RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Aux fondements théoriques de la représentation politique. (2007).
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Josiane Boulad-Ayoub, Aux fondements théoriques de la représentation politique. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2007, 128 pp. Collection: “Mercure du Nord.” [Autorisation formelle accordée conjointement le 16 novembre 2015 par Madame Josiane Boulad-Ayoub et le directeur général des Presses de l’Université Laval, Monsieur Denis Dion, de diffuser ce livre en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Aux fondements théoriques
de la représentation politique
.

Introduction générale

LE POUVOIR DU MÊME SUR LE MÊME


On chercherait sans doute en vain aujourd'hui un penseur politique ou un simple citoyen pour se dire antidémocrate. En France, l'éventail des démocrates s'étend du Front National à la Ligue Communiste Révolutionnaire et, dans le monde, de la République Démocratique du Congo au Kampuchéa Démocratique. Théoriquement, le choix de leurs représentants par des citoyens disposant des libertés publiques fondamentales, l'existence d'élections libres au suffrage universel sont aujourd'hui considérés comme synonyme de régime démocratique au sens contemporain du terme.

Les grosses masses de population ne peuvent prendre en masse des décisions pour la masse. Ce n'est pas là une règle philosophique mais une maxime pratique qui fait l'unanimité des penseurs politiques modernes, soit qu'ils le déplorent comme Rousseau ou qu'ils en tirent des conséquences brutales comme les dictateurs de tout poil. Les modernes considèrent que ces grosses masses sont devenues les conditions de l'existence politique et la maxime devient le critère de l'impossible et du possible : l'État, qu'il soit monarchique, oligarchique, aristocratique ou républicain (que l'on confond souvent avec le démocratique) est inévitable, il est nécessairement hétérogéré. L’autogestion ne convient qu'à une assemblée de Bénédictins ou à un conseil d'administration fort restreint.

[8]

Il n'y a cependant pas d'autre définition, à s'en tenir à la rigueur du mot grec Dèmokratia que le pouvoir, la domination exercée par le peuple, le démos : le peuple exerce le pouvoir sur lui-même. Comment penser philosophiquement cela, le pouvoir du même sur le même ?

Rousseau et Hegel confèrent à ce problème sa dignité philosophique en le rattachant plus précisément aux enjeux conceptuels qu'implique la représentation politique. Rousseau privilégie la liberté du souverain (droit du peuple), Hegel, l'enracinement de l'individu (droit de la particularité). C'est: en substance les deux pôles du grand débat qui allait accompagner l'entrée sur scène en Europe et en Amérique de la notion de souveraineté du peuple, notion fondatrice de nos démocraties modernes, que sous-tend le principe de représentation. Celle-ci est affirmée selon la thèse canonique comme un exercice de souveraineté et non sa captation ou sa monopolisation.

Pratiquement, les démocraties modernes et les politologues ont cependant évacué la question philosophique :

Cette espèce politique, la démocratie, se manifeste par certains mécanismes de pouvoir (suffrage universel, Parlement, Chambre de haute juridiction...), des modes de vies (la société civile, les syndicats, les lobbies...) et des jeux d'alliances et de conflits entre le secteur politique et le secteur non politique (contre-pouvoir, opinion publique, indépendance du juridique). De ce tableau, la fonction du peuple est absente ou purement juridique[1]

Le peuple agit indirectement et ne décide rien si ce n'est par l'intermédiaire de ses représentants qui exercent une fonction vicariante, ils agissent en nom et place des citoyens, ils sont les tenants-lieu des personnes qu'ils représentent. Le peuple souverain en droit ne participe pas aux affaires publiques, il n'y a pas identité du souverain et du prince. Rousseau seul tente de penser philosophiquement cette contradiction (sans d'ailleurs réussir à la résoudre, nous le montrerons plus loin) et Marx lui-même entend [9] démocratie dans son acception « aristocratique » : la domination du démos, ce ne peut être que la dictature provisoire du prolétariat.

Cette quasi-identité appelée démocratie directe semble pourtant s'être réalisée dans le nouveau dispositif politique mis en place en Attique par Clisthène vers 507 av. J-C et continué par son neveu Périclès de 450 à 429. Ce dispositif demeurera ici emblématique et nous ne mentionnons que pour mémoire, les cités organisées selon un schéma quasi identique dans les colonies grecques. Il est cependant remarquable que « la théorie démocratique de la démocratie » demeure « introuvable » dans le discours philosophique des Grecs [2], sauf d'une façon fragmentaire chez les Sophistes. Cependant, cette structure politique continue à hanter certaines actions des peuples ainsi que l'imagination des penseurs politiques comme le remords d'une belle totalité oubliée.

« À considérer les grandes pensées de la philosophie politique moderne, écrit Lucien Jaunie, la représentation ne semble pas occuper la place d'un problème philosophique reconnu ». En essayant précisément de comprendre le défi que lance à la réflexion philosophique la crise contemporaine de la représentation à partir de l'analyse des fondements philosophiques modernes de la représentation, nous voulons contribuer à éclairer les questions théoriques fondamentales qui émergent des mutations des institutions et des instances régulatrices de la société d'aujourd'hui, en particulier celles relatives à la discussion des conséquences politiques et socio-symboliques de la mondialisation et de la place effective du peuple dans la représentation.

Nous examinerons pour commencer, dans une première partie, les démocraties sans représentants avec \&polis des Athéniens et le discours grec sur la démocratie (les Sophistes, Platon, Aristote). Ensuite, avant de passer en deuxième partie aux conditions de naissance des démocraties représentatives et à la critique de la thèse immanentiste classique, nous apprécierons certaines résurgences [10] des démocraties directes, sur le plan historique et sur le plan théorique, notamment avec Rousseau qui a fait le tour de cette problématique.

Nous nous étendrons, dans une troisième partie, sur les divergences entre les conceptions française et américaine de la souveraineté sur la question de la représentation, en nous appuyant surtout sur Le Fédéraliste. Nous pensons, en effet, qu'une des carences de la réflexion philosophique sur le problème de la représentation est trop souvent soit d'ignorer l'une ou l'autre de ces deux grandes traditions, soit d'utiliser l'une des deux comme le modèle normatif à partir duquel toute autre conception est évaluée. Cela conduit nécessairement à une simplification à outrance de la réflexion.

L'origine des contrastes provient sans doute, comme le propose Philippe Raynaud, de la différence entre les problèmes politiques qui se posaient aux deux révolutions : « Alors que les Américains avaient été conduits par leur conflit avec le Parlement anglais à une certaine défiance à l'égard du pouvoir législatif, les Français avaient à créer un régime représentatif ». La tradition anglo-américaine se distingue, en effet, par une conception plus « réaliste » de la représentation, comme on le verra. On y accepte d'emblée que le représentant soit davantage celui de sa circonscription que celui de la nation entière et que l'un des buts visés par le système électoral soit la représentation des intérêts particuliers qui caractérisent la vie effective de la société. Le débat qui perdure encore aujourd'hui porte alors sur la façon de penser ces intérêts et sur les mécanismes permettant d'empêcher que leur présence dans l'assemblée représentative fasse obstacle à la formation d'un possible bien commun.

La quatrième partie sera consacrée aux critiques anarchistes et néo-anarchistes de la représentation et à la dénonciation de ce mensonge, comme le dit Bakounine. Enfin, dans notre conclusion, après une récapitulation-synthèse des thèses analysées, nous entreprendrons de baliser dans une perspective heuristique quelques pistes délimitant les alternatives politiques en réponse [11] à la mondialisation de l'économie et au désenchantement actuel vis-à-vis du politique, voire de son retrait.

[12]


[1] Yves Vargas, De la populace, in De la puissance du peuple, Paris, germ, Le temps des cerises, 2000, p. 9.

[2] Nicole Loraux, L'Invention d'Athènes. Histoire de l'oraison funèbre dans la cité classique, Paris, 1981.


Retour au texte de l'auteure: Mme Josiane Boulad-Ayoub, philosophe, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 12 février 2016 9:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref