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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Luc Bonniol, “Les usages publics de la mémoire de l’esclavage colonial”. Un article publié dans la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps, 85, 2007, pp. 14-21. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 21 avril 2008 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Jean-Luc Bonnniol
Université d’Aix-Marseilles III, France. 

Les usages publics de la mémoire
de l’esclavage colonial
”. 


Un article publié dans la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps, 85, 2007, pp. 14-21.

Introduction
 
Une amnésie collective ?
La trace colorée de l’esclavage
La montée d’une revendication mémorielle
La construction d’une mémoire historique 
Enjeux identitaires
 

Introduction

 

La question de la mémoire de l’esclavage colonial a fait irruption dans le débat public hexagonal durant l’année 2005. C’est elle qui a certainement provoqué le retournement le plus inattendu dans la chronique mouvementée des rapports entre mémoire et histoire qui a caractérisé ce débat. Alors que régnait un relatif unanimisme, englobant historiens (même si certains pointaient déjà le précédent fâcheux installé par la loi Taubira de 2001…) et militants pour exiger l’abrogation de la loi de février 2005 (qui voulait imposer aux enseignants d’histoire de prendre en compte le caractère « positif » de la présence française outre mer), l’assignation en justice de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau par un collectif d’originaires des DOM pour contestation de crime contre l’humanité [1] – catégorie juridique qualifiant, depuis la loi Taubira du 10 mai 2001, la Traite et l’esclavage colonial – a entraîné la réaction d’un groupe d’historiens, parmi les plus éminents, qui ont alors lancé une pétition (dite des 19), demandant l’abrogation de toutes les lois mémorielles, y compris la loi Taubira… A peu près dans le même temps, la parution du brûlot de Claude Ribbe sur le « crime de Napoléon [2] » (flétrissant celui qui imposa le rétablissement de l’esclavage et ordonna une répression inhumaine à Saint-Domingue…) et les prises de position d’associations oeuvrant pour la mémoire de l’esclavage ont eu pour effet une révision à la baisse des commémorations officielles pour la victoire d’Austerlitz ; au même moment, le refus de la majorité d’abroger l’article controversé de la loi de février suscitait la colère aux Antilles, provoquant l’annulation de la visite pourtant prévue de longue date du Ministre de l’Intérieur. 

Ces événements se sont eux-mêmes intégrés dans une montée plus générale des préoccupations face à la mémoire coloniale, avec le mouvement des « Indigènes » ou le lancement de l’expression « fracture coloniale », fracture dont on avait cru percevoir les effets lors des émeutes dans les cités du mois de novembre, qui ont souvent donné lieu à des lectures ethnicistes. Ils ont généré, dans la presse et sur Internet, de très nombreux commentaires et prises de position : la réflexion, sous les feux d’une forte préoccupation sociale, y semble souvent traversée par les désordres de la passion, posant à nouveau, mais dans une très grande confusion, le problème des rapports entre mémoire et histoire... Le propos est ici d’éclairer une nouvelle demande sociale sur la scène politique française, et de mesurer les enjeux qu’elle soulève.
 

Une amnésie collective ?

 

Parmi les principaux griefs présentés dans le débat relatif à la mémoire de l’esclavage colonial, on peut noter la place centrale d’une absence de mémoire dont sont accusés l’Etat et la société française [3]. Mais cette stigmatisation de l’oubli concerne d’abord, au premier chef, les sociétés post-esclavagistes elles-mêmes, du fait de leur dépendance coloniale. Nous pouvons la suivre à partir des propositions formulées par l’écrivain Edouard Glissant dans les années 70 (moment caractérisé par la thèse de l’aliénation coloniale), lorsqu’il évoque le raturage de la mémoire collective [4]. Mais il n’est pas le seul à développer un tel discours, qui finit par se constituer en véritable dogme : autour du thème de l’amnésie collective et sous le signe de l’absence de traces et de l’impuissance de la mémoire, se profilent des formations sociales malades, sujettes à une pulsion névrotique d’assimilation, refusant d’assumer leur histoire douloureuse…  Au-delà du cas des colonies françaises, on peut ainsi citer ces fragments (traduits de l’anglais) d’un poème de Derek Walcott, Prix Nobel de littérature, originaire de l’île de Sainte-Lucie: 

« Where are your monuments, your battles, martyrs
Where is your tribal memory ? Sirs,
in that grey vault. The sea. The sea
has locked them up. The sea is History [5] » 

Derek Walcott estime qu’ « avec le temps, l’esclave capitula devant l’amnésie », et que « c’est cette amnésie qui constitue la véritable histoire du nouveau monde ». Pour le sociologue d’origine jamaïcaine Orlando Patterson [6], « l’héritage le plus important de l’esclavage est la rupture totale, moins avec le passé qu’avec une conscience du passé ». Glissant a pu parler quant à lui de « non-histoire » (« ce discontinu dans le continu, et l’impossibilité pour la conscience collective d’en faire le tour, caractérisent ce que j’appelle une non-histoire [7] »). Le texte-manifeste qu’est l’Eloge de la créolité, paru en 1989, dresse, dans la ligne déjà tracée par Glissant, le même bilan : « cela s'est fait sans témoignages, nous laissant un peu dans la situation de la fleur qui ne verrait pas sa tige, qui ne la sentirait pas [8].. ». 

Ceux qui flétrissent cette occultation de la mémoire de l’esclavage insistent toutefois sur la force d’impact du passé esclavagiste, sur sa longue résonance, et sur le façonnement du présent au sein de la matrice d’une souffrance « qui ne passe pas ». Aimé Césaire, qui évoque ces « pays sans stèles, ces chemins sans mémoire », parle aussi d’une blessure irradiante… On retrouve ici le schéma général qui encadre aujourd’hui un certain discours relatif à la mémoire coloniale (dont la mémoire de l’esclavage constitue sans doute la figure paroxystique…) : 

1/  déclaration d’une absence de mémoire, voire d’un enfouissement ou d’un refoulement (appliquant au collectif un modèle issu de la psychanalyse) ;
 
2/  affirmation, dans le même temps (poursuivant l’application de ce modèle), d’un trauma issu d’un passé qui n’est pas réglé, alors même qu’il n’en finit pas de persister dans ses effets… 

Cette référence centrale à l’oubli s’appuie-t-elle sur de véritables évidences historiques ? Il est certain que l’une des premières attitudes qui put se déployer suite à la libération des esclaves fut de tourner le dos au passé d’oppression et de violence subies pour recomposer une société meurtrie. On peut en la matière rappeler la phrase inaugurale de Rostoland, gouverneur provisoire de la Martinique : « je recommande à chacun l’oubli du passé… ». Du côté de l’Etat, cette oblitération était nécessaire à la constitution du récit de la Nation unie et glorieuse, dont l’ethos collectif prenait justement naissance à l’Abolition, en 1848… L’Abolition, qui signifia en même temps pour les nouveaux libres, du moins pour les colonies françaises, l’accession à la citoyenneté, débouchait tout naturellement sur la voie, à la fois culturelle et politique, de l’assimilation. L’esclavage devait être, dans ces conditions, passé sous silence au nom de l’idéal républicain d’égalité et dans le rêve rédempteur de la fraternité française. Il est un fait que le récit national, tel que les historiens, par le relais des manuels scolaires, contribuent à le mettre au point à la fin du XIXe siècle, est étrangement peu loquace par rapport à l’esclavage : seule l’Abolition y est mentionnée, et encore de manière marginale (jusqu’en 2001, en particulier lors de la commémoration de 1998, le récit collectif ne prenait effectivement en charge que l’Abolition, sans évoquer le sort des esclaves, ni leur résistance à leur condition…).. Il y a là une zone de silence, ou un point aveugle, que la science historique française elle-même, dont le champ de recherche est surdéterminé par des contingences sociales, identitaires (et mémorielles…), s’est révélée incapable de réellement investir jusqu’à ces dernières années [9]. 

Une « politique de l’oubli » fut-elle officiellement instituée par le pouvoir colonial, au fondement de l’entrée dans le cercle de la citoyenneté républicaine, imposant l’amnésie [10] ? Et si réellement il y eut une politique de l’oubli (fût-elle implicite…), cette politique fut-elle réellement efficace ? Avancer dans un tel débat, tout en mettant en perspective une amnésie éventuelle, implique d’examiner comment, dans le contexte des sociétés post-esclavagistes, purent se profiler les phénomènes mémoriels relatifs à l’institution servile, en particulier  pour la période post-abolitionniste (soit la seconde moitié du XIXe siècle, à une époque où pouvait se maintenir dans les esprits une mémoire vive de l’esclavage). Force est de constater que le souvenir de l’esclavage a continué à figurer de manière récurrente dans les journaux de l’époque, comme on le constate pour les journaux socialistes de la Guadeloupe  [11] et même dans certains manuels d’histoire à destination des écoliers au début du XXe siècle [12] … Face à la thèse convenue de l’amnésie, on peut-on aussi alléguer la profusion de la littérature orale (contes, proverbes…), qui puise avant tout ses thèmes ou ses leçons dans le passé servile. Dans ces conditions, « dénoncer le raturage ou l’amnésie », n’est-ce pas avant tout « déplorer que la mémoire collective ne soit pas ce qu’on voudrait qu’elle soit[13] ? » Mémoire taxée de « honteuse » ou de « vide », mais sur laquelle on ne s’interroge pas, qu’on ne se donne pas la peine d’explorer dans ses profondeurs par des enquêtes appropriées… Le vocabulaire classiquement utilisé est certainement impuissant à rendre compte de cette complexité. Michel Giraud, dans une analyse récente, rejette quant à lui le terme d’oubli, interprétant ce refoulement du passé servile comme une certaine forme de mémoire, évoquant davantage un refus de remémoration, dans une volonté des masses antillaises d’en finir définitivement avec l’esclavage pour mieux accéder à l’égalité citoyenne [14]… Certains termes, comme celui de silence, d’occultation, d’oblitération [15], de convention d’évitement [16], ne seraient-ils pas préférables à celui d’oubli ? La société post-esclavagiste reste sans doute imprégnée par une mémoire de l’indicible, une mémoire qui se dit peu, et qui offre peu de repères communs d’identification [17], alors que son rapport au passé, où se joue un rapport contradictoire avec la France (tour à tour monarchie esclavagiste et République émancipatrice, mais aussi coloniale…), reste pour le moins troublé.
 

La trace colorée de l’esclavage

 

Il est cependant une trace visible de l’esclavage colonial, qui s’impose aux sens avant d’être « filtrée » au travers de certains schémas cognitifs : la couleur de la peau… Ce point doit être souligné en liminaire, car il affecte tous les débats : la racialisation qui a caractérisé l’esclavage colonial continue encore à gouverner les identités, tant en termes de catalogages édictés de l’extérieur que d’affirmations internes d’appartenance. Le développement du racisme colonial à partir de l’institution esclavagiste et de ses contradictions est aujourd’hui clairement attesté : le racisme coloriste, nécessité idéologique née au départ d’une coïncidence historique, résultant d’une différence phénotypique entre les maîtres d’origine européenne et les esclaves issus d’Afrique (justifiant l’oppression par l’argument de la nature, certains segments de l’humanité - en l’occurrence les Noirs – étant décrétés « prédestinés » à la servitude…), s’est surtout développé comme force de cloisonnement supplémentaire à partir du moment où les affranchissements et le métissage, brouillant l’étanchéité originelle des deux segments sociaux l’un par rapport à l’autre, ont imposé, du point de vue du segment dominant, un recours accru à la « race » afin de maintenir sa prééminence, débouchant sur la définition persistante de groupes fondés sur l’ascendance et le type physique, que l’on peut qualifier de « raciaux » [18]. La rémanence du biologique par rapport aux évolutions sociales (la nouvelle macule servile correspond, de fait, à un stigmate physique hérité de génération en génération), si bien perçue par Tocqueville (« le souvenir de l’esclavage déshonore la race, et la race perpétue le souvenir de l’esclavage… »), a permis la cristallisation de schémas hiérarchiques inscrits dans la longue durée qui se sont diffusés, à partir de leur foyer colonial, vers l’ensemble de l’Occident. Même là ou l’égalité et la citoyenneté sont affichées comme valeurs cardinales, comme au sein de la République française, ont ainsi pu s’imposer et persister des valences associées aux différences visibles. 

La mémoire de l’esclavage semble donc intimement liée à une « question noire » évoquée de plus en plus fréquemment dans le débat public, à l’heure des discours sur les « minorités visibles », du fait même de la persistance de ces exclusions ou minorations liées aux apparences et aux origines que la société française est impuissante à véritablement éradiquer, mais aussi du fait de l’émergence d’une « conscience noire », porteuse d’appartenance communautaire. Car inversement, effet en retour face aux discriminations pérennes, ont pu se développer des affirmations identitaires, qui reprennent en les inversant certains modes coloniaux de distinction. Affirmations parfois violentes, qui peuvent contribuer au repliement racial  et nourrir pour le moins des revendications de « discrimination positive »...
 

La montée d’une revendication mémorielle

 

La convention d’évitement du rappel de l’esclavage a eu tendance à s’effriter dès le début du XXe siècle, surtout à partir du début des années trente du siècle dernier, alors même que les derniers survivants de l’institution esclavagiste avaient disparu… On peut certainement faire remonter la genèse d’une quête mémorielle relative à l’esclavage colonial au « retournement » idéologique qui, dans les colonies françaises comme en d’autres lieux affectés par la « diaspora » africaine, suscita le mouvement de la négritude : Aimé Césaire, l’un des fondateurs du mouvement, fait allusion à cette mémoire dans son premier texte, Cahier d’un retour au pays natal ; il y revient ensuite de manière permanente, tant dans ses pièces de théâtre que dans ses recueils de poèmes ou ses essais. Frantz Fanon, dans les années 50, l’évoque implicitement dans Peau noire, masques blancs. Il faut cependant attendre la fin des années 60, soit les années de désillusion face à la départementalisation, pour assister, concurremment à l’émergence des mouvements nationalistes, à la mise en service politique de cette mémoire, qui se situe d’abord à un niveau strictement local [19]. 

À partir des années 90, on assiste à un accroissement des processus de construction d’une mémoire relative à l’esclavage au niveau de l’action publique, tant au niveau national qu’international. En 1994 l’UNESCO lance « la Route de l’esclave » ; des événements culturels sont programmés (comme à Nantes, ancien port négrier, « Les anneaux de la mémoire »), des expositions se mettent en place, comme à Bordeaux, autre grand port négrier. Ces opérations ouvrent un débat national, assez faiblement affecté, on peut le remarquer, par le bicentenaire de la première abolition de l’esclavage par la Convention en 1794, mais sous-tendu par l’approche du cent-cinquantenaire de la seconde abolition, définitive, de 1848.  Lançant la commémoration officielle, L. Jospin, le 26 avril 1998, prononce un discours de circonstance à Champagney, place symbolique, puisque c’est le premier village français à s’être préoccupé du sort des esclaves dans son cahier de doléances de 1788. Après un hommage appuyé à Schoelcher, il lance, soucieux de réconciliation nationale, un appel aux jeunes : « il faut, tout en rappelant la vérité, dépasser les débats, affectés de bonne ou de mauvaise conscience, entre descendants de victimes ou de coupables, qui sont facteurs d’incompréhension en métropole comme outre-mer… Se libérer sans chasser l’autre, défaire ses liens sans opprimer à son tour »… Une formule-choc résume le propos : « nous sommes tous nés en 1848 ». Il s’agit de faire prendre conscience que l’accès à une pleine humanité pour tous les Français n’a été rendu possible qu’à partir du moment où tous les hommes de ce pays, quels qu’ils soient, ont été reconnus comme tels, êtres libres mais aussi dotés d’une existence légale (reconnue par l’enregistrement dans l’état civil) et politique (la citoyenneté fondée sur le suffrage universel, même si les femmes s’en trouvent alors exclues, pour encore longtemps…), traduisant par là la volonté de donner une identité commune à l’ensemble des Français sans distinction ethnique, religieuse ou culturelle, au nom d’une certaine conception de la République, faite de l’adhésion à des valeurs fondamentales. 

Mais la commémoration de 1998 révèle la distance entre les propositions commémoratives officielles et l’attente mémorielle émanant de tous ceux qui s’estiment issus de la souffrance originelle de l’esclavage, qui se reconnaissent mal dans les rituels civiques proposés en ces occasions… Certains ressentent cet énoncé « tous nés en 1848 » comme une provocation, car la lutte pour la liberté menée par les esclaves ne semble toujours pas reconnue. L’indépendantiste guadeloupéen Luc Reinette, au nom d’un « comité international des peuples noirs », propose de revisiter la tragédie, en ouvrant la boîte de Pandore de la comparaison victimaire : « gardons nous de graduer la souffrance ! Mais constatons qu’il y a eu reconnaissance du génocide des Juifs, condamnation du crime, prise en compte de la douleur. Rien pour l’esclavage. Rien ! La vie d’un Noir n’a pas la même valeur que celle d’un Blanc [20] ». Pour les collectifs antillais (aussi bien aux îles que dans la migration) la formulation du passé proposée par le gouvernement fait l’impasse sur un épisode loin d’être glorieux de l’Histoire de France ; elle s’inscrit dans la poursuite du mouvement d’assimilation de la population descendant des esclaves, en oubliant son droit à la mémoire et l’effacement d’une quelconque responsabilité assumée par l’Etat concernant son passé esclavagiste… Tout se passe comme si « le crime et sa réparation émanaient des mêmes », c'est-à-dire des maîtres, et « comme si les esclaves avaient définitivement subi l’histoire [21]… ». La commémoration officielle semble en fait avoir actualisé le ressentiment [22]. 

Un facteur nouveau prend alors toute sa place : la migration issue des DOM constitue désormais un volant de population important en France métropolitaine, qui peut se rassembler en groupe de pression efficace, et c’est elle qui prend l’initiative des opérations. A Paris se met en place un Comité unitaire (regroupant l’ensemble des comités, associations et individus qui s’affilient historiquement ou généalogiquement à la tragédie esclavagiste), qui organise une marche nationale entre les places de la Nation et de la République. Cette manifestation rencontre un réel succès populaire ; rassemblant 40 000 personnes le 23 mai 1998, elle témoigne d’une stratégie politique implicite : s’imposer aux institutions officielles afin de contester la mémoire historique nationale et imposer la particularité des collectifs rassemblant les originaires de ces sociétés ultra-marines façonnées par l’esclavage colonial. L’unanimité de ces collectifs ne résiste toutefois pas aux rivalités internes, qui ont pour enjeu le leadership sur le mouvement (même s’il est limité à une souveraineté culturelle) et sa gestion politique. En juin 1999 se crée, toujours à Paris, un comité indépendant, dit « marche du 23 mai », qui ne se préoccupe que de l’identité antillaise, sur la stricte base de la mémoire de l’esclavage. 

Le gouvernement Jospin, qui a tiré la leçon de formulations mal comprises, et sans nul doute désireux de répondre à certaines attentes, reprend à son compte la question de la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité, alors que la députée de Guyane Christiane Taubira-Delanon travaille en ce sens à un projet de loi. Le texte, mis au point en 1999, connaît l’enfer des navettes entre l’Assemblée et le Sénat, qui manifestement traîne des pieds ; il n’est finalement adopté que le 10 mai 2001 : c’est la première loi de ce type au monde, concernant l’attitude de l’ensemble de l’Occident face à ses propres crimes et constituant une catharsis évidente pour une personne morale, en l’occurrence nationale (la France), seule entité à même d’endosser, en ce qui la concerne, une responsabilité pour ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle et demi… Ce qui n’empêche pas qu’à la Guadeloupe, en 2002, soit célébré « entre soi » le bicentenaire du sacrifice du lieutenant Delgrès et des insurgés guadeloupéens au moment du rétablissement de l’esclavage par Bonaparte, commémoration qui sert en quelque sorte de séance de « rattrapage » après la célébration trop partielle de 1998…  Figurait, dans les recommandations de la loi Taubira, la mise sur pied d’un Comité pour la mémoire de l’esclavage, qui s’est effectivement constitué en 2004, et qui a proposé la date du 10 mai (anniversaire de l’adoption de la loi de 2001) pour commémorer le souvenir des esclaves, de leurs résistances et de leur libération.
 

La construction d’une mémoire historique 

 

Mais quelle est donc cette mémoire de l’esclavage aujourd’hui arborée ? Si l’on adopte la conception d’une structure feuilletée du phénomène mémoriel collectif, on peut d’abord à juste titre insister, au niveau de base de la persistance du passé qui continue à innerver le présent, sur la permanence, en ces lieux forgés par la Plantation esclavagiste, de la « vieille colonie », avec le maintien de configurations sociales inégalitaires (en particulier foncières, si visibles dans le paysage même…). Cette persistance du passé affecte les conduites des acteurs dans le cadre d’une mémoire « de bas niveau », à savoir une mémoire de l’empreinte, latente, non consciente et non verbalisée, agissant les sujets à leur insu, correspondant à des schèmes de pensées et de comportements transmis de génération en génération. Ainsi peut-on repérer la perduration de pratiques et de représentations, par exemple, comme on l’a vu, en matière de catalogage racial, mais aussi d’organisation familiale, de rapports de sexe, de croyances, de gestes et de rythmes (il s’agit là de la fameuse « mémoire motrice » de Roger Bastide, qui en faisait le principal support des survivances africaines en Amérique). Ce seraient justement ces éléments qui ne sont pas susceptibles d’être rappelés vers la conscience qui pourraient ressurgir en traces sourdes, « d’autant plus ardues à déchiffrer qu’elles sont habiles à camoufler leur intensité aussi bien que leur sens » (selon une formulation de l’écrivain martiniquais E. Glissant). 

En ce qui concerne la mémoire « de haut niveau », à savoir une mémoire de rappel, consciente et verbalisée, qui mobilise le souvenir, vivant ou transmis, on ne peut qu’enregistrer le manque flagrant de données factuelles, collectées à partir d’une tradition orale strictement attestée, qui n’interfère pas avec la sphère savante. Le terme mémoire est en fait essentiellement utilisé pour référer, comme ailleurs, à une certaine forme de connaissance du passé, sédimentée dans les consciences, relativement stabilisée, susceptible, comme toute mémoire, de mobiliser des affects, et collectivement partagée (même si ce partage n’est pas global, et ne concerne que quelques individus ou segments sociaux). Cette forme de mémoire ne se constitue pas au long d’une transmission verticale, mais relève d’une communication horizontale, d’une contagion des idées [23]: éventuellement cristallisée à partir des retombées de la production savante des historiens (qui ne peuvent contrôler l’usage mémoriel de leurs travaux…), elle se construit aussi de bric et de broc, à partir de toutes les représentations, transitant par la voie orale ou par l’écrit, proposées par tous ceux qui tiennent boutique du passé : écrivains, journalistes, politiques… Notons en particulier, dans le cas précis de la mémoire de l’esclavage, l’importance des écrivains, qui ont pris toute leur place dans la tâche de recréation du passé, prenant acte de l’impuissance supposée des historiens et faisant appel aux arts de l’imagination, , comme l’affirme sans ambages Edouard Glissant: 

« Le passé, notre passé subi, qui n’est pas encore histoire pour nous, est pourtant là (ici) qui nous lancine. La tâche de l’écrivain est d’explorer ce lancinement, de le « révéler » de manière continue dans le présent et l’actuel… C’est ce que j’appelle une vision prophétique du passé… Parce que le temps antillais fut stabilisé dans le néant d’une non-histoire imposée, l’écrivain doit contribuer à rétablir sa chronologie tourmentée… En ce qui nous concerne, l’histoire en tant que conscience à l’œuvre et l’histoire en tant que vécu ne sont donc pas l’affaire des seuls historiens [24] » 

Le qualificatif d’ « historique », qui est souvent accolé à cette forme de mémoire, se justifie par la dimension narrative, de récit collectif, qu’elle prend volontiers, ce qui n’empêche pas qu’elle soit susceptible, comme toute mémoire, de mobiliser puissamment les affects… C’est avant tout elle qui habite aujourd’hui les consciences de ceux qui sont issus des sociétés post-esclavagistes. Contrairement à ce qu’avance la vulgate de l’oubli, elle est remarquablement développée, voire hypertrophiée : pour qui débarque aujourd’hui dans un département français d’Amérique, en l’occurrence la Guadeloupe, on ne peut ainsi qu’être frappé par les images du passé qui, depuis quelques années, ont surgi sur les bâtiments publics [25]… En cette mémoire s’ancrent les usages publics de l’histoire (expression lancée d’abord par Habermas [26], qui s’est aujourd’hui imposée pour qualifier ces recours multiples au passé en réponse à des nécessités du présent), le passé mis en récit pouvant être constitué en ressource cognitive, argumentative, symbolique, affective, gisement susceptible d’être exploité pour les pensées et les actions…

 

Enjeux identitaires

 

On sait depuis Locke le lien étroit qu’entretient la mémoire avec l’identité du sujet [27]. Seule elle permet de relier ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons, condition nécessaire de la représentation de l’unité des expériences successives du moi. Ce lien se retrouve au niveau collectif : c’est la continuité d’une trajectoire collective, c’est la genèse et le maintien d’une unité singulière, censée s’être nouée dans le passé que la mémoire permet de profiler. L’identité narrative, telle que la postule Paul Ricoeur, paraît ainsi au fondement de la conscience de soi : le récit national en est certainement le paradigme, mais tout être collectif aspire à cette reconnaissance. Le tropisme mémoriel contemporain semble ainsi fortement corrélé avec l’affirmation croissante des identités particulières, dont les quêtes s’articulent à des mémoires spécifiques, qui peuvent se révéler concurrentes, voire conflictuelles [28]. 

La mémoire des tragédies peut être en particulier considérée comme une ressource identitaire de première grandeur… « La souffrance en commun unit plus que la joie », a pu dire Ernest Renan [29]. La réactivation du passé, envahie par les affects, parfois traversée par le désordre de la passion, est dans ce cas assortie d’un jugement moral, qui peut nourrir des sentiments de culpabilité ou de revanche. La mémoire de la Shoah s’est ainsi constituée comme unique et indépassable, se parant d’une aura de sacralité, mais elle n’en joue pas moins un rôle de modèle, pour d’autres groupes de descendants de victimes de tragédies plus ou moins anciennes, qui se comportent comme si leur identité était en jeu à travers le souvenir du malheur de leurs ancêtres. Dans le mouvement d’ensemble de la reconnaissance croissante des mémoires particulières, la mémoire de l’esclavage est ainsi devenue aujourd’hui un formidable enjeu d’identité collective et a acquis par là une forte dimension politique. 

Ces dernières années, force est de reconnaître que l’affirmation mémorielle relative à l’esclavage a eu tendance, au nom d’un « devoir de mémoire » revendiqué avec force affects, à se faire plus exigeante et à se déployer dans un champ lexical au confluent de la morale, de la justice et de la religiosité : il s’agit désormais de « régler le passé », de « solder les comptes », d’obtenir, à l’instar d’autres groupes victimes, des « réparations »... L’oubli est mis en accusation, et on assiste (mais il s’agit là d’un phénomène général, qui dépasse le cas de l’esclavage colonial) à une sacralisation de la mémoire, s’accompagnant d’un discours, souvent très idéologisé, où la mémoire est revendiquée, ostensive et sélective (le commerce transsaharien des esclaves ne donnant par exemple pas lieu à une récrimination spécifique…). Une mémoire proclamée blessée, qui a pour effet l’installation dans le statut de victimes. Point n’est besoin d’insister longtemps, après T. Todorov, sur le fait que ce positionnement postule une dette qui, ne pouvant jamais être éteinte, ouvre une « ligne de crédit inépuisable [30] ». Voici venu le temps de la concurrence des victimes (mémoire « noire » contre mémoire « juive »…) tandis que se met en place une doxa mémorielle qui ne peut être remise en cause, et qui en arrive à se dresser contre l’entreprise historique elle-même, comme en atteste l’affaire Pétré-Grenouilleau. L’attente passive de la réparation risque d’aboutir à la négation de tout caractère d’acteur social, et au non engagement dans les combats du présent [31]. Sans parler du caractère oppressif d’une telle posture pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce statut de victimes immuables [32] 

Une nouvelle catégorie est ainsi apparue sur la scène publique, celle constituée par ceux qui se proclament « descendants d’esclaves », et qui font entendre leurs voix dans le concert actuel généré par un « malaise noir », la « race » apparaissant comme cette épaisseur inerte où vient s’engluer la radicalité des croyances républicaines [33]… Il s’agit pour eux de reconstruire une ancestralité niée à leurs yeux par la République. Cette affiliation implique, comme devoir de mémoire, de revivre le traumatisme originel, supposé avoir été transmis de génération en génération… Ainsi peut se distinguer et se maintenir une lignée de victimes (par rapport à une lignée de bourreaux ?), reproduisant une interaction antérieurement définie par l’histoire ; cette continuité s’articule implicitement à l’idée de la transmission d’une substance, et par là s’exprime une naturalisation de l’identité. Une telle régression vers l’assignation de chacun à son origine s’articule à la dialectique du souvenir et de la trace, où l’on retrouve le thème de la mémoire racialisée : la meilleure empreinte de l’esclavage semble inscrite sur les corps... Représentation largement partagée : ainsi le quotidien Libération, dans le titre qu’il donne à sa page consacrée à la première commémoration du 10 mai, date commémorative officiellement retenue, parle-t-il sans aucun recul de « communauté noire »… Assisterait-on par là un retour du racial dans la société française ? La création récente du CRAN [34], qui se place certes dans le combat contre les discriminations ethnoraciales qui persistent en dépit des idéaux de la République, n’est dans cette perspective rien de moins qu’ambiguë : cette structure enregistre en effet l’existence d’un corps intermédiaire autoproclamé, fondé sur un critère de race, s’inscrivant dans le cadre de ce qu’on peut appeler un communautarisme mélanique dédaigneux des différences culturelles qui séparent les individus qu’il voudrait englober… 

Mais quel peut être le prolongement dans le temps de l’écho d’une tragédie majeure ? Qu’entend-on au juste par « traumatisme historique », expression où se joue, comme pour la notion de mémoire, le passage du sujet individuel au collectif ? Et quelle peut être la fonction, dans ce cas, d’une démarche mémorielle ? Ce qui rend prégnante la mémoire de l’esclavage, comme toutes celles qui sont liées aux autres tragédies de l’histoire, c’est, avec la volonté d’empathie qui s’inscrit de plus en plus dans l’évolution de nos sensibilités, l’adhérence à notre présent d’une somme de souffrances passées, mais nous sommes à cet égard tous concernés, ce qui est contenu dans la notion même de « crime contre l’humanité », et nous pouvons tous nous dire, à ce titre, « descendants d’esclaves ». L’identification d’éventuels coupables pose toutefois la question du « vivre ensemble » après le crime : on sait que le problème est crucial lorsque les protagonistes du drame sont encore face à face : l’Afrique du Sud après l’apartheid (mais c’est loin d’être le cas après des génocides ou des massacres de masse, comme au Rwanda, ou au Cambodge…) a su en partie avancer vers une solution, grâce à la mise sur pied de la commission « Vérité et Réconciliation ». Mais que faire en cas d’une longue distance temporelle entre la tragédie et aujourd’hui ? Peut-on encore en reconnaître des « victimes directes [35] » ? Comment, dans une comptabilité générale de la traite et de l’esclavage, rendre compte du monde qui en est issu, et dans lequel sont nés et ont procréé tous ceux que ce monde englobait, jusqu’aux individus vivants d’aujourd’hui ? L’éloignement dans le temps, et le métissage qui s’est généralisé, font qu’il semble bien difficile, dans le cas des sociétés post-esclavagistes, de démêler dans la généalogie de leurs membres qui étaient les maîtres et qui étaient les esclaves : « coupables » et  « victimes » figurent bien souvent dans l’ascendance du même individu… Paradoxalement, les revendications mémorielles et la victimisation par héritage qu’elles installent surviennent à peu près au même moment où s’est affirmée la créativité créole, qui se situe pourtant dans une logique fondamentalement différente, puisqu’elle met l’accent sur la diversité des racines à l’origine de ces sociétés, sur les richesses humaines imprévisibles qui ont pu y apparaître, ainsi que sur la singularité de dispositifs de résilience collective au long cours, permettant de dépasser les déchirures fondatrices : « la Plantation est un des ventres du monde… Et pour finir son enfermement a été vaincu. Le lieu était clos, mais la parole qui en est dérivée reste ouverte [36]… » 

La charge si pesante que l’évocation du passé charrie en ces lieux conduit à cette alternative : faut-il tout occulter en « tirant le rideau », ou bien doit-on accéder obligatoirement à l’existence par l’appropriation du passé ? Faut-il rester, selon les mots de Frantz Fanon, « esclave de l’esclavage » ? L’enfermement dans une douleur exprimée de manière permanente est-il porteur d’une identité positive ? À l’inverse, un « travail de mémoire » ne doit-il pas être nécessairement mené face à la souffrance passée ? Doit-on d’autre part penser que le statut de victime est héréditaire, tout comme celui de coupable ? Est-on responsable en ce cas de ses ancêtres, et doit-on se faire, pour ne citer que Karl Marx, le  « prisonnier perpétuel des morts » ? Mémoire ou histoire ? La transmission du passé ne risque-t-elle pas, dans le registre affectif où la mémoire sert d’appui à l’affirmation des identités particulières, de contribuer à l’émergence de communautés antagonistes, dans une logique de lignée héritée de la colonisation, ou bien, dans le registre préservé de l’accumulation du savoir, écrire ou dire l’histoire du mal n’est-il pas nécessaire pour créer les conditions de son impossible répétition ? 

On saisit là tous les enjeux que ces questions soulèvent pour le devenir d’une France plurielle. La mémoire de l’esclavage, et de son abolition, ouvre, de fait, un front identitaire par rapport auquel la République doit se positionner. Cette mémoire fait en effet se confronter deux niveaux différents de récit, dont l’un prend pour base l’histoire de l’individu s’identifiant à ses ancêtres, réels ou putatifs (mais il serait possible de profiler ce principe narratif pour d’autres groupes, issus d’autres expériences historiques…), alors que l’autre entretient son lien principal avec l’imaginaire national. Comment réinterpréter le pacte républicain, à partir du moment où le legs national ne peut plus être univoque ? La France est-elle prête, au-delà de son équipe de football, à assumer la diversité de ses héritages et sa nature désormais une et multiple ? Ce qui s’exprime en effet aujourd’hui dans les demandes de reconnaissance mémorielle comme celle relative à l’esclavage colonial (du moins chez la plupart des acteurs), c’est moins un désir de séparation et de repliement sur soi qu’une volonté d’intégration dans le récit national, au nom même de l’accomplisse­ment des principes républicains. 

De manière plus générale, le débat sur la mémoire de l’esclavage colonial conduit à reposer le problème des rapports complexes entre l’Etat, l’histoire et la mémoire. Tout état peut à bon droit développer une politique mémorielle, et cela n’est pas nouveau : l’inculcation du récit national s’est ainsi faite par le relais de l’institution scolaire, ainsi qu’au travers des commémorations officielles… La loi Taubira s’inscrit de manière légitime dans la politique mémorielle française, par la reconnaissance d’un crime qui connut autrefois une existence légale sanctionnée par la nation (ce qui ne préjuge pas de ce qui a pu se passer ailleurs dans le passé, et de l’attitude actuelle des autres nations…), mais aussi par le rappel de son abolition par la République. L’État n’a pas par contre à s’immiscer dans le travail des historiens, comme il a tenté de le faire avec la loi de février 2005 ; mieux, il doit protéger la liberté des historiens face aux actions des groupes de pression mémoriels, si ces derniers dépassent le cadre licite de leur quête pour s’opposer les uns aux autres et pour s’en prendre à l’entreprise historique elle-même : l’histoire en effet, par son exigence critique et sa quête incessante de vérité (et même lorsqu’elle se heurte, comme dans le cas du vécu de l’esclavage, à une certaine évanescence de ses sources…), constitue un savoir qui n’est jamais achevé ; seule elle est susceptible de fournir les bases de l’intégration des mémoires partielles dans un récit collectif unifié…


[1]    L’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, qui a consacré des années de sa vie à l’étude des traites négrières, après avoir dans son ouvrage, placé en perspective la traite atlantique par rapport aux autres traites (ce qui constitue aux yeux de certains gardiens sourcilleux de la mémoire « noire » une faute majeure, dans la mesure où c’est dénier le caractère unique et non comparable - air connu - du crime perpétré par l’Occident…), avait, dans un entretien au Journal du Dimanche, dénié à la traite et à l’esclavage la qualification de génocide, reprochant à la loi Taubira d’installer une comparaison implicite avec la Shoah mais renouvelant par là une confusion souvent entretenue entre génocide et crime contre l’humanité..

[2]    Claude Ribbe, Le crime de Napoléon, Paris, Editions Privé, 2005.

[3]    « la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de l’esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 10 mai 2001, l’histoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions continue d’être largement ignorée, négligée, marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République », Rapport consultable en ligne sur le site du Comité pour la mémoire de l’esclavage : comite-memoire-esclavage.fr et paru sous le titre Mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, Paris, La Découverte, 2005.

[4]    Edouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Editions du Seuil, 1981.

[5]    « Où sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ? /Où est votre mémoire tribale ? Messieurs/Dans ce coffre gris. La mer, la mer/ Les a fermés à clef. La mer est l’histoire », D. Walcott, « The Sea is History », Collected Poems, 1948-1984, New-York, Farzar, Straus & Giroux, 1979/1986, cité et traduit par Richard Price, Le bagnard et le colonel, Paris, PUF, 2000.

[6]    Orlando Patterson, « Recent Studies on Caribbean Slavery and the Atlantic Slave Trade » , Latin American Research Review, 17, 1982 : 251-275, cité et traduit par R. Price, op. cit.

[7]    Edouard Glissant, op. cit.

[8]    Jean Bernabé, Partick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Eloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989. 

[9]    Pas d’allusion par exemple à la Révolution haïtienne dans la théorie des Révolutions atlantiques de Jacques Godechot , ou absence de toute référence à l’esclavage dans les Lieux de mémoire de Pierre Nora. On pourra se reporter, à propos de ce silence des historiens, à Myriam Cottias, « Le silence de la nation. Les ‘ vieilles colonies’ comme lieu de définition des dogmes républicains », Outre-Mers, 90, 2003, p. 338-339 et à Françoise Vergès, La mémoire enchaînée, Questions sur l’esclavage, Paris, Albin Michel, 2006. Il faut cependant ajouter que l’historien s’est trouvé, face à l’esclavage, en particulier face à son vécu de l’intérieur, dans une position difficile, du fait de l’insuffisance de ses sources classiques : « l’écritoire de l’historien pend, inutile, devant un peuple d’orphelins », écrivait Hubert Gerbeau dans son ouvrage pionnier, consacré aux résistances serviles : Les esclaves noirs. Pour une histoire du silence, Paris, Balland, 1970.

[10]   Myriam Cottias, « L' 'oubli du passé' contre la 'citoyenneté' : troc et ressentiment à la Martinique (1848-1946) », in Fred Constant, Justin Daniel, eds, Cinquante ans de départementalisation, Paris: L’Harmattan, 1997.

[11]   Jean-Pierre Sainton, Les Nègres en politique. Couleur, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe au tournant du siècle, thèse, Université de Provence, 1997.

[12]   Danielle Bégot, « La mémoire sans tain : histoire « de couleur » en Guadeloupe et en Martinique », communication au Onzième Colloque International des Etudes Créoles, Praia, Santiago, République du Cap Vert, novembre 2005.

[13]   Marie-José Jolivet, « La construction d’une mémoire historique à la Martinique », Cahier d’études africaines, 107-108, 1987.

[14]   Michel Giraud, « Les enjeux présents de la mémoire de l’esclavage », in Patrick Weil et Stéphane Dufoix, L’esclavage, la colonisation et après… France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Paris, PUF, 2005, p. 533-558. M. Giraud interprète également l’accent de plus en plus fort mis sur le thème mémoriel comme une expression de l’impuissance politique des milieux nationalistes antillais, obligés de se replier vers des formes symboliques de lutte…

[15]   Merci à Anne-Marie Losonczy d’avoir suggéré ce terme…

[16]   Expression proposée par Elisabeth Cunin, Métissage et multiculturalisme en Colombie. Carthagène : le noir entre apparences et appartenances, Paris, L’Harmattan, 2004.

[17]   Christine Chivallon, « Mémoires antillaises de l’esclavage », Ethnologie française, 32, 2002 : 601-612.

[18]   Sur ce point, on pourra se reporter à Jean-Luc Bonniol, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs », Paris, Albin Michel, Bibliothèque de synthèse, 1992.

[19]   Sur l’irruption de la question de l’esclavage dans le débat politique, voir J.L. Bonniol, « Echos politiques de l’esclavage colonial, des départements d’outre mer au cœur de l’état », in Claire Andrieu, Marie-Claire Lavabre, et Danielle Tartakowski, Politiques du passé, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2006.

[20]   Le Monde, 27 avril 1998 : 7

[21]   Francis Dupuy et Raphaël Lucas (dir.), Introduction au dossier « Les enjeux de la mémoire. Esclavage, marronnage, commémorations », Cahiers d’histoire, 89, 2002.

[22]   Jean-Luc Bonniol, « Esclavage et ressentiment », Allocution d’ouverture au 123e Congrès du Comité des travaux historiques et scientifiques. Fort-de-France-Schoelcher, 6-10 avril 1998, publié in M. Dorigny (ed), Esclavage, résistance et abolitions, Paris, Editions du CTHS, 2000 : 11-19.

[23]   Dan Sperber, La contagion des idées : théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile Jacob, 1996.

[24]   Edouard Glissant, op. cit. Sur la « querelle » de l’écrivain et d l’historien, on pourra se reporter à Jean-Luc Bonniol, « De la construction d’une mémoire historique aux figurations de la traite et de l’esclavage dans l’espace public antillais » in Jean-Luc Bonniol et Maryline Crivello (ed), Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXIe siècle), Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2004.

[25]   Jean-Luc Bonniol, art.cit.

[26]   Jürgen Habermas, « L’uso pubblico de la storia », in G.-E. Rusconi (dir.), Germania : un passato que non passa. I crimini nazisti e l’identità tedesca, Turín, Einaudi, 1987, p. 98-110.

[27]   Nous remercions Silyane Larcher pour nous avoir éclairé sur certaines fondations philosophiques des liens entre mémoire et identité.

[28]   Sur ce point, on pourra se reporter à l’ensemble de l’ouvrage de Joël Candau, Mémoire et identité, Paris, PUF, 1998.

[29]   Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 54 (1ère édition 1882).

[30]   Tzvetan Todorov, "Du culte de la différence à la sacralisation de la victime", Esprit, 212, pp. 90-102, 1995.

[31]   Emmanuel Terray, Face aux abus de mémoire, Arles, Actes Sud, 2006.

[32]   Silyane Larcher, « Les errances de la mémoire de l’esclavage colonial et la démocratie française aujourd’hui », Cités, Paris, PUF, 2006, p. 153-163.

[33]         Achille Mbembe, « La République et l’impensé de la ‘race’ » in Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire (dir.), La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005.

[34]   Conseil représentatif des associations noires.

[35]   Emmanuel Terray, op. cit., fait l’utile distinction entre « victimes directes » et « victimes indirectes » d’une tragédie passée.

[36]   Edouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 avril 2017 10:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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