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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une morale de la responsabilité (1984)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Martin Blais, Une morale de la responsabilité. Montréal: Fides, 1984, 242 p. (Ouvrage est épuisé.) Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.

Introduction

Dans la maison d'un pendu, le mot corde éveille des souvenirs désagréables. Et la sagesse populaire en a fabriqué un proverbe d'usage universel : « Il ne faut pas parler de corde dans la maison d'un pendu. » Le mot corde y tient lieu de tous les mots susceptibles de ressusciter des souvenirs pénibles : il ne faut pas parler de maître dans la maison d'un esclave ; ni de patron dans celle d'un chef syndical ; ni de riche dans celle d'un pauvre ; ni de morale dans la maison d'un Québécois de quarante ans ou, peut-être, ne faut-il pas parler de morale dans la maison des humains.

En effet, dans Tel quel, Paul Valéry parle de la morale comme d'un mot « mal choisi et mal famé » (1). Mal famé ? D’accord ; mal choisi ? Pas sûr. Je crois plutôt qu'il est fort bien choisi et qu'on doit, en conséquence, le réhabiliter. Le temps en a réhabilité bien d'autres ; pourquoi pas celui-là aussi un jour ? Gothique, par exemple. À l'origine, cette épithète, dérivée du nom des barbares que furent les Goths, n'était utilisée que pour flétrir. L'équivalent québécois de gothique, ce serait probablement notre sauvage, employé comme opposé à civilisé. Mais, à mesure que l'on a pris conscience de la valeur de l'art gothique, cette épithète a perdu sa connotation péjorative. On le prononce maintenant sans la moindre moue dédaigneuse. Mais, au XVIIe siècle, Molière parlait encore des « ornements gothiques », ces monstres odieux des siècles ignorants. Les admirateurs de Chartres et de la Sainte-Chapelle lui ont cloué le bec.

Nous tenterons de montrer, en temps et lieu, que le mot morale va comme un gant à la chose qu'il signifie. Quand les préjugés se seront dissipés, à la lumière d'une meilleure connaissance de la morale authentique, le mot morale s'emploiera aussi simplement que les mots rhinocéros, nénuphar ou stalactite. Cette conviction n'a rien d'utopique.

Concédons, cependant, à Paul Valéry que le mot morale a mauvaise réputation. Et il y a à cela plusieurs bonnes raisons. En voici quelques-unes. Certains moralistes donnaient naguère l'impression que la morale se limitait à la sexualité. Point n'est besoin d'être octogénaire pour avoir en mémoire la réponse d'un calcul célèbre sur le petit nombre des élus : « Sur cent damnés, quatre-vingt-dix-neuf le sont à cause de l'impureté. » Si je me souviens bien, le centième n'était pas tout à fait propre.

D'autres moralistes, fort nombreux, présentaient la morale comme une sorte de catalogue comportant une courte liste des choses permises et une liste interminable de choses défendues. Pourquoi celles-ci étaient défendues et celles-là permises ? Ils n'en disaient rien sinon presque rien. Et la morale revêtait le caractère insupportable de l'arbitraire. L'arbitraire, c'est ce qui dépend du caprice. Et les prescriptions non accompagnées de leur justification ont tout l'air d'en dépendre.

D'autres, enfin, identifiaient la morale avec une morale particulière. La morale de Kant, c'est une chose ; la morale tout court en est une autre. La morale québécoise de naguère, c'est une chose ; la morale tout court, c'en est une autre. On peut rejeter une morale particulière, on peut devoir le faire parfois, sans pour autant se dépouiller de toute morale.

Au même endroit de l'ouvrage cité, Tel quel, Paul Valéry décrit la morale comme « une sorte d'art de l'inexécution des désirs, une sorte d'art de faire ce qui ne plaît pas et de ne pas faire ce qui plaît » (2). Si ce sont bien là les traits que présente le visage de la morale à certains d'entre nous, il faudra brutalement lui arracher ce masque de croquemitaine et faire voir que la morale authentique ne méprise rien, ne mutile rien, ne détruit rien de ce qu'il y a dans l'être humain.

Il est vrai qu'au prononcé du mot morale les gens d'un certain âge se hérissent comme des porcs-épics, sortent leurs griffes comme des matous. Mais il y a lieu d'espérer que le temps réhabilitera ce vocable comme il en a réhabilité bien d'autres. Je le souhaite, car c'est un mot bien choisi ; nous le verrons plus loin.

En attendant, certains préfèrent parler d'éthique au lieu de parler de morale. Pour moi qui parle la langue de tout le monde et non celle des philosophes, c'est bonnet blanc et blanc bonnet : cela revient exactement au même. Le mot morale est formé d'un mot latin ; le mot éthique est formé d'un mot grec qui a le même sens. La différence est toute au niveau du tympan : le son est différent, mais la chose signifiée est la même. Situation analogue à celle des Anglais, qui disent « horse » quand les Français disent cheval. Deux sons, une bête.

Je n'ignore point, cependant, que certains philosophes ont introduit une distinction qu'ils qualifient de « fondamentale » entre morale et éthique. C'est leur droit le plus strict. Ils réservent le terme d'éthique à l'échelle des valeurs et ils appellent morale l'art d'y grimper. Il suffit de le savoir pour les comprendre.

Le premier chapitre portera sur la définition de la morale. Si on peut enseigner la morale sans en donner à ses auditeurs une définition savante, le professeur, lui, ne peut s'en passer. S'il ne sait pas exactement ce que c'est que la morale, il cessera d'en faire, croyant en faire encore. De plus, il n'est pas inutile que les auditeurs eux-mêmes en aient une idée assez précise. Quel que soit leur âge, ils peuvent s'en former une : « Ce que vous comprenez vraiment, vous pouvez l'expliquer à des enfants », disait Einstein.

Le lien entre les autres chapitres apparaîtra à la fin de chacun. Qu'il suffise pour le moment d'en donner les titres : chapitre 2 : Bien moral et bien réel ; chapitre 3 : Le jugement moral ; chapitre 4 : Les qualités morales ; chapitre 5 : Les valeurs dans la formation morale ; chapitre 6 : La dimension corporelle ; chapitre 7 : La dimension sociale ; chapitre 8 : Les droits et les devoirs ; les libertés et les contraintes ; chapitre 9 : L'éducation morale.


Notes:

(1) Paul Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » no 148, tome II, 1960, Tel quel, p. 510.

(2) Ibid., p. 511.


Retour au texte de l'auteur: Martin Blais, philosophe, retraité de l'Université Laval. Dernière mise à jour de cette page le Samedi 05 mars 2005 20:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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