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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Isabelle Perreault et Léon Bernier, “Les femmes, l’art et la vie.” Un article publié dans la revue sous la direction de Fernand Dumont, Questions de culture, no 9 : “Identités féminines : mémoire et création”, pp. 157-172. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1986, 199 pp. [Autorisation accordée par M. Léon Bernier le 29 septembre 2004]

[157]

Questions de culture, no 9
“Identités féminines : mémoire et création.”

LES FEMMES, L'ART
ET LA VIE
.”

par
Isabelle PERRAULT et Léon BERNIER


Cependant, une fois surmonté ou contourné le problème domestique, restait le problème moral.
Virginia Woolf

La vie professionnelle, on en conviendra, n'interpelle toujours pas hommes et femmes au regard des mêmes issues ni suivant les mêmes échéances. Au sortir de l'adolescence, avec des performances scolaires surpassant celles des garçons, les filles pourtant s'effacent de la course aux diplômes. À l'entrée des études supérieures, en dépit de notables percées dans certaines disciplines, elles continuent de s'orienter vers des secteurs traditionnellement considérés comme leur étant plus appropriés. En cours de carrière, malgré leur éventuelle réussite professionnelle, les femmes parfois s'absentent pour un temps ou désertent certaines places.

Ces situations, il est vrai, continuent d'évoluer cependant que subsistent, dans la division sociale du travail, de très nets clivages sexuels et que persiste une évidente propension des femmes à s'exclure de certains postes pour investir des emplois où, imposant leur compétence, elles finissent par se découper des fiefs [1]. Ces situations, il est vrai, continuent d'évoluer sous de multiples impulsions. Mais de quelles résistances culturelles les changements sociaux de la décennie des femmes sont-ils si lourdement lestés qu'il faille, politiquement, sans cesse rouvrir la voie ?

L'art fait partie des secteurs dits féminins, à tout le moins en tant que domaine d'étude si ce n'est comme champ d'activité professionnelle [2]. Dans [158] l'imagerie populaire, l'apprentissage artistique a d'ailleurs été à ce point associé à des aptitudes féminines que bien des hommes, indépendamment du talent et des inclinations, ont pu de ce fait s'en tenir éloignés. Trait de personnalité jugé inhabituel voire curieux pour un homme, surtout s'il ne s'accompagne pas de la renommée ou du succès de vente, le sens artistique est dans tous les cas une qualité que l'on trouve normale et naturelle chez une femme. En amont de toute velléité professionnelle, c'est en quelque sorte un attribut de la féminité.

Ne serait-on pas en droit de s'attendre à ce que les femmes dominent tout le champ de la pratique de l'art ? Ce n'est pourtant pas le cas. Moins nombreuses et moins visibles que les hommes dans les secteurs clés de la création (exception faite des arts d'interprétation), leurs dispositions artistiques se manifesteraient davantage aux chapitres de l'artisanat et des arts d'agrément. Bien des femmes, par ailleurs, entretiendraient en privé une activité créatrice sérieuse et soutenue sans pourtant chercher à se prévaloir publiquement du titre d'artiste. D'autres enfin, plutôt que d'exploiter leurs talents, se contenteraient de jouer les muses ou de grossir les rangs de l'auditoire attentif et respectueux dont l'artiste a besoin.

Que comprendre de ce phénomène ? Comment expliquer que les femmes, pourtant favorisées cette fois par les préjugés culturels, ne transforment leur avantage initial face à l'activité artistique, en position privilégiée dans le champ de la pratique de l'art ?

Il y aurait sans doute à faire ici un parallèle avec d'autres domaines de la culture, et l'on pense en particulier à la religion, qui s'est longtemps appuyée sur la piété anonyme des femmes pour asseoir l'autorité d'une Église officielle dominée par les hommes. L'art reproduirait en quelque sorte un modèle séculaire de participation culturelle qui tend à réserver aux hommes — à une minorité d'entre eux — la tâche et l'honneur d'incarner l'institutionnalisation d'une pratique, tout en laissant aux femmes le soin d'en assurer quotidiennement (et gratuitement) la continuité.

Dans le cas de l'art, il faut bien préciser toutefois que l'existence de ce modèle ne relève pas d'une discrimination en droit qui, à l'instar de la hiérarchie ecclésiale, interdirait aux femmes d'accéder au plein statut d'artiste. Il n'est pas sûr non plus que la disproportion observée entre le nombre de femmes diplômées en arts et le nombre de celles qui se manifestent publiquement comme artistes [3] soit attribuable uniquement à une mainmise masculine sur l'Institution artistique à tous les niveaux. Saura-t-on jamais combien de femmes, plus prodigues sans doute que les hommes de leurs investissements scolaires dans le domaine des arts, se sont [159] pourtant éliminées aux abords de la carrière... et combien d'hommes également à l'entrée des programmes ?

Parmi les femmes qui étaient aux Beaux-Arts en même temps que moi — plus nombreuses que les gars, comme dans toutes ces écoles —, il y en a très, très, très peu qui continuent. La plupart ont abandonné parce que d'une certaine manière, pour continuer à produire, il y a quand même une sorte d'obsession à maintenir [...] Puis il y a aussi le fait que quand tu es une femme, dans les galeries ou les musées, c'est bien dommage mais il faut que tu sois plus forte, ça c'est encore vrai. Pour être légitimée, ça te prend plus d'appuis, il faut que tu en demandes plus et que tu pousses plus [...] Finalement, la solution de ceux qui ne veulent pas nécessairement dépendre de l'Institution pour continuer à produire, c'est de se trouver une job à mi-temps, soit comme professeur, chauffeur de taxi, n'importe quoi. Mais pour une femme, ça veut souvent dire trois jobs [4] !

Guère présentes dans l'histoire de l'art et sur le marché officiel, moins favorisées que les hommes par les diverses instances de consécration (y compris dans l'attribution des bourses et autres formes d'aide), les femmes créateurs — du moins faut-il se le demander — n'ont peut-être pas, à la base, le même rapport à l'art que les hommes.

Pour qu'il y ait un sens à poser cette question, encore faut-il s'entendre sur une définition circonscrite de la pratique professionnelle de l'art, qui ne la confonde avec les tâches d'enseignement (qui souvent l'accompagnent, la rendant financièrement possible, et auxquelles se destineraient plus volontiers les femmes, semble-t-il), ni ne l'assimile aux activités de loisir (qui souvent l'inaugurent, et dont elles auraient peut-être à se distinguer plus radicalement encore que les hommes). Qu'est-ce qu'un artiste, en somme ? Comment le devient-on ?

La définition qui sous-tend ce texte résulte d'une démarche empirique réalisée auprès d'une trentaine d'artistes québécois des arts visuels, hommes et femmes. Afin d'en arriver à saisir ce qui particularise l'identité d'artiste au sein des rapports sociaux actuels, nous avons d'emblée voulu mettre l'accent sur les coordonnées internes de la pratique et sur l'aménagement social d'une existence d'artiste. Plus concrètement, nous avons cherché, d'une entrevue à l'autre, à répondre à deux questions centrales : par quel chemin devient-on un artiste professionnel (en arts visuels) ?

[160]

Moyennant quel type d'organisation quotidienne parvient-on à le demeurer ? Puis, par un « procédé de synthèse » de cet ensemble de récits, nous avons composé une définition de la catégorie d'artiste qui, pour être restrictive par la délimitation qu'elle propose du champ de l'art, n'en admet pas moins tous les parcours et toutes les voies d'accès... ou d'évitement.

C'est une double existence, oui, absolument [...] Ou bien tu donnes toute la primeur à l'enseignement, c'est ce que font la plupart... Puis aussi, pour peu que tu te maries ou fasses une autre activité, c'est souvent la création qui est mise de côté parce que c'est une très grande auto-discipline personnelle, la plus solitaire aussi. Qui sait que tu travailles ? Qui sait que tu ne travailles pas ?

Aujourd'hui comme hier, il n'est pas facile d'acquérir et surtout de conserver le statut d'artiste ; et tous, hommes et femmes, font état de sa dissolution toujours possible, bien en deçà des gestes publics, dans le secret de l'atelier. La nature des difficultés propres à l'actualisation de ce statut ne tient pas uniquement à la situation marginale de la création dans la société ou au caractère sélectif (ou discriminatoire) des diverses instances qui gouvernent le champ de l'art. Elle tient aussi au rapport nécessairement problématique que tout artiste entretient avec sa propre pratique. Car il lui est impérieux de soutenir une quête personnelle en dépit des conditions du marché et de la séduction des modes, par-delà les activités de subsistance et les routines du quotidien, à l'encontre aussi des sollicitations de ses proches comme du poids de leur sollicitude. Le constat vaut aussi bien pour les hommes : on devient artiste toute sa vie durant. Les « points de fuite » sont innombrables et les raisons d'abandonner ne manquent pas. Il suffit d'un rien à un moment donné, d'un imperceptible glissement, et les conditions essentielles à la pratique s'échappent, dispersées. Alors, seule l'obsession de l'œuvre à faire dicte d'en réunir à nouveau le concours de circonstances. L'identité d'artiste, autrement dit, est quelque chose de fragile, quels que soient le talent naturel ou la formation acquise de qui la porte, ses succès, son expérience, et quels que soient les moyens matériels et autres (notamment le temps disponible) dont peut bénéficier l'individu [5].

Très globale en ce qu'elle associe la pratique de l'art à un ethos ou une façon d'être, notre définition de l'artiste n'en est pas moins restrictive quant à son aire d'application. Elle se limite, on l'a déjà dit, au domaine des arts visuels et ne concerne, à l'intérieur même de ce domaine, que l’artiste professionnel par exclusion de l’artiste amateur (pour qui l'art est loisir et non travail), de l’artiste commercial (pour qui l'art n'est plus guidé par la passion mais l'intérêt), de l’artisan (pour qui la perfection du rendu prime [161] sur la chose à dire) et du théoricien de l'art (pour qui le concept prime sur sa réalisation) [6].

En nous maintenant dans les limites de cette définition, voyons comment on se choisit comme artiste afin de le devenir, en quoi le fait d'être une femme peut contraindre la façon de devenir une artiste. Les femmes artistes empruntent-elles les mêmes voies que les hommes pour structurer leur pratique ? Utilisent-elles les mêmes moyens pour s'y maintenir ? Se représentent-elles dans les mêmes termes et en référence aux mêmes choix d'existence ce qu'implique la décision d'être socialement une artiste ? En un mot, les femmes ont-elles, vis-à-vis la création, des problèmes spécifiques à résoudre, en sus de ceux ou en parallèle avec ceux qu'affrontent les hommes ?

La condition sociale des femmes, il est vrai, se manifeste là comme ailleurs avec les mêmes urgences : le problème de leur contribution à l'activité artistique, sous un mode professionnel, s'inscrivant dans la problématique plus vaste de leur participation récente à la vie active. Et il y a tout lieu de croire qu'aux inévitables discussions intérieures débouchant sur la mise à l'épreuve de l'artiste s'ajoutera, dans le cas des femmes, et comme une difficulté inhérente à leur condition, la prise en compte de certaines limites objectives à la carrière. On pourrait, de la sorte, expliquer bien des démissions, et singulièrement celles des femmes, sans jamais comprendre que certaines aient malgré tout la prétention de durer.

Il n'est pas indifférent d'être une femme lorsqu'on choisit de devenir une artiste, comme ne sont pas non plus sans incidence la provenance géographique ou l'origine sociale. Mais l'on quitte volontiers sa famille et son patelin, nous opposera-t-on, alors qu'on a beau se soustraire aux impératifs de la maternité, on n'échappe pas à la condition féminine. C'est juste et inexact à la fois. D'abord parce que c'est la prétention de l'artiste que d'opposer sa détermination personnelle aux déterminismes sociaux de sa propre condition. Ensuite parce qu'il n'est nulle composante de sa propre histoire dont il se déleste véritablement, tandis qu'il s'en émancipe pourtant. Voilà qui est certes déroutant : comment cela se peut-il, si ce n'est sous le couvert d'une illusion, que l'imagerie populaire rend parfois sous l'aspect d'un mythe ?

« Le précepte établi par la morale esthétique, écrit Souriau, c'est de vivre mentalement et en secret bien au-dessus de sa condition socio-biographique [7] ». L'artiste ne naît pas professionnel au milieu du champ de l'art. Il finit par s'y rendre, surmontant avec plus ou moins de bonheur les [162] diverses limitations sociales dont son histoire est affectée. Puis il lui appartient, depuis là, de faire sans cesse la preuve de sa durée et de manifester sa présence, affrontant par-delà tous les handicaps, [8] toujours le même obstacle : lui-même.

Le fait pour une femme de se transgresser par la création, c'est toujours douloureux [...] J'ai vraiment d'abord eu besoin de me structurer [...] Il fallait que j'exprime ce que j'étais moi, dans mon corps, vis-à-vis de la société [...] et je suis passée à la gravure avec des thèmes qui parlaient vraiment de ma situation de femme dans la vie. J'ai dû traverser tout ça [...] S'il pouvait se trouver qu'à un moment donné je fasse de la peinture, entre guillemets, universelle, là je serais parfaitement heureuse parce que pour moi, en art, il n'y a pas de nationalisme, il n'y a pas de sexisme, il n'y a pas de racisme.

Que son parcours ait été d'apparence rectiligne ou encore semé de détours, l'issue, pour l'artiste, est bien toujours la même. La pratique artistique exige de l'individu qu'il soit en quelque sorte relevé de ses appartenances collectives et de son action qu'elle s'affranchisse du contexte social où elle est enchâssée. C'est alors seulement que l'artiste, libre intérieurement si ce n'est aussi dans les faits, peut engager une démarche où, sans ces sortes de médiations, le singulier parfois renoue avec l'universel. Or quelle est cette issue ?

L'art consiste moins en la production d'objets qu'en la création d'un univers culturel singulier (gagné sur les autres, sur soi-même et sur l'obscurité ambiante) au sein duquel il est possible d'agir et dont résultent d'éventuelles œuvres d'art. Il faut, pour cela, se projeter au-delà de l'amateurisme sans nécessairement atteindre à la rentabilité. Il faut assumer l'angoisse d'une pratique qui tarde à se confirmer dans un statut. Il faut, en somme, transcender les contingences matérielles et les conditions socio-biographiques particulières. Sous l'empire de l'œuvre à faire, nulles circonstances atténuantes : « il faut jouer le jeu de l'artiste professionnel [9] ».

Moi j'avoue n'avoir jamais ressenti très fort que le fait d'être une femme pouvait être un handicap. Peut-être n'y ai-je jamais vraiment pensé [...] Je m'y suis parfois heurtée alors que j'étais étudiante cependant. Mais, sans savoir pourquoi, je n'y ai pas trop porté attention et j'ai sans doute fait comme si ça n'existait pas.

Quand la décision de se consacrer professionnellement à l'art s'impose comme une intime nécessité, c'est souvent que le choix est ancien : même antérieur à son attestation dans les structures scolaires où, parfois, il loge imparfaitement [10]. Alors il n'importe plus guère qu'on ait dirigé des garçons en dessin technique dans l'espoir de les préparer à gagner leur vie, des filles en dessin de mode afin de leur épargner la fréquentation du vrai monde des arts, des uns et des autres en dessin publicitaire suivant l'ombre portée des aspirations parentales sur les orientations de leurs enfants. [163] Devant l'évidence de l'issue, il n'importe plus guère que, dans le secteur de l'art également, les valeurs dominantes aient pesé dans l'horizon des choix.

Les arts, c'était plus ou moins bien vu. Mes parents s'inquiétaient un peu de comment j'allais pouvoir vivre mais pour une fille c'était moins pire parce que j'allais trouver un mari [...] Tant que ça n'a pas bien marché c'est difficile parce que socialement, c'est pas très bien vu ; et pour un homme, c'est encore pire !

Le fait d'aboutir à la carrière artistique par des voies scolaires détournées est passablement répandu, voire symptomatique de la place de l'art au sein des rapports sociaux. Parmi l'ensemble des « déviations », il en est un type qui semble devoir être plus « naturellement » imparti aux itinéraires féminins : celui qui consiste à emprunter d'abord la voie traditionnelle de l'enseignement pour accéder à la scolarisation, à donner ensuite, par la voie savante, un statut culturel à une attirance encore diffuse pour l'art et à finalement opérer, par une voie toute personnelle, ce qu'on a ailleurs appelé une « régression » vers la pratique, actualisation d'une passion qui ne se contient désormais plus en dehors d'un faire.

Je n'allais pas rester dans l'enseignement toute ma vie et je savais aussi que c'était les arts qui m'intéressaient, mais je ne me suis pas inscrite aux Beaux-Arts tout de suite. Un raisonnement de fille qui a fait un cours classique avec deux bacs : je me disais « ça n'a pas de bon sens, avec mes diplômes je prendrais un cours qui demande juste une onzième année ? » J'ai demandé mon admission en histoire de l'art parce que ça exigeait un bac ès arts, ce que j'avais, et même insatisfaite, j'ai fait mes trois ans. La dernière année, je me suis inscrite à temps partiel aux Beaux-Arts [...] J'ai commencé par des cours de modelage avec de la glaise, puis la manipulation directe, là ç'a été la vraie jouissance [...] D'un autre côté, j'avais déjà trop investi en histoire de l'art, alors j'ai dit « bon, je vais finir mon bac » mais sachant très bien que je n'allais pas rester là.

Quelle que soit leur orientation professionnelle et, à vrai dire, du seul fait qu'elles en choisissent une, les femmes se voient tôt ou tard confrontées aux « autres ». Et elles le sont doublement.

D'une part, il y a bien évidemment la rencontre du versant public de la pratique et le rapport aux professionnels de l'Institution. Si le geste de créer échappe aux petites et grandes misères de la condition féminine, la ségrégation revient assez rapidement une fois la chose faite, quand bonheur et douleur de créer sont devenus, étrangement, cet objet sur le marché de l'art [11]. Sans doute les hommes se heurtent-ils, tout autant que les femmes, aux normes esthétiques et aux préférences propres au milieu averti de la chose culturelle. Mais ils n'ont pas à se mesurer, comme elles, à l'espèce de phobie du « surnombre » qui parfois accompagne l'entrée des femmes dans certains secteurs professionnels.

C'était facile pour nous parce qu'il y avait si peu de femmes qui faisaient des choses qu'on trouvait ça extraordinaire : « ah, nos femmes qui font des [164] affaires ! » Puis il y en a eu de plus en plus, tranquillement, et là il y a comme une sorte de compétition [...] Il faut dire que j'ai toujours été un peu hors des circuits de l'art à la mode et de l'art des musées, mais j'ai le sentiment que la situation va de mal en pire, que c'est beaucoup plus difficile avec les directeurs de musées et de galeries. Parce que c'est probablement plus difficile pour eux de vendre une femme qu'un homme et qu'ils se sentent quand même obligés d'en avoir quelques-unes, ils en prennent une ou deux pour faire taire le monde, pas davantage.

D'autre part, il y a toujours la prise en considération des proches, l'échéance de la fertilité [12] qui, à l'instar de la trajectoire publique des objets, sont aussi de nature à affecter l'itinéraire personnel de l'artiste. Il se trouve évidemment des hommes qui, eux aussi, hésitent à devenir parents, sachant qu'ils s'y investiraient sans réserve, avec toutes les difficultés pouvant en résulter tant pour le rapport aux enfants que pour le rapport à l'œuvre. Si le problème, donc, n'est plus exclusivement féminin, il ne fait pas de doute que les solutions appartiennent encore plus souvent aux femmes.
J'ai eu mon fils à dix-huit ans et j'ai commencé mon cours en arts visuels à vingt ans [...] Je m'interroge beaucoup quand je regarde les jeunes femmes qui ont trois, quatre ans de pratique et n'ont pas envie d'avoir d'enfants parce que leur travail est sur le point d'aboutir et elles se demandent comment ça va se passer [...] En tout cas on peut décider, et ç'a l'air de se passer mieux qu'avant. Je vois mes amies qui ont cinq, six ans de pratique, je les verrais enceintes, ça n'y changerait rien me semble-t-il. J'imagine qu'il faut s'arranger, j'en vois qui s'arrangent bien.

Certaines arrêtent complètement quand elles ont leurs enfants. Elles pensent qu'elles ne pourraient alors continuer à faire ce qu'elles ont envie de faire avec leurs enfants, que ça prend trop de temps. Pour ma part ç'a été le contraire ; c'est quand j'ai eu mon premier bébé que j'ai recommencé à dessiner et à faire de la peinture. Le fait d'être dans un espace fermé, tu te dis « j'ai un bébé, qu'est-ce que je peux faire ? » [...] C'était vraiment stimulant ; le bébé n'empêchait rien et je n'ai jamais très bien compris pourquoi les femmes disent que ça les empêche de continuer ou leur peinture, ou leur sculpture, ou d'écrire, ou quoi que ce soit.

Sur le plan de la famille, il n'y a pas de problème pour moi parce que je suis célibataire, sans enfant... Croyez bien que j'admire les gens qui rencontrent les exigences familiales, qui ont des enfants. Je ne vois pas comment ils font. Moi c'est un métier qui me demande tellement ! [...] J'ai besoin d'être tout le temps là, constamment. Et le fait d'avoir d'une part un conjoint qui intervient quotidiennement là-dedans et d'autre part des enfants, je me sentirais perturbée, je paniquerais, je ne sais pas, je ne serais pas capable. Je dis bien que c'est très personnel. Je vois des gens qui y arrivent, mais peut-être qu'ils ont des supports. En tout cas, assez peu de femmes mariées ou avec un conjoint ; c'est beaucoup plus rare. La plupart des femmes créateurs sont soit libres, séparées...

[165]

L'art n'est pas un élément d'une grille horaire, c'est un mode de vie ; et l'on entrevoit l'incidence possible, sur l'ajournement d'une pratique, d'un quotidien tantôt par trop instable, tantôt par trop inflexible. Afin d'établir la continuité d'une démarche artistique, il faut souvent consentir à de précaires aménagements, faits d'une alternance des tâches ou d'une distinction nette des sphères d'activité. Il s'agit, en somme, de parvenir à « totaliser » ses conditions d'existence en une condition d'artiste : à se gagner soi-même à la prétention de créer, qui est la face extérieure de la conviction d'avoir quelque chose à dire.

Si le temps effectivement réservé pour la pratique est celui qui n'est contraint ni par le devoir, ni par les obligations (domestiques ou autres), celui qui lui est consacré, c'est, virtuellement, tout le temps. Or à moins qu'elles n'« épousent » la condition d'un être libre de liens, on peut se demander à quels types de soutien les femmes peuvent s'en remettre, si ce n'est à l'obtention de bourses [13], pour surmonter les parenthèses que dispose le maternage dans le cours d'une carrière.

À cet égard, les fonctions sociales du mariage sont encore inversées selon le sexe : quant à leur réussite professionnelle, il pénalise les femmes et favorise les hommes et ce, indépendamment du fait que le conjoint soit ou non artiste lui-même. « La marginalité de l'homme créateur est considérablement réduite grâce à la femme, qui l'installe dans le social, qui le soutient, l'admire, souvent l'entretient et toujours lui évite les petits tracas quotidiens et le conforte dans sa position, dans son choix [14] ». De façon prosaïque, il faut alors convenir que la muse est pour lui davantage qu'une inspiratrice.

Ça c'est le running gag entre beaucoup de mes amies qui rêvent encore de faire un jour, une parodie de la muse ou de la femme d'artiste. On ne peux s'empêcher de voir que les gars qui ont réussi, ont souvent eu des blondes qui travaillaient comme secrétaires pour gagner l'argent de la maison parce que, pendant des années, ils ne faisaient pas d'argent ces gars-là et c'était correct, c'était normal, ils n'avaient pas à se préoccuper de ça. Et c'est d'ailleurs très curieux que bon nombre des femmes artistes qui ont continué, c'est qu'elles ont repris après un certain temps...

Aux effets dissuasifs d'une image de l'artiste socialement condamnable (pour son amoralisme, son insouciance professionnelle) ou personnellement inatteignable (l'artiste véritable se présentant sous les traits d'un être d'exception) peut s'ajouter, dans le cas des femmes, le problème d'une pénurie de figures professionnelles et la tendance, pour celles dont le [166] conjoint est lui-même artiste, à se dissoudre dans une identité aux contours mal définis. De même que le jeu de ces identifications contraires, une sorte de « retenue » — sans doute attribuable aux exigences domestiques, qui plus souvent leur incombent — peut également spécifier un certain rapport des femmes à la carrière. Sans y être réfractaires, leurs trajectoires enregistrent pourtant, dans le passage d'un milieu à un autre, un indice de réfraction qui est aussi celui de la condition féminine.

Il y a un aspect plus renfermé, en tout cas, dans la production des femmes, au sens où ça y fait d'être plus habituée d'ajuster (...) deux ou trois carrières. Il y en a donc toujours une qui est menée en parallèle, underground, marginale, et c'est souvent celle qui ne rapporte pas de sous, qui est faite dans de petits ateliers, à part. C'est peut-être un peu ce qui explique que chez les femmes, la percée carriériste est moins importante.

C'est en travaillant avec des jeunes que j'ai pris conscience de l'importance de ma pratique. Parce que veux, veux pas, des artistes en couple, c'est dur ! Je fais encore mourir de rire mon mari avec ça, mais je trouve qu'il est très plaisant d'être la muse, c'est très valorisant, mais pâle ou foncé, il reste que c'est un reflet. Alors à un moment donné, j'ai été obligée de dissocier beaucoup ma pratique de la sienne et j'estime que c'est là que c'est devenu vraiment intéressant.

Que le mari, artiste lui-même, ne se soit pas ainsi contenu dans une fonction de muse pourvoyeuse, de muse muselée, qu'il ne soit pas ce praticien effacé refaisant surface après avoir séjourné dans le sillage d'un autre, c'est une chose. Mais qu'à l'inverse, le mari de l'artiste, « le » muse, tout au plus s'amuse de ce que sa femme réalise, c'en est une autre. Il est probable que la part d'elles-mêmes (du plus privé) que les femmes vouent au dehors (au plus public) en devenant artistes soit distraite des soins du ménage. Lorsqu'ils renoncent à jouer convenablement leur rôle de muse [15], les hommes ne leur « consentent » toutefois pas le soutien auquel elles devraient être en droit de s'attendre et qu'elles-mêmes leur accordent pourtant.

Il est professeur d'université [...] Bon salaire, petite maison cottage, petite famille bien correcte. Puis en même temps c'est le fun parce qu'il est aussi quelqu'un qui expose ; sa femme le valorise beaucoup (...) Tandis que si je me transpose avec mon ex-mari, lui ne valorisait pas tellement que je sois enseignante puis aussi une artiste qui exposait. Même que je lui tapais sur les nerfs ! (...) Il trouvait plutôt dur que je m'enferme dans mon atelier. C'était assez difficile de concilier la vie de couple, la vie d'atelier et la vie d'enseignante en art.

[167]

Films d'intérieur.
Encre de Chine et craie sur papier (80 cm/120 cm)
de Francine Simonin, 1985. (Photo : David Steiner, Montréal).

[168]

L'artiste est de toute façon solitaire, mû par une nécessité personnelle qui trouvera bien à se concentrer. Mais si ce n'est d'abord sur la scène publique que se situe, pour lui, l'enjeu de son identité (on est artiste pour soi-même avant de le devenir socialement), il n'en demeure pas moins que c'est là le lieu de confirmation de son statut professionnel. De toute évidence, ce versant fait problème aux femmes, qu'on dit irrégulières dans leur production, peu dynamiques sur le marché, manquant résolument des qualités d'affairisme qu'il faut pour « réussir », et qui « dénoncent la commercialisation de l'art, qui fabrique certaines carrières masculines très rapidement [16] ».

Dans le domaine de la création, les difficultés à se manifester publiquement ne sont guère aplanies que lorsqu'on parvient à se faire un nom. Or, quand elle ne marginalise pas leur travail, il arrive que l'Institution artistique disqualifie l'apport des femmes en les maintenant dans l'oubli, attribuant parfois même à des hommes le renouvellement de perspective qu'elles avaient été les premières à proposer. Alors, suivant toute légitimité, on comprend bien que, pour déplacer l'angle et la visée de ce regard normatif, pour forcer à l'élargissement de ce point de vue sur l'art, certaines femmes se soient collectivement données lieux, pratiques et discours : un créneau où leurs contributions circulent dès à présent, même affectées d'une valeur négative au regard de l'Institution. Cette ségrégation dans l'espace public ne saurait être que provisoire. Elle comporte un danger, en contrepartie de son intérêt. Revendiquer une place (définie en rapport avec un contexte social, des appartenances collectives, les figures idéologiques d'une époque), n'est-ce pas courir le risque de s'y voir assigner une présence : de ne parvenir à exprimer que ce que l'on convoite [17] ?

Depuis deux ou trois ans, je pense même qu'il se produit peut-être le phénomène inverse, d'une beaucoup plus grande valorisation du travail des femmes. Remarquez que je trouve ça dangereux d'un côté comme de l'autre parce que ça peut mener à une sorte de manque de critères.

S'il est un problème spécifique aux femmes par rapport à la création et qui peut trouver là à se résoudre, c'est moins celui de leur relative marginalité professionnelle (qui est le lot des femmes et des artistes, à fortiori des femmes artistes) que celui, créé par cette marginalité, de leur identité sociale en tant qu'artistes : tandis que les hommes s'évertueraient à devenir des artistes, les femmes, elles, s'efforceraient de rester des femmes. [169] La différence ne réside pas simplement dans un recueil d'écarts marginaux entre leurs parcours respectifs. Elle concerne une certaine conception de la carrière où, puisqu'il est à peu près irréaliste de songer à en vivre, « il faut jouer le jeu de l'artiste professionnel » : même si on n'en vit pas et, surtout, comme si on en vivait.

J'ai déjà eu une longue discussion avec un gars très tendu ; pour lui, il n'est valable comme individu que s'il est artiste. Pour moi, il n'est pas important du tout, du tout de me qualifier d'artiste [...] On est tellement différents ! Les hommes avec qui je travaille, eux, vont davantage échanger au niveau carrière qu'au niveau de leur recherche comme telle, de leur métier. Moi, je parle plus volontiers de mon travail que de mes performances ; pourtant il m'en arrive des choses, mais je vais être moins compétitive à ce niveau-là. Tandis qu'eux vont non seulement en parler beaucoup, mais ils vont aussi participer plus que moi en termes de quantité. Ils vont concourir à toutes les biennales, faire une exposition de groupe, une exposition régionale. Ils sont aussi plus dynamiques au niveau du vouloir-diffuser-partout-en-même-temps : toujours sur le qui-vive !

Il n'y a pas de distinction finalement, ça fait partie de la vie quotidienne [...] On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de la façon dont les femmes vivent avec leur art et comment les hommes... Les hommes, c'est souvent leur carrière qu'ils vont faire passer avant tandis qu'on s'est aperçu que pour les femmes, c'est toujours la vie qui est la plus importante.

Attardons-nous brièvement à cette insistance portée sur le rapport de l'art et de la vie comme étant le propre des femmes. La vie est à l'art ce qu'est l'air à la combustion : plus que ses alentours, son milieu même. Tandis que les hommes en procèdent, nécessairement [18] (et comme tout artiste à son propre insu), les femmes pour leur part s'en réclament ouvertement. Dans la perspective tenace de leur rattachement à l'univers familial comme lieu de certitude de leur identité sociale, il n'y a pas à s'étonner que ce rapport (l'art et la vie) ait d'abord concerné les femmes comme une cruelle alternative (l'art ou la vie) et qu'elles lui aient trouvé un mode spécifique de résolution. La préoccupation centrale des femmes pour l'art et la vie est à la fois le symptôme de leur marginalité professionnelle — d'une difficulté à se constituer une sphère d'intimité, par-delà le territoire familial et en deçà de l'espace des institutions, d'où assurer le passage du privé au public — et l'affirmation d'une volonté de fonder, sur cette articulation, la contribution spécifique des femmes à la culture : d'une résistance passionnée à la dissociation des mondes.

 [170]

L'autre jour, il y avait une rencontre de jeunes femmes qui parlaient de la carrière. J'ai dit « écoutez, votre conception de la carrière est calquée sur celle des hommes : time is money ». Moi j'ai toujours pris le temps de vivre, et j'ai beaucoup peint [...] Quand les enfants étaient petits, je peignais de petits tableaux ; quand j'étais pauvre, je peignais avec des matériaux pauvres. C'est sûr qu'avec une famille, tu as moins de temps. Mais tu ne peins pas pour faire carrière, comprends-tu, et le temps n'existe pas en peinture. J'ai toujours peint. C'est une question de passion.

À toutes les femmes, individuellement, le féminisme a légué, en contrepartie de leur avancée dans les places sociales, le problème désormais moral de l'affirmation de leur présence dans le monde. De cette émancipation culturelle, la condition d'artiste est sans nul doute exemplaire, l'identité sociale des femmes s'y posant sous un mode spécifique. Elle est aussi un bon révélateur des résistances culturelles qui jouxtent les destins sociaux.

Les femmes peuvent-elles se choisir elles-mêmes (comme individus) plutôt que d'être choisies (par une fonction), et sans avoir le sentiment de prendre la vie à l'envers, de l'engager à contresens de ce que « d'ordinaire » on attend d'elles ? Peuvent-elles prendre le risque et l'angoisse de cultiver leurs dispositions égocentriques par-delà l'adolescence, de profiter de l'impulsion de cette période où l'on est en rupture de liens et où les choses, pour nous, se dessinent ou s'estompent, et sans toujours modeler leurs aspirations sur une attente (l'enfant, l'homme de sa vie), alibi au désinvestissement social ? Peuvent-elles opérer un choix absolu (inhumain diront certains) qui ne saurait être le fait d'un être relatif, et sans l'intention secrète de garder l'ambivalence des options, l'ouverture à tout prendre sans rien choisir ? Voilà les questions du legs. On pourrait les retourner vers les hommes afin de vérifier qu'il ne suffit pas de temps, de ressources et d'espace pour se consacrer à la pratique de l'art, qu'il y a, si l'on peut dire, une question préalable qui anime tout le parcours et que l'artiste retrouve à son terme : lui-même.

La féminitude n'a rien d'un obstacle à contrer, comme on surmonte tant bien que mal, et en y consumant certes bien des énergies, les divers handicaps sociaux de la condition féminine : c'est l'objet de leur quête pour les femmes artistes, l'aspect de leur corps à corps avec la culture qui concerne l'art.

J'inscris la problématique féminine, plutôt que féministe [...] Je songe aux derniers dessins ; je les ai exposés, mais je ne suis plus là. Je ne suis plus la femme-objet, j'ai passé à autre chose. C'est la femme qui porte son regard sur soi.

Au sortir de l'adolescence, les femmes parfois s'éclipsent ou persistent à se distribuer en des secteurs traditionnels. Au sortir des programmes d'art, les femmes parfois s'éliminent ou se destinent encore à l'enseignement. Au sortir de l'atelier, les femmes parfois renoncent à la carrière ou s'organisent alors sous un autre mode... Nous avons signalé déjà qu'une déviation semblait davantage ressortir aux femmes dans leur accession à la carrière. Pourrait-on avancer que l'appartenance sexuelle imprime aussi son [171] relief à des dérives par où l'on cesse d'être un artiste : tandis que les femmes, traditionnellement vouées à transmettre, s'évaderaient plus normalement dans la didactique, les hommes, pour leur part, auraient davantage tendance à devenir stratégiques, succombant aux intérêts de marché ? Or nous ne savons rien dire de ceux et celles qui se sont écartés d'une pratique authentiquement créatrice : nous n'avons rencontré que des artistes, certaines femmes ambitieuses, oui, certains hommes craintifs également, dans un univers aussi sélectif.

De plus en plus des femmes, comme en retrait des handicaps (des privilèges même) assortis à leur situation sociale et cédant à une intime nécessité, assument les coûts, les risques (l'oppression même) d'une condition qui transcende toutes les autres [19], d'où elles proposent un art à cette mesure : affirmant leur présence, elles se taillent une place.

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[1] N'est-ce pas l'envers du fameux principe de Peter (celui de « Stella ») que d'exceller à des tâches subalternes hautement qualifiées ?

[2] De 1971 à 1981, au Canada, le taux de croissance de la population active expérimentée dans le domaine des beaux-arts, dessin publicitaire, photographie et secteurs connexes (et excluant celui de l'enseignement, où, en 1981, les femmes sont représentées à 72%) a été de 48% pour les hommes et de... 221% pour les femmes qui, en 1981, constituaient ainsi 43% de l'effectif (Gail Grazer, 1981 : pp. 35-36).

[3] Au Québec, dans le passage du secteur d'études (universitaires) au champ de la pratique (en arts), c'est une véritable inversion qui paraît caractériser les proportions d'hommes et de femmes : tandis qu'en 1982, 63,6% des diplômés sont des femmes (comme 65,6% le sont en 1977, et 66,5% en 1972), en 1981, 64,7% de ceux qui s'identifient comme artistes professionnels sont des hommes (Jean-Paul Baillargeon et al., 1985 : p. 2.28 et 7.6).

[4] Disposant des transcriptions de la série radiophonique L'Atelier, réalisée par Fernand Ouellette sous le mode de la conversation entre un poète ou un écrivain et trente-neuf artistes plasticiens (dont sept femmes) et diffusée en 1980-1981 sur le réseau MF de Radio-Canada, nous avons nous-mêmes recueilli, en 1981-1982, des histoires de vie auprès de trente-deux peintres, sculpteurs et graveurs (dont treize femmes) afin de comprendre comment on devient artiste et comment on parvient également à le demeurer. Attribuables à des femmes seulement, les quelques énoncés retenus ici sont ceux qui parlent explicitement des femmes. Ils gardent leur anonymat, dans un texte plutôt construit au regard de la totalité du corpus que dans le creuset biographique propre à chacun des récits, comme c'est le cas de notre ouvrage : L'artiste et l'œuvre à faire ; une sociographie du travail créateur (réalisé à l'IQRC dans le cadre d'un plus vaste projet que dirigeait Marcel Fournier).

[5] Le fait qu'il n'existe pas à proprement parler de place sociale désignée pour la pratique de l'art dans la structure des occupations ne signifie pas, bien au contraire, qu'il soit inutile de travailler à la consolidation du statut socio-professionnel de l'artiste et notamment à la mise en place de conditions lui permettant, s'il le désire, de consacrer tout son temps à la création.

[6] Le processus par lequel un individu cherche à faire de l'art le pôle d'intégration de son existence donne lieu à une structuration singulière de l'espace social : entre le champ des occupations intellectuelles et celui des métiers d'art, entre le champ des activités socioculturelles et celui de la production des biens symboliques, la pratique artistique construit sa propre centralité par attraction/répulsion avec l'ensemble de ces champs périphériques qui lui sont autant de conditions limites. Cette « Configuration du champ de l'art » est étayée dans la Synthèse I de L'artiste et l'œuvre à faire, pp. 215-224.

[7] Étienne Souriau, 1975, p. 73.

[8] Neutralisés ou parfois même transformés en atouts.

[9] Bertrand Lebel, 1970, p. 155.

[10] Voir à ce sujet, « De l'école d'art à la pratique : quelques récits », Questions de culture, n° 8 (1985), pp. 97-106.

[11] Suzanne Horer et Jeanne Socquet, 1973, p. 222.

[12] Dans un roman où il est question d'amour et d'écriture, Hélène Ouvrard (1977) nous offre quelques belles trouées sur le dilemme de l'art et la vie, tel qu'il se présente aux femmes (feuilleter autour des pages 11, 44, 64, 81, 121... les lires surtout).

[13] Dans les années soixante-dix, les femmes obtiennent entre 19 et 22% des bourses offertes par le Conseil des arts, sont représentées à la Banque des œuvres dans une proportion de 22% et reçoivent 25% des bourses accordées aux arts plastiques par le ministère des Affaires culturelles. À signaler : plus la bourse est importante, plus le pourcentage de femmes bénéficiaires diminue (Francine Couture et Suzanne Lemerise, 1982, pp. 31-33).

[14] Suzanne Horer et Jeanne Socquet, 1973, p. 81 (Voir aussi Bertrand Lebel, 1970, pp. 140-149, et Dominique Pasquier, 1983, pp. 428-430).

[15] D'une telle attitude, le film L'Amie de la cinéaste allemande Margarethe von Trotta nous procure une bonne illustration : le réfugié russe (musicien incompris de surcroît) s'empressera, dès qu'il le pourra financièrement, de quitter l'Allemande qui le fait vivre sous prétexte qu'elle l'étouffe, tandis que l'universitaire militant anti-nucléaire s'emploiera à « protéger » sa femme peintre des effets négatifs du succès professionnel (Lise Noël, 1984, p. 72).

[16] Bertrand Lebel, 1970, pp. 145-146 et p. 150.

[17] Dans un texte admirable et grave où, à partir de la question féministe, il entrevoit comme un problème culturel de notre époque l'évacuation de la philosophie au profit d'un pragmatisme de la réussite, Pierre Vadeboncoeur (1983, p. 62) écrit : « À force de penser à la place que les femmes doivent occuper, ce qui est d'ailleurs non seulement légitime mais indispensable et je le dis sans réserve, peut-être en arrive-t-on, sans s'en rendre compte, à ne plus voir dans la femme que quelqu'un en rapport avec une situation. C'est une représentation capitale mais c'est une représentation politique. On ne fait pas d'art avec celai...] »

[18] « Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s'agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l'instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses [...] Confiez-vous toujours davantage à tout ce qui est difficile et à votre solitude. Pour le reste, laissez faire la vie. Croyez-moi, la vie a toujours raison. » (Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, Paris, Grasset, 1937, p. 43 et pp. 103-104).

[19] « Et même si, loin de tout métier, vous aviez cherché à créer entre vous et la société des rapports souples et libres, ce sentiment d'oppression ne vous aurait pas été épargné [...] La condition dont vous devez actuellement vous accommoder n'est pas plus lourdement chargée de conventions, de préjugés et d'erreurs que n'importe quelle autre condition. S'il en est qui donnent l'apparence de mieux sauvegarder la liberté, aucune n'a les dimensions qu'il faut aux grandes choses dont est faite la vraie vie. » (Rainer Maria Rilke, op. cit. : p. 65 et 64).


Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 12 mars 2018 20:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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