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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de MM. Jean-Luc Bonniol et Jean Benoist, “Hérédités plurielles. Représentations populaires et conceptions savantes du métissage”. Un article publié dans la revue Ethnologie française, vol. XX1V, no 1, 1994, pp. 58-69. Numéro intitulé: Penser l'hérédité. [Autorisation formelle accordée par MM. Bonniol et Benoist, respectivement le 28 septembre 2007 et le 17 juillet 2007 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes leurs publications.]

 Jean-Luc Bonnniol et Jean Benoist

Université d’Aix-Marseilles III, France. 

Hérédités plurielles. Représentations populaires
et conceptions savantes du métissage
”. 

Un article publié dans la revue Ethnologie française, vol. XX1V, no 1, 1994, pp. 58-69. Numéro intitulé : Penser l'hérédité.

 

Introduction
 
Aux origines de la pensée du métissage : les vieilles colonies
 
Genèse de la terminologie
Les colonies françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles
Logiques coloniales du métissage
 
Les représentations savantes du métissage des anciens aux modernes
 
De la perception du métissage à sa gestion sociale
Une symbolique populaire efficace
 
Bibliographie

 

« L'histoire des sciences devrait nous rendre plus attentifs au fit que les découvertes scientifiques, dans un certain ordre de phénomènes, peuvent jouer, du fait de leur dégradation possible en idéologies, un rôle d'obstacle au travail théorique en cours dans un autre ordre. » C. Canguilhem, 1977. 

 

Introduction

 

Qu'advient-il du produit de l'union des dissemblables ? La question semble claire, et les réponses qui lui ont été apportées semblaient refléter l'évidence : métis, mulâtre, voire bâtard... Mais cette évidence ne reflète-t-elle pas l'illusion par laquelle le sens commun croit appréhender la réalité, alors même qu'il la déforme ? 

- « Le produit ». Quel produit ? Comment se construit-il ? Par addition ? Par dilution ? Nous situons aujourd'hui d'emblée cette construction dans le champ du biologique, et plus particulièrement dans celui de la transmission héréditaire. Mais bien avant que la pensée sur les supports génétiques de l'hérédité ne se soit érigée en secteur autonome de la science, il a été nécessaire de franchir bien des étapes, où l'on a peu à peu appris à concevoir le grand partage entre le biologique et le social... Il n'est que d'écouter le discours sur le métissage, discours historique, mais aussi discours contemporain, pour comprendre que ce fut une longue opération, et se demander si elle est tout à fait achevée... Ne peut-on donc pas s'interroger sur la pérennité, dans la science biologique elle-même, de concepts enracinés dans les rapports sociaux et dans leurs représentations, là où le métissage relève d'un tout autre ordre, apparaissant comme une remise en cause, une menace, ou au moins une inquiétude ? 

- « Des dissemblables ». Quelles dissemblances sont retenues et quelles sont éliminées ? Toute union en effet a lieu entre dissemblables, de sexe d'abord, mais aussi de traits physiques, visibles ou inapparents, d'antécédents familiaux et personnels, de goûts, de culture. Même les enfants issus d'un même couple sont à cet égard dissemblables, de l'intimité de leurs gènes à leur rapport au monde... La plupart de ces différences sont négligées ; celles mises en avant tiennent essentiellement à l'apparence physique, donc à une certaine image du biologique (couleur de la peau, forme du visage), mais elles peuvent également s'appuyer sur des marques qui nous font rencontrer, d'une façon parfois tout à fait explicite mais souvent mal discernable, l'identité sociale et culturelle. 

Alors, les métis ? Qu'en est-il du métissage et où commence-t-il ? Avant que le terme de métissage ne connaisse l'extension métaphorique qui est la sienne aujourd'hui, il s'est référé, par son utilisation première de la différence physique, à une dimension qui se voulait strictement biologique, mais qui était encore toute pénétrée de social, correspondant à un territoire bien plus vaste que celui concédé par la génétique d'aujourd'hui à la transmission et à l'entrecroisement des patrimoines héréditaires. Là germaient les idéologies issues des rapports sociaux qui ont fait que le métissage donnait, et donne encore, l'image biologique d'une réalité culturelle. 

Penser le métissage, c'est donc à travers un concept en dévoiler un autre, plus global, plus fortement ancré et dont les échos se font entendre sur de multiples registres de la vie sociale : l'identité, son partage et ses fondements. Aussi, et dans sa nature même, aucun discours sur le métissage, savant ou profane, ne peut-il être neutre. Car, inéluctablement inscrit au sein des relations sociales, il doit prendre en compte une frontière entre les « nous » et les « autres », frontière qu'il balise en choisissant ses marques, traduisant de ce fait les rencontres et les tensions que cette frontière exprime.

 

Aux origines de la pensée du métissage :
les vieilles colonies

 

C'est vers les contextes coloniaux qui se mettent en place à partir du XVIe siècle, lorsque la confrontation avec des humanités perçues comme distantes par leur type physique devient une expérience vécue, qu'il faut se tourner pour observer l'émergence d'une pensée du métissage. Très vite, en effet, la contradiction surgit entre ces distances, qui semblent considérables, et l'unité de l'homme qui s'impose par la constatation de rapports sexuels suivis de procréation : on doit alors désigner les produits de ces mélanges, puis les évaluer en tant que tels par rapport à chacune de leur origine...

 

Genèse de la terminologie

 

L'apparition des termes relatifs au métissage se situe, pour la langue française, entre le milieu du XVIe siècle et le premier quart du XVIIe. C'est le mot « mulâtre » qui détient l'antériorité : d'origine ibérique (il est attesté en espagnol sous la forme mulato dès 1525), il est utilisé au Cap Vert en 1554. Le Cap Vert étant un point de passage obligé pour tous les navires, quelle que soit leur destination finale, le mot a pu passer facilement dans l'ensemble des colonies. La forme française en « astre » ou « âtre » apparaît dès l'origine, sans doute par « collision paronymique » avec les suffixes propres aux qualificatifs de couleur (noir/noirâtre) susceptibles d'être affectés d'une connotation péjorative (Chaudenson, 1992). La référence au mulet est claire et révèle d'emblée la parenté des représentations entre le métissage et l'hybridation entre espèces, et son association si récurrente avec l'infécondité [1]... Le mot « métis » apparaît à une date plus récente (première attestation en 1598). Lui aussi d'origine ibérique (espagnol mestizo, sang-mêlé, portugais mestiço, du latin tardif mixticius), « métis » paraît s'appliquer d'abord à des Indiano-Européens. Au début du XVIle siècle, la forme « mestif » est utilisée aux Indes Occidentales : elle désigne exclusivement les rejetons des unions avec les femmes amérindiennes (Chaudenson, 1992). Les termes spécialisés sont plus tardifs : il faut en effet laisser le temps à la complexité des mélanges de s'exprimer.

 

Les colonies françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles

 

Afin de suivre l'élaboration de la pensée sur le métissage, prenons quelques jalons dans les colonies françaises d'Amérique au XVIIe siècle. Laissons d'abord la parole au père Du Tertre, chroniqueur des premiers temps de la colonisation aux Isles d'Amérique :

 

      « Les enfants qui naissent de ces approches illégitimes sont communément appelés mulâtres dans toute l’Amérique, aussi bien chez les Espagnols et les Portugais (parmi lesquels ce crime est aussi ordinaire qu'il est rare dans nos Antilles) que chez nos habitants, faisant sans doute allusion aux mulets, parce que ces pauvres enfants sont engendrés d'un blanc et d'une noire, comme le mulet est le produit de deux animaux de différente espèce.
 
      Ils tiennent aussi quelque chose de leur père et de leur mère, de mesme que les mulets participent aux qualités de ceux qui les engendrent : car ils ne sont pas tout blancs, comme les François, ni tout noirs comme les Nègres ; mais ils ont une couleur plombée qui tient de tous les deux. Les cheveux approchent de ceux du père quant à la longueur, mais ils tiennent de ceux de la mère quant à la frisure, qui ressemble à de la laine noire. » (R.P. Du Tertre, 1667).

 

On s'aperçoit que les considérations tenant à l'apparence physique, avec la référence zoologique au mulet, manifestent une interrogation sur ce qui peut provenir de chaque origine, à propos de deux caractères discriminants fondamentaux : la couleur (médiane, dans le cadre d'une variation continue) et la chevelure (où se produit une dissociation des deux caractères immédiatement visibles, la longueur et la frisure). Le Père Labat, à la fin du siècle, poursuit ce discours biologisant, où il se révèle encore plus prolixe : il s'appuie en effet sur son observation du métissage pour prendre parti dans la querelle de son époque touchant aux rôles respectifs de l'homme et de la femme dans la procréation. Il se livre ensuite à une réflexion sur l'évolution des couleurs en fonction des unions successives, mentionnant qu'il existerait une marque ultime de mélange, lorsque le critère de la couleur n'est plus utilisable, l'aspect du blanc des yeux :

 

      « Qu'après cela les médecins nous disent tant qu'ils voudront que les deux sexes ne concourent pas également à la production de l'enfant, et que les femmes sont comme des poules qui naturellement ont des œufs dans le corps, et que l'homme comme le coq ne fait autre chose que les détacher et perfectionner le germe. Car si cela était une Négresse ferait toujours des enfants noirs, de telle couleur que pût être le mâle, ce qui est tout à fait contraire à l'expérience que nous avons, puisque nous voyons qu'elle fait des noirs avec un noir, et des mulâtres avec un blanc. Si on marie des mulâtres mâles ou femelles avec des personnes blanches, les enfants qui en proviendront seront plus blancs, leurs cheveux ne seront presque plus crépus.
 
      On ne reconnaîtra la troisième génération que par le blanc des yeux qui paraîtra toujours un peu battu, ce défaut cessera à la quatrième génération, pourvu qu'on continue à les unir toujours avec des blancs ; car si on les alliait avec des noirs, ils retourneraient clans le même nombre de générations à leur première noirceur : parce qu'une couleur se fortifie à mesure qu'elle s'unit à une couleur de même espèce, et diminue à mesure qu'elle s'en éloigne. Les enfants qui naissent d'un blanc et d'une mulâtresse sont appelés quarterons, et ceux qui viennent d'un blanc et d'une indienne, métifs... Ils sont pour l'ordinaire aussi blancs que les Européens. La seule chose qui les fait connaître est le blanc de leurs yeux qui est toujours un peu jaunâtre, comme il arrive à ceux qui après une longue maladie ont les yeux battus. Si une métif se marie avec un blanc, les enfants qui en viennent ne conservent rien de leur première origine » (R.P. Labat, 1722). 

Ces appréciations physiques s'inscrivent d'autre part dans une stigmatisation fondamentale : « crime que Dieu déteste », le métissage apparaît comme l'aboutissement obligé de l'exploitation sexuelle de la femme esclave par le maître : « ... il n'y a personne qui ne portast compassion a ces pauvres malheureuses, qui ne se laissent ordinairement aller aux désirs sales de ces hommes perdus, que par des sentiements de crainte d'un mauvais traitement, par la terreur des menaces dont ils les épouvantent, ou par la force dont ces hommes passionnés se servent pour les corrompre » (R.P. Du Tertre, 1667). 

De là la naissance « honteuse » des mulâtres et l'illégitimité dont elle est marquée, thème désormais récurrent, comme en témoigne le Père Labat, plus compréhensif cependant à l'égard des hommes blancs que son prédécesseur : « Car les négresses sont d'elles-mêmes très lascives, et les hommes blancs ne l'étant guère moins, et trouvant beaucoup de facilités à contenter leurs passions avec ces créatures. » (R.P. Labat, 1722). 

« Désordre... épouvantable et presque sans remède » aux premiers temps de la colonie, du fait de la rareté de l'élément féminin, le métissage est vite l'objet d'une réglementation spéciale. Très vite une réaction se dessine, sur deux fronts : d'une part surveiller l'hérédité pour empêcher de telles naissances, en prenant des dispositions pénales contre ceux qui « débauchent les négresses » et contre les mariages mixtes, « conjonction criminelle d'hommes et de femmes d'une différente espèce » qui donne un « fruit qui est un désordre de la nature », comme en témoigne à nouveau le Père Labat : « Le nombre en serait bien plus grand dans nos Isles, sans les peines qui encourent ceux qui les font... on ne verrait autre chose que des mulâtres, d'où il s'ensuivrait de très grands désordres, si le Roi n'y avait remédié, en condamnant à une amende de deux mille livres de sucre ceux qui sont convaincus d'en être pères. » (R.P. Labat, 1722). 

Faisant d'une pierre deux coups, ces quelques lignes visent à la fois le désordre mis dans la nature et celui qui peut s'introduire dans la société. Une nouvelle donne idéologique s'impose en effet dans la société centrée sur la Plantation : il faut d'autre part amoindrir la condition du mulâtre, dangereux pour l'ordre colonial. Désormais il suffit de relever, même très partiellement, de la couleur noire Pour être affecté d'un coefficient de défaveur... 

Au XVIIIe siècle, Saint-Domingue est le siège de l'une des expériences historiques les plus aptes à révéler le fonctionnement d'une pensée du métissage poussée à la pointe de sa logique. Rappelons que, durant une période relativement brève (de 1697, date de la prise de possession française, à1791, début des troubles révolutionnaires), alors que régnait un système de plantation esclavagiste particulièrement contraignant, s'est formée une population « mixte » qui est parvenue, en quelques décennies, à posséder un tiers des terres et un quart des esclaves. Face à cette montée de la population de couleur, à « ce péril en la demeure » pour le groupe blanc (Jamard, 1983), un seul remède (tardif, car il a bien fallu au préalable que fut donnée l'impulsion à ce mouvement), le cantonnement, exprimé la doctrine coloniale, par la fameuse ligne de couleur... 

Essayons de profiler le schème cognitif qui sous-tend la doctrine, telle qu'elle est exposée par Moreau de Saint-Méry, l'un de ses observateurs les plus attentifs. Sa caractéristique principale est de ne pas se contenter des apparences, qui peuvent être trompeuses, mais de se fonder sur un raisonnement généalogique, où s'inscrit une conception asymétrique de l'hérédité des mélanges éventuels. Un partage sans faille est établi en effet entre les Blancs et tous les autres (quel que soit leur degré réel de décoloration) ; leurs descendances respectives sont séparées par « une ligne prolongée jusqu'à l'infini »... « le préjugé colonial a adopté comme maxime que, quelque rapprochée que puisse être du blanc la femme non blanche, il ne saurait provenir un blanc de leur procréation... C'est dire, en termes plus simples, que les blancs mêlés entre eux peuvent seuls faire des blancs » (Moreau de Saint-Méry, 1797). 

Nous avons déjà eu l'occasion (Bonniol, 1992a) de souligner combien cette logique de la ligne de couleur n'est pas contradictoire avec la prise en compte d'un processus parallèle de métissage. Cette partition sert en effet les intérêts du segment racialement dominant. Mais le reste du corps social est lui tenté d'instituer différents paliers reliant les deux pôles raciaux, au travers de ce qu'il est convenu d'appeler des catégories de métissage. L'intérêt de la classification de Saint-Domingue au XVIle siècle est de s'appuyer sur une conception explicite de l'hérédité en « parties », qui peuvent être assimilées aux « quartiers » de noblesse. Un individu est ainsi composé de 128 parties, qui correspondent aux positions d'ascendance de 128 ancêtres, ce qui implique une information généalogique remontant à 7 générations et correspond à ce que l'on peut estimer comme le maximum de profondeur d'une conscience généalogique, allant de l'arrière grand-père à l'arrière petit-fils. C'est aussi dans la situation historique de la colonie la profondeur du temps qui s'est déroulé depuis les débuts de la colonie station française aux Antilles. 

Rappelons les différentes catégories, qui peuvent être présentées selon le schéma généalogique suivant : 

 On n'a représenté ici que les possibilités primaires de mélange, celles qui se font avec chacune des deux couleurs primitives (seule impossibilité, le marabou, qui ne peut provenir d'une de ces unions primaires mais de deux catégories déjà mêlées). Ainsi, dans cette gradation, la combinaison première, celle d'un Blanc et d'une Noire, donne un mulâtre « équilibré » avec 64 parties pour chacune de ses ascendances, mais un mulâtre peut provenir de bien d'autres combinaisons (11, selon Moreau de Saint-Méry, et il peut donc y avoir « tel mulâtre plus rapproché du blanc qu'un autre de quatorze parties »...). De plus, certains mélanges complexes, dans lesquels sont impliqués des géniteurs situés soit au maximum, soit au minimum de leur catégorie, n'obéissent Pas de manière stricte à cette définition des catégories en fonction de la pondération des parties : les produits de ces mélanges peuvent très bien appartenir à des catégories différentes et pourtant avoir les mêmes proportions d'ascendance ; il se peut même « que l'individu de la nuance considérée comme supérieure ait moins de parties blanches que l'individu de la nuance réputée inférieure » (ainsi un mulâtre peut « descendre » jusqu'à 45 parties blanches, alors qu'un marabou peut en avoir jusqu'à 48). Ces représentations s'articulent à la croyance en une certaine influence des configurations d'ascendance sur l'apparence de l'individu qui en est l'aboutissement : « dans la combinaison d'une nuance avec la même nuance. la teinte se renforce ; c'est ce qui est sensible surtout dans le mulâtre venu de père et de mère qui sont mulâtres ; sa peau est plus sombre que celle des autres mulâtres qui ont cependant moins de parties blanches que lui... » (Moreau de Saint-Méry, 1797) [2]. 

On remarquera l'aspect dissymétrique du schéma, que vient renforcer la présence, du côté blanc, de la ligne de couleur infinie. Le retour vers le noir est rapide, et peut s'effectuer en 4 générations (simplement deux catégories primaires entre le mulâtre et le Noir, plus la catégorie intermédiaire du marabou) ; la montée asymptotique vers le Blanc est par contre jalonnée de 5 catégories primaires entre le mulâtre et le Blanc, catégories dont la marge de variation est de plus en plus ténue ; encore faut-il tenir compte que la catégorie sang-mêlé est elle-même subdivisible à l'infini, sans pouvoir jamais s'ouvrir sur la catégorie supérieure. En poursuivant jusqu'à l'extrême, on peut en effet imaginer qu'un sang-mêlé qui parviendrait au huitième degré de mélange avec le blanc aurait 1 partie noire pour 8 191 parties blanches, « ce qui ne donne réellement pour différence qu'un infiniment petit ». Mais Moreau de Saint-Méry se fait alors l'écho d'une croyance relative à la réapparition de caractères disparus au bout d'un certain nombre de générations : « pour appuyer l'opinion... n'admettant pas la possibilité de la disparition totale de la trace du mélange... on dit que la nuance qui s'était affaiblie pendant deux ou trois générations s'avive et décèle le mélange africain ; et que si ce n'est pas dans la couleur que l'indice se rencontre, il est dans l'ensemble des traits, dans un nez épaté, dans des lèvres épaisses, qui ne montrent que trop l'origine ». 

L'obsession généalogique du contrôle de l'hérédité, qui imprègne toute la catégorisation, loin de la fausseté possible des apparences, se fonde donc sur la règle fondamentale d'inégalité (suprématie du Blanc sur le Noir), d'où le caractère profondément asymétrique de la classification (Crépeau, 1975). Cette non-symétrie du discours prend ses racines dans l'ordre social, identifié au Blanc. Ce qui semble aux colons la constatation d'un état de fait qui se situe au niveau de la nature traduit en réalité de façon criante une asymétrie dans la société. 

Ce système cognitif requerrait, pour son fonctionnement idéal, un espace social relativement restreint. On peut se demander s'il n'était pas menacé d'instabilité, dans la mesure où se faisait jour une tendance à la classification phénotypique, au détriment de la règle de descendance (Crépeau, 1975). L'arbitraire agissait, on l'a vu, sur toute la classification, selon les termes mêmes de Moreau de Saint-Méry, parfaitement conscient qu'il ne proposait que des « approximations » et prenant soin, pour chaque catégorie généalogique, de donner une correspondance « phénotypique », ainsi qu'une appréciation concernant certains traits de comportements, en particulier ceux ayant trait à la passion des sens... Lorsque le recours à l'hérédité était impossible, il fallait en effet se résigner à la prise en compte de l'apparence.

 

Logiques coloniales du métissage

 

On retrouve dans toutes les situations de métissage Blanc/Noir le même modèle, plus ou moins affirmé, de « mathématique raciale », selon l'heureuse expression de Michèle Duchet (Duchet, 1969). Mais dans tous les cas la catégorisation en fonction de l'hérédité doit prendre en compte une possible non adéquation des apparences. Que faire par exemple des cas de germains aux types physiques contrastés ? Doit-on les maintenir dans la même catégorie ? La classification populaire se heurte à l'impossibilité de penser la loterie héréditaire. Elle tend alors à faire prévaloir l'évolution phénotypique sur la pondération généalogique, comme par exemple au Brésil, où s'affirme le primat de l'apparence, puisque des germains aux phénotypes différents sont identifiés par des termes raciaux différents, dans un contexte de profusion terminologique extrême. Dans presque toutes les sociétés post-esclavagistes, on assiste ainsi à une certaine dérive vers des catégories fondées sur l'apparence physique : ainsi les Chabins des Antilles françaises, excellemment définis par Michel Leiris comme « des individus qui semblent présenter au lieu d'un amalgame une combinaison paradoxale de traits » (Leiris, 1955)... 

La pensée populaire du métissage semble se plaire à souligner ces cas de non-concordance, où l'apparence se joue de l'ascendance, comme en témoigne l'expression un enfant bien sorti (pour désigner un enfant dont le hasard a fait qu'il manifeste une peau plus claire que celle à laquelle on aurait pu s'attendre, au vu de ses géniteurs...). D'où peut-être cette fascination pour la non-concordance ultime, le nègre blanc, parfaitement blanc d'apparence mais réellement homme de couleur par son ascendance. Ce thème, lié à la possibilité du passage de la ligne a donné lieu à plusieurs romans (dont le célèbre J'irai cracher sur vos tombes de Boris Vian, alias Vernon Sullivan...). 

Loin de l'ordre socio-racial strict de la Plantation ou de ses variantes, dans des contextes sociaux où une certaine fluidité sociale a accompagné les rencontres de populations de diverses origines, la couleur de la peau peut être compensée ou neutralisée par d'autres facteurs. Les termes descriptifs tendent alors à quitter leur finalité apparente, concernant l'apparence ou la généalogie, pour devenir une terminologie coloriste de la hiérarchie sociale, concernant la richesse, la respectabilité familiale ou professionnelle, voire le quartier de résidence... Ainsi tend-on au Brésil à catégoriser par des termes raciaux identiques des individus d'apparences différentes mais de même rang socio-économique et celui qui s'élève dans l'échelle sociale peut littéralement passer d'une catégorie raciale à une autre : « l'argent blanchit.. ». Ces contextes sont favorables à l'occultation du métissage, qui peut être nié dans la mesure où il n'est pas considéré comme une menace. Ainsi, chez les « Blancs » pauvres d'îles antillaises marginales comme Terre-de-Haut des Saintes, ou chez ceux des Hauts de la Réunion, le métissage est-il évacué : l'entrée de gènes d'origine africaine est tolérée, tandis que le discours sur l'identité en minimise le sens, voire en nie l'existence... 

Le cas de La Réunion vaut d'être un peu plus amplement développé, pour les représentations qu'il nous permet de découvrir... Le métissage est présent lors de la fondation de la colonie, puisque l'île fut peuplée de colons blancs échappés de Madagascar qui avaient convolé avec des femmes malgaches ou indo-portugaises, puis de divers matelots qui épousèrent leurs filles... C'est là l'origine des « Blancs de Bourbon », que décrit ainsi Le Gentil, natif de Saint-Malo, au début du XVIlle siècle dans son Nouveau voyage autour du monde : « Il y, a aujourd'hui dans l'île Mascarin 900 personnes libres et 1 100 esclaves. Parmi les personnes libres, il n'y a que six familles dont le sang soit sans mélange, par ce qu'elles ont eu soin de ne se point allier avec les familles de mulâtres et de métis. Cependant les femmes mulâtres, par les alliances qu'elles contractent avec les Français qui quittent leurs vaisseaux pour s'établir dans cette île ont des enfants moins basanés. Le sang se purifie (souligné par nous) et leur teint devient blanc peu à peu. Je vis un jour dans l'église paroissiale de Saint-Paul une famille entière qui me donna de l'admiration. Tous les visages de ceux qui la composaient étaient de couleur différente, et je puis dire que ma vue allait du blanc au noir et du noir au blanc. Je comptai, depuis la trisaïeule jusqu'à l'arrière petite-fille, cinq générations. La trisaïeule, âgée de cent huit ans, était noire, telle que le sont les Indiennes de Madagascar ; la fille était mulâtre, la petite-fille métisse, la fille de celle-ci était quarteronne, la quatrième était quinteronne, et la dernière enfin était blonde et aussi blanche qu'une Anglaise. Mais toutes ces femmes ou filles, en changeant de couleur ne perdent point certaine odeur (qu'on pourrait appeler fumet) qui dénote leur origine. » 

On voit combien un voyageur du début du XVIlle maîtrise parfaitement la taxonomie internationale du métissage, et l'on constate qu'il exprime déjà l'un des phantasmes concernant le métissage noir-blanc, donnant à l'odeur le primat sur la couleur elle-même. Cette description est corroborée par le témoignage sans fard d'A. Boucher, qui passe sept ans sur l'île et qui donne des indications très précises sur les phénotypes des « créoles » de l'île : pour lui les « Blancs » ne constituent qu'un tiers de l'ensemble. Sur place par contre le métissage semble absent des représentations indigènes : ceux qui vont devenir les « Blancs de Bourbon » se préparent-ils donc dès cette époque à être « blancs » par convention ? Près d'un siècle et demi plus tard, écoutons le témoignage d'un voyageur du XIXe siècle, Charlier :

 

      « Malgré tous leurs efforts, les créoles de l'île Bourbon n'ont pas réussi à se donner une physionomie vraiment européenne. La trace de leur origine subsiste encore dans les générations actuelles, en dépit des recrues successives qui sont venues d'Europe se mêler à la population primitive, l'amender, la vivifier par l'alliance d'un sang étranger... (Parmi les) signes héréditaires qui trahissent la filiation madécasse : ... c'est quelque chose d'inappréciable dans la teinte quasi-blanche et dans la forme de l'œil ; c'est enfin la nuance de la peau, qui n'est ni blanche, ni basanée, ni cuivrée bien certainement, qui, pour des regards peu exercés, peut paraître semblable à l'épiderme de tout le monde, mais qui suffirait, aux yeux des connaisseurs, pour faire soupçonner sous son enveloppe un mélange de sang européen et de sang madécasse, même si l'on ignorait les commencements de la colonie. L'histoire de ces commencements est si avérée, que les colons de l'île Maurice, qui de la manière la plus amusante s'enorgueillissent de leur origine purement européenne, ne manquent jamais, s'ils ont à qualifier parfois quelque objet d'un blanc sale ou équivoque, le linge d'une table, la robe d'une femme, de dire avec mépris : "Blanc, si l'on veut, mais Blanc de Bourbon !" »

 

En 1972 parait à Paris un ouvrage, dû à A. Rosset et intitulé Premiers colons de Bourbon. On y trouve la notation suivante, qui a l'intention manifeste d'apaiser d'éventuelles fureurs locales : « À la douzième génération, la nôtre si l'on compte 3,5 générations par siècle, chacun n'a plus que 1/1024e du sang de son ancêtre de 1680. Cette goutte de sang microscopique, si elle est colorée, n'est plus discernable... ». Remarquons avec R. Chaudenson que « A. Rosset est assurément plus doué pour la diplomatie que pour l'arithmétique... » : le raisonnement qu'il suggère ne vaut que si tous les autres ascendants, en dehors de l'ancêtre bourbonnais de 1680, étaient extérieurs à l'île (Chaudenson, 1992). 

Le schème cognitif de la règle dissymétrique de descendance a donc pu s'imposer, à partir de son foyer colonial à l'ensemble de l'Occident. De là cette dichotomie désormais classique dans les catégorisations populaires du Noir et du Blanc : d'un côté les « Blancs », supposés indemnes de mélange et qui ne peuvent donc descendre eux-mêmes que de Blancs, de l'autre les « Noirs », les Nègres ou les Colored People qui comprennent aussi bien les Négro-Africains originels que les descendants de tous les mélanges « ramenés à l'autre couleur fondamentale, pour la raison qu'ils en sont en partie issus (Debbasch, 1967) » [3]... On sait la fortune d'un tel englobement dans les retournements identitaires du XXe siècle (Négritude, Black Power...) où les termes black, ou noir, ou nègre ont été revendiqués par toute la population dite « noire », alors qu'il s'agit d'une population complexe, apparue en Amérique à partir d'une double origine, africaine et européenne. On aboutit ainsi aux États-Unis au paradoxe « qui consiste à attribuer uniformément la couleur noire à des gens dont la teinte n'est jamais précisée » et qui peut aller jusqu'à une « inconcevable pâleur noire » (Pétonnet, 1986) [4]... Les ouvrages sur les « Noirs » américains sont pour la plupart abusés par cette réduction en noir et blanc, conçue volontiers comme « biologique ». Que les sociologues « noirs » soient les premiers à utiliser cette dichotomie, pousse à se demander si cela ne traduit pas une certaine « inertie » (au sens des physiciens) de la pensée et du discours en matière raciale, inertie qui permet de véhiculer indistinctement des idées nouvelles et des croyances anciennes dont on ne perçoit pas même la présence mais qui orientent en profondeur les questions posées et la direction où l'on cherche des réponses.

 

Les représentations savantes du métissage
des anciens aux modernes

 

Nous retrouvons cette inertie réductrice dans le champ même des représentations savantes. Le métissage s'est constitué en objet privilégié de la réflexion savante au XIXe siècle et Prend place dans le débat plus large entre fixisme et évolutionnisme. Mais il est frappant de constater combien les idées avancées sont « reçues » à partir de l'arsenal cognitif des siècles passés et sont marquées, au sein même de la modernité, à la fois par les préjugés et les catégories d'une « science sauvage » ou traditionnelle, et par les données empiriques de la zootechnie. Essayons de démêler quels sont les principaux postulats sur lesquels s'appuyait cette pensée savante : 

- Elle est d'abord animée d'une vision essentialiste qui sous-entend que l'humanité s'est séparée en sous-espèces appelées « races », différentes et souvent présumées inégales. La race est une essence. Pendant longtemps, ce postulat n'est pas remis en cause, la « race » étant considérée comme préexistant à toute forme de variabilité (variabilité interprétée par des mélanges anciens entre des types « purs », alpin, nordique, méditerranéen...) et correspondant à un type présumé stable. 

- Ensuite le mélange des apparences apparaît comme une rupture des essences. La « race », en tant qu'essence, ne peut qu'être altérée par tout croisement. L'humanité est en effet partagée entre des entités cohérentes suffisamment divergentes pour que leurs mélanges soient « contre-nature ». Aussi leurs produits et leurs descendances sont-ils marqués à jamais par leur origine disparate : seules les races « pures » sont capables de progrès social et moral... Le mélange des races est ainsi doté d'une connotation dégradante, car il implique le brouillage des traits propres à chacune. Il ne peut que déboucher sur une « médiocrisation » fatale de l'espèce, à un nivellement par le bas en détruisant les valeurs spécifiques des races mélangées... Deux caractéristiques négatives sont attribuées généralement aux produits du métissage : ils sont dégradés (« dégénérés ») et inféconds, résultat, selon l'anthroposociologie de Vacher et Lapouge, du « choc des hérédités » (Taguieff, 1988). Ces produits sont d'autant plus détestables que les « races » originelles sont plus éloignées : « (...) les métis qui résultent de pareils croisements constituent une population très inférieure aux produits dont elle dérive, et complètement incapable de créer, ou même de continuer une civilisation. L'influence d'hérédités contraires dissocie leur moralité et leur caractère » (Le Bon, 1894). Pour certains, les produits du métissage sont, de plus, menacés de diverses pathologies physiques et mentales ainsi que d'une tendance à la criminalité (Martial, 1938).

- Enfin, à chaque race correspond une qualité spécifique de sang. Ce « monohématisme » racial (Taguieff, 1988) s'appuie sur la persistance des croyances assimilant « sang » et « hérédité » [5]. Les qualités du sang peuvent rester concentrées si la « race » conserve sa pureté, sinon elles sont fatalement diluées : « Il existe un élément qui doit être à la base de la pharmacie sociale, et cet élément, c'est le sang. C'est le sang vain, viril, porteur de génie, coulant à travers les âges grâce à l'action infaillible de l'hérédité » (Stoddard, 1920). De plus, le mélange des sangs provoque une véritable guerre interne : « toute cette tempête de l'âme, c'est la bataille des sangs »... (Martial, 1938). 

Le métissage provoqua des discussions passionnées parmi les anthropologues des années 20 et 30, par suite des implications théoriques en génétique ainsi que des échos eugéniques impliqués, dans un contexte politique où le nationalisme se légitimait par le recours à une identité biologique, et où la « race » servait de fondement aux idéologies de la séparation. Ces postulats avaient déjà été fortement ébranlés dès le début du XXe siècle : la stabilité des types avait été mise en question par Frantz Boas dans les années 1900-1910 : « l'idée ancienne de l'absolue stabilité des types humains doit être abandonnée, et avec elle la croyance à une supériorité de certains types sur les autres » (Boas, 1911), malgré les préjugés de spécialistes du métissage comme Davenport (Davenport, 1913, Davenport et Steggerda, 1929). Les études anthropobiologiques de terrain se multiplièrent, portant sur des groupes conçus comme exemplaires par la « distance » de leurs populations d'origine [Bastards de Rehoboth (Fischer, 1923), métis de Kisan (Rodenvalt, 1927), groupes bi-raciaux - Noirs/Blancs - ou tri-raciaux - Noirs/Blancs/Amérindiens - (Herskovits, 1928), métis de Picairn (Shapiro, 1929, 1936)]. Elles constatèrent qu'il n'existait aucune spécificité de la population métisse dans sa structure biométrique, sa pathologie, sa fécondité. 

En accédant à la conception génétique de l'hérédité, applicable aussi bien à l'homme qu'à tous les autres êtres vivants, on voit se profiler à l'arrière-plan tout le débat qui a conduit à travers Mendel à une conception particulaire de l'hérédité et à l'indépendance des caractères chez l'hybride. Le « produit » est déductible en probabilité, et sa réalité apparaît comme le résultat de combinaisons aléatoires de composantes discontinues. La génétique contemporaine conçoit donc que des supports d'information, les gènes, déterminent directement ou par leurs interactions une parcelle des traits biologiques des individus. Chaque individu et chaque population apparaissent comme une collection particulière d'éléments géniques puisés dans un stock commun à toute l'humanité. Dans cette perspective, toute rencontre de populations met en place une collection nouvelle de gènes à partir des ressources des populations de départ. Le métissage correspond, au niveau de la population (niveau significatif de la redistribution des gènes), au processus et à l'aboutissement d'un flux génique. Ce que le sens commun perçoit et désigne comme « race », loin d'être une essence préexistante, se révèle alors comme le résultat, à un moment donné, de l'équilibre entre des flux géniques entrecroisés, équilibre éventuellement lentement déplacé par la sélection. Rappelons que Mendel a découvert les lois fondamentales de la transmission héréditaire à partir d'expériences d'hybridation, par le croisement entre des variétés de pois : d'emblée la miscégénation est à la source de l'information gênetique, et son analyse révèle le support discontinu de l'hérédité et la pérennité de ses éléments porteurs qui ne peuvent en aucun cas se dissoudre lors des unions entre différents. 

Considérons, chez l'homme, le produit des mélanges entre les deux couleurs extrêmes, le « noir » et le « blanc », cas fondamental dans la pensée traditionnelle sur le métissage. Contrairement à une opinion répandue, les diverses couleurs de peau résultent, pour l'essentiel, de la densité dans l'épiderme d'un unique pigment, la mélanine, présent aussi bien chez les « Blancs » que chez les « Jaunes » ou les « Noirs », mais à des doses variables. La quantité de mélanine observable chez un individu est déterminée génétiquement, même si des influences extérieures peuvent la faire varier temporairement. Mais il suffit d'une part infime de notre patrimoine génétique pour la déterminer, part qui ne présente aucun lien avec d'autres caractères biologiques importants. Le contraste est grand entre le caractère très ténu du support génétique de la différence de couleur et l'ampleur de son intervention dans l'histoire sociale de l'humanité, écart qui montre à quel point tout réductionnisme est porteur d'illusions. Et ceci dans les deux directions, car la génétique décrit également des différences entre individus ou entre groupes autrement plus importantes, et qui ne sont l'objet d'aucune perception sociale, ne serait-ce que les groupes sanguins ou tissulaires... 

Et là s'introduit, au cœur même de la définition du métissage, la question de sa perception. Dans la mesure où toute union se fait entre des individus ayant un écart dans leur patrimoine génétique, quelle peut être la spécificité du métissage ? La génétique sait mesurer des distances mais ne fait pas de différence entre populations sur le gradient des distances possibles. Dans la mesure où la différence biologique demeure insaisissable de manière absolue (dépendant de l'information génétique dont on dispose), nous sommes alors renvoyés vers le sens commun, qui se fonde sur la simple conscience d'une distance, conçue certes comme biologique et inscrite dans l'hérédité, mais fondée essentiellement sur la différence d'apparence physique. On a ainsi coutume de désigner par « métissage » toute union entre des individus perçus comme appartenant à des collectivités d'origine ayant certaines apparences physiques différentes (par exemple la couleur de la peau) et par « population métissée » toute population résultant d'un flux génique mettant en cause de tels traits visibles, souvent socialement discriminants. Par contre, les flux géniques inapparents (ceux qui concernent des caractères non visibles ne faisant l'objet d'aucun investissement social) n'ont pas droit à l'appellation de métissage. 

De plus, à la source de la perception, le biologique (dans lequel s'inscrit l'apparence physique) et le culturel (lieu des comportements) sont la plupart du temps inextricablement mêlés : l'écart biologique n'est que l'une des variables de l'altérité. Il y a là un chevauchement, un entrecroisement de la nature et de la culture : on attribue à l'une ce qui tient à l'autre et réciproquement... Le discours savant récupère donc un objet défini par la perception collective, qu'il croit être un objet biologique, alors que le métissage exprime en fait l'image d'une différence morphologique, image qui fluctue au gré du sens social donné à cette différence. L'idéologie s'infiltre ainsi par deux failles : en intervenant pour choisir entre les différences, et orienter leur perception et leur évaluation ; en sélectionnant, au moins au niveau du sens commun, ce qui est conçu comme biologique, héréditaire et ce qui ne l'est pas.

 

De la perception du métissage
à sa gestion sociale

 

Le métissage n'est donc pas un donné, mais un perçu, si bien que l'union d'un même couple sera ici métissage, et là ne le sera pas. Un flux génique peut ne pas être reconnu socialement comme un métissage, même s'il correspond à une réalité biologique... Ainsi, lorsqu'il s'agit de souligner une homogénéité sociale que l'existence d'un métissage contredirait, la société peut ignorer, comme on l'a constaté pour les groupes de « Petits Blancs » des sociétés ex-esclavagistes, les signes physiques de celui-ci et les exprimer comme des caractéristiques individuelles non signifiantes. En dernier ressort le métissage apparaît plus comme une métaphore sociale projetée dans le biologique que comme une métaphore biologique permettant de qualifier le social (à l'inverse donc de ce que croient la plupart des utilisateurs actuels du terme, qui le jugent particulièrement attrayant, par son contenu biologique supposé, pour qualifier des faits relevant de rencontres de cultures...). 

Une spécificité des populations conçues comme métissées ne serait-elle pas d'avoir conservé la mémoire de leurs sources ancestrales et de savoir que leur histoire a comporté la confluence de groupes humains ? Si les rencontres reproductrices qui permettent l'émergence de telles populations sont éminemment historiques (migrations, guerres, colonisations), le phénomène de métissage lui-même s'inscrit également dans une historicité qui rend compte de la singularité de chaque cas concret. Tout au long de l'histoire d'une rencontre entre populations, le sens, le rythme des flux géniques peuvent différer ; il peut s'agir d'un mélange unique et définitif, ou bien d'un mélange permanent et perpétuellement modifiable ; les apports nouveaux peuvent se répartir inégalement par suite de la plus ou moins forte prégnance de comportements homogames. On peut ainsi distinguer une dynamique externe, conséquence directe du flux de gènes nouveaux, dépendant de l'ouverture ou de la fermeture de la population, et une dynamique interne dans laquelle s'inscrit un traitement social de la miscégénation, au gré des rapports qui s'établissent entre les groupes en présence (ségrégation pour éviter l'apparition des métis, rejet dans un groupe infériorisé pour ceux qui apparaissent, sélection du conjoint en fonction des caractères physiques...). Les divers modes de circulation d'un flux génique sont canalisés par ces rapports, et le résultat génétique, à un moment donné, est le reflet d'un certain équilibre social et de ses tensions internes. Le matériau qui sert de base à la différenciation est ici constitué par un certain nombre de caractères discriminants qui permettent le « tri »racial ; la transmission de ces caractères d'une génération à la suivante est pensée en permanence au travers des faits d'alliance et de procréation : la société, par le recours à une économie matrimoniale bien surveillée, contrôle un phénomène biologique qui normalement lui échapperait ; il est possible en la circonstance d'avancer l'idée d'une gestion sociale de l'hérédité des traits discriminants. 

Que va-t-il advenir ainsi de l'écart initial entre les populations fondatrices, au fil des générations ? Dans un contexte « naturel », le brassage tendrait, au hasard des rencontres reproductrices individuelles, à la constitution d'une nouvelle population, se rapprochant à chaque génération d'un état d'équilibre où toute distinction par l'origine deviendrait non pertinente. Mais ce modèle panmictique n'est jamais réalisé dans les populations humaines, car cette intégration est freinée, le plus souvent par des comportements homogames, quant aux caractères discriminants tout au moins. Plusieurs cas de régulation sociale des flux géniques peuvent ainsi apparaître, selon les situations de métissage : 

- les métis, rejetés par les deux groupes parentaux, forment un troisième groupe, distinct des deux populations parentales (c'est le cas des métis d'Afrique du Sud ou des Anglo-Indiens) ; 

- il subsiste, malgré le mélange, deux populations, assurant par là la conservation de la dichotomie originelle : les individus présentant des traces du mélange sont exclus de l'une des populations parentales et assimilés à l'autre, si bien que l'une de ces populations reçoit des apports de l'autre, sans que la réciproque soit vraie ; c'est la logique de la ligne de couleur, à l'œuvre dans la majeure partie des colonies de plantation ; 

- plus près de l'évolution naturelle, deux populations (ou plus) se mêlent pour former effectivement une population nouvelle. Dans ces situations complexes, le système de valeur penche souvent, comme dans le cas précédent, en faveur de l'un des pôles du continuum, même s'il n'y a pas de barrière stricte (Brésil, Réunion...). 

Bien entendu, ce raisonnement en termes de population biologique n'a de sens que parce que ces « populations » sont en même temps des sous-ensembles qui doivent leur existence sociale au fait que les caractères biologiques qui servent à les identifier et à les distinguer ont une charge sémantique au sein du champ social. Sinon, les distances biologiques initiales demeureraient dans l'ombre et perdraient toute implication opératoire dans les choix matrimoniaux par lesquels toute population, on vient de le voir, est en mesure de gérer ses échanges géniques et la transmission de son patrimoine héréditaire de génération en génération. Ainsi, l'une des leçons du métissage est-elle que si toute société est aussi une population, au sens biologique, toute société n'est pas nécessairement une population qui conçoit et qui gère son patrimoine génétique. Et même lorsqu'elle le fait, ce n'est que pour une part, proportionnellement infime, de ce patrimoine, celle qui fait l'objet d'une perception collective et qui s'inscrit dans un système de valeurs. 

Mais comment une société parvient-elle à mettre en place des comportements qui peuvent, sans même qu'elle en ait conscience, aboutir à une véritable gestion sociale de l'hérédité ? Comment se rend-elle, au moins partiellement, maître de celle-ci ? Revenons un instant au cas exemplaire des vieilles colonies. Comment, dans leur logique de distinction raciale, est-on parvenu à contrecarrer la dilution des couleurs ? Le recours à une économie matrimoniale bien surveillée a généralement permis d'obtenir le résultat recherché, à savoir la persistance de l'apparence caractéristique d'une des catégories premières et par là le maintien de la différenciation. Mais on ne saurait maîtriser tous les flux sexuels, et le métissage apparaît alors comme le reste obligé de toutes les stratégies de préservation. Bien souvent ce sont les acteurs les plus convaincus du discours séparateur, les hommes blancs qui, par leurs rencontres illégitimes avec les femmes de couleur, ont amorcé le processus. Mais, en brouillant les différences physiques, le métissage réduit la validité des traits phénotypiques comme signes, pour le groupe dominant, d'une absence de relation de parenté avec le groupe dominé. Il faut donc faire appel, pour maintenir la discrimination, à une politique identitaire stricte, en versant dans le groupe infériorisé tous les individus qui sont le produit d'un éventuel mélange et en contrôlant par la généalogie sa propre composition. La possibilité du passage de la ligne, dont pourrait être capable un « Blanc » ayant un ancêtre de couleur suscite ainsi une peur récurrente dans certains groupes blancs des Antilles ou du continent américain. C'est afin d'éviter l'entrée dans le groupe d'éléments indus que les Békés de la Martinique sanctionnent traditionnellement les mésalliances par J'exclusion du dissident : leurs produits ne relèvent plus de l'identité blanche créole. 

Du point de vue du segment racialement dominant, cette partition est cohérente. Mais le reste du corps social est tenté d'utiliser les nuances chromatiques ou les positions généalogiques diverses qui existent en son sein comme autant de paliers reliant les deux pôles raciaux. Des stratégies matrimoniales, ou simplement reproductrices, se mettent en place, créant un feuilletage plus ou moins complexe, avec l'émergence de catégories à la fois sociales et biologiques, ouvertes vers le haut mais fermées vers le bas. Chacune reflète, à son propre étage, le modèle du segment non mêlé, dans une attitude de défense contre ce qui vient d'en bas qui est très analogue aux comportements hiérarchiques des castes indiennes. Ces stratégies s'étalent sur un nombre de générations qui peut être appréciable et se déploient tout au long de la catégorisation raciale, tout en jouant de la compensation possible de cette position de classe à la position de race (sauver la peau). Dans certaines lignées, elles peuvent aller dans le sens d'une volonté tenace de blanchiment, profitant du Message Blanc stigmatisé par F. Fanon, lorsqu'il parle de ces « délicieux petits gènes aux yeux bleus, pédalant le long des couloirs chromosomiaux »... (Fanon, 1954), ainsi que le décrit un observateur aigu de la société martiniquaise : « C'était la plus troublante phase d'une guerre où les gestes de l'amour étaient aussi hargneux, mortels et trompeurs, rusés que ceux d'un combat. C'était un pillage, un butin. Chaque matrice conservait sa part de semences sélectionnées... » (Etchart, 1967). 

Cette gestion soigneuse du capital racial permet de gravir, en sens inverse du mouvement des gènes, les divers échelons du métissage, avec, pour objectif ultime, ce « passage de la ligne » déjà évoqué, qui signifie l'oubli, individuel et collectif, des origines, l'abandon de la mémoire généalogique au profit de l'évidence des apparences...

 

Une symbolique populaire efficace

 

Il a fallu du temps et des efforts, on l'a vu, pour que la révolution mendélienne entre dans le champ des connaissances et efface l'idée que tout métissage serait d'abord la brisure d'entités (les races) dont les fragments recombinés ne peuvent aboutir qu'à un résultat hétérogène ou imparfait. Est-il bien certain que cette évidence soit partagée par tous ? Ce mode de pensée est en tout cas loin d'avoir assuré sa victoire dans le discours populaire. On ne peut que constater la vitalité des croyances traditionnelles, qui débouchent sur la dévalorisation, voire la hantise, du métissage, à travers la fiction du « mélange des sangs » et le mythe du sang-race (Taguieff, 1988). Car abolir la « race » dans le champ naturaliste est une chose, l'évacuer du champ social en est une autre... Correspondant à une évidence perceptive fondée sur le primat de l'apparence (couleur, traits du visage, cheveux...) la représentation populaire de la race n'est pas sensible au discours de la science qui en combat les implications mais qui ne peut démentir l'évidence immédiate. L'adéquation entre les données de la science et le discours populaire du sens commun ne devrait-elle pas s'effectuer à travers un relais qui manque dans les confrontations entre « savants » et préjugés : au lieu de dénier la réalité de la « race » telle qu'elle est perçue au niveau populaire, ne faut-il pas faire comprendre qu'elle n'est qu'une « existence » issue des hasards de l'histoire et qui a abouti à la coalescence de caractères biologiques héréditaires (mais qui parfois ne le sont pas) Marquant les apparences d'un groupe d'individus ? Existence qui n'exprime aucune « essence » cachée et fondatrice, mais qui bien au contraire la précède, cela dans la seule mesure où cette essence ne prend naissance que dans l'imaginaire social. 

L'efficacité de telles croyances procède pour une large part de leur articulation à une marque biologique, qui met en jeu une pensée implicite de l'hérédité. La phobie du métis paraît en effet s'articuler, d'après certaines recherches psycho-sociologiques, aux représentations de la filiation et de la descendance. C'est l'hypothèse de Pagès, qui met en évidence le souhait, pour l'individu, de faire perdurer son identité phénotypique, de se retrouver le plus possible chez ses descendants, manifestant un désir de perpétuation morphologique, d'auto-reproduction à l'identique. Car la ressemblance de l'enfant aux ascendants permet la reconnaissance de son appartenance à la famille, confirme l'authenticité de la descendance. La couleur de la peau est en la matière une caractéristique déterminante, grâce à sa bonne visibilité, sa haute stabilité, d'autant plus garantie qu'elle est héréditaire... L'union interraciale est perçue comme risquant de produire des enfants qui ne pourraient pas faire partie de « nous », entraînant une rupture d'identité, de solidarité du groupe familial, une interruption dans la transmission continue de la ressemblance propre à la lignée... On sait que l'entrée dans la famille constitue la dernière et la plus forte résistance à l'acceptation raciale, dont témoigne si fort l'expression : « Voudriez-vous que votre fille épouse un... » (Pagès, 1979) ? 

Un discours nouveau est cependant apparu durant ces dernières années, celui de la beauté du métis. Dans la mouvance d'une idéologie anti-raciste, ce discours s'appuie sur la manipulation d'un vieux thème eugéniste, celui de la dégénérescence des lignées par consanguinité... Le métissage, qui apparaît comme la figure inversée de la consanguinité, est alors associé à toute une série de valeurs positives extraites de la biologie elle-même : santé et vigueur des hybrides, adaptabilité... Par la conjonction qu'il permet de différentes qualités « raciales », il annonce l'homme nouveau, loin du confinement délétère de l'ancienne humanité. Ce discours, qui se veut de manière explicite ouverture aux « autres », va de pair avec la promotion des productions culturelles dites « métisses », caractéristiques de certaines régions du monde, ou de certains mouvements de « fusion » contemporains, en particulier musicaux. 

La question du métissage se déplace alors : c'est l'identité sociale du métis qui est en jeu, comme l'a démontré, en d'autres temps, l'histoire des vieilles colonies. Si « métissage » est un mot né dans la biologie sur une illusion, la société le récupère car c'est d'elle qu'il parle. On rencontre là la problématique des rencontres de civilisations, où divers flux circulent, formant des configurations qui se confrontent et s'érodent en contact. Chaque niveau a une autonomie de fonctionnement, mais la simultanéité des processus entraîne souvent la pensée d'une causalité commune, et les débats sur cette causalité se font écho de niveau à niveau... Le dilemme identitaire recherche des origines [6] /affirmation du mélange semble au cœur de bien des malaises des sociétés plurielles actuelles et il peut dans les sociétés à venir générer les turbulences les plus inédites... 

Ainsi deux idéologies du métissage coexistent-elles dans le champ même de l'antiracisme. L'une, relativement hostile au métissage, se déploie sous l’emblème du « droit à la différence », lui-même inscrit dans le mythe eschatologique « mort des ethnies/des cultures » par indifférenciation. L'ancienne « incompatibilité des sangs » cède simplement la place à l'irréductibilité des mentalités, à la menace de l'appauvrissement culturel. On reconnaîtra là des idées qui ont pu être reprises par la « nouvelle droite » [7], mais qui ont leur version de gauche dans la valorisation du multiculturel et du pluralisme... On se situe là dans une logique des valeurs différentialistes, du respect de la diversité donnée et des différences naturelles, se prolongeant dans une éthique fondée sur la sacralisation de la « nature » (Taguieff, 1988). L'autre chante les louanges du mélange et du mixte, sans se douter que l'abolition de la « race » dans le champ naturaliste, qu'elle enregistre dans le même temps avec satisfaction, implique la non-pertinence de la notion même de métissage... Mais la réalité phénoménale est la plus forte : le métissage continue à signifier, au plan du vécu, la dissolution essentielle de la « race » même aux yeux de qui la nie. L'impératif de métissage apparaît alors comme une volonté politique de fusion, magnifiée par son inscription dans ce qui est perçu a priori comme intangible et qui revient quand on le chasse, le naturel.  

Jean-Luc Bonniol, Jean Benoist,
Aix-en-Provence 

 

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TAGUIFFF P.A., 1988, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte. 



[1]    Le thème de la fécondité des métis a été l'objet de nombreux travaux des années 1920 et 1930. Ils ont conclu, à la surprise de bien des auteurs que les produits des métissages, même lorsque les distances géographiques sont les plus extrêmes, n'étaient jamais inféconds.

[2]    Beaucoup plus tard, le concept de « dominance » des généticiens sera réinterprété dans un sens analogue par des théoriciens du racisme qui expliquent ainsi la fixation de races, produits d'anciens métissages, et la concentration dans ces groupes de traits physiques normaux ou pathologiques. Les traits « tendent à s'accuser toujours davantage, surtout quand il s'agit de caractères dominants (...) Ainsi la race juive présente des caractères qui se retrouvent dans les autres races : nez gros, lèvres épaisses, cheveux crépus comme les nègres, œil à fleur de tête comme les mongols » (D'Heucqueville, Plus d'enfants dégénérés, Hachette, 1943, p. 50).

[3]    En septembre 1993, l'hebdomadaire L'Événement du jeudi, dans un dossier sur « la France black », ne fait que refléter cette dichotomie réductrice, assimilant sans complexe l'immigration africaine et l'immigration antillaise et qualifiant de « Noirs » tous ceux qui, de près ou de très loin, ont une ascendance africaine. Il y a là un véritable oubli du métissage, auquel il n'est jamais fait référence une seule fois dans le numéro...

[4]    On connaît l'anecdote attribuée à feu le Président Duvalier, qui dévoile remarquablement l'arbitraire de nos représentations en la matière : à un journaliste américain qui l'interroge sur le nombre de Blancs en Haïti, le Président rétorque : « environ 95% ». Stupeur du journaliste, auquel Duvalier demande alors : « Comment définissez-vous les Blancs dans votre Pays » Réponse immédiate du journaliste « C'est très simple. Quiconque a une goutte de sang noir est noir. ». Conclusion présidentielle, limpide : « Chez nous c'est exactement la même chose... Quiconque a une goutte de sang blanc est blanc ! »

[5]    Sur l'origine de la conception de la continuité de sang entre les parents et leur descendance, cf. Aristote, De generatione animalium, 1, 20.

[6]    Celle-ci impliquant la réactivation du cloisonnement.

[7]    Déjà au XIXe siècle un anticolonialisme d'inspiration raciste a pu s'élever contre l'assimilation, erreur funeste du colonialisme français...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 30 septembre 2007 13:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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