ces conseils mixtes libres et temporaires qui préparent la convention collective particulière antérieure à l'extension sur une base provinciale dans les [398] industries suivantes : vêtements pour hommes, manteaux et costumes pour dames, robe, chaussure, imprimerie, chemise, ganterie, sacoche, tannerie, meuble, matériaux de construction, peinture et fer de charpente.

En outre, dans d'autres industries comme la pulpe et le papier, le textile, les ouvriers étant organisés soit dans la C.S.N. ou l'Internationale, élaborent avec les compagnies un contrat type qui peut s'appliquer à toute l'industrie concernée. Mais comme la Commission des relations ouvrières ne peut donner de reconnaissance qu'à une unité industrielle, l'usine, le contrat type est signé par les parties contractantes pour chaque entreprise et non pour l'industrie. Ainsi la Fédération nationale de l'industrie minière est reconnue comme agent négociateur tout comme les syndicats affiliés, mais elle doit négocier séparément avec chaque compagnie d'amiante. Les camionneurs, les manufacturiers de chaussures, les manufacturiers de boîtes en carton travaillent dans le même sens, de même que les services hospitaliers sous forme d'un comité qui est en train d'uniformiser, par l'éducation et l'entente, le contenu des contrats collectifs hospitaliers.

Les organismes paritaires dans notre province se ramènent au Conseil supérieur du travail et aux commissions du salaire minimum, des relations ouvrières et des accidents du travail. Sauf pour la première, aucune loi n'exige la représentation paritaire mais en pratique, une tradition s'est établie qui assure la présence dans ces organismes de représentants ouvriers et patronaux. Voilà donc en résumé la somme des organismes paritaires qui serviront de base à l'établissement progressif de l'organisation professionnelle.

Avec cette mise au point sur les éléments corporatifs dans le Québec, la coordination pourrait se réaliser grâce à une opération progressive à quatre étapes.

La première consisterait à promouvoir la négociation de conventions collectives entre patrons et ouvriers telles qu'elles existent aujourd'hui.

Ensuite, seconde étape : nous pourrions diviser la province en dix-sept secteurs industriels et constituer pour chacun de ces secteurs une commission paritaire chargée de la surveillance des contrats collectifs. Elle aurait un rôle analogue aux comités paritaires déjà existants. Nous éviterions ainsi les conflits entre contrats particuliers et contrats avec extension. Il pourrait y avoir à l'origine, coexistence des deux régimes, quitte à les fusionner plus tard, spécialement dans les industries où les [399] contrats particuliers se superposent au contrat avec extension. Cette commission paritaire des conventions particulières ressemblerait fort au régime des conventions collectives sur le plan industriel (Industry-wide Bargaining) déjà en vogue aux États-Unis et qui devient populaire au Québec. Aussi l'industrie du textile, de la pulpe, de la métallurgie seraient mûres pour cette étape. Il suffirait que la Commission des relations ouvrières émette un certificat de reconnaissance syndicale comprenant tous les ouvriers des différentes usines d'une même compagnie. L'unité de négociation ne serait plus l'entité juridique de chaque entreprise mais l'industrie ou une partie de l'industrie elle-même. Et dans le cas de plusieurs centrales syndicales et patronales intéressées, chacune siégerait à la table des négociations comme elles le font dans les comités paritaires. L'effet de cette suggestion serait de souder les deux genres de conventions collectives de sorte que l'une, d'intérêt immédiat, ne détruise pas l'effet de l'autre qui a une portée plus longue en faveur de l'organisation corporative professionnelle et du bien général de l'industrie considérée.

La négociation sur le plan industriel pourra varier selon les exigences et la nature de l'industrie. Elle pourrait s'appliquer à l'industrie entière ou encore à une série d'usines soumises à une même direction v.g. International Paper ou encore à une région particulière. Excellent moyen d'embrigader dans son ensemble la grande industrie qui parait être le grand obstacle aux yeux de certains de nos sociologues.

Actuellement, des compagnies puissantes telles que l'Aluminum Co. of Canada, Canadian Johns-Manville, International Paper, Canadian Industries négocient des contrats collectifs avec leurs employés depuis des années. Ces grandes industries n'auraient nullement peur d'un organisme de ce genre qui garantirait une certaine stabilité, un équilibre dans la structure économique générale et plus de facilité à prévoir la conjoncture. Les grandes institutions ne craignent pas la discipline des affaires, mais bien l'arbitraire, l'émotivité et les changements révolutionnaires.

Au troisième échelon, chacun des dix-sept secteurs industriels constituerait au moyen de représentants une commission supérieure de l'industrie qui, par ses informations, ses recherches, ses connaissances de la situation économique, orienterait le développement industriel, sans compter son apport aux mises de fonds industriels, au progrès technologique et au niveau d'emploi.

[400]

Toute cette procédure pourrait s'appliquer « ceteris paribus » et « mutatis mutandis » d'une manière progressive au commerce, aux services, aux institutions de finances, à l'agriculture et aux professions. Et à la quatrième étape, chacun de ces grands secteurs constituerait dans la personne de délégués ouvriers et patronaux, le Conseil des Professions de la province que son caractère représentatif rendrait apte à conseiller le gouvernement de la façon la plus sûre, la plus objective et la plus efficace.

Ce qui importe ce n'est pas d'imposer un plan par en haut, par une volonté du gouvernement ou par une loi, mais d'orienter les institutions sociales et économiques vers la collaboration paritaire.

c) Planification par les coopératives :

Le mouvement coopératif de la province entraîne dans ses différentes activités environ un million de personnes qui se recrutent au sein des classes ouvrières, agricoles et populaires et qui possèdent ou administrent au-delà de $500,000,000 de capitaux. Le mouvement comprend :


a) un secteur de la production primaire par les coopératives agricoles, les coopératives forestières et les coopératives de pêche ;

b) un secteur de finance par les coopératives d'épargne et de crédit, les caisses populaires ;

c) un secteur d'assurance par les sociétés fraternelles et mutuelles d'assurance-vie, d'assurances générales, d'assurance-feu et d'assurance-santé ;

d) un secteur de services par les coopératives de consommation, les coopératives d'habitation, de transport, d'aqueduc, de téléphone, d'arts domestiques, de taxi, de frais funéraires, de loisirs.


CONCLUSION


La planification du secteur libre pourrait s'opérer par une commission composée de représentants des différents types de planification et se rejoindre au niveau provincial par un Conseil de la planification provinciale.

[401]

Qu'on ne l'oublie pas ! Aucun schéma, aucun organigramme économique n'est jamais réalisé à l'état pur notamment en période de rapide évolution, ce qui est le cas du Québec d'aujourd'hui. Ce qui_ importe ce n'est pas d'approuver ou de rejeter un schéma économique, mais de rassembler le plus grand nombre possible de matériaux et de constituer une équipe d'hommes capables de guider, de transformer des structures anciennes et de créer au besoin des structures nouvelles. Et pour qu'à un démarrage ne succède pas la déception, il faut procéder à des analyses portant sur les structures existantes, sur les expériences vécues, les réalisations à petite échelle, et poursuivre l'effort au plan de la formation. Ce souci de la formation, de l'étude et de la recherche doit être permanent : il est même la condition de l'épanouissement et de la maîtrise du secteur économique. C'est beaucoup plus sur le plan de la compétence que de l'autorité et des lois que la restructuration du Québec se fera. En outre, l'action à la base et le facteur temps sont les deux pivots sur quoi elle doit reposer. Qu'on ne pense pas qu'on a tout réglé, quand on a créé un comité ou une commission nouvelle. En face des superstructures de plus en plus compliquées, les petits groupes, les corps intermédiaires ont un rôle accru. D'autre part, le facteur temps est le nœud de la vie moderne. Aussi est-ce plus que jamais en dominant l'accélération naturelle des événements que l'on peut dominer son époque. Tant d'erreurs se commettent, tant d'imprévisions sont suivies de rattrapages onéreux. Le risque est spécialement grave en démocratie. D'où l'urgence de prévoir et classifier les réalisations à court et à long terme, d'accepter les maturations lentes et de pousser à l'action en profondeur.

Avec un persévérant effort de sagesse et d'audace, nous pourrons mettre sur pied une économie de prévision, de participation et de partage, et une économie qui redonne au peuple qui l'a bâtie le sens de la maîtrise et de l'autonomie.


ÉMILE BOUVIER, S.J.,

directeur du département d'économique,

Université de Sherbrooke



[1] Le Conseil d'orientation Économique du Québec utilise dix-huit secteurs.

[2] H. Culman, Les Principes de l'Organisation Professionnelle, Paris, P.U.F., page 73.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 16 février 2012 10:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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