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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Charles BONENFANT, “Le parlementarisme québécois.” Un article publié dans la revue Réflexions sur la politiquer au Québec, pp. 9-28. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 1970, 2e édition, 100 pp. Collection: Les Cahiers de l'Université du Québec.

Jean-Charles BONENFANT

Le parlementarisme québécois”.

Un article publié dans l’ouvrage Réflexions sur la politique au Québec, pp. 9-28. Québec :Les Presses de l’Université du Québec, 1970, 2e édition, 100 pp. Collection Les Cahiers de l’Université du Québec.

Introduction
EST-CE UN PARLEMENT ?
CRISE GÉNÉRALE DU PARLEMENTARISME
AU CANADA
À QUÉBEC
LA LITURGIE PARLEMENTAIRE
UN CALENDRIER PARLEMENTAIRE
LIMITATIONS
LES COMMISSIONS
LES CRÉDITS EN COMMISSION
LE PRÉSIDENT
LA TRANSFORMATION DU PARLEMENT
LE DÉPUTÉ CONTRÔLEUR
LE CONSEIL LÉGISLATIF
L'AVENIR

Introduction

La Nouvelle-France n'a guère connu, pas plus que la métropole avant la Révolution française, des institutions représentatives [1] et c'est dans la Proclamation royale du 7 octobre 1763 que ses habitants entendirent parler pour la première fois de la convocation possible d'une « assemblée générale des francs-tenanciers [2] ». Cette convocation ne se fit pas et l'Acte de Québec, en 1774, se contenta de créer un Conseil législatif non électif, mais au bout de quelques années les Canadiens de langue anglaise aussi bien que ceux de langue française, « les anciens sujets et les nouveaux sujets » demandèrent qu'on leur octroyât « une chambre d'assemblée libre et élective [3] », ce qui fut accordé par l'Acte constitutionnel de 1791. Le parlementarisme put alors se développer dans le Bas-Canada, comme dans le Haut-Canada, avec beaucoup de tâtonnements et surtout avec une grande imitation des institutions de Westminster comme on pouvait d'ailleurs le constater dans toutes les colonies britanniques. Dans American Notes, Charles Dickens raconte comment, en janvier 1842, son navire qui se rendait à Boston s'étant arrêté à Halifax, il assista à l'ouverture de la session de la Nouvelle-Écosse. « The forms observed on the commencement of a New Session of Parliament in England, écrit-il, were so closely copied, and so gravely presented on a small scale, that it was like looking at Westminster through the wrong end of a telescope [4]. »

Pendant les années d'activité du Parlement du Bas-Canada de 1792 à 1837, les Canadiens de langue française s'initièrent au fonctionnement des institutions britanniques et réussirent à en tirer des avantages [5].

Après la suspension du parlementarisme dans le Bas-Canada, de 1837 à 1841, et son remplacement temporaire par un conseil spécial non électif, il réapparut sous l'Union et s'épanouit en 1848 par la reconnaissance de la responsabilité ministérielle. En outre, le système unitaire qu'avaient prévu les textes, prit une allure fédérative pour épouser la réalité de l'ancien Bas-Canada [6]. En 1867, le parlementarisme québécois s'affirma de nouveau dans les textes de certains articles de l'Acte de l'Amérique du Nord auxquels vinrent s'ajouter les conventions constitutionnelles et les modifications effectuées par le jeu du paragraphe 1 de l'article 92 qui permit à la législature d'une province de modifier sa constitution, sauf en ce qui concerne la fonction du lieutenant-gouverneur. L'article 71 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique dit encore aujourd'hui qu'il y aura, pour le Québec, « une législature composée du lieutenant-gouverneur et de deux Chambres, appelées Conseil législatif du Québec et Assemblée législative du Québec ». C'est la base de notre parlementarisme.

EST-CE UN PARLEMENT ?

On s'est demandé naguère si les provinces avaient de véritables parlements et, en 1879, l'assistant-greffier du Sénat, Fenning Taylor, publia même un petit ouvrage intitulé Are Legislatures Parliaments ? Le problème rebondit il y a un quart de siècle. En 1943, M. Arthur Beauchesne, greffier de la Chambre des communes, publia la troisième édition de son ouvrage de procédure parlementaire, Parliamentary Rules and Forms, et dans son introduction, il soutint que « since 1867, the Dominion Legislative body is the only Parliament of Canada » (p. xx). Cette opinion était importante et elle était de nature àdiminuer le prestige constitutionnel des provinces car, dans notre système de type britannique, le corps législatif est l'organe suprême de la puissance étatique. Ce fut MI Louis-Philippe Pigeon, alors conseiller juridique de l'Assemblée législative du Québec (maintenant juge de la Cour suprême du Canada), qui répondit à M. Beauchesne dans un article que publia la Canadian Bar Review de décembre 1943. La polémique se continua par deux articles de M. Beauchesne dans le Saturday Night du 27 novembre et du Il décembre 1943. Le greffier de la Chambre des communes invoqua, à l'appui de sa thèse, plusieurs arguments dont le plus évident était le texte même de l'Acte de l'Amérique du Nord qui parle à maintes reprises des législatures des provinces et jamais de leurs parlements. Par ailleurs, Me Pigeon montra que, malgré leur désignation, les législatures avaient les pouvoirs d'un parlement et il rappela que le comité judiciaire du Conseil privé les avait même, à quelques reprises, désignées sous cette appellation. L'essentiel de son argumentation était que dans la sphère qui leur est assignée par la constitution, les provinces sont tout aussi souveraines que le pouvoir central. D'ailleurs, c'est ce qu'a proclamé le Parlement du Québec lorsque, en 1935, il a adopté une loi décrétant que les députés à l'Assemblée législative ont droit au titre de « Membre du Parlement provincial » et que « l'usage exclusif de l'abréviation M.P.P. leur est réservé ».

On peut donc affirmer qu'il y a aujourd'hui un parlement québécois souverain dans ses sphères d'activité et surtout parfaitement libre de réformer sa structure et son fonctionnement. Cette souveraineté est théoriquement affaiblie par le pouvoir que possède encore dans le texte le gouvernement fédéral d'annuler une loi provinciale dans l'année qui suit sa sanction, mais depuis 1942, la convention constitutionnelle est bien établie que cette annulation ne se pratique plus.

CRISE GÉNÉRALE DU PARLEMENTARISME

Avant d'aborder le problème du Québec, il est bon de rappeler que le parlementarisme a posé depuis une quarantaine d'années des problèmes dans le monde entier.

Le scepticisme à l'égard des institutions parlementaires n'est pas nouveau et on se souvient de l'impression profonde que causa, quelques années avant la dernière guerre, la publication de l'ouvrage d'André Tardieu : la Révolution à refaire dont le second tome s'intitulait la Profession parlementaire. C'était une attaque assez violente contre ce que l'homme politique français déçu et terriblement logique appelait la « médiocrité parlementaire ». En 1956, à Nice, le Centre des sciences politiques de l'Institut d'études juridiques consacra sa troisième session d'études à « Politique et Technique ». M. Émile Blamont, secrétaire général de l'Assemblée nationale, étudia les techniques de représentation pour conclure que l'activité parlementaire s'était transformée sous l'influence des facteurs suivants : l'accession des masses à la vie politique, l'emprise grandissante des partis et la démocratisation du recrutement des membres des assemblées. « C'est, ajoutait-il, la pression de ces phénomènes qui obligera les assemblées parlementaires à s'imposer elles-mêmes une plus stricte discipline, à négliger de plus en plus le détail pour se consacrer aux décisions majeures et à respecter dans les gouvernements même lorsqu'ils sont issus d'elles l'autorisation sans laquelle l'État ne peut être conduit [7]. »

Plus traditionaliste que la France, l'Angleterre s'est quand même posé le problème de la réforme de sa procédure parlementaire. Plusieurs critiques et suggestions ont abouti, à l'automne de 1958, à la création d'un Select Committee « To consider the Procedure in the Publie Business of the House and to report what alterations if any are desirable for the more efficient dispatch of such business ». Le comité a entendu des experts, il a discuté, et en février 1959, il a présenté un rapport qui est une somme des opinions modernes sur la procédure parlementaire britannique.

Signalons aussi l'initiative prise au début de 1964 par la revue Socialist Commentary de réunir douze parlementaires socialistes, dix députés et deux membres de la Chambre des Lords, dans le but de leur faire étudier les réformes qu'ils jugeraient bon de mettre en pratique si le parti travailliste prenait le pouvoir. Ils ont siégé pendant quatre mois, sous la présidence du député Reg Prentice, et ils ont confié au professeur Bernard Donoughue, du London School of Economics, le soin de rédiger un rapport dans lequel sont synthétisées les trente-six réformes parlementaires qu'ils préconisent. D'où le titre un peu tape-à-l'oeil de leur publication : Three Dozen Parliamentary Reforms (by one dozen parliamentary socialists).

AU CANADA

Au Canada, en 1867, on a continué à observer la procédure d'origine britannique qu'on avait pratiquée sous l'Union. Mais on a songé, à plusieurs reprises, à des réformes. La procédure à la Chambre des communes a été exposée et expliquée dans les ouvrages classiques de Bourinot et de Beauchesne et elle a fait l'objet depuis trente ans de l'étude de quatre comités, en 1947, 1955, 1960 et 1963.

Le rapport sur la procédure de la Chambre des communes présenté le 5 décembre 1947 par l'orateur, M. Gaspard Fauteux, était particulièrement original et énergique. M. Fauteux suggérait en particulier la disparition dans les projets de loi d'intérêt financier de l'étape de la résolution, le renvoi des crédits budgétaires à un comité permanent spécial ; une meilleure réglementation du système des questions ; la réglementation des appels à la Chambre d'une décision de l'orateur [8].

Le 18 octobre 1963, le Premier ministre du Canada, M. L.B. Pearson, proposa à la Chambre des communes l'institution d'un comité pour examiner la possibilité d'accélérer les travaux de la Chambre. Ce comité a poursuivi des études sérieuses et a présenté de nombreuses recommandations dont un bon nombre on été appliquées.

À QUÉBEC

Dès l'ouverture de sa première session, le 27 décembre 1867, l'Assemblée législative du Québec et le Conseil législatif s'efforcèrent d'imiter les coutumes et la procédure de l'ancien parlement du Canada-Uni.

Dès sa deuxième séance, le 29 décembre 1867, l'Assemblée législative décida « que jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, les règles, règlements et les ordres permanents de la Chambre des Communes du Canada soient ceux de cette Chambre, et que, dans tous les cas imprévus, les règles et règlements de la Chambre des Communes du Parlement Britannique seront applicables ». Elle créa aussi un comité pour préparer des règlements [9]. Ces règlements furent approuvés le 22 février [10]. Ils furent remplacés le 9 mai 1885 par de nouveaux règlements qui survécurent jusqu'à la rédaction de la première version des règlements modernes, ceux d'aujourd'hui. Le 19 novembre 1912, sur motion du Premier ministre, Sir Lomer Gouin, appuyé par M. Alexandre Taschereau, un comité spécial fut nommé pour s'occuper de la révision des règlements de l'Assemblée législative. À la session de 1913, le 12 novembre, un projet de règlement fut déposé à l'Assemblée et un nouveau comité composé de douze membres, dont les membres du comité de rédaction, fut chargé d'examiner le travail. Le texte fut adopté le 18 février 1914 et mis en vigueur le lendemain. On a eu recours à une procédure pratiquement analogue pour la rédaction des règlements actuels qui sont en vigueur depuis le 8 mai 1941. Le 19 juin 1940, une motion fut adoptée chargeant l'orateur de la Chambre, qui était alors M. Bernard Bissonnette, MM. T.-D. Bouchard, Paul Sauvé et le greffier de la Chambre, M. L.-P. Geoffrion, de préparer pour la session suivante « un projet de toutes les modifications qu'ils croiront opportun de proposer au texte du Règlement [11] ». Parce qu'il servait dans l'armée, M. Sauvé ne put participer au travail, et le rapport du 10 janvier 1941 fut signé par MM. Bissonnette, Bouchard et Geoffrion. Il fut ensuite étudié par un comité spécial de quinze membres pour être finalement adopté le 8 mai 1941 et mis en vigueur à partir de la clôture de la session qui était en cours [12].

Au cours de la session de 1963-1964, un comité fut institué pour étudier l'opportunité d'amender le règlement de l'Assemblée législative [13]. Ce comité tint trois séances. Il recommanda que disparaisse l'étape de la résolution, ce qui fut accepté par l'Assemblée. Il recommanda aussi d'éliminer certains bills privés et c'est sous cette inspiration qu'à la session suivante une loi générale fut adoptée pour permettre les changements de noms par voie administrative. On suggéra aussi que les crédits soient discutés dans des comités particuliers plutôt que dans un comité général, mesure qui, nous le verrons plus loin, fut mise en vigueur [14].

Au cours de la session de 1966-1967, l'Assemblée législative forma un nouveau comité chargé de la refonte de ses règlements et elle lui donna le pouvoir de siéger en dehors de la session ainsi que de s'adjoindre des experts [15]. Ce comité s'est mis à l'œuvre sous la présidence de M. Rémi Paul, orateur de l'Assemblée. Deux voies s'ouvrent à lui : une révision des Règlements actuels pour en améliorer le fond et la forme ou la transformation complète des méthodes de travail parlementaire. L'étude de la transformation du travail parlementaire devrait porter au moins sur les sujets suivants : la liturgie parlementaire, le calendrier parlementaire, la limitation des débats et des discours, le travail en commissions, le rôle de l'orateur et le caractère des lois modernes. Ce n'est que lorsqu'on se sera entendu sur ces sujets qu'on pourra modifier formellement les Règlements ou même en rédiger de nouveaux.

LA LITURGIE PARLEMENTAIRE

Notre système parlementaire fonctionne d'après une liturgie traditionnelle qui nous vient de Grande-Bretagne et qu'on a conservée sous prétexte de la nécessité du décorum. Les Anglais eux-mêmes n'y croient pas toujours et commencent à s'en moquer. Il faudrait faire disparaître toutes ces simagrées, toges, paroles sacramentelles, masse, révérences, etc., qui habituent à regarder le parlementarisme comme un système d'un autre âge. Pour gagner du temps, on devrait aussi réduire le bilinguisme aux strictes exigences de l'article 133 qui permet d'utiliser l'une ou l'autre des deux langues et qui n'exige l'anglais que dans les publications. il y aurait lieu aussi de repenser tout le déroulement de l'ouverture de la session et tout le débat sur l'adresse en réponse au discours du trône.

L'origine du discours du trône est lointaine, le roi ayant toujours été obligé d'expliquer aux membres du parlement, lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant, pourquoi il les avait convoqués. Il fut un temps où le roi parlait d'abondance et, en 1603, Jacques ler fut si long que le journal ne rapporta pas ses paroles. Le souverain eut bientôt recours à des rédacteurs qui, un jour, furent ses conseillers constitutionnels. La convention est bien établie maintenant que le discours du trône est rédigé par le Premier ministre ou mieux, pour lui, par un de ses aides. Le texte en est soumis au cabinet et, finalement, la personne qui incarne la Couronne en prend connaissance tout juste pour bien le lire car elle ne peut y changer un iota. En général, le discours du trône doit signaler les principaux faits d'intérêt public qui ont eu lieu depuis la fin de la dernière session et surtout annoncer les principales mesures que le gouvernement proposera au parlement. Le gouvernement n'est cependant pas tenu de le faire et il n'est pas tenu non plus, si ce n'est politiquement, de présenter les mesures qu'il a annoncées [16].

Le discours du trône n'a certes plus l'importance qu'il avait autrefois car l'irrégularité et la permanence des sessions rendent illusoire la prise de conscience de l'état du pays et il n'annonce guère de mesures qui n'aient déjà été révélées. Est-il vraiment nécessaire de le conserver ?

UN CALENDRIER PARLEMENTAIRE

À une époque où les hommes politiques étaient pour la plupart des bourgeois aisés qui consacraient leurs loisirs à légiférer sans rétribution véritable pour leurs services, il était normal que l'exécutif, continuateur d'ailleurs d'un monarque absolu, puisse les réunir à sa discrétion et les garder en session à son gré. Aujourd'hui que la fonction parlementaire est devenue une occupation à plein temps, il conviendrait d'abandonner de capricieuses traditions pour adopter un système en vertu duquel on saurait quand commence et se termine une session. Le problème de « l'époque des réunions »d'un parlement est étudié dans tous les ouvrages consacrés aux institutions politiques.

Dans les pays de type autoritaire et en particulier dans les pays d'institutions britanniques comme le Canada, le Premier ministre peut convoquer les Chambres quand il le désire. À Ottawa, le seul texte auquel le chef du gouvernement doit se soumettre est l'article 20 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui décrète que : « Le parlement du Canada tiendra au moins une session chaque année, de façon qu'il ne s'écoule pas douze mois entre la dernière séance d'une session et la première séance de la session suivante du parlement. » Par ailleurs, l'article 86 établit la même règle pour les législateurs de l'Ontario et du Québec. Aucune sanction n'est prévue et, dans la pratique, la nécessité de voter un budget annuel est encore la meilleure garantie que le gouvernement convoquera les Chambres. Il est arrivé qu'on retarde le plus possible l'ouverture de la session. Ce fut le cas en 1936 alors que M. Alexandre Taschereau, élu à une faible majorité le 25 novembre 1935, ne fit siéger les députés que le 24 mars 1936. Le gouvernement est aussi le maître de la fin de la session quoiqu'il soit exposé aux embarras que peut lui créer l'opposition. On a même déjà dit, avec un peu d'exagération, que si le gouvernement commençait la session, c'était l'opposition qui la terminait. À Québec, on se rappelle encore la fin de la session de 1929 alors que pendant la Semaine sainte, le chef de l'opposition, M. Camilien Houde, tenant tête au gouvernement, fit attendre le lieutenant-gouverneur, Sir Lomer Gouin, qui mourut subitement sans avoir le temps de proroger la session. On peut donc affirmer que notre système est caractérisé par une absence totale de réglementation quoique, ces dernières années, la longueur des sessions en ait quelque peu ordonné le calendrier.

Dans plusieurs pays, la constitution prévoit la date d'ouverture de la session. C'est le cas aux États-Unis, en Belgique, au Brésil, en Égypte, en France et en Suède. L'article 28 de la constitution française d'octobre 1958, modifié à la fin de 1963, dit que le Parlement se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires par an, la première commençant le 2 octobre pour une durée de quatre-vingts jours et la seconde, le 2 avril, pour une durée de quatre-vingt-dix jours, l'ouverture étant remise au jour ouvrable suivant si le 2 est un jour férié. Par ailleurs, le Parlement peut se réunir en session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l'Assemblée nationale, mais sur un ordre du jour déterminé.

À moins d'urgence nationale, les parlementaires devraient jouir de vacances normales commençant à des dates prévues, et l'exécutif ne devrait pas être soumis au jeu de procédés dilatoires systématiques de la part de l'opposition. Une session qui ne se termine pas devient pratiquement permanente et on l'a fort bien décrite en ces termes : « une assemblée brouillonne, fiévreuse, où les rivalités des partis s'exaspèrent ; elle crée une lutte artificielle qui ne correspond pas toujours au sentiment profond du pays ; elle aggrave et envenime les problèmes ; qui plus est, en régime parlementaire, elle en arrive presque inévitablement à paralyser le gouvernement qu'elle soumet à un régime ininterrompu d'interpellations, ne lui laissant plus le temps d'administrer ». Ces lignes n'ont pas été écrites pour le Québec, mais elles ont été inspirées par les observations de l'Union interparlementaire dans quarante et un pays [17].

Souhaitons qu'on sache un jour au Québec quand commence une session et quand elle se termine. À l'intérieur de cette session qui permettrait aux députés de mener une vie normale, le travail devrait être méthodiquement distribué, le budget étant présenté à une date précise, et des délais étant imposés entre les lectures des projets de lois pour que l'opinion populaire ait le temps de s'éveiller et qu'aucune décision précipitée ne soit prise.

LIMITATIONS

La durée des débats et des discours devrait être plus limitée qu'elle ne l'est aujourd'hui, sauf peut-être pour les chefs. La plupart des débats généraux ne devraient guère dépasser une quinzaine d'heures. Par ailleurs, limiter les discours selon les circonstances à une heure, trente minutes, et même, quinze minutes forcerait à une concision dont tous profiteraient y compris celui qui prononce le discours. Il faudrait aussi prévoir les abus du système des questions même s'ils n'existent pas encore à Québec. Avant de préciser des recommandations, rappelons rapidement l'importance dans notre régime parlementaire du système des questions et de son proche parent, le système de production de documents.

C'est à la fin du dix-huitième siècle que les questions sont devenues vraiment une partie de la procédure de la Chambre des communes britannique. D'année en année, elles se sont multipliées si bien que pendant la session de 1946-1947 on en compte même 27 313 de toutes sortes. La moyenne pour une session est d'environ 14 000. Le système est aussi pratiqué à Ottawa où, ces dernières années, sans qu'on atteigne les chiffres de Londres, il a pris des proportions assez considérables malgré les règles qui y président. Il existe à Québec où il demeure encore modeste et où il ne semble pas encore poser de problème aigu.

La première réforme, la réforme idéale, serait peut-être de ne permettre que les questions écrites, précédées d'un avis, mais il y aura toujours les questions dites « urgentes ». Il est difficile au milieu des passions politiques, d'interpréter le degré d'urgence, et dans le passé on l'a fait assez largement. On se refuse à limiter directement le temps qui peut être consacré à ce genre de questions, mais on doit plutôt chercher à tracer des normes qui permettront au président d'appliquer plus énergiquement les règlements et de rendre plus utile cette période des séances. Voici les questions qu'il devrait refuser : celles qui sont posées sur des sujets qui ne sont pas suffisamment urgents et importants pour exiger une réponse immédiate ; celles qui tendent à vérifier l'exactitude des déclarations faites dans un journal ; celles qui exigent une réponse comportant un avis juridique ; celles qui portent sur un sujet qui est sub judice ; celles qui exigent une réponse longue et détaillée ; celles qui soulèvent des problèmes d'administration trop vastes pour être l'objet de réponses à des questions [18].

LES COMMISSIONS

Il est toujours un peu fat de se citer, mais je ne puis résister à l'envie de transcrire ici quelques lignes d'un modeste ouvrage publié il y a treize ans sur les Institutions politiques canadiennes. « Il semble bien, écrivais-je en référant surtout à Ottawa, que les comités parlementaires [19] ont fait du bon travail ces dernières années et que le système mérite de se développer et de se systématiser. Les problèmes politiques sont si vastes et si difficiles à notre époque qu'une grande assemblée ne peut toujours les étudier méthodiquement. Il faut qu'elle délègue ses pouvoirs à quelques-uns de ses membres et qu'elle crée ce qu'un auteur français appelle des petits parlements à l'intérieur du parlement [20]. » Les députés eux-mêmes semblent aimer le procédé qui permet d'ailleurs à plusieurs d'entre eux de participer avec plus d'intensité et plus d'indépendance aux discussions.

Alors qu'on souhaite que le député cesse d'être un intermédiaire entre l'administration et les contribuables qui l'ont élu et devienne uniquement un législateur, cette dernière tâche s'avère de plus en plus difficile pour lui. Le caractère technique des lois, la nécessité de maintenir les lignes de parti et le manque de préparation spécialisée des représentants du peuple rendent pratiquement impossible à la grande majorité d'entre eux une activité législative sérieuse. Les députés doivent accepter de confiance les mesures proposées par le gouvernement ou, parfois, lorsqu'ils sont dans l'opposition, les rejeter systématiquement. Le parlementarisme ne devient alors que la façade de l'exercice du pouvoir exécutif dont le seul contrôle démocratique est constitué par des élections périodiques.

La plupart de ces inconvénients peuvent disparaître par l'utilisation des commissions. Lorsqu'elles sont bien formées avec des députés pas trop nombreux, choisis en raison de leurs aptitudes, flanquées d'experts, elles accomplissent un travail fécond que la Chambre n'aura plus ensuite qu'à ratifier. Les passions politiques s'y manifestent moins qu'ailleurs et c'est encore Brooke Claxton qui disait : « À mon sens, du moment qu'une question est déférée par la Chambre à une commission, l'atmosphère de chicane se dissipe et fait place à l'ambiance d'atelier où on s'applique à accomplir la besogne le mieux et le plus tôt possible [21]. »

Les commissions peuvent non seulement travailler à l'étude des lois, mais elles peuvent aussi enquêter sur l'activité du gouvernement ou sur un problème quelconque.

Il ne faudrait toutefois pas se leurrer et croire que le système français des commissions présentant d'importants rapports ou le système américain des puissants comités doivent se transposer parfaitement dans nos institutions. Sans être désignée comme commission, les membres du cabinet qui siègent à la Chambre en forment une dans la réalité et c'est là que se prennent les décisions essentielles. Aux États-Unis, comme l'exécutif n'est pas lié au pouvoir législatif, comme les membres du cabinet ne siègent pas dans les Chambres, les commissions se sont développées automatiquement. En France, le même phénomène s'est produit par suite de l'instabilité ministérielle de naguère [22]. Il reste qu'à Ottawa comme à Québec, on valorisera le parlementarisme en confiant de plus en plus des tâches sérieuses et variées à des commissions bien formées et peu considérables.

Lorsque nous parlons des commissions, nous devons laisser de côté les commissions plénières, comme la Commission des subsides, la Commission des voies et moyens et la Commission plénière générale qui ne sont après tout qu'une fiction voulant que la Chambre siège sous un autre nom et selon des règles un peu différentes.

D'ailleurs, la première qualité d'une commission, c'est peut-être le petit nombre de ses membres, et, à ce sujet, on rappelle souvent la boutade que M. Claxton lançait, en 1943, à la Chambre des communes : « L'efficacité d'un comité est en proportion géométriquement inverse de ce qu'on lui ajoute en sus du nombre de quinze. » Par ailleurs, dans certains cas, on pourrait dépasser le nombre de quinze membres, ne serait-ce que pour former, à Ottawa ou à Québec, des commissions mixtes, c'est-à-dire des commissions où siégeront ensemble députés et sénateurs ou conseillers législatifs selon le cas.

Quelle que soit leur science et quelle que soit leur habileté, les parlementaires admettront que le travail en commissions doit être aidé par des experts et par de la documentation. Il faudrait aussi que les délibérations soient enregistrées verbatim pour qu'elles aient autant de prestige et de permanence que celles de l'Assemblée législative. Déjà, à Ottawa, les nombreux rapports sténographiés des commissions constituent une richesse de documentation que connaissent bien tous les chercheurs, et à Québec on consulte les témoignages enregistrés qui ont été donnés à la dernière session devant le Comité des relations industrielles.

LES CRÉDITS EN COMMISSION

Le jeudi 11 mars 1965, le leader du gouvernement à l'Assemblée législative, M. Pierre Laporte, annonçait qu'une entente avait été conclue entre lui-même et le chef de l'opposition quant à l'étude des crédits budgétaires pour l'année 1965-1966. En vertu de cette entente, le budget d'un ministère pourrait être étudié à l'Assemblée législative devant la Commission des subsides alors qu'un autre serait étudié devant une commission spéciale. Dans ce dernier cas, une commission de quelques députés serait formée pour chaque ministère. Au poste 1 du budget de chaque ministère, il pourrait y avoir en Chambre, selon les mots mêmes de M. Laporte, une discussion sur la politique générale du ministère après quoi les membres d'une commission ad hoc iraient étudier les divers postes du budget dans une autre salle. S'il y avait un point particulier que l'on voudrait étudier en Chambre, cela demeurerait toujours possible.

Effectivement, le mardi 16 mars, une commission fut formée de MM. Bertrand, Dozois, Gervais, Godbout, Laporte, Martin, Maltais et Trépanier pour étudier les estimations budgétaires du ministère des Affaires culturelles. Le mercredi 17 mars, deux autres commissions spéciales de huit membres furent formées, la première pour étudier les crédits du Secrétaire de la Province et la seconde pour étudier les crédits du ministère de l'Industrie et du Commerce.

Cette politique faisait suite à une recommandation du comité institué, l'année précédente, pour étudier l'opportunité d'amender le Règlement de l'Assemblée législative. Le 24 juillet 1964, ce comité avait en effet suggéré « que l'Assemblée étudie la possibilité, à la prochaine session, de déléguer à un comité spécial l'étude des crédits d'un ou deux ministères sans que cette délégation ne fasse disparaître aucun des privilèges de la Chambre ou d'un comité plénier ».

LE PRÉSIDENT

Quelles que soient les améliorations qu'on apportera au travail parlementaire, l'Assemblée législative tirera son efficacité en grande partie des qualités du président qui dirige ses délibérations. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de rendre la fonction de président permanente et on n'a pu s'empêcher de constater qu'en Angleterre, l'orateur était vraiment au-dessus des partis politiques. En réalité, ce n'est pas par une loi qu'on rendra l'orateur indépendant, mais c'est plutôt en le respectant et en faisant en sorte qu'il ne participe à aucune activité politique. Pour cela, il faut du temps et on a déjà prétendu que l'indépendance de l'orateur se fabriquait comme une pelouse britannique, uniquement avec les années. Il est peut-être bon de rappeler rapidement comment la fonction a acquis du prestige en Grande-Bretagne. C'est par des conventions plutôt que par des lois ou des règlements que la fonction de l'orateur a acquis en Angleterre l'incomparable statut qu'elle possède aujourd'hui. C'est ainsi que son inamovibilité pratique exige tout de même sa réélection au début de chaque parlement.

Sir Harry Hylton-Foster, député conservateur des cités de Londres et de Westminster, avait été choisi comme orateur en octobre 1959. Aux élections d'octobre 1964, les travaillistes et les libéraux lui firent quand même la lutte, mais il obtint une majorité de plus de dix mille voix sur son plus proche adversaire. Comme on le sait, les travaillistes prirent alors le pouvoir, mais le 27 octobre, lorsque s'ouvrit la première session du 43e Parlement, Sir Harry Hylton-Foster quoique élu comme conservateur n'en fut pas moins élu de nouveau à l'unanimité au poste d'orateur. C'est ainsi qu'une Chambre des communes où les travaillistes ont une légère majorité a à sa tête un député conservateur.

Mais en réalité, Sir Harry Hylton-Foster n'est plus conservateur. Certes, aux élections il était catalogué conservateur surtout par le fait qu'il avait un adversaire travailliste et un adversaire libéral, mais selon un vieil usage il se présentait comme « the Speaker seeking re-election ». En 1885, 1895, 1935, 1945, 1950 et 1955, l'orateur n'eut pas d'adversaire dans sa circonscription électorale et si aux élections récentes il en a eu, les partis ne les appuyaient guère.

L'orateur ne participe plus à l'activité de son parti. Il n'assiste pas aux « caucus », il ne prononce pas de discours partisans et il ne peut aspirer lorsqu'il prend sa retraite qu'à un poste honorifique ou à un poste qui est au-dessus des rivalités politiques. En d'autres termes, il ne faut pas qu'on puisse lui prêter des ambitions qui pourraient nuire à son indépendance. C'est ainsi que lorsque William Morrison se retira en 1959, il devint sous le nom de vicomte Dunrossil, gouverneur général de l'Australie. Douglas Clifton-Brown devint, en 1951, le président de la Commission sur la réforme électorale.

Lord Roseborg a écrit naguère qu'en Angleterre « tous les Orateurs devenaient de bons Orateurs ». Sous cette boutade, il y a beaucoup de vrai en ce sens que la durée donne au personnage une autorité que les députés acceptent de bon gré car ils savent qu'ils ont tous intérêt au bon fonctionnement des institutions parlementaires. À Québec, ces dernières années, les présidents ont bien rempli leur fonction et on peut espérer que dans peu de temps le problème de la présidence sera vraiment réglé au-dessus de toute passion politique.

LA TRANSFORMATION DU PARLEMENT

Tous les problèmes que nous avons esquissés tiennent sans doute au fait que la fonction même du parlement se transforme. Les députés intelligents et consciencieux sentent qu'ils sont presque inutiles en face d'un cabinet puissant ; c'est en vain qu'on veut en faire de véritables législateurs. Par ailleurs, pour accomplir toutes les tâches traditionnelles, le parlement sera bientôt obligé de siéger toute l'année, et les députés ne seront alors à toutes fins pratiques que des fonctionnaires élus.

On a souvent parlé de valoriser la fonction de représentant du peuple en libérant ce dernier de son rôle habituel de commissionnaire des électeurs auprès du gouvernement pour qu'il ne devienne qu'un législateur, mais lorsqu'on essaie de concrétiser cette belle idée, on s'aperçoit qu'elle est difficilement réalisable. Le député est avant tout un « généraliste » et, si cultivé soit-il ou si compétent soit-il dans sa discipline, il n'est guère préparé à la technique qu'exigent aujourd'hui non seulement la rédaction, mais l'étude même des textes législatifs. Le processus habituel de la rédaction d'une loi comprend les phases suivantes : l'énoncé des intentions par le ministère intéressé, la rédaction et la révision des textes par des spécialistes dont la tâche est une des plus difficiles qui soient et, finalement, l'étude par un comité du cabinet. On ne voit trop ou les députés peuvent intervenir et d'ailleurs, ils feraient double emploi avec les députés qui, en leur qualité de ministres, étudient le projet au comité du cabinet.

Signalons que pour intéresser les députés à la préparation même des lois il y a en Suisse une procédure assez originale qui est ainsi décrite. Elle « consiste à soumettre un avant-projet établi par l'administration à une commission composée à la fois de fonctionnaires, de membres des Chambres fédérales et de représentants des groupements d'intérêt (patronaux et ouvriers) compétents en la matière. Ces commissions travaillant sans publicité, et auxquelles participent pratiquement tous les milieux intéressés, paraissent constituer des organismes techniquement bien qualifiés pour assister l'administration, en même temps que, politiquement, leur existence doit simplifier dans une mesure considérable les conditions de discussion et de vote par les Chambres [23] ». On peut se demander si un tel système est possible ici et il reste que son rôle de législateur, le député le jouera surtout en fonction de projets de lois déjà préparés et présentés à la Chambre.

Si les députés ne peuvent rédiger les projets de lois, peuvent-ils au moins les modifier ? Évidemment oui, et ils le font souvent en comité plénier ou en comité spécial, mais à mesure que les textes sont de plus en plus complexes, ce travail même de modification devient de plus en plus difficile et ne convient qu'à quelques députés. Parfois d'ailleurs, si bien intentionnées soient-elles, les modifications ne sont pas heureuses et ne cadrent pas avec l'économie et la rédaction générale de la loi. Ajoutons que pour un député appartenant au parti au pouvoir, il est bien délicat de proposer des modifications au projet que le gouvernement qu'il appuie a étudié et proposé.

Derrière cette situation, il y a un phénomène qui est de plus en plus évident : le véritable pouvoir législatif n'appartient plus en réalité au parlement, mais au pouvoir exécutif, c'est-à-dire au cabinet. C'est un phénomène qu'on constate dans le monde entier. Les lois vont devenir de plus en plus brèves et générales et elles délégueront au cabinet des pouvoirs étendus de réglementation.

La diminution ou du moins la simplification de la fonction législative du parlement ne signifie pas sa disparition. Il restera au parlement à jouer son rôle de surveillance, rôle d'autant plus important que l'exécutif est devenu plus puissant. Le parlement est aussi une sorte de forum où se prend le pouls de la nation. Déjà, au milieu du siècle dernier, John Stuart Mill disait que c'était « the nation's committee of grievances and its congress of opinions ». Mais ici encore il faut tenir compte de la transformation de nos mœurs. Avec le développement des moyens de communication comme la radio et la télévision, avec l'organisation et la croissance des groupes de pression, il y a d'autres tribunes politiques que le parlement. C'est pourquoi souvent l'opposition la plus sérieuse à un gouvernement est en dehors du parlement et c'est pourquoi aussi en temps de crise un premier ministre aime beaucoup mieux s'adresser directement au peuple que de parler à ses représentants.

LE DÉPUTÉ CONTRÔLEUR

Depuis quelques années, c'est un thème classique de la science politique que de se demander quel avenir il y a pour les parlements. Du 4 au 6 novembre 1965, sous les auspices de l'Union interparlementaire, s'est tenu à Genève un symposium sur les problèmes actuels du Parlement et on a conclu que « si le Parlement a perdu au profit de l'Exécutif certaines prérogatives que lui donnait jadis l'importance de sa fonction législative, il a fortement accru les pouvoirs qu'il tire de sa fonction de contrôle ». « Plus l'État accroît son champ d'action, ajoutait-on, plus le Parlement développe et renforce son contrôle [24]. »

Les hommes politiques se diviseront de plus en plus en deux groupes, ceux qui, de moins en moins nombreux, édicteront lois et règlements et seront en même temps des vedettes, et ceux qui, plus obscurs, contrôleront leur activité.

Cette transformation est en cours et elle a déjà des conséquences sur le statut de l'homme politique canadien-français. il cesse d'être un intermédiaire et un législateur sans pour autant devenir vraiment un « contrôleur ». C'est ainsi qu'à Québec, on n'a pas encore réussi à institutionnaliser le contrôle des dépenses publiques par les députés ni à imaginer un mécanisme de vérification de la législation déléguée, sans cesse croissante.

LE CONSEIL LÉGISLATIF

Je n'ai pas voulu dans cet article aborder le problème du Conseil législatif. Il est sûr que d'ici quelques années, cet organisme unique se transformera complètement ou disparaîtra. Je crois qu'il vaudrait mieux qu'il disparaisse quitte à imaginer plus tard, si cela est nécessaire, un autre élément du bicamérisme québécois. Est-il besoin de souligner que sur le Conseil législatif la thèse du professeur Edmond Orban dispense de traiter le sujet aisément [25].

L'AVENIR

Quel que soit le degré de souveraineté que puisse connaître le Québec dans l'avenir, quelles que soient les modifications fondamentales qu'on puisse apporter au principe de la responsabilité ministérielle, le problème du parlementarisme continuera de se poser comme j'ai essayé de l'évoquer dans cet article. Il y aura toujours dans le Québec des élus du peuple chargés d'adopter des lois, de déléguer à l'exécutif le pouvoir de réglementer et surtout de le contrôler. Les réformes opérées immédiatement ne seront pas inutiles et elles ont l'avantage d'être possibles. Elles s'inscrivent d'ailleurs dans un contexte plus général, savoir qu'à mesure que se développeront les techniques et que s'élèvera le niveau de vie des masses, la politique deviendra une fonction plutôt qu'une fin ou un jeu. Dans un petit ouvrage qu'a publié, en 1967, le député français André Chandernagor, dans la collection « Idées », sous le titre Un parlement polir quoi faire ?, il est un thème qui revient fréquemment, celui de la nécessité de la « dédramatisation du parlement ». On regarde trop souvent le parlement comme un forum, un théâtre où il faut adopter des attitudes, jouer, être solennel et surtout éloquent alors qu'il faudrait surtout qu'il soit sans éclat, sans publicité comme le conseil d'une grande société. Il reste que de temps à autre, le député devra toujours se présenter devant le peuple à l'intérieur d'un parti politique et que pour cela, il est bien obligé de jouer un rôle. Après avoir fait l'éloge du petit livre de Chandernagor, le Canard enchaîné du 3 avril 1967 rapportait, avec raison, le mot de Churchill : « Le régime parlementaire est le pire de tous les régimes, exception faite de tous les autres. »

Tout cela tient à un problème plus général qui malheureusement n'est pas prêt d'être résolu : c'est celui de la désacralisation de la politique. Elle demeure encore la proie des mythes, des émotions et des passions. Fasse le ciel qu'un jour se réalise le vœu formulé par Maurice Duverger à la fin de la préface à son ouvrage Méthode de la science politique : « Le développement de la science permet d'entrevoir la possibilité d'une politique consciente, où les hommes cesseront d'être des choses, des objets, dans la main de leurs dirigeants. Il faut espérer qu'un jour enfin deviendra fausse cette formule de Machiavel, encore vraie, hélas ! : « Gouverner, c'est faire croire [26]. »

Jean-Charles BONENFANT



[1] Cf. Gustave Lanctot, l'Administration de la Nouvelle-France, Paris, Champion, 1929, chapitre septième intitulé « la Participation du peuple dans le gouvernement ».

[2] Documents constitutionnels 1759-1791, vol. 1, Ottawa, 1921, p. 138.

[3] Thomas Chapais, Cours d'histoire du Canada 1760-1791, Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1919-1934, tome I, p. 238.

[4] Charles Dickens, American Notes, Oxford, Oxford University Press, 1957, chap. II.

[5] Les débuts du parlementarisme au Canada ont plutôt jusqu'ici été racontés d'une façon manichéenne par Lionel Groulx dans Nos luttes constitutionnelles (paru en 5 brochures, Montréal, 1915-1916) et par Thomas Chapais dans les quatre premiers tomes de son Cours d'histoire du Canada. Je ne connais comme analyse sérieuse du début du parlementarisme au Québec qu'une thèse soutenue, en 1967, avec grand succès à la Faculté de droit de Paris pour le doctorat d'État, par Me Henri Brun, de la Faculté de droit de l'Université Laval. Cette synthèse, dont je souhaite la publication, s'intitule la Formation des institutions parlementaires québécoises (1791-1838). Avec la permission de l'auteur, je me permets de faire une citation un peu longue mais révélatrice du début de ses conclusions (p. 430) :

La constitution québécoise de 1791, écrit-il, en donnant naissance à un tiers organe législatif, la chambre d'assemblée, reconnaissait l'avènement d'une seconde notion de souveraineté au sein de l'état colonial, dans des conditions qui rendaient pratiquement nécessaire le recours à la solution parlementaire. En termes concrets, la collectivité coloniale était admise à participer à la législation locale, dans des conditions de représentativité et d'autonomie qui allaient exiger la mise au point de techniques de collaboration, à l'intérieur de l'assemblée élective qui la représentait, et entre celle-ci et le gouverneur qui continuait de personnifier la souveraineté personnelle du gouvernement impérial britannique. Sauf dans quelques cas exceptionnels, les textes constitutionnels de 1791 se contentaient de poser ainsi les conditions de base du développement d'un éventuel régime parlementaire colonial. Seuls ses éléments purement statiques étaient donnés en 1791. Entre les trois organes de la législature, - gouverneur, conseil législatif, et assemblée, - tout comme à l'intérieur de chacun d'eux, le développement d'une collaboration efficace devait donc faire l'objet d'une évolution empirique. Le droit parlementaire québécois est issu de l'affrontement concret imposé par l'exercice de la fonction législative.

[6] Cf. Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, vol. I, Québec, 1956, p. 36-37.

[7] Politique et Technique, Paris, P.U.F., 1958, p. 138. Sans vouloir dresser ici une bibliographie des ouvrages écrits en français sur les problèmes du parlementarisme moderne, signalons les ouvrages suivants. Au début de juillet 1954, l'Association française de science politique a organisé, sous la présidence de M. André Siegfried une Table ronde consacrée au travail parlementaire en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Suisse. Les rapports présentés à la Table ronde ainsi qu'un compte rendu des discussions ont été publiés dans la livraison d'octobre-décembre 1954 (vol. IV, no 4), de la Revue française de science politique et ils ont aussi formé le volume de F. Goguel-Nyegaard, le Travail parlementaire en France et à l'étranger, Paris, P.U.F., 1955, 200 p. On peut, en outre, consulter avec intérêt l'étude comparée de Lord Campion et D.W.S. Lidderdale, la Procédure parlementaire en Europe, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 73, Paris, Librairie Armand Colin, 1955, et le recueil de l'Union parlementaire, Parlements, Paris, P.U.F., 1961, 318 p., étude comparative de la structure et du fonctionnement des institutions représentatives dans quarante et un pays.

[8] Sur la procédure à la Chambre des communes, il existe une excellente étude critique. C'est l'ouvrage de W.F. Dawson, Procedure in the Canadian House of Commons, Toronto, University of Toronto Press, 1962, 271 p.

[9] Journaux de l'Assemblée législative, 1867-1868, p. 6.

[10] Ibid., p. 130.

[11] Journaux de l'Assemblée législative, 1940, p. 303.

[12] Ibid., 1941, p. 290.

[13] Ibid., 1963-1964, p. 101.

[14] ibid., p. 752-753.

[15] Procès-verbaux de l'Assemblée législative, 9 août 1967.

[16] Sur l'histoire et la nature du discours du trône en Angleterre, cf. Alpheus Tood, On Parliamentary Government in England, 2e édition, vol. II, Londres, 1889, p. 355-366.

[17] Parlements, étude publiée par l'Union interparlementaire, en 1961, aux Presses universitaires de France, p. 110.

[18] Le livre le plus complet et le plus récent sur le sujet est celui de D.N. Chester et Nova Bowring, Questions in Parliament, Clarendon Press, 1962. Il est complété par une excellente bibliographie. Sur le problème au Canada, il faut évidemment consulter W.F. Dawson, Procedure in the Catiadian House of Commons, University of Toronto Press, 1962, dont le huitième chapitre s'intitule « Information for the House ».

[19] J'utilisais alors le mot « comité » tout en croyant maintenant qu'il vaut mieux comme en France dire « commission ». C'est d'ailleurs le mot employé au Conseil législatif par suite de la rigueur linguistique d'un ancien greffier.

[20] Jean-Charles Bonenfant, les Institutions politiques canadiennes, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1954, p. 133.

[21] Débats de la Chambre des communes, session 1943, vol. I, p. 298.

[22] Sur la comparaison entre les divers systèmes de comités, voir le chapitre III d'un ouvrage collectif publié à Londres, en 1955, sous le titre Parliarnent - A Survey, et dans lequel est étudié par plusieurs experts le fonctionnement du parlementarisme moderne. Dans son livre récent, Procedure in the Canadian House of Commons, Toronto, 1962, W.F. Dawson a écrit un intéressant chapitre sur les comités, p. 193-210.

[23] François Goguel, « les Méthodes du travail parlementaire », dans Revue française de science politique, octobre-décembre 1954, p. 682-683.

[24] Jacques Vrignaud, « Quel avenir pour les Parlements Revue politique parlementaire, 763, janvier 1966, p. 70.

[25] Edmond Orban, le Conseil législatif de Québec, Paris, Bruges et Montréal, Desclée de Brouwer et Éditions Bellarmin, 1967, 354 p.

[26] Le Monde du mercredi 4 octobre 1967, publiait le premier des articles sur « le Métier de député » par André Laurens. On constate une fois de plus en lisant ces articles que le problème du parlementarisme est universel et que par ailleurs partout, on hésite à moderniser les procédures et les moyens de travail. Laurens parle des « sacro-saintes traditions qui font que, sur ce point, la plupart des parlementaires, qu'ils soient de gauche ou de droite, se révèlent fort conservateurs ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 8 novembre 2010 11:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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