Introduction
On ne risque pas d’étonner ses lecteurs en disant que les propos de Thomas d’Aquin sur la femme ne font pas l’unanimité. Certains l’ont même accusé de ne pas comprendre les femmes [1], et même d’être misogyne. À cette opinion, j’opposerais celle d’un thomiste patenté, Étienne Gilson : « Thomas d’Aquin s’y connaissait en chiffons. » Pas étonnant, car il n’est pas né dans une étable, mais dans un château, celui de son père, chevalier de Frédéric II. Un bref rappel de son jeune âge me semble opportun.
À l’âge tendre de cinq ans, son père le conduisit au monastère du Mont-Cassin ; pour lui comme pour Frédéric II, c’était un placement politique à long terme. Ils voulaient que Thomas devienne moine et prenne un jour la direction de cette abbaye prestigieuse et stratégique. L’abbé du Mont-Cassin avait rang d’archevêque. Il dirigeait spirituellement les évêchés du sud de l’Italie (qui faisaient partie du royaume de Sicile) et traitait d’égal à égal avec l’archevêque de Sicile (l’île cette fois, d’où Frédéric II dirigeait son empire, le Saint-Empire romain germanique). Le Mont-Cassin était à la frontière du Saint-Empire et des États pontificaux ; un abbé fiable était une pièce maîtresse sur l’échiquier.
Mais, en 1239, les hostilités sont au plus fort entre le pape et l’empereur. Le pape l’excommunie et l’empereur, pour se venger, chasse du monastère les moines qui ne sont pas de son royaume. Les huit qui restent ne suffiraient pas à la tâche de s’occuper des enfants, que l’on renvoie chez leurs parents. D’ailleurs, cette pratique, compromise par les abus qu’on imagine facilement, fut plus tard interdite par l’Église.
Né à la fin de 1224 ou au début de 1225, le jeune Thomas a 15 ans, à quelques mois près, en 1239. L’abbé du Mont-Cassin convainc ses parents d’envoyer leur fils à l’université de Naples un studium, selon le vocabulaire de l’époque , pour qu’il y étudie les arts libéraux et la philosophie. Il passera cinq ans à Naples. Y découvrir Aristote fut important dans sa vie, mais la découverte des frères prêcheurs (dominicains) fut de beaucoup plus importante. Le genre de vie que cet ordre proposait le séduisit. Il renonça à la carrière que Frédéric II et sa famille avaient planifiée pour lui et frappa à la porte des dominicains.
Pendant que ceux-ci le conduisaient en toute hâte à Rome, dans les États pontificaux, pour le soustraire à la colère de l’empereur, sa mère le fit enlever par deux de ses frères et ramener au château ; puis, assistée de ses filles son mari était décédé , elle tenta, pendant plus d’une année, de le faire changer d’idée mais sans succès. C’est pendant ce séjour que ses frères, pensant que la chair de ce gros garçon était faible, firent appel à une jeune femme ravissante, mais elle fut éconduite par le jeune colosse armé de quelque chose de brûlant tiré de la cheminée. Pour économiser un miracle, on peut penser qu’il empoigna un rondin dont un bout n’était pas encore enflammé.
En 1245, on libéra le prisonnier ; mais, pour ménager la susceptibilité de l’empereur, la libération prit l’allure d’une fuite : une corde attachée au sommet de la tour, un grand panier et la descente sous la surveillance de ses sœurs complices, who engineered his escape (Chesterton). Thomas d’Aquin eut donc l’occasion d’observer de près, sinon de vivre, la vie de château ; de plus, quand il fut devenu dominicain, sa nièce Françoise le reçut plusieurs fois au château de Maënza, où il aimait aller se reposer.
[1] Hans Küng, Women in Christianity, Continuum, London, New York, 2001, p. 38.
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