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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Charles BONENFANT (1965), “Les régimes politiques.” Un article publié dans L’ÉTUDE DE LA SOCIÉTÉ, Section 8: “L’organisation politique”, pp. 291-300 Textes recueillis et présentés par Jean-Paul Montminy. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1965, 517 pp. [Autorisation formelle accordée le 4 mai 2010, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[291]

Jean-Charles BONENFANT

Journaliste et bibliothécaire québécois (1912-1977)
Professeur de science politique, Université Laval.

Les régimes politiques.” [1]

Un article publié dans L’ÉTUDE DE LA SOCIÉTÉ, Section 8 : “L’organisation politique”, pp. 291-300 Textes recueillis et présentés par Jean-Paul Montminy. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1965, 517 pp.


Quelles que soient les explications philosophiques qu'on puisse donner du phénomène, il est facile de constater que l'homme appartient à toute une série de groupements subordonnés entre eux et à l'intérieur desquels se manifeste ce courant mystérieux qu'est le pouvoir. Dans la situation actuelle de notre civilisation, même si la famille demeure le plus naturel de ces groupements, l'État en est tout de même devenu le plus fondamental ou, comme diraient les juristes, le plus souverain, celui qui se suffit le mieux à lui-même. En effet, même si l'on peut rêver d'une société civile internationale, qui d'ailleurs est en voie de formation, cette société est régie par un droit encore incomplet, et malheureusement le pouvoir ne s'y incarne pas dans une autorité capable de contraindre ses membres.

L'État exige des éléments préalables qui sont : un certain nombre d'hommes liés entre eux, un territoire plus ou moins étendu et une organisation de l'autorité des gouvernants sur les gouvernés. C'est en fonction de ce dernier élément que se pose le problème des régimes politiques ou des formes de gouvernement. Comme on l'a écrit, "tout régime politique est un ensemble de réponses apportées à chacune des questions que posent l'existence et l'organisation des gouvernants au sein d'un groupe social. Comment sont choisis les gouvernants ? Quelle est la structure de chacun d'eux ? Comment se répartissent entre eux les fonctions gouvernementales ? Y a-t-il une limite à leurs pouvoirs vis-à-vis des gouvernés ? Faire la théorie générale des régimes politiques consiste à examiner ces problèmes l'un après l'autre et les diverses solutions qui peuvent leur être apportées" [2].

Les régimes politiques diffèrent par les institutions politiques, c'est-à-dire les lois fondamentales qui leur permettent de fonctionner en présidant aux rapports de l'État avec les citoyens. Ces institutions sont en quelque sorte la concrétisation du pouvoir politique.

[292]

Une bonne partie des institutions politiques sont prévues dans ce qu'on appelle la constitution, mot qui a un double sens qu'il importe de préciser. En effet, même si personne ne croit aujourd'hui, comme ce révolutionnaire de la première partie du dix-neuvième siècle, que la constitution est une jolie femme pour laquelle on se bat, on pense trop souvent que c'est uniquement un document solennel qui pouvait permettre à Thomas Payne de dire qu’« une constitution n'existe que lorsqu'on peut la mettre dans sa poche ». C'est qu'il faut distinguer entre le sens matériel et le sens formel du mot. Dans le premier sens, c'est l'ensemble des dispositions qui prévoient l'organisation et le fonctionnement des organes de l'État ; dans le second, c'est le document solennel qu'on entoure de beaucoup de vénération et qui ne peut être élaboré ou modifié sans suivre une procédure spéciale. La constitution au sens matériel comprend la constitution au sens formel. Dans certains pays, comme aux États-Unis, la constitution au sens formel est suprême ; dans d'autres pays, comme en Angleterre, elle n'existe pas. On y trouve cependant une constitution au sens matériel formée des mille dispositions du droit public qui déterminent la forme et le fonctionnement des organes de l'État aussi bien que les droits des citoyens [3]. Au Canada, nous avons évidemment une constitution au sens matériel dont la partie la plus importante est notre constitution au sens formel, l’Acte de l'Amérique britannique du Nord.

Tout ce qui concerne les institutions politiques, surtout leur fonctionnement, et tout ce par quoi diffèrent les régimes politiques ne se trouvent pas nécessairement dans les constitutions. Celles-ci se précisent et se complètent par des phénomènes d'infrastructure dont les partis politiques sont le plus bel exemple. Les constitutions et les textes de loi ne parlent guère des partis politiques ; et pourtant leur existence et plus particulièrement, dans la plupart des pays, l'existence de deux partis politiques, se surveillant l'un et l'autre et rivalisant de bonnes intentions et d'ingéniosité pour s'emparer du pouvoir ou le conserver, est un des éléments essentiels d'un régime politique.

Les régimes politiques peuvent se classifier selon divers critères, et, c'est ainsi qu'on parle de régime monarchique ou présidentiel, de régime libéral ou absolu et de régime unitaire ou fédératif. Dans le régime monarchique, les structures politiques sont théoriquement dominées par le personnage héréditaire qu'est le roi, espèce qui est de plus en plus en voie de disparition. Le régime républicain au contraire, a, à son sommet, un président qui est élu périodiquement. Le régime présidentiel n'est pas nécessairement plus absolu ou moins libéral que le régime républicain. En réalité, il y a des régimes autocratiques dans lesquels le choix des gouvernants ne dépend guère de l'action des gouvernés et des régimes démocratiques, où cette fois les gouvernants sont choisis par le suffrage du peuple, suffrage qui, aujourd'hui, est universel.

[293]

Enfin, il y a de par le monde des pays de type unitaire et des pays de type fédératif. Dans les premiers, le pouvoir n'appartient qu'à un seul gouvernement alors que dans le second, à l'intérieur d'un même pays, il est réparti entre plusieurs gouvernements souverains dans leur domaine. Il existe plusieurs définitions du fédéralisme. Il convient peut-être de donner ici celle qu'a formulée le Rapport de la Commission Royale d'Enquête sur les problèmes constitutionnels du Québec, mieux connu sous le nom de Commission Tremblay : "Le régime d'association entre états dans lequel l'exercice de la puissance étatique se partage entre deux ordres de gouvernements coordonnés, mais non subordonnés entre eux, chacun jouissant du pouvoir suprême dans la sphère d'activité que lui assigne la constitution" [4].

À travers les âges, le régime fédératif a été plus ou moins pratiqué et il a pris des formes variées. Il s'est réalisé, soit dans les unions d'états conservant presque entièrement leur indépendance respective, soit dans les grands états modernes où se côtoient un gouvernement central et des gouvernements locaux indépendants qui, chacun, communique directement avec le peuple. Dans le premier cas, on dit habituellement que c’est une confédération et dans le second, une fédération quoique, au Canada, l'usage nous fasse employer "confédération" dans le sens de "fédération".

On regarde avec raison comme étant une création américaine, l'état fédératif moderne. Après moins de dix ans d'essai d'une confédération les états américains adoptèrent, à Philadelphie, en 1787, la constitution fédérative de 1787 qui les régit encore aujourd'hui. Puis, en 1848, ce fut la Suisse. Les institutions politiques de ce pays font l'admiration du monde entier et elles semblent avoir permis à la démocratie son triomphe le plus complet et, au fédéralisme, son expression idéale. Mais cependant, cette structure politique s'est édifiée lentement, et ce n'est qu'au dix-neuvième siècle que la Suisse cessa d'être une confédération d'états souverains pour devenir vraiment un état fédératif. Dans la seconde partie du dix-neuvième siècle, les colonies britanniques en Amérique du Nord suivirent plus ou moins l'exemple des États-Unis pour devenir le Canada. En 1900, le Commonwealth d'Australie fut créé par une loi du parlement britannique avec une constitution du type fédératif qui s'inspirait à la fois des exemples des États-Unis, de la Suisse, et du Canada. Les États-Unis, la Suisse, le Canada et l'Australie sont regardés comme les pays où le fédéralisme a le plus facilement triomphé, mais pour compléter le tableau il faudrait aussi parler du fédéralisme nouveau de l'Inde, de celui qui essaie maintenant de naître en Afrique et, enfin, du fédéralisme qui se transpose de plus en plus à l'échelle internationale pour permettre aux pays de confondre certains intérêts sans se dépouiller des éléments essentiels de leur souveraineté.

[294]

Le fédéralisme, surtout à notre époque, peut se réaliser de façons bien diverses, mais habituellement un système politique du type fédératif comporte les caractéristiques suivantes :

1- Une constitution écrite. Il est assez difficile d'imaginer un système fédératif sans un texte prévoyant le fonctionnement de ce système et surtout la répartition des tâches et des droits.

2- Un système d'amendements à la constitution tenant compte de la participation des entités qui composent l'état fédératif.

3- Un partage des pouvoirs. Ce partage se fait d'après diverses méthodes. La première consiste à laisser aux états membres ou aux provinces tous les pouvoirs qui ne leur sont pas refusés directement ou indirectement par attribution exclusive aux organismes fédéraux. C'est la règle aux États-Unis, en Australie, au Mexique, en Suisse, en U.R.S.S. Un deuxième procédé consiste à énumérer les attributions des provinces et à abandonner au gouvernement central les matières non visées. C'est ce qui existe en Afrique du Sud et au Canada avec certaines variantes. Enfin, un troisième procédé qui semble devenir de plus en plus à la mode et qu'on a utilisé dans les constitutions fédératives récentes de l'Inde, de la fédération des Rhodésies et du Nyassaland et de la fédération des Antilles est ce qu'on appelle "la liste concurrente". Elle consiste à confier certaines juridictions au pouvoir local, tant que le pouvoir fédéral n'intervient pas.

4- Le bicaméralisme. Habituellement, dans un système fédératif, la représentation à la Chambre basse est en fonction de la population et la représentation à la Chambre haute essaie d'établir une certaine égalité entre les parties composantes. C'est ainsi qu'aux États-Unis, chaque état, quelles que soient son étendue et sa population, est représenté au Sénat par deux sénateurs.

5- Le contrôle judiciaire. Habituellement, dans un état de type fédératif, les tribunaux supérieurs ont une importance considérable, parce qu'il leur appartient très souvent de préciser à quel pouvoir appartient tel droit ou telle tâche.

Tous ces caractères d'un système fédératif ne se réalisent pas au même degré dans tous les pays fédératifs. La distinction entre régime unitaire et régime fédératif est bien importante, mais la division la plus féconde, celle qui semble épouser davantage la réalité et celle qu'a adoptée le professeur Maurice Duverger, est la suivante :

- les régimes de type anglais ;
- les régimes de type américain ;
- les régimes de type russe.

[295]

Le régime de type anglais s'est formé lentement à travers les siècles à partir du Moyen-Age pour connaître son épanouissement définitif au début du XXe siècle. Dans ce qu'on pouvait appeler son état pur, c'est-à-dire dans le Royaume-Uni et dans la plupart des pays du Commonwealth, il est caractérisé aujourd'hui par les phénomènes suivants :

1- L'existence d'une Couronne s'incarnant en un souverain qui ne possède plus aucun pouvoir personnel, mais qui doit suivre aveuglément le conseil de son Cabinet. La Couronne est devenue l'unique lien entre les membres d'une grande communauté de nations, encore que cela ne soit plus tout à fait vrai depuis la déclaration de Londres, en avril 1949. En effet, pour permettre à l'Inde, qui devenait une république, de continuer à faire partie de cette communauté, les représentants des gouvernants des pays membres du Commonwealth reconnurent le roi simplement "comme symbole de l'union libre des nations indépendantes qui font partie du Commonwealth dont il est à ce titre le chef".

2- La suprématie du parlement dont on a déjà dit qu'il pouvait tout, sauf changer un homme en femme.

3- La pratique du bicaméralisme, c'est-à-dire l'existence d'une Chambre haute. Dans le système britannique, on trouve presque toujours une Chambre haute du type de la Chambre des Lords, Chambre haute dont les pouvoirs sont cependant aujourd'hui assez limités. Toutefois, il y a quelques années, les Néo-Zélandais n'ont pas cru qu'ils reniaient les structures essentielles du système britannique en abolissant leur Chambre haute.

4- La responsabilité ministérielle et la solidarité ministérielle. La première signifie que le pouvoir exécutif est soumis au contrôle de la Chambre basse et qu'un gouvernement doit démissionner lorsqu'il n'a plus la confiance des représentants du peuple ; la seconde veut que lorsqu'une décision importante a été prise par le Cabinet, tous les membres doivent l'appuyer officiellement, même s'ils se sont opposes a son adoption ; sinon ils doivent démissionner.

5- L'acceptation des conventions. La vie politique de l'Angleterre et des autres pays subissant l'influence des institutions britanniques est baignée par ce qu'on appelle "un droit constitutionnel conventionnel fait d'accords qui peuvent n'être écrits nulle part et qui, dans tous les cas, se trouvent absolument dépourvus de sanction légale et que les tribunaux ignorent, mais qui n'en sont pas moins compris et respectés par les partis intéressés en vertu d'un sentiment intérieur de nécessité juridique" [5]. Ces conventions reposent plutôt sur le [296] "fair play" que sur le droit, et les tribunaux ne sauraient les appliquer. Elles sont en perpétuel devenir ; elles naissent, se développent, se modifient habituellement en vertu d'un accord tacite entre le gouvernement et l'opposition comme règles de jeu politique. Un auteur anglais a même déjà soutenu qu'à proprement parler une convention n'est jamais violée : l'acte qui la contredit prouve par là même qu'on ne considère pas l'habitude ou le précepte qu'elle consacrait comme faisant partie de la constitution.

Le régime politique britannique s'est étendu à travers le monde. On le retrouve aujourd'hui dans presque tous les pays du Commonwealth, c'est-à-dire au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Union Sud-Africaine et même en Inde. Le système britannique a aussi gagné les pays de l'Europe nordique où il a influencé les constitutions de la Suède, de la Norvège, du Danemark, des Pays-Bas et de la Belgique. Jusqu'à un certain point, c'est aussi le système britannique que l'on retrouve à la base de toutes les constitutions françaises, surtout depuis 1870. Cependant, on peut affirmer que la constitution de la Ve République s'éloigne un peu plus que les autres du système britannique. Ajoutons aux pays influencés par le système britannique la République Fédérale d'Allemagne, d’Italie, la Turquie et le Japon.

On peut affirmer que, jusqu'à un certain point, le système britannique a aussi influencé ce qu'on peut appeler les régîmes de type américain, c'est-à-dire le régime des États-Unis et les régimes des pays qui les ont imités. Les États-Unis ont voulu, en effet, reproduire le régime politique de leur ancienne mère patrie en le transposant cependant dans une forme républicaine. Ils ont voulu être gouvernes par un chef aussi puissant que l'était le Roi d'Angleterre au dix-huitième siècle, mais ce chef ils ont refusé qu'il soit héréditaire et ils ont décrété qu'ils pourraient le remplacer tous les quatre ans. Dans leur constitution, ils ont tenté de séparer le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, mais trompés par l'interprétation de Montesquieu, dans l’Esprit des Lois, ils ont cru qu'ils imitaient la structure du régime britannique alors qu'ils s'en éloignaient.

Il reste que le régime du type américain diffère assez profondément du régime britannique et qu'il est caractérisé par les phénomènes suivants :

1- Importance de la constitution écrite, c'est-à-dire de la constitution formelle. Les États-Unis ont eu la première constitution écrite qui a été ensuite imitée, parfois même d'une façon assez verbeuse, par les pays de l'Amérique latine. Tout Américain en est fier et il en cite volontiers des passages pour protéger ses libertés ou simplement pour donner belle allure à un discours académique.

2- Existence d'un Parlement, appelé habituellement Congrès, formé de deux Chambres : la Chambre basse et le Sénat ou Chambre haute qui, habituellement, a plus d'importance que dans les régimes du type britannique. Ce Parlement ne [297] contrôle pas directement l'Exécutif et il peut être dominé par un parti différent de celui auquel appartient le président. Il est cependant le maître de la bourse et parce qu'il doit consentir aux crédits et aux impôts, il peut indirectement restreindre l'action de l’Exécutif. En d'autres termes, dans le système américain, la responsabilité ministérielle n'existe pas.

3- Existence d'un président qui, aux États-Unis, est élu par un collège électoral artificiel et qui, dans d'autres pays, est élu directement par le peuple.

4- Contrôle judiciaire. Aux États-Unis, et parfois dans d'autres pays de type américain, les tribunaux contrôlent le pouvoir législatif, si bien qu'aux États-Unis, à propos de l'activité de la Cour Suprême, on a pu même parler du gouvernement des juges.

Le système américain a été imité par tous les pays d'Amérique, sauf par le Canada. On peut aussi affirmer qu'on en trouve certains traits dans le régime politique suisse.

Enfin, l'établissement du communisme en Russie, en 1917, a créé un régime de type spécial qui semble emprunter plusieurs éléments aux régimes de type anglais et de type américain, mais en diffère profondément. Théoriquement, d'après sa constitution, l'U.R.S.S. pratique le parlementarisme et le bicaméralisme. En effet, le Soviet ou Conseil suprême est l'organe supérieur du pouvoir de l'État et il est formé d'une Chambre haute, le Conseil des Nationalités, et d'une Chambre basse, le Conseil de l'Union. Il existe un Conseil des ministres qui est responsable devant le Soviet suprême. Mais de même que dans tous les pays, pour bien mesurer la portée des institutions politiques il faut tenir compte des partis qui les animent, en U.R.S.S. les textes constitutionnels ne signifient pas grand-chose, si on oublie l'existence du parti communiste. Comme l'écrit Maurice Duverger, "le premier élément fondamental de l'infrastructure politique russe est le parti communiste" [6]. C'est aussi l'idée qu'exprimait l'ancien Ministre des Affaires extérieures, Molotov, lorsqu'il déclarait, en 1938, que dans toutes les questions importantes il fallait que les commissaires du peuple demandent conseil et indications au comité central du parti communiste. Cela, ajoutait-il, répond dans le fond et dans la forme à notre grande constitution. Le parti unique, maître de tout, le seul reconnu par la constitution et même exalté par elle, peut ne posséder qu'un nombre restreint de membres par rapport à la population totale, mais il tient sa puissance du fait qu'il est unique et à cause de son infiltration dans les moindres rouages de la vie publique et de l'identité de ses chefs à ceux du gouvernement.

[298]

Le système a été imité dans les pays soumis à l'influence de l'U.R.S.S., mais, dès 1948, lorsque la Yougoslavie a rompu avec Moscou, elle s'est efforcée de s'en éloigner.

À la lumière de ce bref exposé des principales caractéristiques des régimes politiques, on peut se demander où se place le régime qui s'applique au Canada. Ce régime semble posséder les quatre caractéristiques suivantes : il est de type britannique ; il est fédératif ; il subit l'influence des États-Unis voisins et, avec les années, il prend une allure de plus en plus canadienne.

Notre régime politique est avant tout britannique comme l'indique le préambule même de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord qui déclare que le Dominion est "régi par une constitution semblable en principe à celle du Royaume-Uni". Nos institutions politiques sont donc dominées par le phénomène de l'existence d'une Couronne qui, aujourd'hui, n'a plus de pouvoir personnel, mais obéit presque aveuglément aux conseils du Cabinet. Cette Couronne, elle est double pour nous, car elle se manifeste au niveau fédéral et au niveau provincial. Le principe de la suprématie parlementaire doit aussi triompher dans notre pays, mais il doit le faire à l'intérieur du fédéralisme. C'est dire que le Parlement fédéral a des pouvoirs suprêmes et que les parlements provinciaux en ont aussi, mais ils les exercent dans la sphère d'activité qui leur a été attribuée par la constitution. Remarquons cependant que les institutions politiques britanniques constituent plus qu'un système impersonnel de gouvernement. Elles exigent, pour bien fonctionner, une sorte de complicité de la part de tous, le sens profond d'une longue évolution historique, un attachement pas toujours rationnel à de nombreux symboles, bref une tradition qu'on ne rencontre peut-être nulle part aussi vivante que dans le Royaume-Uni et qu'il n'est pas toujours facile de retrouver chez nombre de Canadiens qui n'ont dans les veines aucune goutte de sang anglo-saxon. Aussi, a-t-on pu dire avec raison qu'au Canada, le gouvernement parlementaire était beaucoup plus un produit de la raison inventive que de l'histoire.

Les institutions politiques britanniques reposent aussi sur l'existence de deux grands partis à peu près égaux, alternant autant que possible au pouvoir, se traitant l'un et l'autre avec tolérance et libéralisme et étant respectueux des règles sans lesquelles le jeu ne serait plus possible. Le Canada, comme l'Angleterre, ne peut se donner le luxe d'un troisième parti puissant, sans que le gouvernement ne s'affaiblisse dangereusement comme ce fut le cas, après la Première Grande Guerre, lorsque les provinces de l'Ouest envoyèrent à la Chambre des Communes de nombreux députés étrangers aux partis traditionnels. Par ailleurs, il se peut que, par la volonté aveugle des électeurs qui pendant longtemps ont maintenu au pouvoir le même parti à Ottawa, le mécanisme du jeu politique britannique ait été quelque peu faussé au Canada.

[299]

La constitution du Canada est aussi de caractère fédératif, sans que pour cela se réalisent parfaitement toutes les manifestations de fédéralisme que nous avons énumérées plus haut.

Il est cependant des domaines où nous innovons déjà ou, du moins, dans lesquels nous avons su si bien utiliser des institutions venant d'ailleurs, qu'elles semblent maintenant presque des caractéristiques originales de notre système politique. Je veux surtout parler des Commissions Royales d'Enquêtes. Un universitaire canadien-anglais a déjà déclaré avec humour ceci : "la profession de foi d'un Anglais est : comme il était au commencement, comme il est maintenant, et comme-il sera dans les siècles et les siècles. Ainsi soit-il". Les Américains, eux, disent : "Comme il était au commencement, comme il est maintenant et by gosh ça va changer". Quant aux Canadiens, nous nous exprimons ainsi, parait-il : "Comme il était au commencement, comme il est maintenant et, mesdames et messieurs, s'il faut opérer quelques changements, eh ! bien nous créerons une Commission Royale pour qu'elle nous dise ce qu'il faut faire".

Sous cette blague se cache beaucoup de vérité, car le Canada aime plus que tout autre pays les Commissions Royales. Tous les hommes, lorsqu'ils ne savent trop comment régler un problème, éprouvent le besoin de le confier à d'autres, surtout à des spécialistes dont ils restent libres de suivre ou d'ignorer les avis. C'est peut-être une manifestation de paresse, mais le plus souvent c'est un acte de prudence, le recours normal à la science et au jugement d'autrui. Et puis, il arrive que pendant ce temps les problèmes s'adoucissent, quand ils ne se règlent pas d'eux-mêmes. C'est de cette tendance naturelle que naissent les commissions d'enquêtes, organismes auxquels les gouvernements confient l'étude de tel ou tel problème sur lequel les commissaires font rapport après avoir entendu des témoins, compulsé des dossiers et, il va de soi, réfléchi. Le système fonctionne dans la plupart des pays, mais il est particulièrement lié aux institutions politiques britanniques. Par une de ces nombreuses fictions du droit constitutionnel anglais, le souverain autorise quelques personnes à enquêter sur une question et c'est ainsi que naissent les commissions, dites royales. Le système existe depuis plus d'un siècle au Canada où il a connu un développement extraordinaire.

Il est sûr que le Sénat canadien n'exprime pas aussi parfaitement le fédéralisme que celui des États-Unis ou celui de l'Australie. Nous ne possédons pas encore un système canadien permettant de modifier notre constitution en tenant compte de la volonté des parties qui composent le pays. La répartition des tâches dans notre fédéralisme est assez complexe. Elle s'est précisée par des théories d'interprétation formulées par les tribunaux supérieurs, le comité judiciaire du Conseil privé et la Cour suprême du Canada. Le pays n'a pas connu un contrôle judiciaire aussi puissant que celui de la Cour suprême aux États-Unis. [300] On n’y a jamais parlé du gouvernement des juges, mais l'interprétation du Conseil privé a profondément marqué les institutions et elle a, en particulier aux débuts de l'histoire du fédéralisme canadien, élargi considérablement les pouvoirs des provinces. Les institutions du fédéralisme canadien ne répondent peut-être pas à toutes les exigences des théoriciens, mais en général, grâce à la souplesse du droit public anglais qui les enveloppe et les vivifie, elles ont assez bien fonctionné.

Britanniques et fédératives, nos institutions politiques ne peuvent aussi échapper à l'influence américaine que nous apportent tous les jours, les journaux, la radio, la télévision, le cinéma. Ainsi, même si nos parlements, comme tous les parlements britanniques, comme tous les corps législatifs, sont naturellement enclins à confier à quelques-uns de leurs membres la tâche d'étudier les problèmes les plus difficiles, même si nous pratiquons comme d'autres le système de commissions, que nous appelons comités, même si ce système nous vient d'Angleterre, il est quand même baigné par l'atmosphère américaine. Les comités parlementaires ont pris, ces dernières années, une plus grande importance et je crois que, parfois à Ottawa, on a eu la tentation d'imiter certains spectacles de Washington. Cependant, à mi-chemin entre les comités parlementaires britanniques, plutôt sévères, et les comités américains, plutôt tapageurs, nos comités parlementaires sont devenus un rouage important de notre démocratie.

En terminant, admettons que, pendant longtemps, nous avons vécu dans une ignorance heureuse de nos problèmes constitutionnels. Notre constitution n'était alors qu'un moule artificiel que nous avions presque entièrement emprunté de l'extérieur et dont nous nous servions pour régler des problèmes immédiats sans chercher à en analyser et à en perfectionner le mécanisme. Les Canadiens sortent maintenant de cette enfance constitutionnelle. Aussi, pour mieux comprendre et perfectionner leur propre constitution, convient-il qu'ils connaissent mieux et qu'ils analysent les mécanismes du fonctionnement de cette chose mystérieuse qu'est le pouvoir.

C'est à cette fin que nous avons voulu compléter cette modeste étude par la mention d'ouvrages dont la lecture ou même la consultation peuvent donner une bonne connaissance des régimes politiques qui existent dans le monde.



[1] Jean-Charles BONENFANT, "Les régimes politiques", in Education des Adultes, cahier no 11, Montréal, 1962, 5-19.

[2] Maurice DUVERGER, Les régimes politiques, (Coll. Que sais-je ? no 289), p. 9.

[3] Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, 1949, pp. 112-122.

[4] Rapport de la Commission Royale d'Enquête sur les problèmes constitutionnels du Québec, v. 2, tome I, p. 98, 1956.

[5] Jean-Jacques CHEVALLIER, "De la distinction britannique entre la "Convention constitutionnelle" et le "Droit légal", et son rôle dans l'évolution du "Statut du Dominion", in Etudes en l'honneur de Georges Scelle, tome premier, p. 181.

[6] Maurice DUVERGER, op, cit., p. 105.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 12 novembre 2013 11:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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