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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Martin Blais, Le chef selon Thomas d'Aquin (1967) 2008
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Martin Blais, Le chef selon Thomas d'Aquin. Thèse présentée en vue de l’Obtention du grade de Docteur en philosophie (Sciences médiévales), Institut d’Études médiévales, Faculté de philosophie, Université de Montréal, août 1967, 359 pp. [L'auteur nous a autorisé, le 2 octobre 2008 la diffusion de sa thèse de doctorat revue dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Gouverner, c'est, selon Thomas d’Aquin d'Aquin, mouvoir des êtres vers la fin qui leur convient, comme on dit du nautonier qu'il gouverne le navire quand il le conduit au port [1]. Le verbe gubernare dérive, en effet, du latin gubernaculum, qui signifie gouvernail.

À maintes reprises [2], Thomas d’Aquin retourne à cette comparaison, qui était depuis longtemps dans l'imagerie des écrivains [3]. Dans La République, Platon écrit : « Tout membre particulier de l’équipage de l'État, pris en flagrant délit de tromperie [...] sera châtié pour avoir introduit ainsi, dans ce que j’appellerais le navire de l’État, une pratique qui doit en amener le naufrage et la perte [4]. » On retrouve la même comparaison chez Épictète, chez Boèce, chez Grégoire le Grand. Concluons avec Alain : « L’antique comparaison, tirée du navire et du pilote, n’a pas fini d’instruire les citoyens de leurs devoirs et de leurs droits [5]. »

On peut distinguer deux phases dans le gouvernement : d’abord, la conception du plan à réaliser, puis son exécution même [6]. Du premier point de vue, Thomas d’Aquin enseigne que Dieu gouverne absolument tout, c.-à-d. jusqu’aux plus petites choses, et jusque dans les moindres détails, sans recourir à aucun intermédiaire [7]. Une telle affirmation soulève bien des questions. Nous aurons l’occasion d’y revenir, car il se passe des choses étonnantes dans son gouvernement comme dans les nôtres ! On se demande si le poète a raison de dire qu’« il sait des méchants arrêter les complots ».

Il n’en va pas de même du second point de vue, celui de la réalisation du plan. Dieu n'assure pas lui-même immédiatement la réalisation du plan de gouvernement qu'il a arrêté pour ses créatures. Pour des raisons qui seront précisées plus loin [8]. Du point de vue de l’exécution, Dieu gouverne certains êtres par d'autres.

Mais Dieu ne crée aucune fonction dans le monde, son royaume [9], sans prévoir, en même temps, quelqu'un pour la remplir et sans l’y préparer [10]. La question surgit spontanément ici de savoir de quelles qualités Dieu ensemence les personnes qu'il destine au gouvernement. Chercher la réponse que Thomas d’Aquin a faite à cette question, tel était mon dessein en abordant le présent travail, où j’ai essayé de retracer, aussi fidèlement que possible, le portrait thomiste du chef.

Je n’entretiens cependant, aucune illusion sur l'immensité de la tâche à laquelle j’ai consacré mes efforts. Les dimensions de l'oeuvre de Thomas d’Aquin m’aurait fait reculer si je n’avais accepté d'avance de ne livrer qu’une réponse imparfaite et provisoire. De plus, aucun des traités de cette oeuvre colossale n’est directement consacré au sujet qui me retenait, même si le traité Du gouvernement royal et le commentaire de la Politique d’Aristote y touchent de plus près. En général, 1e portrait du chef se présente, dans l'oeuvre de Thomas d’Aquin, sous forme de réflexions livrées presque au hasard d’autres considérations. Ce sont ces réflexions, éléments épars, que je me suis proposé de recueillir et d’organiser. Il m’en est sûrement échappé, voire des meilleures.

Ces éléments une fois recueillis, je n’ai pas cru être infidèle à la pensée de Thomas d’Aquin en les groupant sous les rubriques suivantes : le bonheur de l’homme, fin que le chef doit servir ; les qualités du chef ; l'art de commander ; le choix des chefs et l’attitude à adopter en cas de tyrannie. Il m’a semblé que l’intelligence, la prudence, la justice, l’équité, la magnanimité constituaient les grandes qualités du chef digne de la fonction. Quant aux considérations sur l’art de commander, elles semblent entrer assez bien dans les deux points de vue suivants : le gouvernement divin, modèle du gouvernement humain ; l'homme, être intelligent, libre et responsable, sujet du gouvernement humain. Enfin, des réflexions concernant le choix des chefs et les dangers de tyrannie : remèdes préventifs et remèdes curatifs.

Il m’est arrivé de citer des auteurs sans autorité dans l’École ou étrangers à la pensée de Thomas d’Aquin. Parfois, j’empruntais simplement une formule heureuse ; mais, la plupart du temps, je voulais signaler que la pensée de Thomas d’Aquin se situe en plein courant d’une tradition bien vivante, qu'elle s'est formée dans un milieu qui l’a influencée et dont elle a fait, parce que vivante, son propre profit ; enfin, qu’elle ne fut pas sans lendemain.

Un premier regard découvre facilement les grandes lignes du plan qui s’imposait. Puisque gouverner, comme je l’ai rapporté au début, c’est conduire un être à la fin qui lui convient, je devais, dans une première partie, considérer la fin que la nature assigne à l'homme. La fin fixée, je pouvais et devais déterminer les moyens d'y parvenir [11]. Constituent des moyens pour l’homme de parvenir à sa fin, d’abord, la société civile, puis le chef, puisqu’il s’affiche comme la partie principale de cette société.

Mon enquête sur le chef selon Thomas d’Aquin comprend donc trois parties. Dans une première, je disserterai sur la fin de l'homme, c.-à-d. sur le but que le chef doit connaître et avoir constamment en vue, car il lui incombe d'y conduire ses sujets ou, du moins, de ne pas les empêcher d’y tendre. Je montrerai  que le bonheur de l’homme consiste dans son opération propre, l’intellection ; que la pratique des vertus morales dispose à la vie de l’intelligence et y est ordonnée comme à sa fin ; je parlerai enfin du rôle d’instruments que remplissent les autres biens humains (santé, richesse, amitié, etc.) par rapport à ce bien.

Dans une seconde partie, la société civile apparaîtra comme le grand moyen que la nature met à la disposition de l'homme et qu'elle l’incite à utiliser pour atteindre la fin qu’elle lui assigne. La nature manifeste son intention de deux manières : d’abord, en plaçant l’homme dans un besoin impérieux de la société ; puis, en l'équipant pour la vie en société.

Enfin, cette société, Thomas d’Aquin la compare à un corps dont le chef est dit métaphoriquement la tête. Quelques réflexions sur les lois de l’emploi métaphorique des mots amènent à parler des fonctions de la tête par rapport aux autres membres du corps et des qualités requises pour s’acquitter de ces fonctions. Au terme de ces recherches, il a été possible, je l’espère, de présenter un portrait assez ressemblant du chef  thomiste.


[1] II-II, q. 102, a. 2.

[2] Op. cit., I, chap. 1, n. 740 ; chap. 2, n. 750 ; chap. 15, n. 814.

[3] I, chap. 1, n. 740 ; chap. 2, n. 750 ; chap. 15, n. 814.

[4] Op. cit., III, 389, c-d.

[5] Politique, Deuxième partie, XXXI.

[6] I, q. 103, a. 6.

[7] I, q. 22, a. 3.

[8] Troisième partie, Deuxième section.. chap. I.

[9] De Regimine principum, I, chap. 3, n. 807

[10] III, q. 27, a. 3

[11] I-II, q. 1



Retour au texte de l'auteur: Martin Blais, philosophe, retraité de l'Université Laval. Dernière mise à jour de cette page le mardi 16 décembre 2008 18:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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