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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La société à valeur ajoutée ou la religion pragmatique” (1994)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de MM. Gilles Bourque et Jacques Beauchemin [sociologues, UQAM], “La société à valeur ajoutée ou la religion pragmatique”. Un article publié dans la revue Sociologie et Sociétés, vol. 26, n˚ 2, automne 1994, pp. 33-56. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal. [Les deux auteurs nous ont accordé en juillet 2004 leur autorisation de diffuser la totalité de leurs travaux respectifs.]

Introduction

Depuis les années 1980, au gouvernement fédéral comme sur la scène provinciale, l'heure est au démantèlement de l'État-providence. Pratique ouverte et militante sous le gouvernement Mulroney, la transformation de l'État fut, au Québec, initiée durant le deuxième mandat du Parti québécois, puis élargie et systématisée par le Parti libéral de Robert Bourassa (Bourque et Lacroix, 1983; Bureau et MacKay, 1987; Duchastel et Laberge, 1991; Daigle 1992; Dumont, 1990; Revue québécoise de science politique, n˚ 20, 1991; Nouvelles Pratiques sociales, vol. 4, 1991; Interventions économiques pour une alternative sociale, nos 17 et 18, 1987). On connaît les tenants et aboutissants d'une telle stratégie de sortie de crise qui consiste en la réaffirmation de l'autorégulation du marché par la déréglementation et la privatisation des sociétés d'État, ainsi qu'en une reséparation des sphères publique et privée dominée par la remise en question des politiques sociales universelles d'inspiration keynésienne (Boismenu et Drache, 1990; Boismenu et Gleizal, 1988; Freitag, 1986). On assiste ainsi à un mouvement de transformation des modalités de la régulation étatique des rapports sociaux qui entend resituer la place de l'État au sein de la société [1]. La stratégie néo-libérale qui inspire principalement cet-te dynamique implique en conséquence un vaste procès de réinstitutionnalisation des rapports sociaux qui vise non seulement la redéfinition des rapports entre le privé et le public, mais aussi la production de nouvelles institutions sociales susceptibles d'assurer la prise en charge des problèmes sociaux.

Depuis 1985, le gouvernement libéral de Robert Bourassa s'est, au Québec, fait le chantre d'une telle stratégie, adaptant sa tactique aux aléas de la conjoncture, des rapports de forces et des luttes idéologiques. Ouverts, structurés et triomphants au début du premier mandat (rapports Gobeil, Scowen et Beaulieu), les énoncés néo-libéraux se convertirent bientôt à l'étapisme, avant de se réaffirmer durant les années 1990 (rapports Johnson-Lévesque et Côté). Le présent article porte sur quelques-uns des principaux rapports et énoncés ministériels produits par le parti au pouvoir au Québec depuis 1985 [2]. Afin de rendre notre lecture pleinement intelligible, il importe cependant de situer notre démarche dans le cadre des recherches que nous menons depuis quelques années dans le domaine de l'analyse du discours avec notre collègue Jules Duchastel. Il est impossible, on en conviendra facilement, d'exposer ici de façon exhaustive ni la théorie du discours politique, et par extension celle de l'État moderne et de ses transformations, ni la méthodologie et les techniques de recherche qui inspirent nos travaux. Aussi serons-nous fort sommaire, et nous contenterons-nous d'indiquer le sens général de nos interrogations et de notre perspective.

Nous considérons qu'avec le discours économique et culturel, le discours politique constitue l'une des trois grandes formes discursives caractéristiques de l'État et de la société modernes. Le discours politique contribue de façon décisive à la représentation que se donne d'elle-même une société qui est posée comme le résultat d'un procès d'autoproduction essentiellement laïque, excluant toute référence à une transcendance extérieure aux rapports sociaux : Dieu, les Ancêtres. Cette forme discursive constitue le lieu même de la discussion sur le pouvoir au sein d'une société qui trouve son unité dans l'État. Susceptible d'émaner de tous les acteurs et de toutes les institutions, aussi bien de la sphère privée que de la sphère publique, ce discours contribue de façon prévalente à la représentation de l'espace, de la communauté, des rapports sociaux et de l'éthique (rapports de l'individu à la société). Bien que le présent article ne s'arrime pas de façon scolaire à cette définition, on pourra constater que la lecture que nous proposons des rapports ministériels interroge la pratique discursive à ces quatre niveaux. Le discours politique constitue ainsi, dans notre perspective, une des formes fondamentales de la représentation moderne du monde, position qui nous conduit tout naturellement à nous pencher sur les transformations du discours politique et sur ses rapports à la modernité. Ainsi serons-nous amenés à nous interroger sur la particularité de la discursivité à l'œuvre dans les rapports ministériels du gouvernement Bourassa en comparant ceux-ci aux discours politiques libéral et providentialiste. Nous posons l'hypothèse que cette discursivité participe de l'élaboration d'un nouveau discours politique que nous saisirons provisoirement sous le qualificatif de néo-libéral et dont il nous faudra questionner le rapport à la modernité. Les travaux que nous entreprenons sur le discours politique néo-libéral et sur les transformations de l'État sont, en effet, inséparables d'une interrogation plus large sur la nature profonde des mutations sociétales actuelles. Il ne s'agira donc pas de faire l'analyse de la nature spécifique des politiques envisagées dans les rapports ministériels, mais de saisir les principales dimensions de la production d'un nouveau discours politique dominant au sein d'une nouvelle forme de l'État. Le discours du gouvernement québécois sera considéré ici comme un cas parmi bien d'autres au sein des sociétés occidentales à partir duquel il est possible de dégager les traits principaux d'une nouvelle discursivité politique qui, partout, tend à rompre avec les modernités libérale et providentialiste. Quelle représentation du monde inspire ce nouveau discours politique et quelle est la particularité de sa contribution à la représentation de l'espace, de la communauté, des rapports sociaux et de l'éthique ? Voilà les principales questions qui guideront notre analyse.

Le présent article ne prétend cependant en aucune manière épuiser l'analyse du corpus étudié et encore moins proposer une thèse générale et définitive sur la nature du discours politique néo-libéral. Il ne s'agit somme toute que d'un premier coup de sonde dans le cadre d'un programme de recherche beaucoup plus vaste qui porte sur la discursivité politique dominante durant les années 1980 et 1990 et qui s'étend potentiellement à l'entièreté des discours sur le pouvoir, qu'ils émanent de la sphère privée ou de la sphère publique, de la scène fédérale ou de la scène provinciale. Nous croyons cependant que ce premier regard, à dominante descriptive, sur les rapports et les énoncés ministériels produits sous la gouverne de Robert Bourassa depuis 1985 permet de faire ressortir certaines des principales caractéristiques du nouveau discours politique dominant qui s'est affirmé durant les années 1980 et qui, malgré certaines variations, risque fort de dominer cette fin de siècle quel que soit le parti au pouvoir. Voilà en quoi, croyons-nous, cet article participe à la réflexion sur la société québécoise actuelle qui fait l'objet de ce numéro.

À propos de la méthode, soulignons seulement que les résultats qui servent de base à la rédaction de cet article ressortent d'une construction progressive des données. Cette dernière est réalisée grâce à un mouvement d'aller-retour au texte guidé par une analyse de contenu à entrée lexicale en contexte, rendue possible par l'utilisation du logiciel SATO [3]. La production de lexiques de fréquence et de covoisinage autorise de multiples ouvertures sur le texte et permet en conséquence d'élaborer, de vérifier systématiquement, de reformuler ou de spécifier un ensemble d'hypothèses qui se transforment dans le processus de la recherche. Est-il besoin de souligner qu'il n'est nullement question de reproduire ici les nombreuses démarches qui nous ont conduits aux analyses que nous proposons dans cet article? Soulignons enfin que, pour des raisons d'espace et à la suggestion de la direction de la revue, nous ne reproduisons pas ici les lexiques qui, sous forme de tableaux, servent de base à notre analyse. En plus des nombreuses citations qui permettent d'illustrer le propos, nous n'en faisons pas moins toujours référence aux données lexicales pertinentes apparaissant de façon significative aux tableaux que le lecteur intéressé pourra obtenir en s'adressant au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal.



[1] L'analyse de l'évolution de l'État moderne porte en fait sur les modalités historiques de la régulation étatique des rapports sociaux (ce que nous entendons par le concept de forme de l'État). La régulation consiste en l'ensemble des règles qui président à l'organisation et à l'articulation de l'ensemble des institutions de pouvoir au sein de la société, qu'elles soient privées ou publiques. Au niveau le plus général, ces règles définissent les rapports entre la sphère publique et la sphère privée. En ce sens, une forme de l'État (libéral, providence ou néo-libéral) se présente comme une distribution particulière des institutions sociales au sein des sphères publique et privée (ainsi, les politiques sociales pourront être gérées par des institutions privées (Église, organismes communautaires) ou publiques (la sécurité sociale). Au sujet des transformations de la régulation étatique des rapports sociaux dans l'État moderne, voir Gilles BOURQUE et Jules DUCHASTEL (1992); Gilles GAGNÉ (1985); Robert DELORME et Christine ANDRÉ (1983); Jacques DONZELOT (1984); François EWALD (1985); Michel FREITAG (1986); lan GOUGH (1979); Jürgen HABERMAS (1978a) et (1978b); James O'CONNOR (1973) et (1987); Carl OFFE (1984); Karl POLANYI (1983); Pierre ROSANVALLON (1981).

[2] Le corpus à la base de l'analyse que nous proposons dans ces pages fait partie intégrante d'un ensemble textuel beaucoup plus vaste constitué dans le cadre d'une recherche qui porte sur le discours politique néo-libéral au Canada et au Québec dirigée par Gilles Bourque et Jules Duchastel et subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il réunit quelques-uns des principaux rapports et documents de groupes de travail dirigés par un ministre du gouvernement Bourassa de 1985 à 1993. Nous avons retenu les textes définissant les grandes orientations du gouvernement qui portent sur les questions du rôle de l'État, de la place de la sphère publique, de la politique économique, des services sociaux et de la santé, du rapport salarial et, enfin, de l'éducation.

- « Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organismes gouvernementaux », Québec, Conseil du trésor, 1986,47 pages. Travaux dirigés par Paul GOBEIL. Nous n'avons retenu que la deuxième partie du rapport des pages 26 à 43 inclusivement.

- « Réglementer moins et mieux : le processus de réglementation, la réglementation sociale, la réglementation économique », Québec, Publications du Québec, 2 volumes, 1986. Nous avons retenu le volume 1 : « Processus de réglementation, la réglementation sociale, la réglementation économique », 292 pages. Travaux dirigés par Reed SCOWEN.

- « De la Révolution tranquille à l'an 2000 : Rapport du Comité sur la privatisation des sociétés d'État », Québec, Ministère des Finances, ministre délégué à la privatisation, 1986, 68 p. Travaux dirigés par Raymond BEAULIEU.

- « Pour une politique de sécurité du revenu : document d'orientation », Québec, ministère de la Main-d'œuvre et de la Sécurité du revenu, 1987, 48 p. Travaux dirigés par Pierre PARADIS.

- « Partenaires pour un Québec compétent et compétitif : énoncé de politique sur le développement de la main-d'œuvre, Québec, ministère de la Main-d'œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, 1991, 85 p. Travaux dirigés par André BOURBEAU.

- « Le Québec et l'interdépendance; le monde pour horizon. Éléments d'une politique d'affaires internationales », Québec, Gouvernement du Québec, ministère des Affaires internationales, 1991, 228 p. Travaux dirigés par John CIACCIA.

- « La politique de santé et de bien-être », Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992, 192 p. Travaux dirigés par Marc-Yvan CÔTÉ.

- « Les finances publiques du Québec : vivre selon nos moyens », ministère des Finances, Conseil du trésor, Gouvernement du Québec, 1993, 183 p. Travaux dirigés par Daniel JOHNSON et Gérard D. LÉVESQUE.

- « Des collèges pour le Québec du XXIe siècle », ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science, avril 1993, 39 pages. Travaux dirigés par Lucienne ROBILLARD.

- « La stratégie de développement du Québec », Québec, ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie, 1992. Nous ne retenons que les 33 pages d'introduction :

- « La stratégie industrielle du gouvernement du Québec : rétrospective et perspectives », Québec, ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie, 1992, 21 p. Travaux dirigés par Gérald TREMBLAY.

[3] Nous caractérisons notre approche du texte comme une « analyse du discours à base lexicale en Contexte ». À la différence des préoccupations linguistiques ou sémiologiques qui dominent habituellement l'analyse du discours au sens classique du terme, notre approche privilégie la fonction référentielle du discours. Nous traitons les unités sémantiques et leurs combinaisons dans le but de circonscrire des univers de sens. La perspective que nous adoptons est alors celle du sociologue davantage que celle du linguiste ou du sémiologue. Le lexique constitue la base de notre analyse. Nous nous concentrons le plus souvent sur les relations de covoisinage dans le contexte de la phrase à partir de relevés du covoisinage et de la phraséologie elle-même sous forme de concordances.

Pour les fins de cet article, nos réflexions portent sur deux types de tableaux : des lexiques de fréquences et des relevés de covoisinage. Un lexique de fréquences est une liste de mots ordonnés en fonction de l'importance de leur utilisation dans le corpus. Ces listes sont tronquées dans la mesure où l'analyse ne porte que sur les fréquences d'apparition les plus élevées. Un relevé de covoisinage est une liste de mots cooccurrant avec un mot au sein de la phrase, ce que nous appelons le covoisinage. Cette liste est ordonnée en fonction de la fréquence du covoisinage. Les différents mots ainsi ordonnés sont suivis de deux données numériques entre parenthèses : la fréquence du mot dans le corpus et sa fréquence dans le voisinage du mot pôle. Un test, développé avec l'aide précieuse de Guy Cucumel, nous permet d'établir le caractère significatif des associations notionnelles dépistées avec un mot pôle au-delà d'un certain seuil statistique de confiance que nous avons fixé, dans cet article, à 99 %.

L'analyse a été effectuée à l'aide du logiciel SATO (Système d'Analyse de Textes par Ordinateurs). Ce logiciel est défini par son auteur comme un « système de base de données textuelles qui permet d'annoter des textes multilingues et de les manipuler de diverses façons : repérage de concordances, construction de lexiques, catégorisation des mots, dénombrements de tout ordre et analyseurs lexicométriques » (François DAOUST 1989, p. 117).


Retour au texte des auteurs: Gilles Bourque et Jacques Beauchemin, sociologues, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 13 juillet 2005 08:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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