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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Russel Bouchard, La fin de l’Histoire par un témoin oculaire !!! (2003)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Russel Bouchard, La fin de l’Histoire par un témoin oculaire !!!. Chik8timitch, Saguenay, Russel Bouchard, 2003, 126 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 5 février 2019 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

La fin de l’histoire par un témoin oculaire!!!

Avant-propos

Découvrir le monde avec ses propres yeux


« Les écoles n’ont jamais produit un seul grand homme ;  ce sont les grands hommes qui ont produit les écoles. »
Émile Zola

De toutes les écoles que j’ai fréquentées, seule celle qui loge à l’enseigne de l’insoumission de l’esprit se mérite encore mon adhésion. Je n’ai jamais été un élève docile, et cela m’a valu, très tôt, ma rupture de ban avec le milieu de la recherche institutionnalisée, cette prison de l’esprit ! J’ai toujours été d’avis que le maître le mieux inspiré, peu importe la discipline ou l’art qu’il enseigne, est celui qui apprend à ses élèves à voir le monde avec ses propres yeux. Adopter la pensée d’un autre sans l’avoir rudement éprouvée au préalable, fut-elle la pensée d’un génie en son art et en sa science, c’est se condamner soi-même à devoir supporter les faiblesses de cet autre et la médiocrité de ceux qui l’inspirent.

[10]

S’il ne s’insurge contre les pensées confortables, l’esprit étouffe, dessèche, meurt, disparaît sans laisser de traces. Cela est bien connu des mal pensants qui en paient largement le prix dans leur exil intérieur, la critique musclée n’est jamais de bon ton dans les ornières du conformisme. Mais elle est la seule manière d’aller au-delà de l’acquis. À preuves : si Voltaire n’avait pas défié, à cor et à cris, l’esprit de son temps pour amener l’opinion publique à se soulager de ses chaînes, la tyrannie régnerait encore sans partage dans les quatre coins du royaume de France ; si Zola n’avait pas défié l’école de ses maîtres, l’intellectualisme dont il fut le père n’aurait pu sortir des limbes pour marquer l’histoire à son tour. « Dans les chemins que nul n’a foulés risque tes pas, dans les pensées que nul n’a pensées risque ta tête » ; cette phrase, que j’avais remarquée à la fin de ma dix-neuvième année sur une longue banderole secouée par le vent de la révolte de mai 1968, à Paris, a marqué profondément ma délinquante jeunesse et a ajouté une lourde impression au sens que j’entendais déjà donner à ma vie de sondeur du temps.

C’est là ma conviction profonde : si droites soient-elles, les règles et les grilles d’analyse qui étouffent la pensée et éreintent la créativité, sont les instruments de la médiocrité humaine et les outils de domination par excellence que s’octroient les esprits timorés qui ne savent penser par eux-mêmes et qui n’ont pas l’audace de la liberté. Si l’histoire est un art plus qu’une science —ce dont je souscris intensément— c’est donc qu’elle est aussi le fruit d’une sensibilité, qu’elle ouvre à la création. Mais encore faut-il savoir prendre la mesure des ombres trépassées qu’on observe, savoir tirer l’essentiel du décor, ne pas [11] s’abandonner au mirage des préjugés, être réverbère plutôt qu’éteignoir, décrire l’âme des mouvements que nous auscultons pour donner un sens à notre présent.

En ce qui me concerne, nul autre que Lionel Groulx (Directives, 1937), un historien québécois aujourd’hui violemment contesté pour sa flamme et son engagement envers la vérité, envers les mânes de ses ancêtres et envers sa patrie, n’a su si bien résumer la responsabilité qui incombe à ceux et celles qui ont accepté de se faire les messagers du temps :

« Rappelez-vous que seuls comptent, en définitive, les esprits vigoureux, équilibrés, créateurs. Ne soyez pas seulement des esprits enregistreurs, simples disques pour la réception fidèle mais passive, photographique, des idées des autres ; visez à devenir au moins des esprits assimilateurs, personnels, assez puissants pour repenser la pensée des autres, mettre sur votre produit votre marque de fabrique. Visez même à devenir, si possible, des esprits créateurs qui saisissent dans la vérité des aperçus nouveaux, entre les vérités et les faits des relations, des déductions échappées au commun ; de ceux qui créent, dans l’art, des formes d’expression nouvelles, qui voient, avant tous les autres, les maux de leur temps, de leur nation, de leur pays ; qui les voient jusque dans leurs causes profondes ; qui voient comment les guérir, comment préparer le prochain et le lointain avenir. »

L’histoire est une réalité passée qui s’appuie sur des faits ; alors que la mémoire est une disposition, une modalité particulière qui entretient avec le passé une relation vivante. L’une est neutre, objective, incompressible, [12] soumise aux faits ; l’autre, partiale, subjective, extensible, ouverte à la créativité. En ce sens, l’histoire qui se laisse écrire est une appréciation d’une réalité trépassée qui ne se peut concevoir sans passer par l’accouplement de la mémoire intime avec l’âme de celui qui en devient le prisme, l’émetteur et le procréateur, c’est-à-dire l’historien. S’engager envers la recherche, la conceptualisation et l’écriture de l’histoire, c’est, effectivement, s’engager dans une démarche de vérité strictement personnelle pour agir dans la conscience du milieu, en fonction du passé, du présent et du futur : représentation de la réalité, représentation de la vérité, représentation du mouvement, voilà la démarche d’une vie consacrée à cette science —ou plutôt à cet art.

Lorsqu’il raconte l’histoire, l’historien est un observateur de cette réalité passée ; il apprend à décoder les signaux encore audibles de la présence de l’homme dans l’univers étudié, meuble son moi à partir d’iceux, ajoute à la somme des connaissances acquises sur son environnement humain ; il prélève des données et des faits accomplis et n’a donc aucune influence sur son sujet (et il le faut souhaiter !). C’est le passé qui agit sur lui ; il est un « écran » (dixit Zola), une fenêtre donnant sur un monde imperturbable, insensible, de marbre.

Lorsqu’il s’engage à éveiller les consciences à partir de la somme de ses observations, l’historien devient un témoin —oculaire— de son temps. Il offre une représentation de la vérité. Il agit l’histoire ; il en devient un acteur, un figurant ; il l’influence plus ou moins efficacement, selon ses sensibilités et charismes. C’est donc [13] plus particulièrement le passé et le présent qui agissent sur lui.

Et lorsqu’il s’active à influencer le cours des événements qui l’interpellent, le heurtent et le questionnent, l’historien ajoute à ses fonctions d’observateurs, de témoin oculaire et d’acteur, celle d’être l’auteur-artisan d’une pensée qui lui est propre et qui émerge du tout. Il assume donc son unicité. Il est une fenêtre sur un monde en mouvement qu’il accompagne, une bouteille jetée dans la mer du temps. Il est un phare qui imprime une énergie nouvelle à la longue courbe du temps de l’humanité, un observatoire exceptionnel donnant, par derrière, sur un monde imperturbable, et par devant, sur un autre déjà engagé dans sa continuité. Comme le poète, comme l’artiste, —comme Groulx !—, il est une valeur ajoutée à l’Histoire, celle avec un grand « H ». Il est à la fois un observateur, un messager et un créateur, un point d’ancrage de la pensée identitaire de son temps, de la pensée émancipatrice. Il s’accomplit et son message, qui est de libérer les ombres et la lumière du passé porteuses de vérités, devient un art en soi.

On aura évidemment compris que ceux qui appartiennent au premier mouvement font florès dans tous les milieux académiques, qu’ils sont parfois fort populaires, et que leurs écrits, qui démodent très vite, suivent un courant sur lequel ils n’ont absolument aucune emprise. On aura compris également que ceux qui appartiennent au deuxième mouvement, se font beaucoup plus rares, qu’ils ne font évidemment pas l’unanimité parce qu’ils tentent —infructueusement— de se libérer du courant, [14] mais qu’ils laisseront eux aussi peu de traces de leur passage. Et on aura compris enfin que ceux qui réussissent à s’engager dans le troisième mouvement en se faisant fort de ne jamais tricher sur la vérité ni la compromettre, sont les exceptions qui confirment la règle, et leur œuvre survit généralement à leur trépas. Ils ont réussi, à leur manière, à se libérer du courant, à être de leur école sans pour autant devoir faire école. Ils sont alors une menace à la stabilité, une menace au pouvoir conformiste et à ceux qui en profitent, une force visionnaire qui interpelle le changement.

Russel Bouchard
12 décembre 2002



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 5 février 2019 18:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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