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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gilles Bibeau, “Quel humanisme pour un âge post-génomique ?” (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles Bibeau, “Quel humanisme pour un âge post-génomique ?” (2003). Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 27, no 3, 2003, pp. 93-113. Numéro intitulé : Déshumanisation. Réhumanisation. Québec : Département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation formelle accordée par l’auteur 21 août 2007 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Réflexif, l'anthropocentrisme énonce clairement et sans ambages, l'absolue responsabilité des hommes. Il dit qu'aucun Dieu, aucune nature, ne viendra sauver l'homme de l'homme, pas plus que des accidents cosmiques.
 
Gilbert Hottois 2002 : 56

 

Avec le décryptage du génome et du protéome humain, nous sommes entrés dans une des périodes les plus excitantes de l'histoire scientifique de l'humanité. Nous en apprendrons plus, affirment les généticiens, sur les origines de la vie, sur l'évolution des espèces, sur notre nature et notre pensée, en un mot sur notre humanité, qu'on l'a fait au cours des trois ou quatre derniers siècles. Des découvertes inédites révolutionneront, on ne cesse de le répéter, la biologie, la médecine, l'anthropologie, la psychologie, la paléontologie, la philosophie et peut-être même toutes les autres sciences. Des généticiens revendiquent désormais le droit de repousser, plus loin, les frontières de la science en affirmant, comme James D. Watson (2000) l'a fait récemment, qu'il est maintenant en leur pouvoir, et de leur devoir, de corriger les erreurs de la nature, d'intervenir au coeur des génomes pour changer, bloquer ou remplacer les gènes défaillants, et de remodeler, s'ils estiment que du bien peut en résulter, les programmes génétiques. D'autres, plus sceptiques, sans doute aussi plus lucides et, espérons-le, plus nombreux, affirment que les nouvelles découvertes génétiques contribueront plutôt à relancer sur des pistes, inédites et prometteuses, le débat millénaire autour du déterminisme et de l'autonomie, de la nécessité et de la liberté, de la nature et de la culture, de l'inné et de l'acquis, autant de polarités autour desquelles s'est exprimé le vieux problème de la causalité (Keller 2000). 

Avec le décryptage des génomes des végétaux, des animaux et de l'humain, quelque chose a changé, il est vrai, dans notre manière de nous représenter notre position dans l'ensemble du monde des vivants, de comprendre notre parenté avec les autres formes de vie et de nous interroger sur l'avenir de la vie elle-même. Nous avons été mis en présence de l'immensité des longues durées, de ces quelque trois milliards huit cent millions d'années qui ont conduit, Par des chemins sinueux, jusqu'à l'apparition de l'Homme. Tous les êtres vivants sont faits, nous le savons maintenant, du même matériel génétique, de la bactérie unicellulaire à l'homme en passant par les plantes, les insectes, les poissons, les mammifères, et les primates non humains ; depuis que la vie a commencé sur la terre, la même recette a en effet servi à fabriquer l'ensemble des quelque cinq ou six millions d'espèces qui sont apparues sur la terre. Nous avons aussi appris que nous partageons 70% de nos gènes avec la banane, 90% avec l'éléphant et plus de 99 avec le chimpanzé (Ridley 2000). 

Tout au long de cet essai, j'ai été porté par deux questions pour lesquelles j'ai essayé d'avancer un début de réponse : 1) Les vivants, et parmi eux les humains, ont-ils encore un avenir, quelque part entre l'évolution lente des espèces, la reprogrammation des génomes et l'apparition de nouvelles formes de vie ? 2) À quoi pourrait bien ressembler un humanisme pour notre temps, un humanisme qui fasse une place, en son cœur même, à la révolution de la géno-protéomique et aux biotechnologies ? 

Les réponses, timides et partielles, à ces deux difficiles questions, je les élaborerai à partir de trois lieux [1]. Je les ancrerai d'abord, dans un paragraphe intitulé : « La guerre des biologies », au cœur même des débats qui opposent aujourd'hui entre eux les généticiens, notamment quand ils discutent du sens, souvent flou, des principaux concepts de la génétique (gène, génotype, phénotype, hérédité), quand ils emploient les métaphores de « langue », de « code » et de « programme », ou lorsqu'ils recensent les vides de leur savoir relativement au rôle, par exemple, de l'ADN non codant (les introns et l'ADN-poubelle) dans le fonctionnement des organismes vivants [2]. Dans ce premier paragraphe, je me demanderai s'il est possible pour la biologie moléculaire d'intégrer, d'une part, ce que les biologistes français, avec François Jacob et Jacques Monod (1970) en tête, ont cherché à explorer en ouvrant la « molécule » du côté de la théorie « émergentiste » de la vie et, d'autre part, ce que l'anthropologie n'a cessé de répéter à propos de l'homme, à savoir qu'il est un être biologique, historique et social. 

En m'appuyant sur le philosophe allemand Peter Sloterdijk, je me demanderai, dans un second paragraphe, s'il est possible d'inventer, et à quelles conditions, un humanisme ajusté à l'ère bio-technologique qui est la nôtre. Peter Sloterdijk a dit qu'il est urgent de faire apparaître un humanisme capable d'intégrer, sans peur, le nouveau savoir sur la vie et les biotechnologies ; ses adversaires ont dit de lui qu'il faisait l'apologie du surhomme nietzschéen. Je m'interrogerai, dans les pas de Sloterdijk, sur le statut de l'humain dans l'Homme ; j'explore aussi les caractéristiques de ce que certains auteurs appellent le posthumanisme ; enfin, je dessine les contours, encore flous, de ce que pourrait être un humanisme qui prend au sérieux les formidables possibilités ouvertes par le nouveau savoir en géno-protéomique. L'humanisme anthropotechnique de Sloterdijk peut-il nous équiper, conceptuellement et éthiquement, pour redonner à l'Homme sa place éminente dans l'ensemble du monde vivant ? Telle est la question que je me pose en commentant la pensée de Sloterdijk. 

Enfin, je montrerai, dans un troisième paragraphe à contenu éthique, que c'est toute la culture occidentale contemporaine qui est mise en procès à travers les biotechnologies, notre culture telle qu'elle fonctionne dans un univers hautement technologisé fondé sur la maîtrise du « code de la vie », dans une économie néolibérale orientée vers la conquête de nouveaux marchés à l'échelle du monde et dans un monde dominé par le savoir des experts. S'il est un devoir qui s'impose à l'homme, c'est celui de responsabilité à l'égard de la vie et de solidarité avec toutes les espèces vivantes.


[1]    Pour un exposé plus approfondi de la position défendue dans cet essai, je renvoie le lecteur à Bibeau (sous presse).

[2]    Chaque séquence de gène comporte des parties codantes, les exons, entrecoupées de longues parties non codantes, les introns. Moins de 1,5% du génome humain aurait le potentiel, selon les connaissances actuelles, de coder des protéines par le moyen de l'ARN-messager. Tout le reste (soit près de 98,5%) de notre génome serait non codant : parmi les quelque 3,2 milliards de paires de base de notre génome, la moitié consiste apparemment en la répétition de séquences inutiles qui forment l'ADN-poubelle. Ces séquences qui se sont inscrites, au cours de l'évolution, dans l'ADN humain, jouent sans doute un rôle qui est encore inconnu des généticiens.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 mars 2008 19:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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