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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le risque d'être soi-même. Mémoires (2006)
Ami lecteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Martin Blais, Le risque d'être soi-même. Mémoires. Québec, Édition à compte d'auteur, 7 novembre 2006, 463 pp. [L'auteur nous a autorisé, le 22 septembre 2004, à diffuser toutes ses publications. Le 4 novembre 2006, M. Blais nous autorisait à diffuser ses mémoires.]

Ami lecteur

Tout le monde raconte sa vie ; parfois, c’est assommant, mais ce n’est pas obligatoire qu’il en soit ainsi. Le récit d’une vie peut être intéressant par la manière de raconter ; il peut l’être par les événements vécus. Les personnes âgées ne font que ça, raconter leur vie : « La vieillesse est encline au bavardage », note Cicéron. Et elles insistent sur les plus sombres épisodes ; car, si vous voulez émouvoir, racontez des malheurs. Les auteurs de téléromans connaissent bien ce trait de la nature humaine, et ils l’exploitent à l’excès pour émouvoir les téléspectateurs. C’est pourquoi on dit, avec raison, que les gens heureux n’ont pas d’histoire… à raconter. Les gens aiment tellement raconter leur vie que le problème, quand vous causez avec une personne, c’est de trouver un moment pendant la conversation pour parler un peu de la vôtre. La plupart des gens cherchent des oreilles ; l’organe qu’ils détestent le plus, c’est la langue… des autres. 

Tout le monde raconte sa vie, c’est un fait. Ceux qui aiment écrire le font avec leur plume ; les autres, avec leur langue. On la raconte d’ordinaire quand on a du passé d’accumulé ou qu’on a vécu, même jeune, des événements hors du commun : on s’est arraché à la drogue, on a attenté à sa vie, on a acquis une renommée mondiale. Il est quand même normal qu’à vingt, vingt-cinq ou trente ans, on parle davantage de ses projets d’avenir que de son passé. 

Virage (novembre-décembre 2001), le magazine des aînés, nous apprenait que de plus en plus d’aînés écrivent l’histoire de leur vie pour la laisser en héritage à leurs enfants et à leurs petits-enfants. L’histoire la plus importante au monde, disait-on, c’est celle que chacun a vécue. La raconter a, pour certains, une valeur thérapeutique : pour les personnes en perte d’autonomie, par exemple, c’est valorisant de se rappeler qu’elles ont jadis été capables de réaliser des choses importantes avec leurs dix doigts ; qu’elles se sont jadis déplacées sans marchette ni fauteuil roulant. 

Deux raisons particulières me poussent à raconter ma vie. D’abord, comme enseignant, j’ai vécu quelque chose de singulier : 43 années d’enseignement – rien de singulier là, pensez-vous – ; la singularité, c’est d’avoir enseigné à tous les niveaux, soit de la première année du primaire jusqu’au doctorat, à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, en passant par l’école normale, le cours commercial (sténographie et comptabilité), le cours classique et la direction d’écoles. Un éventail aussi large de niveaux d’enseignement et de matières enseignées, c’est sûrement une expérience singulière au Québec, quant à l’étendue du registre : une personne qui aurait enseigné uniquement en 1re année en saurait davantage que moi sur la 1re année. Le cynique Pascal dirait qu’elle sait « tout de rien ». 

Deuxième raison. Frère mariste, j’ai été condamné à trois années d’exil par un organisme du Vatican qui arborait le nom prétentieux de « Sacrée »  Congrégation des Religieux. Je la voyais mieux avec un s minuscule. Bien peu de Québécois ont vécu une telle expérience. Des amis et des connaissances m’ont souvent demandé de leur raconter ce qui avait pu m’attirer une telle sanction. Forcément, je résumais. Dans le récit qui suit, ils auront l’aventure au complet ; ils en connaîtront les tenants et les aboutissants. 

Je raconte par écrit parce que j’aime écrire : assis devant mon ordinateur, je suis heureux comme un sculpteur ou un artiste peintre dans son atelier. Je le fais par écrit, en second lieu, parce que les paroles s’envolent alors que les écrits restent : Verba volant, scripta manent. Ce proverbe latin est une mise en garde à ceux qui auraient avantage à ne pas laisser de preuves matérielles de leurs activités ; moi, je veux en laisser. 

Dans la mesure du possible, je suivrai l’ordre chronologique des événements qui se sont déroulés depuis le jour de ma naissance. Je n’ai jamais chanté le Te Deum en souvenir du 25 août 1924, jour où l’on me fit chrétien, enfant de Dieu et de l’Église, et héritier du ciel ; mais, par contre, je ne l’ai jamais maudit comme le malheureux Job : « Alors Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance » (Job, 3, début). Si ma mère avait eu moins de dix enfants, je n’aurais rien à raconter ni rien à regretter. J’ai dit je, mais, à bien y penser, il n’y aurait pas de je. 

Malgré l’ordre chronologique habituel dans ce récit, quand deux événements se sont produits en même temps, ils n’apparaîtront pas sur deux colonnes parallèles. Dans son testament romancé, Jean Guitton a décrit le jour de ses funérailles ; je laisse à mes survivants le soin de décrire les miennes, car mes mémoires ne fleurent pas le roman, même si la réalité, peut-être, y dépasse parfois la fiction. Cependant, je demande qu’à mes funérailles personne ne s’avance pour faire mon éloge ; car, à ce moment-là, Dieu m’aura sondé les reins et le cœur, et il est possible que son verdict diffère de celui d’un charitable admirateur. 

Pour qui j’écris ? D’abord pour moi : c’est la première fois que je repasse ainsi ma vie ; non pas en vue d’une confession générale, mais par curiosité. J’écris ensuite pour mes descendants – fils et petits-enfants. J’écris enfin pour quelques amis ; c’est un texte ad usum amicorum, je le répète. Si j’avais visé le public en général, je n’aurais pas attendu quarante ans pour dévoiler certaines choses. En disant quarante ans, je remonte à 1961 : 1961-2001 (2001, c’est l’année où le gros du travail a été fait). Alexandre Dumas a écrit Vingt ans après ; moi, j’aurais pu titrer Quarante ans après ou  Quadragesimo anno, mais ce dernier titre a déjà été utilisé. 

Allons-y. D’abord, ma paroisse natale.


Retour au texte de l'auteur: Martin Blais, philosophe, retraité de l'Université Laval. Dernière mise à jour de cette page le mardi 7 novembre 2006 20:32
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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