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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Question nationale et réforme constitutionnelle” (1978).


Une édition électronique réalisée à partir du livre Gilles Bourque, Gilles Bourque, “Question nationale et réforme constitutionnelle”. Un article publié dans l'ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Léonard, La chance au coureur. Bilan de l'action du gouvernement du Parti québécois, “5e partie : Le Gouvernement du P.Q. et la question nationale”, pp. 177-192. Montréal : Éditions Nouvelle Optique, 1978, 253 pp. Collection : Matériaux. [Autorisation accordée le 23 2003 juin par la professeur Bourque] Le 11 juillet 2004, M. Bourque nous autorisait à diffuser la totalité de ses travaux et publication. Toute notre reconnaissance [JMT]

Texte intégral de l'article

Communication faite les 15 et 16 novembre 1977 au colloque "Un an après. Bilan de l'action du gouvernement du Parti Québécois''. Organisé par la Société Canadienne de Science Politique et l'Association Canadienne des Sociologues et Anthropologues de langue française, ce colloque réunissait des universitaires, des journalistes, des syndicalistes, et se proposait de porter un jugement critique sur la gouverne du Parti Québécois.

On m'a demandé de commenter l'excellent texte (*) que vient de vous proposer Marcel Fournier. Il y aurait beaucoup à dire, bien sûr, mais le temps nous étant accordé avec parcimonie, j'ai choisi de poser des questions à partir de son texte, en évitant de tomber dans les pièges académiques d'une discussion conceptuelle. Je réserve pour d'autres lieux les distinctions subtiles entre la nouvelle petite bourgeoisie des uns et la bourgeoisie nouvelle des autres. Je fais moi-même appel dans les, quelques réflexions qui suivront, à un ensemble conceptuel clairement identifiable, mais je laisse à chacun le soin de faire les traductions qu'il voudra bien effectuer. Enfin, avant de commencer, je souligne que j'ai choisi de ne pas m'abriter derrière une fausse neutralité sociologique.

La question linguistique d'abord. Fournier a bien montré que l'analyse de la loi 101 ne pouvait se faire uniquement en elle-même et pour elle-même. Il a tout à fait raison de souligner que la question nationale déborde largement la question linguistique. On ne peut en effet traiter de la loi 101 sans d'abord la mettre en rapport avec le projet global de souveraineté politique. Dans ce contexte, l'esprit général qui a inspiré cette loi me paraît juste en ce qu'il vise à protéger la langue de l'éventuelle majorité, sans opprimer la minorité nationale qui ne manquera pas de demeurer au Québec. Même s'ils font actuellement partie de la nation dominante, tous les anglophones du Québec ne sont pas les complices inconditionnels de l'oppression nationale que subissent les Québécois. Mais il faut aussi placer cette question linguistique dans la complexité des rapports d'alliance à l'intérieur desquels s'inscrit et semble parfois s'embourber le Parti Québécois. Comment, par exemple, rendre l'école française vraiment accessible aux allophones si l'on ne transforme pas profondément les structures de l'école confessionnelle ? Les hésitations du PQ à ce propos, pour qui la réintroduction du latin dans le cycle des études secondaires semble parfois être une question plus importante que celle du développement d'une école ouverte, ne seraient-elles pas une indication du poids encore plus grand que l'on ne pense de la petite bourgeoisie traditionnelle ? Le PQ en tous cas semble se croire obligé de lui donner, à elle aussi, sa petite part du gâteau. Fournier parlait tout à l'heure de reconversion de la petite bourgeoisie traditionnelle. On pourrait aussi parler de reconversion des intellectuels organiques de la bourgeoisie traditionnelle. On pourrait aussi parler de reconversion des intellectuels organiques de la bourgeoisie québécoise, mais en ajoutant tout de suite qu'un bon nombre d'entre eux semble avoir oublié de se reconvertir ! Mais quand on veut faire l'indépendance tranquille, après avoir fait la révolution tranquille et subit la réaction tranquille, on ne va pas aussi facilement troubler l'eau des bénitiers, même s'il n'en reste pas beaucoup.

Nous voilà de plein pied dans l'épineuse question du caractère de classe du Parti Québécois. Si, comme je viens de le dire, le PQ tend à s'embourber dans ses alliances, il faut bien admettre que les sociologues « s'enfargent » plus souvent qu'autrement dans leurs concepts. De la classe ethnique, à la petite bourgeoisie technocratique, en passant par la bourgeoisie québécoise et la bourgeoisie nouvelle, il y a risque évident d'y perdre son latin. Mais Fournier sera sans doute d'accord avec moi, si nous sommes toujours prêts à faire notre autocritique, nous réclamons, comme tout le monde, le droit à l'erreur.

Fournier fait, dans son texte, une bonne analyse du caractère de classe du personnel du Parti Québécois et de sa clientèle privilégiée. Il montre très bien comment la nouvelle petite bourgeoisie trouve dans le PQ le principal défenseur de ses intérêts nationaux et linguistiques. Comme il le souligne, cette classe a particulièrement soutenu les réformes de la Révolution tranquille dans les secteurs de l'éducation et de la santé et dans les domaines de l'intervention économique de l'État. Ces seules constatations devraient nous amener à déborder sur la question des grands intérêts économiques auxquels Fournier fait allusion à la fin de son texte, mais sur lesquelles il n'élabore pas beaucoup. Bien sûr, on ne peut tout dire en même temps et dans le bon ordre. Ceci peut nous conduire à quelques réflexions fructueuses, si l'on prend en considération aussi bien la Révolution tranquille que le programme du Parti Québécois et ses réalisations depuis un an.

Constatons d'abord que les réformes des appareils d'État qui ont été effectivement conduites à leur terme durant la Révolution tranquille et ses suites, sont précisément celles de l'éducation et du secteur santé. Si ceci a effectivement permis de sortir les curés des écoles et des hôpitaux et de procéder à la reconversion dont nous parlait Fournier, il faut certainement nous demander aussi pourquoi les réformes dont nous parlons n'ont été de véritables succès que dans ces deux appareils ? Il est assez facile de répondre la question étant posée, que ce sont précisément les appareils d'État qui touchent à la reproduction de la force de travail : aussi bien ce qui a trait à l'idéologie qu'on lui inculque, qu'à la qualification qu'on lui transmet et qu'à une partie des frais de sa reproduction. Parler de la force de travail c'est bien sûr renvoyer à l'analyse de la bourgeoisie et aux intérêts hégémoniques que cette réforme sert aussi.

Poursuivons notre périple. Fournier attire aussi, et avec raison, notre attention sur les intérêts qu'à la nouvelle petite bourgeoisie à développer les interventions de l'État dans l'économie. (Ça ne crée peut-être pas cent mille emplois, mais ça multiplie quand même les possibilités de carrières !) Mais, il faut encore le remarquer, lorsque l'on parle d'entreprises d'État comme l'Hydro, SIDBEC DOSCO, Marines Industries, la Régie des Rentes, la Société des Alcools, l'on traite aussi bien des cadres subalternes et des employés de ces entreprises que de l'ensemble des individus qui y occupent objectivement des places de la bourgeoisie.

Continuons. Si l'on scrute maintenant le programme du PQ et son insis-tance sur le secteur de l'épargne, on pense aussi aux intérêts bourgeois formellement privés ou publics et même coopératifs de ce secteur financier. Et l'on voit poindre, bien sûr, les luttes entre la bourgeoisie financière canadienne et la bourgeoisie québécoise. Si l'on tient compte enfin de la volonté du PQ d'être présent dans le secteur productif dans le secteur minier par exemple, il est clair que nous sommes face à une volonté d'articulation d'intérêts bourgeois : la bourgeoisie américaine d'une part et la bourgeoisie québécoise de l'autre, la dernière ne tenant pas le même bout du bâton que la première, est-il besoin de le souligner ?

Ceci m'amène donc à insister pour distinguer, lorsque l'on parle du PQ, entre les intérêts qui prévalent en dernière analyse et l'origine sociale de ses cadres politiques, de ses députés et de sa clientèle de prédilection.

Or, si l'on scrute la pratique politique du PQ depuis sa fondation, et l'année qui s'achève ne peut que confirmer cet état de fait, on constate que, dans l'ensemble des contradictions bourgeoises actuelles, les politiques du PQ favorisent, en dernière analyse, l'affirmation d'une bourgeoisie québécoise dont les éléments principaux sont actuellement non monopolistes. Cette affirmation ne saurait se faire qu'aux dépends de la bourgeoisie canadienne, mais dans le giron du capital impérialiste américain. Je n'affirme pas que les acteurs ont une conscience claire du processus dans lequel ils sont engagés, que ce soit les hautes instances du PQ ou même les principaux éléments de la bourgeoisie monopoliste québécoise, bien que l'absence d'une telle conscience de classe, en certains lieux du moins, m'étonnerait beaucoup (dans l'antichambre du ministre des finances par exemple, où les termites marxistes ne s'infiltrent pas souvent). Je parle du processus dans lequel s'est engagé le Parti Québécois, compte tenu de la hiérarchie bourgeoise nord-américaine dans laquelle il prétend insérer l'ensemble des Québécois. On ne peut être pour le capitalisme et défendre les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière ni même, à long terme, ceux de la nouvelle petite bourgeoisie.

Je terminerai sur quelques réflexions d'ordre général concernant le poids spécifique de la question nationale dans les rapports de classes actuellement au Québec. S'il est vrai, comme le souligne Fournier, que les classes domi-nantes au Québec ont toujours soutenu une certaine forme de nationalisme, il n'en reste pas moins vrai que depuis 1837-38, c'est la première fois que la question nationale devient un facteur de rupture, sur la scène politique, entre les fractions bourgeoises dominantes au Canada et au Québec. Il me paraît évident que la spécificité donnée au Québec par la double réalité de la question nationale et de l'existence d'un pouvoir politique régional, permet de constituer la bourgeoisie québécoise en force sociale capable de provoquer le démembrement de l'État canadien. Deux questions donc à distinguer, mais qui se recoupent pour transformer la crise économique actuelle en crise politique de l'État canadien.

Abordons d'abord la question de l'État sur laquelle Fournier attire avec raison votre attention. La plupart des analyses portant sur le Québec contemporain insistent d'une façon ou d'une autre sur l'importance qu'y joue la politique. Sur le plan des analyses de classes sociales, certains ont voulu marquer l'importance de cette réalité en parlant de petite bourgeoisie technocratique, voire même d'une bourgeoisie d'État qui serait en gestation dans le projet péquiste. Il est évident que l'État joue un rôle primordial dans l'affirmation, la reproduction et le développement éventuel de la bourgeoisie québécoise. C'est en partie à l'aide des sociétés de l'État québécois et de sa politique économique que la bourgeoisie d'ici peut et pourra rationaliser son développement. Cette situation donne à la « fraction » étatique de la bourgeoisie québécoise un leadership politique évident. Lorsque l'on parle des Lévesque, Parizeau et Morin, on oublie trop souvent qu'il s'agit, parmi d'autres, architectes de la nationalisation de l'électricité, de la Caisse de Dépôts et de Placements et de la Régie des Rentes, sans oublier bien sûr la SGF. De la même façon, lorsque le cabinet Lévesque veut acheter Asbestos Corporation pour favoriser la transformation d'une partie de l'amiante sur place, on n'a pas à se demander si cette transformation se fera dans des usines autogérées par les travailleurs : l'opération consistera à québéciser une unité de production qui restera capitaliste, même si elle devient publique, et à favoriser par la suite le développement d'un capital québécois dans le domaine de la transformation de l'amiante.

Ce rôle que peut jouer la « fraction » étatique de la bourgeoisie québécoise lui est conféré par le développement du capitaliste lui-même dont elle est, pour ainsi dire, la création. C'est l'affirmation du stade monopoliste au Québec, tout le monde le sait, qui, en dernière analyse, a provoqué la Révolution tranquille et la modernisation de l'État québécois. On voit donc que, dans un État comme le Canada, où le pouvoir économique des provinces, si faible soit-il, peut intervenir dans des domaines comme les richesses naturelles et la canalisation de l'épargne, le pouvoir central peut trouver des concurrents redoutables et les bourgeoisies régionales « privées » rencontrer des alliés inespérés pour contrer l'hégémonie de la fraction bourgeoise dominante. Et c'est ici que la question nationale doit être prise en considération. L'importance du soutien que peut apporter l'État provincial et la « fraction » étatique à telle ou telle bourgeoisie régionale ne saurait être fonction que de la capacité de cette classe dans son ensemble de se constituer en force sociale spécifique, c'est-à-dire de développer un projet politico-social véritablement autonome. Or l'existence d'une question nationale s'additionnant à la question régionale paraît le terrain le plus solide non seulement pour l'affirmation de la bourgeoisie régionale mais aussi pour le développement d'un projet politique spécifique. Pourquoi ? Parce que la question nationale précisément, peut faciliter au plus haut point, soit le processus d'affirmation de l'hégémonie de la bourgeoisie régionale soit l'alliance politique clairement définie de plusieurs classes. En d'autres termes, la réalité de l'existence d'une nation différente peut favoriser une bourgeoisie régionale en lui donnant la possibilité de trouver les alliés nécessaires à son affirmation définitive. En termes encore plus concrets cela veut dire que la bourgeoisie québécoise jouit d'un avantage politique évident face aux bourgeoisies régionales de l'ouest canadien par exemple. Cet avantage conjoncturel, il faut le souligner, elle l'a cependant payé historiquement très cher.

Si la question nationale a toujours permis à la bourgeoisie québécoise de marquer sa différence, le développement des fonctions économiques de l'État monopoliste lui offrent actuellement un levier propice à l'émergence. Ainsi donc est-il permis de constater une deuxième fois dans l'histoire du Québec, en 1976 comme en 1837, sans vouloir faire de comparaison de terme à terme, que la question nationale y devient d'autant plus explosive qu'elle est liée à l'existence d'un pouvoir politique plus important.

Ces dernières considérations nous amènent à déborder le simple cadre de l'État canadien pour placer la question québécoise dans l'ensemble des questions nationales qui se développent au sein du centre impérialiste. Il n'y a pas qu'au Canada que la question nationale menace des États qui jusqu'ici avaient semblé immuables. Les questions nationales se conjuguent en effet à des questions régionales pour constituer l'une des plus importantes contradictions de la plupart des États du centre impérialiste.

L'affermissement de l'hégémonie de l'impérialisme américain tend, en effet, à produire partout un double phénomène. D'une part, la plupart des bourgeoisies dominantes qui contrôlent les États centraux s'affaiblissent : en Europe comme au Canada. Ces bourgeoisies, tout en demeurant des forces impérialistes au niveau mondial, sont de moins en moins capables de développer des politiques économiques véritablement autocentrées. Elles deviennent donc de plus en plus vulnérables économiquement comme politiquement. Sous l'effet du même impérialisme, les inégalités régionales s'accentuent ou se déplacent sans que les bourgeoisies dominantes puissent intervenir de façon efficace au niveau de la politique économique. Les tensions provoquées par l'affaiblissement des fractions bourgeoises dominantes et l'accentuation des déséquilibres régionaux sous l'effet de l'affirmation de l'hégémonie américaine a donc pour effet d'accentuer les problèmes régionaux et de faire de la question nationale, de façon relativement inattendue, un terrain favorable à l'accentuation des contradictions du capitalisme.

La question nationale est donc à l'ordre du jour. Mais encore aujourd'hui, il est impérieux, au centre comme à la périphérie, de se demander par qui et pour qui se ferait l'indépendance, la souveraineté ou l'autonomie. Malheureusement, le PQ ne nous donne guère le choix de la réponse. Son année de pouvoir ne me semble que confirmer la politique qu'il a imposée au mouvement indépendantiste dès après la fondation du MSA. L'opération privilégiée du PQ on le voit encore mieux main-tenant avec le recul historique, a été de se démarquer le plus possible du mouvement de masse. Finies les manifestations répétées d'appui aux grèves par lesquelles les indépendantistes essayaient d'établir un contact ponctuel avec la classe ouvrière. Tout cela s'est transformé en tactiques électorales et en un préjugé favorable à la classe ouvrière. Mais, est-ce trop partisan de le souligner, la classe ouvrière n'a besoin ni de préjugés, ni de faveurs. Elle a besoin, sur la question nationale comme sur tout le reste, d'organisations syndicales et d'organisations politiques qui défendent ses intérêts.

Mais le PQ veut donner à toute la nation et aux autres. Beaucoup à l'impérialisme, le plus possible à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie québécoise et un petit peu, aussi malgré tout, à la bourgeoisie canadienne. Faut-il s'étonner qu'il ne reste que des miettes pour la classe ouvrière et les masses populaires ? Faudra-t-il s'étonner si tout cela s'achève dans l'apothéose d'une réforme constitutionnelle ?


Notes:

Marcel FOURNIER, “LA QUESTION NATIONALE : ENJEUX ET IMPASSES”. Un article publié dans l'ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Léonard, La chance au coureur. Bilan de l'action du gouvernement du Parti québécois, “5e partie : Le Gouvernement du P.Q. et la question nationale”, pp. 177-192. Montréal : Éditions Nouvelle Optique, 1978, 253 pp. Collection : Matériaux. [Voir les Classiques des sciences sociales – JMT.]

[Communication faite les 15 et 16 novembre 1977 au colloque "Un an après. Bilan de l'action du gouvernement du Parti Québécois''. Organisé par la Société Canadienne de Science Politique et l'Association Canadienne des Sociologues et Anthropologues de langue française, ce colloque réunissait des universitaires, des journalistes, des syndi-calistes, et se proposait de porter un jugement critique sur la gouverne du Parti Québécois.]

Retour au texte de l'auteur: Gilles Bourque, sociologue (à la retraite), UQAM Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 20 août 2004 10:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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