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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gilles Bourque, “Duplessis, libéralisme et société libérale” (1997)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles Bourque (1942- ), “Duplessis, libéralisme et société libérale”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet, Duplessis. Entre la grande noirceur et la société libérale, pp. 265-281. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1997, 397 pp. Collection: Débats. Programme d'études sur le Québec de l'Université McGill. [L'auteur nous ont accordé le 11 juillet 2004 son autorisation de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

La publication de La Société libérale duplessiste représente l'aboutissement de travaux que nous avons effectués sur cette période de l'histoire du Québec depuis le début des années 1980 [1]. Dès le départ, nous nous sommes inscrits dans cette mouvance de plus en plus large qui a suscité la remise en question des thèses jusque-là dominantes dans le corpus historiographique et sociographique. À la fin des années 1970, ceux que Ronald Rudin [2] a appelé les historiens révisionnistes [3] ont sans doute été les premiers à contester ce point de vue qui situait l'accès du Québec à la modernité au moment de la Révolution tranquille. 

Cette remise en question s'est jusqu'ici principalement réalisée sur le base d'une histoire sociale et économique et d'une histoire des idées. On a bien montré, d'une part, qu'avant 1960, le Québec était lui aussi traversé par le large processus d'institutionnalisation économique de la modernité, ainsi que par les transformations sociales qui ne manquaient pas d'accompagner le développement du capitalisme [4]. La recherche est, d'autre part, devenue beaucoup plus attentive à l'expression et à la promotion de l'idéologie libérale dans les journaux à grand tirage et chez les gens d'affaires, de même qu'à l'affirmation des pratiques culturelles modernes dans les domaines des arts et des sciences [5]. 

On peut schématiquement situer nos travaux dans cette dernière perspective, même s'ils se démarquent de ce que, traditionnellement, on a convenu d'appeler l'histoire des idées. Rappelons que nous interrogeons l'histoire dans une perspective sociologique en nous intéressant à la contribution du discours politique dominant à la production de la société québécoise durant la période. Il importe cependant de souligner qu'il n'a jamais été question de simplement poser la dominance de la pensée ou des idées modernes et de déduire de cette dernière l'existence et la prégnance de la modernité. Nous ne croyons pas, en effet, que les débats sur les rapports entre modernité et tradition avancent de façon significative si l'on se contente de la simple addition des idées modernes qui ont existé avant 1960, addition que l'on opposerait aux autres idées dites traditionnelles. 

Nous avons plutôt abordé le discours duplessiste en essayant de comprendre comment il contribuait à l'organisation de la société québécoise. Et c'est précisément parce que nous croyions avoir démontré de façon satisfaisante que ce discours permettait de penser et de défendre une régulation politique de type libéral que nous avons avancé la thèse que le Québec constituait alors une société libérale. Dans une telle perspective, lorsque nous osons parler de la société libérale duplessiste, nous ne soutenons en aucune manière que cette société se présente comme l'incarnation de la pensée libérale conçue comme un idéaltype qui serait construit à partir du corpus des théoriciens du libéralisme. Bien qu'il s'en inspire, principalement sur la question du primat du marché, le discours politique libéral n'a jamais constitue, ici comme ailleurs, une simple retraduction des principes philosophiques du libéralisme. Il s'est plutôt affirmé dans la mouvance d'un processus d'hégémonisation d'une pluralité de discours adverses, très souvent contradictoires, à la faveur de conjonctures sociétales fort différentes durant lesquelles s'opposaient une multiplicité de forces Sociales, parmi lesquelles d'ailleurs certaines d'entre elles se situaient sur le plan philosophique à mille lieues du libéralisme. 

En d'autres termes, nous ne croyons nullement que la société libérale soit la simple incarnation du libéralisme. Celle-ci se présente tout au contraire comme une société complexe, liant le développement de l'industrialisation au maintien de la ruralité, balisant les progrès de la démocratisation par la défense d'institutions traditionnelles. Nous entendons par le concept de société libérale, une société qui s'organise et se reproduit sur la base d'une régulation politique libérale ou, si l'on préfère, qui prend forme dans le cadre d'un État moderne durant sa phase libérale. On conviendra sans doute assez facilement que l'affirmation et le développement de la modernité résultent d'un triple procès d'institutionnalisation économique, politique et culturel. Mais si l'on cherche à saisir comment le monde moderne s'incarne en une totalité sociale particulière, comment, en d'autres termes, il s'organise en société, c'est sur son rapport à l'État qu'il faudra insister. À ce titre, la société moderne se donne d'abord et avant tout comme une société politique qui se forme et se transforme dans le cadre d'une régulation étatique des rapports sociaux. Nous ne prétendons en aucune manière que l'État crée toutes les institutions au sein de la société, ni surtout qu'il soit le vecteur unique, voire le plus déterminant des transformations sociales. Nous soutenons cependant que les rapports de forces qui s'affirment, les pouvoirs qui s'instituent et les transformations sociales qui s'effectuent au sein de la société moderne ne prennent significativement forme qu'en autant qu'ils finissent par influer sur la régulation politique. C'est cette dernière qui, en définitive, traduit les rapports sociaux modernes en rapports sociétaux. L'évolution de la société moderne est, dans une telle perspective, intimement liée aux transformations de l'État. 

Voilà pourquoi nous croyons légitime de considérer telle ou telle société comme une société libérale à condition que l'on puisse établir que celle-ci se reproduit sur la base d'une régulation politique de type libéral. C'est dans ce sens précis que nous employons le qualificatif libéral qui renvoie aux caractéristiques particulières de la régulation politique durant cette phase de l'évolution de l'État moderne. Au-delà de leurs divergences, la plupart des auteurs s'entendent pour reconnaître que l'on peut distinguer au moins trois grandes phases ou périodes dans l'histoire de l’État moderne. Dans le cadre de nos recherches sur le discours politique, dont nos travaux sur le duplessisme n'ont d'ailleurs constitué que le premier moment, nous avons retenu les concepts d'État libéral, d'État-providence, et, actuellement, d'État néo-libéral pour rendre compte de ces transformations.


[1]     En plus de plusieurs articles, on pourra consulter Gilles Bourque et Jules Duchastel, Restons traditionnels et progressifs. Pour une nouvelle analyse du discours politique. Le cas du régime Duplessis au Québec, Montréal, Boréal, 1988. [Texte en préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[2]     Ronald Rudin, « La quête d'une société normale : critique de la réinterprétation de l'histoire du Québec », Bulletin d'histoire politique, vol. 3, no 2 (1995), pp. 9-42.

[3]     Voir le débat qu'a suscité le texte de Ronald Rudin dans le Bulletin d'histoire politique, vol. 4, no 2 (1996), pp. 3-74.

[4]     Voir entres autres, Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain. De la Confédération à la crise (1867-1929), Montréal, Boréal Express, 1979 ; PaulAndré Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1989 ; Brian Young et John A. Dickinson, A Short History of Quebec, A Socio-Economic Perspective, Toronto, Copp Clark Pitman, 1984.

[5]     Voir entre autres, Claude Couture, Le Mythe de la modernisation du Québec : des années 1930 à la Révolution tranquille, Montréal, Éditions du Méridien, 1991 ; Léon Dion, Les Intellectuels et le temps de Duplessis, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1993 ; Marcel Fournier, L'Entrée dans la modernité : science, culture et société, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1986 [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] ; Yvan Lamonde et Esther Trépanier, L'Avènement de la modernité culturelle au Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986 ; Fernande Roy, Histoire des idéologies au Québec, Montréal, Boréal, 1993.


Retour au texte des auteurs: Gilles Bourque et Jules Duchastel, sociologues, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 23 janvier 2007 7:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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