RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Mimes et parades. L'activité symbolique dans la vie sociales (1995)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Josiane Boulad-Ayoub [Professeure titulaire de philosophie, UQAM], Mimes et parades. L'activité symbolique dans la vie sociale. Paris: Éditions l'Harmattan, 1995, 382 pp. Collection: La philosophie en commun. [Autorisation formelle accordée, le 6 janvier 2005, par Mme Boulad-Ayoub, de diffuser toutes ses publications. Le 24 octobre 2005, Mme Ayoub m'autorisait à diffuser ce livre en version intégrale.]

Préface

Lire Althusser, mais...
L’idéologie comme activité socio-symbolique
Mimêsis et idéologème
La fonction agonique
Vers une théorie matérialiste de l’idéologie

Tout près de la bibliothèque de Béryte (lorsque vous entrez, à droite) nous avons enterré le savant Lysias, grammairien. Le lieu convenait excellemment. Nous l’avons placé près des choses dont il se souvient, peut-être, là-bas aussi: scolies, textes, technologie, écritures, fascicules d’interprétation d’héllénismes. Ainsi chaque fois que nous irons parmi les livres, nous regarderons sa tombe et nous l’honorerons. Cavafy, Poèmes, coll. Les Belles-lettres, Paris, 1958. p. 79.

Lire Althusser, mais...

Ah, Ah, disions-nous en marxien, car ne l’oublions pas c’était notre langue maternelle, ah, ah, nous voici rendus avec l’idéologie au pays de l’erreur! Superbes, et peut-être généreux, nous ne doutions guère, à la suite d’Althusser, ni de la nature du «continent» idéologique, ce continent de l’imaginaire, ni du caractère radical de la proposition: c’est au nom des masses que la Théorie de l’Idéologie, que la Science de ce qui est illusion est possible.

Le positivisme heureux, un tantinet moralisateur du matérialisme dix-neuvième, nous rassurait sur la perspective (incontournable) à adopter; le «structuralisme» néo-essentialiste du matérialisme lutétien du vingtième, en dépit de ses esquives subtiles, nous confortait dans nos réponses. Nous allions répétant la loi et les principes, avec leurs quelques variations infiniment intelligentes: la lutte des classes est le moteur de l’histoire; l’économique est la base, en relation — dialectique, bien entendu — avec les superstructures; les instances sociales jouissent, sous certaines conditions, d’une relative autonomie; l’exercice de la contradiction est complexe mais le jeu de la surdétermination encore plus. Nous assurions avec gravité, sans oublier le scrupuleux — et commode — «en dernière instance»: voilà justement ce qui fait que votre fille est muette; voilà pourquoi la société se reproduit. L’Histoire n’a pas de Sujet et n’a pas de Fin(s). Tout se refait au cours du procès des relations imaginaires qu’entretient le sujet-agent avec ses conditions d’existence, les pensées de la classe dominante forment l’idéologie dominante et celles de la classe dominée, l’idéologie dominée. La belle médecine que voilà! Oh, camarades, comme nous étions persuadés d’avoir enfin «changé tout cela».

Il serait trop facile aujourd’hui de faire son auto-critique, aisé de brûler maintenant les dieux qu’autrefois on adorait, d’ironiser aux dépens de celui qui nous rendait naguère notre fierté de philosopher. Jeux futiles! Non, je ne regrette rien; j’ai tout simplement vieilli, comme disait Zazie! moi, la conjoncture discursive, la conjoncture sociale, et tout le fameux horizon indépassable... Alors que faire? Surtout ne pas donner comme tant d’autres le coup de pied de l’âne à la théorie althussérienne de l’idéologie ou pis encore, croire que son objet s’est englouti, telle une nouvelle Atlantide, par suite de catastrophe théorique. La leçon utile d’Althusser, l’hommage à la pérennité de sa pensée, à la pérennité de la pensée matérialiste tout court, ne consisterait-il pas tout simplement à s’entêter? Je veux dire, à retourner caboter le long du continent ostracisé en même temps que le plus contemporain de ses explorateurs. Les phénomènes idéologiques n’ont pas cessé d’apparaître si leurs épiphanies se font de plus en plus élucider sous des cieux disciplinaires nouveaux!

Notre propos général est à la fois humble et ambitieux. Humble parce que nous voudrions être malgré tout fidèle à un certain althussérisme, respecter les démarches de la philosophie matérialiste dans son ensemble — et, d’une certaine manière, n’est-ce pas là vouloir être fidèle à soi-même, c’est-à-dire exiger d’abord de soi une cohérence minimale? Humble parce que nous nous apprêtons à arpenter le même terrain qu’Althusser reconnut à grands pas; parce que nous nous réapproprierons quelques-uns de ses concepts éminents aussi bien que quelques-unes de ses catégories d’analyse; parce que nous continuerons à nous aligner, philosophiquement parlant, sur les déterminations matérialistes, ontologiques et gnoséologiques de la réalité idéologique.

Mais nous prétendons en même temps à une relative originalité. De là, le projet ambitieux d’un certain débordement conceptuel par rapport aux thèses du matérialisme orthodoxe; et qu’importe si nous nous montrons, en chemin, iconoclastes ou barbares, pourvu que nous puissions contribuer avec une quelconque efficacité à la construction de la théorie générale de l’idéologie?

La lecture d’Althusser n’interdit pas pour autant le geste critique, voire parricide, l’abandon de ce qu’on estime être des culs-de-sac théoriques, le renouvellement des hypothèses de départ, les transgressions, détournements ou autres retournements... Bref, tout ce dont s’autorise, depuis toujours, la démarche incoerciblement radicale de la philosophie comme entreprise de la rationalité critique.

L’idéologie comme activité socio-symbolique

La ligne de démarcation entre nos positions et celles d’Althusser est, à la fois, selon la formule qu’il affectionnait, floue et précise. À commencer par notre première thèse relative à la nature de l’activité idéologique laquelle sera réévaluée de manière plus large comme activité socio-symbolique. Je poursuivrai en m’emparant de quelques concepts d’Althusser mais tout en puisant aussi dans la théorie systémiste contemporaine. Je les retravaillerai, les «bricolerai» jusqu’à pouvoir les intégrer dans une problématique renouvelée qui rende compte du statut des activités symboliques dans la vie sociale et du processus de leur idéologisation.

Notre démarche s’articule autour de deux grands problèmes interdépendants: déterminer les types d’existence de ce que j’appellerai désormais les productions socio-symboliques à valence idéologique, ou plus brièvement «idéologèmes», et, concurremment, analyser leurs modes d’action dans le système social. Sous le concept général de «mimêsis» [1], on décrira le fonctionnement des processus symboliques au niveau des représentations et des pratiques collectives (ou, plus précisément, culturelles) sans négliger l’articulation de celles-ci au discours symbolique individuel (ou, plus précisément, aux aspects psychiques du symbolique). Ainsi s’attachera-t-on à rendre compte de l’activité symbolique dans la vie sociale, de ses propriétés et de ses productions, selon le schème mimêsique (simulation-originalité) qui règlerait, postulons-nous, son développement et ses transformations. La mimêsis sera dite «agonique» lorsqu’elle servira à désigner l’activité symbolique à valence idéologique; c’est alors qu’on tentera de circonscrire la nature et les fonctions sociales (ou effets sociaux) de l’activité idéologique-en-général.

Mimêsis et idéologème

C’est pour deux raisons que j’avance l’hypothèse de la mimêsis pour examiner ce que j’appelle les dispositifs socio-symboliques: l’une théorique, l’autre stratégique. Je voudrais m’adresser au problème de la «sémiosis sociale», c’est-à-dire au problème de la signification dans le contexte socioculturel, en dehors du cadre conceptuel de la sémiologie à l’intérieur duquel ont traditionnellement recours les théoriciens de l’activité symbolique culturelle. J’entends préférer au langage de la sémiologie, une perspective de type cognitiviste. Et c’est dans cette perspective, bien plus heuristique comme je le montrerai, que je compte envisager les questions reliées à l’évaluation critique des forces symboliques telles qu’elles sont orchestrées dans et par les institutions de notre culture. Autour du problème central que constitue pour nous l’analyse des fonctions sociales de l’activité symbolique, on retrouvera débattues toutes ces questions: en amont, quand on discutera, notamment, de l’homme défini comme animal symbolique, ou encore de la controverse holisme/individualisme méthodologique; en aval, lorsqu’on abordera, par exemple, l’ontologie des produits symboliques culturelsidéologiques, la fonction des institutions culturelles et le développement des significations sociales. Il s’agit ici du problème que j’appelle, en jouant sur les mots, le «problème du sens commun».

Le parti-pris théorique dicte la décision stratégique en vertu de laquelle je voudrais passer de l’étude du fonctionnement des dispositifs sociosymboliques à l’analyse des fonctions ou des effets sociaux de l’activité symbolique à valence idéologique.

J’entreprends, en effet, de délaisser la vieille Alêthé qui, au demeurant, se fait gâteuse, du moins quand il doit être question de l’efficacité sociale des produits idéologiques. Aussi bien adopterai-je une perspective résolument pragmatiste et fonctionnaliste laquelle, telle que je l’interprète, permet d’exclure, sur le plan ontologique, bon nombre de faux problèmes, et, sur le plan pratique, de renouveler l’approche de certains autres, à commencer par celui de la définition de l’idéologie, véritable croix des chercheurs tant qu’on reste enfermé dans des règles de jeu, aux relents aristotéliciens. J’estime également que les problèmes gnoséologiques, au sens strict du terme, sont d’une pertinence atténuée lorsqu’il s’agit de déterminer surtout la valeur sociale d’une production idéologique donnée, d’une représentation concrétisée culturellement comme idéologème.

Pour le sujet-agent interprétant, la représentation idéologique ne saurait être vraie ou fausse en tant que représentation, au sens strict: elle ne peut qu’être (culturelle) ou n’être pas, ou, plus précisément, elle doit être capable d’agir dans la vie sociale, d’emporter l’adhésion, la reconnaissance, bref de s’imposer d’une manière quelconque sur la scène sociale, sinon, son échec confirmé, elle retombera dans le néant. Autrement dit, la valeur de vérité de tel ou tel idéologème se mesurerait sur une «ligne» platonicienne renversée qui conférerait à l’action-production idéologique réussie la dignité ontologicoépistémique la plus pleine: l’idéologème est de l’ordre d’une «vérité de fait», dirait Leibniz, et bien sûr, comme tel, l’idéologème n’est jamais nécessaire mais toujours contingent. À son tour, si la «vérité» ou la «nécessité» d’un idéologème doivent absolument être situées quelque part, le topos de cette «vérité», de cette «nécessité» ne serait localisable ni dans l’objet idéologique produit ou représenté ni dans la représentation idéologique; il faut suivre plutôt les découpages particuliers qu’opère dans la culture le mouvement de la relation elle-même, pour ainsi dire. Aller de la représentation à son objet, et réciproquement, de l’objet à la représentation. Avec l’élaboration de l’idéologème, nous avons affaire à une «vérité» dynamique, relationnelle, en même temps qu’à une «nécessité» toute relative, relevant de l’ordre de l’opportunité. La «vérité» et la «nécessité» de l’idéologème sont, toutes deux, fonction de la conjoncture sociale dans son ensemble. C’est en ce sens seulement que la question gnoséologique sera introduite: au moment où la recherche se penchera sur les problèmes d’ordre économique, c’est-à-dire sur les problèmes que posent l’organisation mimêsique des productions idéologiques et leur valeur socio-sémantique.

La fonction agonique

Au demeurant la question gnoséologique, pour nous donc la question économique, sera immédiatement subordonnée aux problèmes dynamiques relatifs aux diverses fonctions que jouent dans le système socio-culturel les artefacts idéologiques, autrement dit subordonnée à l’examen des fonctions de l’«idéologème», puisque je désigne par ce terme, ce type de production symbolique; et, par suite, au problème épineux impliqué par la spécification de ses propriétés et de son action sociétale par rapport aux autres types de production symbolique. En effet, conduite par la logique de ma réévaluation, d’abord, du schéma marxiste des structures sociales, ensuite, dans une perspective cognitiviste, de la fonction symbolique assignée aux structures culturelles par le discours anthropologique contemporain, je débouche, enfin, sur l’objet même qui oriente mes reconstructions: le processus idéologique.

C’est alors que je me confronterai à la série des problèmes posés par le processus d’idéologisation de tel ou tel produit symbolique; il sera nécessaire, entre autres, d’établir une critérisation pour nous permettre de distinguer comme tel l’idéologème de même que pour déterminer sa valeur sémantique-pragmatique propre, son utilité socio-symbolique. Je ferai intervenir à ce moment de la recherche comme catégorie d’analyse, ce que je nomme la «fonction agonique» de l’activité idéologique. Les développements que je donnerai viendront compléter les mises en oeuvre précédentes de l’hypothèse de la mimêsis pour rendre compte de l’activité symbolique à valence idéologique et de ses productions, les mécanismes de leur évolution et de leurs transformations.

Je subsume donc, sous la catégorie de «fonction agonique», les diverses opérations impliquées par le travail socio-symbolique de production de l’idéologème. Cette production, discursive ou pratique, serait téléoniquement réglée par les objectifs de lutte (agôn) et de domination culturelle-politique que poursuit, intentionnellement, dans ses activités sociales, le sujet-agent interprétant, et au courant desquelles l’idéologème se définit en tant que tel. C’est dire que je m’intéresse avant tout à l’analyse des processus idéologiques à partir de la détermination de leurs effets, au sens causal cybernétique du terme, certes, mais aussi au sens optique et spectaculaire. J’espère arriver ainsi à caractériser les modes d’action des idéologèmes à l’intérieur des processus de production et de reproduction-transformation d’une formation sociale donnée.

Vers une théorie matérialiste de l’idéologie

Je tourne donc surtout autour des problèmes ontologiques et épistémiques posés par les processus symboliques-idéologiques. Je ne sais pas si j’y entre vraiment tout à fait. Ce que je sais c’est que je cherche à suggérer un dessin de l’armature symbolique-idéologique de la vie sociale autre, s’il est possible, que celui épinglé par le modèle traditionnel ou plutôt autre que celui, discursif ou pratique, auquel on succombe de guerre lasse: une armature floue et mystérieuse dont on finit même par douter si elle existe vraiment. Je souhaite donner, avec les quelques éléments que je propose, une esquisse structurelle du processus idéologique et de son rôle social, sous le double aspect de son économie: statique et dynamique. Ce serait ma façon de contribuer à cette théorie générale de l’idéologie, toujours en train de se faire, et qui devra bien finir par apparaître un jour à l’horizon matérialiste du marxisme actuel!

Les thèses que j’avance sur l’activité symbolique à valence idéologique par l’entremise d’outils conceptuels, parfois différents de ceux employés par Althusser, parfois semblables aux siens, sont construites à partir des postulats généraux d’une ontologie matérialiste moniste. Elles se détachent à partir de l’arrière-fond théorique que constituent quelques-uns des schèmes systémiques de la dynamique sociale et des modèles cognitifs de l’activité socio-symbolique. Enfin elles sont développées en respectant le trajet qu’imposent aussi bien la perspective d’un pragmatisme socio-critique ainsi que l’explication par la fonction.

Me nourrissant de la parole des anciens ou des jeunes maîtres, indifféremment, je serai heureuse si j’ai su répondre, sur la scène philosophique, à ma façon, avec ma petite musique à moi, mimêsique et agonique, à une certaine urgence: élaborer une théorie matérialiste de l’idéologie dans la mouvance de l’aggiornamento philosophique contemporain.

Montréal 1984-1994

*  *  *

Je tiens enfin à remercier tous les étudiants, qui, au fil des sessions, ont suivi mon séminaire de doctorat sur la philosophie de l’activité symbolique et la philosophie de la culture à l’UQAM, et en particulier Madame Marie-Hélène Simon, Messieurs René Girard et Michel Robert, de l’automne dernier. L’accueil toujours attentif, voire enthousiaste, et plein de discernement qu’ils ont fait à mon travail m’a stimulée et encouragée dans mon «voyage vers les Ithaques».


[1]       Je réemploie à mes propres fins le terme grec de mimêsis en mettant à profit l’infléchissement donné par Aristote à sa signification dans la Poétique, après que lui-même ait repris cette notion de mimêsis chez Platon.

Retour au texte de l'auteure: Mme Josiane Boulad-Ayoub, philosophe, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Lundi 31 octobre 2005 15:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref