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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Bernier, “LE JAPON, SOCIÉTÉ SANS CLASSES ?” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 18, no 1, 1994, pp. 49-75. Québec : département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 août 2007.]

Bernard Bernier 

LE JAPON, SOCIÉTÉ SANS CLASSES ? 

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 18, no 1, 1994, pp. 49-75. Québec : département d'anthropologie de l'Université Laval.
 

Résumé / Abstract
 
Introduction
 
Les fondements historiques qui expliqueraient l'absence de classes
 
Postulat de l'homogénéité culturelle
La maisonnée comme institution excluant les clivages de classes
 
Gestion des entreprises et démocratie industrielle
La théorie de la « nouvelle masse moyenne »
 
Conclusion
 
Bibliographie

 

RÉSUMÉ / ABSTRACT

Le Japon, société sans classes ?

 

Un certain nombre d'auteurs japonais nient la pertinence d'une analyse de classes dans le cas du Japon. Parmi les arguments utilisés comme preuves, quatre sont examinés de façon critique dans cet article : le postulat de l'homogénéité culturelle, l'influence du système de maisonnée traditionnelle, la démocratie industrielle, et le tassement de l'immense majorité des Japonais dans une « grande masse moyenne ». Cet examen nous amène à remettre en question l'hypothèse de l'absence de classes au Japon en montrant, d'une part, les faiblesses des arguments présentés et, d'autre part, divers aspects des inégalités sociales présentes dans la société japonaise actuelle. 

Japan, a Classless Society ?

 

Some Japanese authors have questioned the possibility of a class analysis of Japanese society. Four of the main reasons given in defense of this position are critically examined in this article : Japanese cultural homogeneity, the influence of the traditional household system, industrial democracy, and the theory that the great majority of Japanese belong to a « great middle mass ». This examination leads us to question the validity of the hypothesis of the absence of social classes in Japan, first, by showing the inadequacies of the arguments presented, and, second, by giving indications pertaining to the presence of social inequalities in contemporary Japanese society. 

 

Introduction

 

Plusieurs auteurs, spécialement au Japon, ont affirmé que la société japonaise ne se prêtait pas à une analyse en termes de classes sociales [1]. Ces auteurs ont justifié cette affirmation par divers facteurs, et c'est l'objet de cet article d'en examiner les plus importants. La première section analyse deux types de facteurs liés à l'histoire ou à la tradition japonaise, c'est-à-dire, d'une part, l'homogénéité culturelle des Japonais et, d'autre part, l'importance de la maisonnée comme groupe d'appartenance. La deuxième section comporte un examen d'un ensemble de facteurs liés à l'organisation des entreprises et en particulier à ce que l'on appelle au Japon la démocratie industrielle. La troisième section contient un examen de la théorie d'un auteur important, Murakami Yasusuke [2], qui soutient que, au Japon, les classes, historiquement moins divisées qu'en Occident, se sont déstructurées récemment à la suite d'une évolution particulière des sociétés industrielles, évolution qui, d'après lui. serait plus marquée au Japon qu'ailleurs [3]. 

Un examen complet de la question des classes au Japon nécessiterait un exposé plus développé qui comprendrait une théorie multidimensionnelle des classes et une application de cette théorie au cas du Japon. Mon intention initiale en faisant cet article était d'inclure un tel exposé, mais l'examen des théories des auteurs japonais s'est avéré plus long que prévu. La critique des théoriciens japonais contient déjà des indications au sujet d'une analyse plus poussée, en particulier en montrant comment des inégalités entre couches sociales existaient dans le Japon ancien et existent encore dans le Japon actuel, mais ces indications sont forcément incomplètes. Je me propose toutefois de compléter cet article par un autre qui portera spécifiquement sur la définition d'une approche des classes dans les sociétés actuelles et sur son application au cas japonais. 

Apportons toutefois quelques précisions. Les classes sociales font référence à une forme particulière d'inégalité sociale dans laquelle l'accès différentiel à certaines formes de richesses (variables d'une époque à l'autre et d'un type de société à l'autre) s'accompagne d'un accès différentiel au pouvoir et d'un style de vie particulier (ou d'une culture particulière, au sens restreint de modes de faire et de penser). Les classes sociales peuvent alors être conçues comme des ensembles sociaux, qui partagent certaines caractéristiques, et qui se différencient d'autres ensembles de la même société, sur les plans de la richesse, du pouvoir et de la culture (c'est là une partie de l'aspect multidimensionnel). Les classes sociales désignent tout d'abord des places dans l'espace social (Bourdieu 1984). Les personnes qui occupent ces places peuvent, selon des circonstances historiques à expliciter dans chaque cas, se donner ou non une définition explicite, donc se définir comme groupe organisé. sur la base d'une perception des différences entre elles et les personnes occupant d'autres places. Le fait de définir explicitement un ensemble de personnes occupant certaines places dans J'espace social comme faisant partie d'un groupe bien déterminé fait apparaître des frontières claires dans un espace social dans lequel, jusque-là, les différences étaient plus floues. Le fait de définir explicitement certaines caractéristiques différentielles (différences de revenus, de consommation, de « propriété des moyens de production », de capacité d'agir sur l'action des autres, etc.) et le fait de développer une pratique qui se fonde sur cette définition entraînent d'emblée une modification dans le rapport entre les différentes positions sociales définies selon des critères dits objectifs. Il faut donc distinguer entre les critères de différenciation qu'un observateur peut percevoir à la suite d'enquêtes poussées et leur utilisation subjective par les acteurs dans des situations données, utilisation passive (la simple perception de certaines différences) ou active (les pratiques, diverses, qui peuvent ou non accompagner la perception). L'utilisation active ou passive des critères perçus de différenciation entraîne une nouvelle dimension dans la définition des classes. 

Cette définition des classes s'applique de façon plus stricte aux sociétés industrielles de marché, c'est-à-dire aux sociétés capitalistes. Des problèmes se posent quant à l'utilisation du concept dans d'autres types de société, mais c'est là un problème qui dépasse notre propos. Dans les sociétés capitalistes, les critères de division des classes sont, d'une part, ce que Giddens appelle des market capacities, c'est-à-dire la possession d'attributs qui permettent à chacun de se situer différemment sur le marché (propriété du capital, qualification technique ou professionnelle, force de travail), et, d'autre part, des formes organisationnelles qui englobent ces attributs ou des manifestations permises par eux (la division du travail dans les entreprises, les relations d'autorité dans les entreprises, et les patterns de consommation, utilisés consciemment ou non pour manifester clairement une position sociale [4]) (Giddens 1973 : 107-109). À cela il faut ajouter la distinction mentionnée plus haut entre les critères tels qu'ils sont utilisés implicitement dans les pratiques et qu'un chercheur peut expliciter, et l'utilisation passive ou active qui peut en être faite : c'est là, mais reprise différemment, la distinction que le marxisme fait entre situation et position de classes. 

Comme Bourdieu l'a déjà souligné, les classes sociales définies par l'accès au marché ne sont pas les seules formes de division ou de regroupement social [5]. Si l'on veut saisir plus globalement les différentes manières dont les sociétés dites capitalistes sont organisées et divisées, il faudrait examiner les différents critères de différenciation, explicites ou implicites, comme le sexe, l'origine « ethnique », l'appartenance familiale, les régions, etc. (Bourdieu 1984). Mais c'est là une tâche qui dépasse largement le cadre de cet article. 

Comme je l'ai indiqué plus haut, je me bornerai ici à examiner certaines visions des classes telles que des auteurs japonais les ont présentées. Étant donné l'approche multidimensionnelle présentée plus haut, ces visions doivent être vues comme des interventions de certains acteurs, tous des intellectuels, pour définir leur propre réalité. De ce point de vue, les discours analysés ici font partie d'une lutte de classement (Bourdieu 1982 : 39-43), dans ce sens que leurs auteurs font partie de la « réalité » japonaise et que leurs discours concourent, contre des discours opposés (surtout les discours à tendance marxiste), à la définition de cette réalité. Autrement dit, les écrits analysés ici font partie d'une pratique inscrite dans un moment et un lieu donnés, un moment et un lieu qu'ils contribuent eux-mêmes à définir. J'ai déjà examiné ailleurs la façon dont certains de ces discours contribuent à la construction de la « réalité »japonaise en définissant explicitement par le discours des éléments culturels qui sont par la suite utilisés par d'autres acteurs, en particulier les fonctionnaires du Ministère de l'éducation, comme définition autorisée de la culture japonaise et comme base du contenu de certains manuels scolaires (Bernier et Richard, à paraître ; voir aussi Bernier, à paraître a et b). 

Mon objectif ici n'est pas d'examiner en profondeur les luttes de classement, mais plutôt de mesurer la justesse des propos de quelques auteurs par rapport aux données disponibles dans d'autres sources écrites ou dans des statistiques officielles. Après tout, les écrits qui sont examinés ici se présentent comme des descriptions justes, comme des analyses scientifiques, de la réalité japonaise actuelle ou passée. Il est donc nécessaire d'en mesurer l'adéquation par rapport à l'ensemble des observations faites sur cette réalité. En procédant de cette façon, il est bien clair que l'auteur de cet article prend position dans un débat qui concerne l'organisation interne de la société japonaise. Mais il le fait de l'extérieur, sans aucune possibilité d'influencer la réalité japonaise. Cette incapacité de modifier la réalité japonaise ne confère cependant pas de qualité particulière d'objectivité. Car l'auteur lui-même se situe dans un champ particulier, celui des études japonaises, et ses écrits ne peuvent se comprendre que par rapport à l'ensemble des discours de ce champ (ainsi que par rapport aux discours théoriques dans les sciences sociales et en histoire). 

 

Les fondements historiques
qui expliqueraient l'absence de classes

 

Postulat de l'homogénéité culturelle

 

Le postulat de l'homogénéité culturelle des Japonais est accepté à peu près sans discussion par une bonne partie des spécialistes japonais des sciences humaines. Pour plusieurs, cette culture unique, homogène selon les régions et les couches socio-économiques, vient du passé lointain : dans une table ronde, plusieurs spécialistes éminents, discutant de cette culture, en ont vu l'origine dans la préhistoire, plus précisément dans la période Jômon, une période qui va approximativement de 11 000 à 300 av. J.-C., une période pendant laquelle les modes de subsistance étaient la chasse, la cueillette et la pêche (Umesao et Tada 1972 : 31 sq.). Cette culture homogène transcenderait les classes. Voici un passage de l'archéologue Egami Namio, dans lequel l'existence des classes n'est pas niée comme telle, mais qui se termine quelques pages plus loin par cette affirmation : « il n'y a pas de différences entre supérieurs et inférieurs et le peuple entier est unifié [6] » (Egami, dans Umesao et Tada 1972 : 59).

 

Je pense que le problème de qui supporte la culture est important. En Europe, au Moyen-Orient ou en Chine, par exemple, il y a une division claire entre les classes dominantes (la noblesse) et les classes inférieures (paysans), et c'est la classe dominante qui prend la culture en charge. Pour parler de façon extrême, les paysans vivent comme des animaux domestiques et ils ne participent pas à la culture. Ce sont les classes dominantes qui ont l'énergie pour la création culturelle. C'est le cas encore maintenant jusqu'à un certain point. Mais au Japon, les classes supérieures et les classes inférieures se sont liées et il n'y a pas de telles divisions. Les seigneurs et les paysans forment un tout et c'est ce tout qui prend la culture en charge. En Chine et en Europe, il n'y a pas de culture paysanne, mais au Japon, c'est tout le peuple. incluant les paysans, qui sont les sujets de la nation. Il y a échange culturel entre classes dominantes et classes dominées.
 
Umesao et Tada 1972 : 55-56

 

Ce que ce passage soutient, c'est qu'il n'y a pas de différences culturelles essentielles entre dominants et dominés au Japon. L'auteur en tire la conclusion que, sur cette base, les différences générales entre inférieurs et supérieurs n'ont pas d'importance face à la communauté de culture. Cette position n'est pas particulière a Egami : le fondateur des études folkloriques japonaises, Yanagita Kunio, a appuyé ses analyses de divers aspects de la vie au Japon sur un concept, celui de jômin, ou « gens ordinaires », l'appliquant à tous les Japonais ; il a par ailleurs affirmé que les seigneurs et les paysans partageaient le même sort, du fait qu'ils dépendaient de la terre pour leur survie (Yanagita 1945 : 41). 

L'idée d'un Japon homogène et sans classes apparaît aussi dans des écrits portant sur la société contemporaine. Nishio Kanji, par exemple, s'oppose à l'immigration parce qu'il y voit la possibilité de créer une underclass, donc de faire surgir des différences de classes dans une société qui est présentement sans classes (Nishio 1990a : 187-188 ; voir aussi Nishio 1990b). 

Je reviendrai plus loin sur la situation contemporaine au Japon. Je limiterai donc mes commentaires, très brefs, à l'idée d'une homogénéité culturelle et sociale du Japon dans le passé, surtout une homogénéité qui date de la période Jômon. Tout d'abord, au sujet de l'homogénéité de la culture, voici ce que dit Katô Shuichi des paysans et de leurs activités artistiques dans la période Edo (1600-1868) : « Artistic creation in the Edo period was carried out at a great remove from the population of farming communities [...] Far from having time to refine their sensibilities, the peasants of Edo period were fully occupied slaving at their land » (Katô 1971 : 19). Katô reconnaît ici des différences essentielles au sujet du mode de vie de différentes couches de la société japonaise. Ces différences sont aussi visibles sur les plans des activités et des privilèges sociaux, et ce autant dans la période Edo que dans les périodes antérieures (voir Bernier 1988 : chap. 2, 3 et 4). 

Qu'en est-il de la culture supposément homogène dans la préhistoire ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Japon et la culture japonaise n'existaient pas à cette époque (sur ce point, voir lkawa-Smith 1990). Le Japon comme État date des premiers siècles de notre ère, probablement du VI, siècle. Le nom du pays (Nippon) date du VIF siècle et a été inventé pour distinguer le nouvel État de la Chine dont on avait importé beaucoup d'éléments matériels et culturels. Avant l'unification étatique du VI' siècle, le territoire qui allait devenir le Japon était divisé en plusieurs entités : petits États concurrents, peuples tribaux de riziculteurs ou de chasseurs-collecteurs (d'ailleurs, l'indépendance relative de peuples tribaux durera au moins jusqu'au XIe siècle, et même plus tard dans l'île la plus au nord, Hokkaidô, tout comme l'indépendance de l'État des Ryûkyû au sud). À cette époque, il n'y avait pas de Japon, mais un ensemble disparate d'entités sociopolitiques diverses, sans culture ou langue unifiée. Le postulat de l'homogénéité culturelle datant de la préhistoire manque donc totalement de fondement empirique.

 

La maisonnée comme institution
excluant les clivages de classes

 

La maisonnée traditionnelle du Japon, le ie [7], est souvent présentée comme l'institution archétypale du Japon, modelant la société ancienne et contemporaine (voir, entre autres, Nakane 1974 ; Hsu 1975, Murakami, Kumon et Satô 1979). Plusieurs auteurs définissent cette maisonnée comme regroupant des gens de statuts différents et excluant les regroupements larges de personnes partageant la même position sociale. Par exemple, Murakami, Kumon et Satô (1979) [8], sans nier les différences de richesse, de pouvoir et de prestige entre différentes couches sociales dans les périodes allant du Xe au XIXe siècle, différences qu'ils tendent néanmoins à minimiser (ibid. : 176), ont affirmé que la maisonnée comme institution, en incluant dans une même entité des samouraïs, des paysans et même des serviteurs héréditaires, empêchait la création de classes sociales (Murakami, Kumon et Satô 1979 : 83-89 ; voir aussi Murakami 1984a : 170 ; et Murakami et Kosai 1986 : 23-25). 

Par ailleurs, Murakami, Kumon et Satô (1979 : 175) voient dans la maisonnée le modèle des entreprises actuelles. Cette idée que l'entreprise actuelle est une extension du ie est très répandue au Japon (voir, entre autres, Nakane 1974 : 12 et 115-116 ; Hsu 1975 ; Sakakibara et Noguchi 1988 : 47-48 ; Hamaguchi 1981 et 1982). Pour ces auteurs, le prolongement du ie à l'entreprise signifie que celle-ci est devenue une institution d'appartenance totale, comme la maisonnée ancienne, et que les salariés se perçoivent liés à elle plutôt qu'à des personnes occupant la même position dans d'autres entreprises. Nakane (1974 : 115-116) en tire explicitement la conclusion que les classes sociales, en tant que regroupements horizontaux incluant des personnes dans la même situation dans diverses institutions, n'ont pas de place au Japon, puisque l'appartenance est définie sur une base verticale, c'est-à-dire par rapport à l'entreprise dont on fait partie.

Je reviendrai plus loin sur le contenu de la gestion et de l'administration des entreprises. Examinons ici les propos de Murakami et al. et de Nakane sur la maisonnée. Le problème se pose ici à quatre niveaux : premièrement, celui de l'existence ou non de maisonnées regroupant des personnes de statuts différents, en particulier des samouraïs et des paysans ; deuxièmement, celui de la signification des différences de richesse, de pouvoir et de prestige (il y avait aussi des différences culturelles importantes ; voir la référence antérieure à Katô 1971 ; voir aussi Bernier 1988 : chap. 5 ; troisièmement, le niveau de la reconnaissance ou non des différences de situations sociales ; enfin, quatrièmement, celui de l'existence ou non de regroupements explicites sur la base de la position sociale. 

Premièrement, les données historiques s'accordent mal avec l'image d'une maisonnée intégrant paysans et guerriers telle qu'elle est présentée par Murakami, Kumon et Satô. Quelles qu'aient été les activités agricoles des maisonnées des guerriers autour du XI siècle, elles avaient disparu en grande partie dès la période Kamakura (1185-1333), avec la spécialisation de la majorité des guerriers dans les activités militaires et de police. Il restait bien des branches cadettes, qui ont continué de combiner agriculture et activités militaires, mais leur statut était parmi les plus bas chez les guerriers. La majorité des samouraïs a échappé au travail agricole, se contentant de vivre des redevances (Miyagawa 1977). Les maisonnées du Japon médiéval étaient donc divisées selon les couches sociales, les guerriers et les paysans appartenant à des entités différentes. 

Deuxièmement. même au XIe siècle, les maisonnées paysannes avaient certains droits d'utilisation de la terre en échange de redevances payées à ceux, guerriers, nobles ou temples, qui avaient la propriété éminente de domaines ou des droits divers et souvent superposés sur la terre (voir, entre autres, Nagahara 1973 : chap. 4 et 5 ; Miyagawa 1977 : Nagahara 1977). S'il est vrai qu'il restait des couches intermédiaires entre les guerriers professionnels et les paysans, il n'en est pas moins vrai que la séparation entre ces deux groupes était devenue de plus en plus claire, tant au niveau des droits sur la terre que du pouvoir et du mode de vie. Il y a bien eu des périodes, en particulier dans la longue période de guerre civile qui va approximativement de 1467 à 1600. dans lesquelles plusieurs paysans ont pu prendre les armes et changer de statut, mais cette mobilité n'a pas signifié la disparition des différences entre les guerriers et les paysans. Au contraire, la fin de la guerre civile a été marquée par une séparation encore plus forte entre les guerriers et le reste de la société, dont la majorité appartenait à la paysannerie. Dès la fin du XVIe siècle, les dirigeants politiques ont imposé une séparation claire entre guerriers et gens du commun. La période Edo (1600-1868) est donc marquée par une différenciation sociale accrue, avec des moyens plus stricts de séparation des couches de la population. 

Troisièmement, quant à la conscience des différences entre couches sociales, dans la période Edo, elle était inscrite dans l'idéologie même du régime politique, fondé non seulement sur des différences strictes de statut, mais aussi sur des règlements stricts au sujet de la consommation appropriée à chaque strate (voir Bernier 1988 : chap. 2 et 5). Enfin, quatrièmement, au sujet des regroupements selon la position sociale, il suffit de noter le nombre impressionnant de révoltes paysannes contre les seigneurs ou contre les marchands pour voir que les mouvements fondés sur l'appartenance à une strate sociale ont existé dans le Japon préindustriel (voir Bernier 1988 : 136-141 et 184-185).

 

Gestion des entreprises
et démocratie industrielle

 

Comme on l'a vu plus haut, des auteurs comme Nakane (1974), Hamaguchi (1981) ou Hsu (1975) présentent le système de maisonnée traditionnelle comme le modèle des entreprises. Ces auteurs postulent donc une continuité culturelle et institutionnelle très forte entre la période préindustrielle et le capitalisme au Japon. Sans nier cette continuité, qui va de soi, mais dont il faut néanmoins analyser le contenu, il est important de noter que le modèle du ie appliqué à l'entreprise ne s'est pas imposé automatiquement aux dirigeants des nouvelles entreprises au XIXe siècle. Au contraire, jusque vers 1900, les entreprises se sont calquées sur le modèle occidental et ont institué des modes de relations de type conflictuel avec leurs salariés (voir en particulier Gordon 1985 ; voir Bernier, à paraître a, pour un résumé). Le modèle familial a commencé à être utilisé comme thème idéologique autour de 1900 pour contrer la volonté de certains bureaucrates d'établir une législation du travail (Sumiya et al. 1967 : 163-164 ; Marshall 1967 : 53-62 ; Gordon 1985 : 66-67 ; Garon 1987 : 18-23 et 44-46 ; Fruin 1992 : 67). Les idéologues patronaux ont alors parlé des relations harmonieuses et des sentiments affectifs qui, supposément, liaient les salariés japonais à leur patron dans le cadre de l'entreprise assimilée à une grande famille. Notons que cet appel à la tradition et aux « belles coutumes nationales » (Sumiya et al. 1967 : 164 ; Gordon 1985 : 66) pour justifier le rejet de la législation du travail faisait partie d'un mouvement plus large de revalorisation de la culture japonaise et de retour au patrimoine intellectuel national, qui incluait le rejet du libéralisme. 

Dans la réalité, toutefois, les relations de travail sont demeurées longtemps conflictuelles, fondées sur l'autoritarisme patronal (voir Gordon 1985 : 76 ; voir aussi Sumiya 1955 : 211 sq. ; Levine 1958 : 41 sq. ; Sumiya et al. 1967 : 95 sq. ; dans le textile, voir Tsurumi 1990). L'intégration plus forte des salariés à l'entreprise, qui est au fondement de l'idéologie familiale, ne s'est accomplie que graduellement et partiellement, à partir de la Première Guerre mondiale, à travers des hausses de salaires et à travers l'amélioration des conditions de travail : meilleures conditions de sécurité. améliorations du milieu matériel, diminution des heures de travail, pensions pour les salariés qui restaient au service de l'entreprise pour une longue période, etc. (Sumiya et al. 1967 : 20-22 ; Gordon 1985 : chap. 4 et 6). Mais cette amélioration n'a touché qu'une minorité de travailleurs, plus spécifiquement les travailleurs qualifiés, dont la pénurie les rendait essentiels aux entreprises. 

Ce n'est qu'après la défaite de la Deuxième Guerre mondiale que le système de relations de travail « à la japonaise », avec insistance sur la pénalisation de la mobilité, la sécurité d'emploi, la promotion à l'interne et les syndicats d'entreprise, s'est généralisé dans les grandes entreprises. Nous verrons les limites de ce système ci-après (sur ce point, voir Bernier 1979). Auparavant, il est nécessaire d'insister sur le fait que ce système ne s'est pas établi automatiquement ou naturellement : il est le résultat d'un compromis entre patrons et ouvriers, compromis qui a suivi une période de luttes intenses qui a débuté dès 1945 et qui s'est terminée, dépendant des secteurs industriels et des entreprises, entre 1948 et 1954 (sur ce point, voir Taira 1970 : chap. 7, Moore 1983 ; Gordon 1985 : chap. 9 et 10 ; Cusumano 1985 : chap. 3 ; pour une synthèse, voir Bernier, à paraître a : 20 sq.). En très bref, dès 1945, les syndicats se sont organisés et ont progressé rapidement, et ce à un moment où la direction de certaines entreprises était désorganisée par les purges imposées par le gouvernement américain dans sa politique d'occupation militaire. En 1946, les syndicats, organisés en fédérations sectorielles et en confédérations (dont la plus importante était alors sous le contrôle du Parti Communiste du Japon), ont lancé une offensive sur plusieurs fronts avec pour objectifs des augmentations répétées des échelles salariales pour permettre de suivre l'inflation, l'obtention de la sécurité d'emploi et la création de comités de gestion bipartite patronat-salariés, avec pouvoirs décisionnels sur les finances, les achats, les ventes, la gestion de la production, l'embauche, etc., donc avec des pouvoirs sur l'ensemble de J'administration des entreprises. Les syndicats utilisèrent différents moyens pour faire valoir leur cause : grèves, occupations d'usines, séquestrations de patrons, etc. En 1948, plusieurs syndicats en sont arrivés à obtenir gain de cause dans la majorité de leurs demandes. 

Mais le patronat et les autorités américaines n'avaient pas dit leur dernier mot. D'une part. les Américains, aux prises avec l'URSS en Europe et avec le PCC en Chine, voyaient d'un très mauvais œil la force des communistes dans les syndicats (qui regroupaient en 1948 plus de 60% des ouvriers du pays) ; d'autre part, les patrons jugeaient que les gains syndicaux représentaient des usurpations aux droits des directions d'entreprise. Pour renverser la vapeur, les patrons ont créé deux organisations patronales (Nikkeiren, Keizai dôyûkai), dans le but clairement exprimé de rétablir le droit des directions. Puis, avec l'aide des dirigeants et des syndicats américains, ils ont entrepris d'éliminer les syndicats militants. Pour ce faire, ils ont suscité la création de « deuxièmes syndicats », c'est-à-dire de syndicats proches des administrations, souvent sous contrôle de personnes payées par elles. Les dirigeants d'entreprises ont alors négocié avec ces seconds syndicats et ont congédié les dirigeants du syndicat militant. Comme, à l'époque, le chômage signifiait automatiquement la misère, les salariés choisis par l'entreprise ont alors accepté de se joindre au second syndicat, selon les conditions de travail et de salaire (en général beaucoup moins bonnes que celles qu'ils avaient auparavant) négociées par le nouveau syndicat. 

Cette façon de procéder s'est répétée régulièrement de 1948 à1954, un des derniers syndicats militants à être éliminé étant celui de Nissan à l'automne 1953 (Cusumano 1985 : 149-174). Dans la majorité des cas, la disparition du syndicat militant a mené à de nombreux congédiements, à la disparition des comités bipartites de gestion et à une détérioration des conditions de travail. Les manoeuvres patronales de ces années ont aussi mené à la mise sur pied du système de relations de travail « à la japonaise ». Les directions d'entreprise ont maintenu la sécurité d'emploi. mais seulement pour un groupe choisi de salariés, appelés kaishain (les « membres de la compagnie » ou les réguliers). Elles ont aussi accepté l'élimination de la distinction radicale entre employés de bureau et ouvriers qui avait existé dans l'avant-guerre et que les syndicats avaient fait disparaître entre 1945 et 1950. Désormais, l'entreprise était organisée selon une seule hiérarchie, comprenant tout le personnel régulier, aussi bien les ouvriers et les employés de bureau que les cadres, avec possibilité de promotion pour tous (mais évidemment avec de meilleures possibilités pour les salariés possédant un diplôme d'université, donc les cadres, que pour ceux ayant terminé une neuvième ou une douzième année). 

La mise sur pied du système industriel japonais dans l'après-guerre a donc suivi une période d'affrontements intenses qui ont pris, encore plus que dans la plupart des pays occidentaux, la forme d'une lutte de classes classique, très proche de celle décrite et souhaitée par Marx ! Il ne faut donc pas oublier les circonstances de la mise en place de ce système quand on se penche sur la question des classes sociales au Japon. Il ne faut pas oublier aussi que ce système ne s'applique que dans les grandes entreprises, qu'il exclut une bonne partie des salariés et, donc, qu'il établit un clivage entre différentes catégories de salariés. 

Ignorant les origines du système industriel de l'après-guerre, plusieurs auteurs ont soutenu qu'existait au Japon une véritable démocratie industrielle, liée selon eux à l'absence de clivage entre direction et salariés. Parmi ces auteurs, mention nons Odaka (1975 : 202-209), Iwata (1978 : 98 sq.), Nakagawa et Ota (1981 : 17-19), Hamaguchi (1981 : 35-36), Murakami (1984a : 184-185), qui parle des tendances des entreprises actuelles à devenir des communautés (kyôdôtaika), Kono (1984 : 55), Hayashi (1988 : chap. 4), Aoki (1988 : chap. 3), etc. Ces auteurs ne s'entendent pas toujours sur les aspects particuliers qui définissent l'essence du système japonais, mais ils sont d'accord pour affirmer l'absence de clivages importants dans les entreprises. Certains, comme Nakagawa et Ota (1981 : 17-19), disent que les décisions dans les entreprises sont prises de bas en haut et par consensus, ce qui fait que les entreprises japonaises seraient devenues de véritables démocraties. D'autres, comme Murakami (1984a : 194 sq.), Koike (1983 : 7 et 15 ; 1984a et 1984b) et Ikegami [9] (1985 : 105-110), disent que la distinction entre ouvriers et employés de bureau n'a plus de sens depuis que le travail d'usine s'est intellectualisé et que les ouvriers sont recrutés parmi les diplômés d'école secondaire [10]. Enfin d'autres. comme Iwata (1978 : chap. 6), disent que la sécurité d'emploi et les promotions ouvertes à tous entraînent l'égalisation pratique de tous les salariés et leur lien intense avec l'entreprise. D'ailleurs, selon cette position, les syndicats d'entreprises seraient devenus des instruments d'intégration des salariés aux entreprises plutôt que des instruments de luttes de classes. Face à ces prises de positions, que nous disent les données disponibles sur la sécurité d'emploi, les promotions, la prise de décision, la division des tâches dans les entreprises, et le rôle des syndicats (pour l'identification à l'entreprise, voir Bernier, à paraître c) ? 

Ayant déjà traité de la sécurité d'emploi auparavant dans cette revue (Bernier 1979), seules quelques indications sommaires sont nécessaires. La sécurité d'emploi s'applique aux salariés réguliers des grandes entreprises et aux cadres de certaines PME. Ce qui veut dire que la sécurité d'emploi n'est un acquis à tout moment que pour moins du tiers de la main-d'œuvre. Les femmes, qui ont moins de chances que les hommes d'obtenir le statut de régulier, sont les premières victimes de ce système. On peut donc voir en ce qui concerne la sécurité d'emploi des différences marquées entre salariés des grandes entreprises et salariés des petites entreprises, entre ouvriers et cadres et entre hommes et femmes. 

Au sujet des promotions, il est vrai que la plupart des entreprises japonaises, et surtout les grandes, font appel exclusivement à leurs salariés pour remplir les postes dans la hiérarchie. Il y a donc une très forte tendance à la promotion à l'interne et une faible mobilité entre entreprises. Soulignons toutefois que la majorité des promotions, surtout aux échelons supérieurs de la hiérarchie, revient aux diplômés d'université, donc à ceux qui ont été embauchés dès le départ comme cadres. Il y a donc un clivage au niveau de la promotion entre ouvriers et employés de bureau (surtout des femmes), d'une part, et cadres, d'autre part, pour ce qui est des possibilités de promotion. Sur ce point, c'est le sexe et le niveau d'éducation reçue avant d'entrer dans J'entreprise qui sont les facteurs de divisions. 

Par ailleurs, plusieurs spécialistes affirment que les promotions dans les entreprises japonaises sont faites en fonction de l'âge des personnes, dans un système que l'on a appelé la promotion à l'ancienneté (voir, entre autres, Nakane 1974 : 89-90 ; Iwata 1978 : 117-119). En fait, l'ancienneté est un critère nécessaire pour la promotion, mais non le critère déterminant. Les critères fondamentaux de promotion sont la compétence et le zèle au travail tels que mesurés par les supérieurs immédiats (qui sont eux-mêmes jugés en fonction de la justesse de l'évaluation de leurs inférieurs). Il y a un âge minimum qui est nécessaire pour avoir accès à certains échelons dans la hiérarchie, mais l'âge seul ne vous garantit aucune promotion. 

Quant à la prise de décision dans les entreprises, il est faux de dire qu'elle se fait de bas en haut et par consensus (voir Bernier 1985 : 54-56, et Bernier 1987 : 113-115). Tout d'abord, il faut distinguer entre les suggestions au sujet d'aspects mineurs du travail, qui peuvent émerger de la base, et les décisions au sujet de ces améliorations qui reviennent à des supérieurs de rangs appropriés. Plus les décisions sont importantes, plus l'échelon approprié pour prendre la décision s'élève dans la hiérarchie. Les décisions ne sont donc pas prises de bas en haut, et si certaines suggestions au sujet du fonctionnement des entreprises émergent de la base, ce n'est pas le cas des plus importantes. 

Qu'en est-il du consensus ? Tout d'abord, il est vrai qu'il y a dans les grandes entreprises japonaises beaucoup de consultations au sujet de différents projets. Ces consultations incluent un nombre plus ou moins grand de personnes dépendant de la nature de la décision et de l'entreprise. L'avis des ouvriers de la production peut dans certains cas être sollicité, si les projets dont il est question risquent de modifier les tâches auxquelles ces ouvriers sont assignés. Mais, en général, les personnes consultées se situent dans les rangs moyens ou élevés de la hiérarchie administrative. En outre, la consultation ne se fait pas de la même façon dans toutes les entreprises. Parmi les usines dans lesquelles j'ai fait des recherches, celles où la consultation incluait un grand nombre de personnes à différents niveaux (allant jusqu'aux ouvriers à la base dans le cas de l'automatisation dans une entreprise ; sur ce point, voir Bernier 1987 : 113-115) se situaient à peu près au milieu de l'échelle des grandes entreprises (entre 3 000 et 4 000 salariés réguliers). Les deux entreprises visitées qui se situaient au sommet de cette hiérarchie (30 000 à 40 000 salariés) avaient un système de consultation plus limité qui excluait les ouvriers. À ce sujet, il est bon de noter que, dans les deux usines où la consultation se faisait largement, le syndicat avait un mot à dire dans les décisions qui pouvaient entraîner des modifications dans le nombre de salariés, dans la définition des tâches et dans les transferts de main-d'oeuvre, ce qui n'était pas le cas dans les plus grandes. Autre point à noter, dans les deux entreprises citées, un refus du syndicat aurait signifié la fin du projet. 

Au sujet de la division des tâches dans les entreprises, il est vrai que, dans un certain nombre de cas, les modifications au travail de production ont fait que les tâches d'usine et les tâches de bureau sont devenues à peu près semblables (Miti 1984 : 30) : c'est le cas de plusieurs ateliers automatisés, dans lesquels les tâches de production sont en fait des tâches de programmation d'ordinateurs, de corrections ou d'ajustements aux programmes, ou de réparation de machines combinant la mécanique et l'électronique. Cependant, toutes les formes d'automatisation ne sont pas de même nature et n'entraînent pas les mêmes effets (voir Itô 1985 : 34, tableau 7, Cavestro et Mercier 1988 : 313 ; Bernier, à paraître b : 21-26 ; Fuji Denki 1990). Dans le cas des machines les moins perfectionnées, le travail d'usine demeure loin du travail typique de bureau. 

Par ailleurs, l'automatisation est encore relativement peu répandue, même si le Japon est sur ce point le pays le plus avancé. Ce qui veut dire que les effets de l'automatisation sont relativement faibles jusqu'ici, sauf dans certains secteurs comme l'électronique et l'automobile. En outre, les effets de l'automatisation sur les procédés de travail et sur les tâches ont tendance à varier selon la taille des entreprises (Miti 1984 : 78 ; Aomi 1984 ; Itô 1985 : 32-35 ; Cavestro et Mercier 1988 : 319-320) : plus les entreprises sont grandes, plus est forte la tendance à transférer aux ouvriers des tâches complexes de programmation ; à l'inverse, à mesure que l'on descend dans la hiérarchie industrielle, la tendance augmente à la polarisation des tâches, les plus complexes revenant aux ingénieurs et aux techniciens et les plus simples aux ouvriers. 

La tendance à l'assimilation des tâches productives aux tâches de bureau est donc très variable et encore relativement faible. De plus, il y a une distinction qui se fait dès l'entrée à l'usine entre diplômés des universités ou des collèges techniques, qui sont destinés à des postes de cadres ou de techniciens et pour qui les chances de promotion sont grandes, et les diplômés d'école secondaire, de plus en plus destinés au travail de production et pour lesquels les chances de promotion sont beaucoup plus restreintes. L'avenir nous dira si la distinction entre travail de production et tâches administratives s'amenuisera, mais, pour le moment, cette distinction perdure. 

Enfin, au sujet des syndicats, il serait exagéré de les inclure tous dans une seule catégorie, celle des syndicats de boutique. On a vu plus haut comment, dans quatre entreprises analysées, le rôle du syndicat variait selon les entreprises. Les syndicats sont faibles surtout dans les entreprises où l'emprise de la direction sur l'ensemble de la vie de l'usine et de la vie des salariés est forte : c'est le cas, entre autres, chez Toyota, chez Matsushita ou chez Kyoto Ceramics. D'autres grandes entreprises ont un syndicat plus combatif ou plus puissant, qui se définit comme le représentant des salariés. Même dans les grandes entreprises où le syndicat est faible, il y a un point sur lequel le syndicat risque peu de céder : la sécurité d'emploi pour la majorité des réguliers (ces syndicats sont tout de même susceptibles d'accepter des retraites anticipées pour les salariés les plus âgés). Ce qui veut dire que, même dans les entreprises les plus « paternalistes », il y a une espèce de réciprocité entre l'acceptation du régime de l'entreprise par les syndiqués et l'assurance de la sécurité d'emploi par la direction. 

Il nous faut maintenant conclure sur la démocratie industrielle. L'examen que l'on vient de faire d'un certain nombre d'éléments du fonctionnement interne des entreprises nous amène à remettre en question l'idée que J'entreprise japonaise fonctionne sous le mode démocratique ou que l'entreprise japonaise soit devenue une communauté. Sur ce point, il importe aussi de remettre en question l'idée souvent avancée que l'entreprise japonaise existe pour ses employés (Hamaguchi 1981 : 50 ; Murakami 1984a : 185 ; Itami 1986 ; Hayashi 1988 : chap. 4). Historiquement. le système d'organisation des entreprises mis sur pied par les directions d'entreprise entre 1948 et 1954 fut le résultat d'un compromis avec les salariés, mais d'un compromis fondé sur le contrôle poussé de la direction sur les opérations de l'entreprise. Ce qui était recherché, c'était le rétablissement des droits des directions. C'est dans ce contexte de contrôle imposé d'en haut que le système que l'on vient de décrire fut établi. C'est aussi ce contexte qui explique les moyens mis en place pour contrôler la main-d’oeuvre. 

Pour obtenir une main-d'œuvre docile et bien formée, les dirigeants des entreprises ont pris diverses mesures, comme l'embauche de jeunes de la campagne, excluant ainsi les jeunes urbains qui avaient une meilleure idée de l'action syndicale, ou bien l'insistance sur l'identité de l'entreprise (hymne de l'entreprise, uniforme, cérémonie formelle et solennelle d'entrée de tous les nouveaux réguliers autour du 1er avril, etc. ; voir Arsenau 1991 ; et Bernier, à paraître c). Ils ont aussi tenté de tenir compte de certains besoins des salariés, par exemple à travers des systèmes de pension ou d'assurance, compensant pour la faiblesse des systèmes gouvernementaux dans ces domaines jusque dans les années 1980. En échange, les dirigeants. à travers le service du personnel, se sont donné le droit de s'immiscer dans la vie privée des salariés (voir sur ce sujet les pratiques chez Toyota dans Cole 1979 : 187-195). la raison étant que la vie privée influençait la productivité. La prise en considération de la vie des individus vient donc moins de l'intérêt pour les personnes en elles-mêmes que de celui pour leur performance au travail. En ce sens. si l'on prend l'expression de Koike (1984a), mais en lui donnant un sens plus restreint. la politique des entreprises japonaises en est bien une de « ressources humaines », les travailleurs n'étant définis que par rapport à leur contribution à la production. Cette conclusion est appuyée par le fait que les entreprises qui ont les dossiers les plus précis sur leurs salariés, comme Toyota, sont aussi celles qui mettent le plus de pression pour augmenter la productivité des travailleurs (voir Cusumano 1985 : 271-275 et 305-307). 

Qu'en est-il alors du modèle du ie dans les entreprises ? La question n'est pas simple et mérite un traitement plus approfondi (que j'ai tenté de faire ailleurs ; voir Bernier, à paraître a). Mais donnons quelques indications. Tout d'abord, historiquement, comme on l'a vu, les entreprises japonaises des premières décennies de l'industrialisation n'ont utilisé le modèle familial que comme idéologie de combat contre la législation du travail, sans que les conditions de travail ne s'accordent avec l'image présentée. Ensuite, la mise sur pied d'un système de relations de travail centré sur l'entreprise ne s'est développé qu'à la suite d'une dure « lutte de classes » dans sa forme classique. Ce système, dont les promoteurs n'ont fait qu'un usage marginal du modèle familial (ce sont surtout les intellectuels qui ont insisté sur ce point), est donc le résultat de mesures patronales imposées à la suite de la mise au rancart, par la force, d'organisations de classes. Par ailleurs, malgré les manœuvres patronales, les syndicats, y compris des fédérations et confédérations (dont les pouvoirs sont tout de même limités), se sont néanmoins maintenus. Enfin, l'organisation actuelle des entreprises doit beaucoup plus au modèle bureaucratique qu'au modèle familial ancestral (Fruin 1992 : 67). L'appel au modèle familial pour expliquer la structure des grandes entreprises actuelles apparaît alors plus comme un effort de la part de certains intellectuels pour définir la réalité des entreprises japonaises par un modèle indigène, un effort qui se comprend dans le cadre des luttes de classement, que comme une description adéquate de la réalité japonaise.

 

La théorie de la « nouvelle masse moyenne »

 

L'oeuvre de Murakami Yasusuke a pris beaucoup d'importance dans la pensée japonaise récente et c'est pourquoi toute une section de cet article est consacrée à sa théorie de la « nouvelle grande masse moyenne », traduction littérale mais peu élégante de l'expression japonaise shin chûkan taishû, que Murakami lui-même traduit en anglais par « new middle mass » (Murakami 1984a : 194) [11]. Murakami, comme on l'a vu plus haut, a écrit sur plusieurs sujets, contemporains et historiques, y compris sur le système socio-économique japonais (1987). Je me limiterai ici à un examen assez détaillé de sa théorie de la grande masse moyenne. Pour comprendre la position de Murakami, il est nécessaire, dans un premier temps, de présenter son approche de la stratification pour ensuite, dans un second temps, expliciter son analyse des classes dans les sociétés capitalistes actuelles, dont le Japon est, selon lui, l'exemple le plus avancé. 

Murakami définit la stratification sociale comme combinant deux éléments un ordre de personnes dans des relations de supériorité et d'infériorité (structuration réelle). et la signification que les sociétés donnent à cet ordre (structuration selon les valeurs). Selon Murakami, dans les sociétés précapitalistes, la stratification est unifiée, c'est-à-dire que les différents aspects ou dimensions de la stratification se combinent dans un ensemble fortement intégré (Murakami 1984a : 169-170). Dans l'Inde ancienne, par exemple. la stratification était fondée sur les différences de fonctions : fonction religieuse, fonction militaire, fonction d'encadrement de la production. fonction de production. Cette hiérarchie de fonctions, qui avait son fondement dans la religion, englobait les dimensions politiques, économiques et culturelles dans un système unifié (Murakami 1984a : 170). En d'autres termes, selon Murakami, la stratification réelle de l'Inde était fondée sur la structuration selon les valeurs et le tout formait un système unifié. Comme autre exemple de stratification intégrée, Murakami donne la société médiévale européenne qui, selon lui, était fondée sur une séparation stricte entre seigneurs et paysans, les premiers ayant sur les seconds une prédominance autant sur le plan politique et économique que culturel (ibid. : 177). Dans ce cas, c'est la structuration réelle plus que la structuration selon les valeurs qui primait. Selon Murakami, cette unification de la stratification a disparu dans les sociétés capitalistes. 

Murakami définit la division en classes sociales comme une forme particulière de stratification (ibid. : 171). Il emprunte sa définition au marxisme : selon lui, le terme classe sociale s'applique à un type de stratification dans lequel, premièrement, la structuration réelle est forte ; deuxièmement, la discontinuité et la distance entre les couches sociales sont prononcées ; et troisièmement, la société entière se divise clairement en deux ou trois strates. Selon Murakami, la classe sociale est un exemple de stratification, mais elle ne couvre pas tous les cas. Il peut y avoir, comme c'est le cas dans le capitalisme avancé, une stratification faible qui ne donne pas naissance à des classes (voir plus bas). Il peut aussi y avoir des formes de stratification forte, comme dans la société américaine où les écarts de revenus sont grands, mais où la stratification est tempérée par la mobilité sociale et qui donc ne donne pas naissance à des classes discontinues (ibid. : 171). La stratification, pour Murakami, est donc un concept englobant, et les systèmes sociaux dans lesquels les classes sont clairement divisées constituent un cas particulier des systèmes de stratification. 

Le capitalisme a en général une forme de stratification qui n'est pas unifiée, se divisant selon plusieurs dimensions (ibid. : 174 sq.). Murakami distingue trois ordres de dimensions : premièrement, les dimensions économiques (niveau de revenu, niveau de richesse, contrôle sur la gestion des entreprises), deuxièmement, les dimensions politiques (présence ou absence du parlementarisme, type d'administration, organisation des entreprises) ; troisièmement, les dimensions culturelles (styles de vie, scolarisation, systèmes des valeurs). 

Dans le capitalisme, selon Murakami (1984a : 174 sq.), ces dimensions auparavant unifiées se sont séparées. Il en résulte une stratification plus diversifiée, les personnes pouvant se situer à différentes places selon une dimension ou une autre (ibid. : 178 et 182-188). Murakami (ibid. : 188) en vient à la conclusion que la répartition des personnes doit être analysée en détail pour chaque société et que seule une telle analyse peut permettre de comprendre comment la stratification fonctionne. L'ensemble des dimensions définit un système abstrait de places qui n'existent pas comme telles dans la société réelle (ibid. : 189). Cependant, chaque société a un mouvement historique qui a tendance à structurer les dimensions, soit réellement, en combinant quelque peu l'ensemble des dimensions dans une structuration qui tend à l'unification, soit selon les valeurs, en établissant une dimension prédominante (ibid. : 170, 188). Dans le capitalisme, toutefois, selon Murakami, le mouvement historique d'ensemble tend plutôt à la déstructuration. 

Murakami part d'une critique de la position marxiste sur la division bipartite des classes dans le capitalisme (ibid. : 172). En premier lieu, selon Murakami, il est difficile de définir une classe capitaliste unifiée, dominante selon toutes les dimensions mentionnées plus haut (ibid. : 178-179). En effet, selon lui, la classe capitaliste dans la théorie marxiste est définie par la dimension économique. Murakami ne nie pas que cette classe a eu une place importante dans l'économie pendant un certain temps : la séparation claire apparue au XVIIIe et au XIXe siècle au sujet de la propriété privée a bien divisé la population entre les propriétaires et les non-propriétaires, donc selon la dimension économique. Mais cette division n'a pas structuré toute la société, car la classe capitaliste n'a jamais eu l'ascendant dans les dimensions politiques et culturelles. 

Sur le plan politique (ibid. : 177-178), d'une part, la bourgeoisie a profité de la protection de l'ancienne classe dominante de la société prémoderne, c'est-à-dire de la noblesse, pour s'établir comme dominante dans le domaine économique. Mais, pour ce faire, la bourgeoisie a demandé l'autonomie du marché par rapport au politique (théorie du laisser-faire), ce qui a entraîné la séparation de l'économique et du politique. Cette séparation a eu pour effet d'empêcher le capitalisme d'avoir une structure de classes unifiée. D'autre part, historiquement, il y a eu des mouvements politiques qui ont demandé l'égalité devant la loi, qui ont finalement abouti à des mouvements pour le suffrage universel (dimension parlementaire). Ces mouvements ont actualisé la séparation entre politique et économique. 

Sur le plan culturel (ibid. : 178), la société capitaliste n'a pas pu produire une culture soutenue et en expansion. La bourgeoisie n'a jamais donné naissance à une culture dominante. Bien plus, la culture du capitalisme a toujours été anti-bourgeoise. Au début du XIXe siècle, plusieurs écrivains ont tenté de justifier culturellement le capitalisme en le liant àla tradition occidentale, mais cette tentative n'a pas eu beaucoup de succès. Au contraire, selon Murakami, ces tentatives montrent la pauvreté des possibilités culturelles de la société capitaliste. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les mouvements culturels ont surtout porté sur la négation de la culture bourgeoise. 

En fait la classe dominante du capitalisme est une classe composite, au contenu et aux contours fluides, dans laquelle les capitalistes, qui dominent économiquement, ont une faible part (ibid. : 179-180). À cause de cela, il y a toujours eu dans le capitalisme possibilité de contradiction entre dimensions économiques, politiques et culturelles. 

En deuxième lieu, l'hypothèse marxiste de la disparition de la classe moyenne (les petits commerçants et les propriétaires terriens) qui est censée se fondre soit dans la classe des capitalistes soit dans la classe ouvrière, ne tient pas (ibid. : 172). Dès ses débuts, le capitalisme a donné naissance à une nouvelle classe moyenne s'occupant de l'administration (publique et privée) et des professions libérales et cette classe n'a cessé de progresser (ibid. : 174). Murakami critique la position marxiste qui désigne ces personnes comme des prolétaires en col blanc (ibid. : 173). Selon Murakami, la nouvelle classe moyenne comprend un ensemble de couches qui n'entrent ni dans la classe capitaliste, ni dans la classe ouvrière, ni dans l'ancienne classe moyenne. 

La nouvelle classe moyenne a déjà eu une existence claire, en particulier entre les deux guerres mondiales, et cela même au Japon. Murakami affirme que la société japonaise des années 1920 et 1930 était moins différenciée selon les classes que les sociétés occidentales, du fait de l'importance du ie comme groupe d'appartenance (ibid. : 176 ; voir plus haut la section « La maisonnée comme institution excluant les clivages de classes »). Alors que, en Europe, les classes horizontales se sont fortement développées, au Japon, l'appartenance au ie aurait tempéré ces différences. Mais Murakami affirme qu'il ne s'en est pas moins développé dans les années 1920 et 1930 une nouvelle classe moyenne appelée classe de Yamanote (ibid. : 175). Cette classe était formée des officiels du gouvernement, des employés des grandes entreprises, des professeurs. des techniciens, des médecins et des entrepreneurs du secteur moderne de l'économie. Selon Murakami (ibid. : 176), qui semble ainsi se contredire, la classe moyenne se distinguait clairement des paysans et des ouvriers par la richesse, la scolarisation et le style de vie. 

Selon l'auteur, la nouvelle classe moyenne ainsi définie a toujours été porteuse d'une tendance fondamentale du capitalisme : la tendance vers une organisation et une systématisation croissantes. En outre, selon Murakami, la nouvelle classe moyenne, et non la bourgeoisie, est le support de la seule culture propre à la société industrielle, c'est-à-dire l'éthique instrumentale valorisant l'étude, l'épargne et l'efficacité : culture prosaïque sans doute, mais culture de la société industrielle (ibid. : 180). 

Les tendances innées du capitalisme à l'organisation et à la systématisation ont été amplifiées par un mouvement très important qui a mené à la transformation du capitalisme à partir de 1850, soit le passage du capitalisme libéral au capitalisme d'organisation (ihid. : 179). Ce passage a été marqué par l'intégration dans les grandes entreprises de plusieurs fonctions de production et de distribution et par la séparation de la gestion et de la propriété. En même temps se développait le secteur gouvernemental, avec la croissance des transports, de la sécurité sociale, etc. L'émergence des grandes organisations a été marquée par la séparation entre les organes décisionnels fondamentaux, qui se rencontrent de façon sporadique (parlement ou assemblée des actionnaires), et les organes de gestion et de prise de décisions quotidiennes (fonctionnaires et administrateurs). 

La tendance à l'organisation a entraîné une interpénétration de l'économie et du politique, maintenant liés dans une grande tendance à l'intensification de l'administration. Mais, selon l'auteur (ibid. : 179), il n'y a pas eu pour autant unification des dimensions de la stratification. Car la bureaucratisation de la dimension économique a été accompagnée d'une augmentation de l'égalité politique et du développement d'une culture anti-bourgeoise, donc d'une autonomisation des dimensions politiques et culturelles face aux dimensions économiques. Toutes ces tendances, par ailleurs, affaiblissent les couches dominantes et donnent une grande instabilité à la structure de classe. Dans la théorie de Murakami, ce qui a empêché cette structure instable de disparaître complètement, c'est la classe moyenne qui, grâce à son activité, à sa culture et à sa tendance vers l'organisation s'est établie comme médiatrice entre les couches dominantes et les classes inférieures (ibid. : 180). 

Malgré son rôle de stabilisation de la structure de classe, la classe moyenne, depuis 1945, en est venue à se dissoudre comme classe et à donner lieu à un ensemble de couches médianes disparates et non unifiées (ibid. : 182). Cet ensemble est en mouvement constant et on peut dire que son développement a fourni la dynamique de base du capitalisme de l'après-guerre. Le fait qu'il ne s'agit pas d'une classe mais d'un ensemble de couches apparaît clairement, selon Murakami (ibid. : 181-182), dans l'évolution récente des pays industrialisés et spécialement au Japon. 

La grande prospérité qui est survenue dans les pays industrialisés à partir des années 1950 a entraîné des modifications majeures dans toutes les dimensions de la stratification sociale capitaliste. Selon Murakami (ibid. : 181-182), ces modifications ont été d'autant plus fortes dans des pays qui, comme le Japon et l'Allemagne, vaincus, ont vu la disparition des classes supérieures et moyennes de l'avant-guerre [12]. Parmi les tendances générales des sociétés industrielles (ibid. : 182), notons l'égalisation des droits politiques et l'élargissement des droits civils, la mise sur pied de systèmes de sécurité sociale, la bureaucratisation des organisations économiques, la planification incitative, et des politiques de soutien à la croissance. Selon Murakami (ibid. : 182), le fondement des politiques économiques a été la reconnaissance du principe keynésien que la croissance soutenue dépendait de l'harmonisation des rythmes d'augmentation de la production et de la consommation. C'est de cette reconnaissance qu'est sortie la société d'abondance ou de consommation de masse. 

Ces tendances ont entraîné des modifications dans toutes les dimensions de la stratification. Sur le plan économique (ibid. : 182-184), les tendances les plus importantes sont les suivantes : égalisation des revenus et des salaires, en particulier par l'atténuation de l'écart des salaires entre ouvriers et cadres (surtout au Japon) ; redistribution de la richesse à cause des systèmes de sécurité sociale et de la protection des secteurs en déclin (agriculture), affaiblissement du pouvoir des propriétaires d'entreprises (actionnaires) et augmentation de celui des administrateurs. Murakami résume ces tendances en disant que le droit de propriété des moyens de production a perdu de son importance ; à la place est apparu un nouveau quasi-droit de propriété, portant sur les prestations de sécurité sociale, un droit que Murakami reconnaît toutefois comme moins stable que J'ancien droit de propriété (ibid. : 183). 

Sur le plan politique (ibid. : 184-185), le parlementarisme, fondé sur le suffrage universel, renforce la tendance à l'égalisation politique, en donnant des droits à des catégories auparavant exclues : femmes, jeunes, minorités, etc. Ces catégories ne peuvent pas toutes nommer des représentants au parlement, mais la possibilité ou non de ce faire dépend moins de la puissance économique ou culturelle que de la capacité d'organiser une force unifiée et homogène. Sur le plan de l'administration, l'augmentation du nombre des cadres renforce la tendance à fonder la sélection et la promotion sur le mérite. Enfin, sur le plan de la gestion des entreprises, l'emploi à long terme fait que les organisations ont tendance à prendre en considération l'ensemble des dimensions des personnes à leur service et ainsi à devenir des communautés (kyôdôtaika ; ibid. : 184). Murakami (ibid. 184-185) note toutefois une tendance contraire, qu'il n'analyse pas en détail selon lui, on peut voir apparaître, au sommet des hiérarchies administratives, une élite qui concentre les responsabilités et qui, sur le plan culturel, prend en charge les valeurs instrumentales que la société de consommation tend à affaiblir. 

Sur le plan culturel (ibid. : 185-187), il y a tendance à l'homogénéisation du style de vie par la distribution des produits de consommation durables. Cette tendance peut être contrecarrée partiellement par le fait que la ségrégation géographique selon les couches sociales perdure, mais Murakami affirme que cette ségrégation n'existe pas au Japon (ibid. : 185). Dans le domaine de l'éducation, la scolarisation augmente fortement pour tous. Par ailleurs, les mass media uniformisent le contenu de la culture. Du point de vue des valeurs, une tendance apparaît à la perte de l'instrumentalisation : en effet, selon Murakami (ibid. : 186-187), la consommation entraîne la valorisation des choses en elles-mêmes plutôt que leur utilisation dans la production, ce qui fait que sur le plan des valeurs, on en vient à valoriser le présent plutôt que l'avenir, l'affectivité plutôt que l'efficacité, le loisir plutôt que le travail, le personnel plutôt que le social. La tendance nouvelle semble donc contredire l'éthique même de la société industrielle et elle est accompagnée de la perte du leadership culturel des couches moyennes au profit des larges masses. Mais, comme on l'a vu, elle est contrecarrée par l'apparition d'une élite administrative qui se dévoue aux valeurs instrumentales. Murakami ne définit pas plus précisément cette contre-tendance. 

L'ensemble des transformations que nous venons de noter dans les dimensions de la stratification mène à la déstructuration de la stratification des sociétés industrielles. Selon Murakami (ibid. : 187 et 193-194), malgré le progrès de l'organisation, il y a tendance à l'autonomie des diverses dimensions de la stratification, donc à la diversification de ces dimensions. Les anciennes distinctions de classes disparaissent et les masses prennent le leadership culturel. Il y a donc tendance encore plus forte à la non-unification des dimensions de la stratification. La classe moyenne n'est plus clairement séparée comme avant. On a maintenant une grande masse de gens qui se situent au milieu : c'est la grande masse moyenne, caractéristique de toutes les sociétés industrielles, mais surtout du Japon. La grande majorité en vient à se voir comme partie de la classe moyenne (c'est le cas clairement au Japon, où, dans les sondages, environ 90% des gens répondent qu'ils appartiennent à la classe moyenne et 50% à la couche moyenne de la classe moyenne ; sur ce point, voir Murakami 1984a : 167 et 189-198 ; voir Naikaku Sôridaijin 1991 : 83, pour des données plus récentes qui concordent avec celles de Murakami). Cette majorité partage un mode de vie standard. De plus en plus, elle a une scolarité élevée. Mais cette grande masse moyenne ne ressemble pas à la classe moyenne antérieure, qui se voyait comme intermédiaire entre la classe supérieure et la classe inférieure. Il s'agit plutôt d'une grande masse dont les contours sont flous, qui n'est pas structurée dans la stratification sociale et qui tend à inclure tout le monde (Murakami 1984a : 188). C'est au Japon, où la stratification ancienne était faible, que ce mouvement est le plus apparent. 

Que penser de cette théorie ? Reconnaissons tout d'abord avec Murakami la tendance de l'après-guerre à l'augmentation du niveau de vie dans les sociétés industrielles et, au moins dans certaines périodes, à l'égalisation relative des revenus. Reconnaissons aussi que le Japon est un des pays où cette égalisation a été la plus remarquable, surtout entre 1955 et 1988. Mais, malgré l'aplatissement de la pyramide des revenus au Japon, des inégalités sont demeurées. En ce qui concerne les revenus, des distinctions importantes existent toujours entre diplômés d'université (destinés à être cadres) et diplômés d'école secondaire (destinés au travail de bureau ou d'usine), entre salariés des grandes entreprises et ceux des PME (et du petit commerce), entre hommes et femmes, et entre Japonais reconnus comme tels et les membres des « minorités »(Coréens, Chinois, travailleurs migrants d'Asie du Sud-Est, mais aussi Ainous, intouchables [13], et même Okinawais). De plus, malgré les affirmations de Murakami, il y a encore au Japon des cas de ségrégation résidentielle selon l'appartenance de classes, et Berque (1976 : 188) affirme même que cette ségrégation a augmenté avec la réorganisation de l'espace urbain depuis le milieu des années 1960. 

Par ailleurs, on a vu dans la section « Gestion des entreprises et démocratie industrielle » que les promotions dans les grandes entreprises étaient sélectives. Ajoutons à cela que, dans les grandes entreprises, la distinction est claire entre les échelons supérieurs (chefs de service en montant), qui sont reconnus comme membres de la direction, qui ne sont pas soumis à la retraite obligatoire et qui, donc, peuvent continuer de recevoir des salaires élevés jusqu'à un âge avancé, et les échelons inférieurs qui sont soumis à la retraite obligatoire et qui, donc, connaissent des baisses importantes de revenus autour de 60 ans. En outre, si l'on admet avec Murakami la tendance à la séparation de la propriété et de l'administration, et s'il est vrai que les promotions sont au mérite, il faut néanmoins reconnaître que les familles qui ont conservé une bonne part de la propriété ou du contrôle réel de certaines entreprises (comme les Toyoda chez Toyota ou les Matsushita dans l'entreprise du même nom) ont de bien meilleures chances de voir leurs membres atteindre les postes de haute direction que des personnes non liées par la parenté (voir Cusumano 1985 : 185, pour ce qui est de Toyota). 

En outre, même si l'accès au système d'éducation, qui est devenu la porte d'entrée obligée au marché du travail, une porte différenciée selon la scolarisation et selon le prestige reconnu des institutions fréquentées, est fondé formellement sur le mérite, on s'aperçoit que, de plus en plus, l'entrée dans les institutions les plus prestigieuses dépend de conditions particulières qui en limitent la portée : par exemple, des enquêtes ont montré que le revenu familial moyen des étudiants acceptés à l'Université de Tokyo dépassait celui des autres universités, même des universités privées comme Keio et Waseda où les frais de scolarité étaient beaucoup plus élevés (Mouer et Sugimoto 1986 : 280). La raison de cette situation, c'est que les familles avec les meilleurs revenus, c'est-à-dire celles des fonctionnaires et des cadres, ont la possibilité d'envoyer leurs enfants non seulement dans les meilleures écoles officielles, mais aussi dans les meilleurs juku, c'est-à-dire les écoles complémentaires que les enfants, à partir d'environ 11 ans, fréquentent le soir et les fins de semaine pour mieux se préparer aux examens d'entrée des bonnes écoles ou universités. Or, l'accès aux bonnes universités, et en particulier à l'Université de Tokyo, est la garantie d'un emploi de fonctionnaire dans les ministères les plus prestigieux ou de cadre dans les meilleures entreprises. Il y a donc de plus en plus tendance à la reproduction d'une couche de cadres, ce qui limite la mobilité, donc qui empêche plusieurs personnes venant de couches moins fortunées d'avoir accès aux meilleurs postes. En outre, les diplômés des bonnes universités partent avec un avantage sur leurs collègues embauchés la même année, donc avec une certaine avance dans la course aux promotions. 

La tendance à la reproduction de la couche des cadres n'est pas nouvelle, puisque les études citées par Mouer et Sugimoto datent de la fin des années 1960. Cependant, elle semble s'être amplifiée depuis le milieu des années 1980. Par ailleurs, au même moment, les disparités de revenu et surtout de richesse ont augmenté, en particulier à travers la propriété du sol, les terrains en milieu urbain ayant connu des hausses phénoménales de prix. Les propriétaires de terrains ont alors eu en main d'énormes sommes d'argent (s'ils vendaient) ou des garanties pour des emprunts de montants élevés. La hausse des prix du sol a fait augmenter le nombre de personnes pour lesquelles l'accès à la propriété de leur propre maison ou de leur propre logement est devenu impossible. Les écarts de richesse, surtout par rapport à la propriété foncière, se sont donc accrus. 

Comment alors expliquer l'autoclassement de 90% des Japonais dans la classe moyenne et de la moitié d'entre eux dans la couche moyenne de la classe moyenne ? À ce sujet, il n'est pas nécessaire de reprendre en détail les objections de Bourdieu à ce genre de sociologie spontanée (Bourdieu 1979 : 551-564 ; 1984 : 5 et 13-15). Il suffit de mentionner que, dans ce type d'enquête, on demande à des personnes, qui savent se situer implicitement et pratiquement les unes par rapport aux autres, de se classer explicitement, sans pour cela avoir les outils théoriques ou méthodologiques pour le faire. Il en résulte un classement qui se base sur des impressions ou sur des aspirations et qui, tout en fournissant des données intéressantes qu'il s'agit par la suite d'analyser, ne peut être pris comme une description juste du système de positions qui caractérise la société étudiée. 

Notons aussi que le Japon n'est pas la première ni la seule société où la majorité des personnes se classent dans la classe moyenne. Les États-Unis des années 1950 et 1960 avaient aussi une grande proportion de répondants se classant eux-mêmes dans la classe moyenne. Il est bon de souligner les similitudes entre les Etats-Unis de cette époque, en pleine expansion, et le Japon des années 1965-1990 : croissance économique soutenue, entraînant la possibilité d'une mobilité sociale ascendante ; fort taux de scolarisation, en particulier au niveau postsecondaire, qui permet la production d'une main-d'oeuvre très formée (au moins aux échelons supérieurs) et qui devient le moyen privilégié de la mobilité sociale pour la majorité ; augmentation soutenue du revenu moyen, qui entraîne une forte hausse de la consommation et un progrès rapide des industries de produits de consommation durables. Notons aussi que le sentiment d'appartenance à la classe moyenne aux États-Unis, et les théories qui se fondaient sur lui, comme celle de Parsons, se sont considérablement affaiblis avec la diminution du taux de croissance qui s'amorce à la fin des années 1960. Par la suite, les théories d'une société américaine sans classes ont dû être modifiées pour tenir compte de la dissolution partielle de la classe moyenne (polarisation de cette classe, mais avec un plus fort courant de mobilité descendante qu'ascendante, surtout entre générations), de l'augmentation de l'écart des revenus et du développement de groupes présents auparavant mais moins visibles, comme ce que l'on appelle maintenant l'underclass ou les working poors, c'est-à-dire les sans-emploi chroniques et les travailleurs à faibles salaires, dont le nombre est en hausse. 

Le sentiment d'appartenance à la classe moyenne, dans le cas des États-Unis, s'est avéré temporaire et conjoncturel, et il semble bien, avec les tendances mentionnées plus haut à l'augmentation des écarts de revenus et à la reproduction de la couche des cadres, que le Japon est en train de connaître le même genre de développement. Certains facteurs pourront sans doute retarder cette évolution : le contrôle strict sur l'immigration qui limite l'augmentation du nombre des sans-emploi et des travailleurs mal payés ; les augmentations de productivité des industries japonaises, ce qui devrait leur permettre de concurrencer les entreprises étrangères sur le marché mondial et d'éviter la perte de l'avantage compétitif que les entreprises américaines, trop sûres d'elles [14], avaient connue dans les années 1970. 

La dernière objection à la théorie de Murakami porte sur la difficulté de soutenir simultanément, d'une part, qu'il y a déstructuration de la stratification et apparition d'une élite administrative qui concentre les responsabilités et qui défend les valeurs instrumentales et, d'autre part, qu'il y a mouvement historique général vers la déstructuration mais mouvements nationaux vers l'unification des dimensions de la stratification. Ces contradictions exigeraient un examen plus approfondi. Soulignons toutefois l'intérêt de l'idée de l'apparition d'une nouvelle élite définie par sa place dans l'administration, une idée qui contredit au moins partiellement la théorie fondamentale d'un tassement de la structure de classes et de l'uniformisation de la culture. Il est dommage que Murakami n'ait pas jugé bon d'élucider ces contradictions.

 

CONCLUSION

 

Cet examen de plusieurs écrits d'auteurs japonais au sujet des classes sociales et des inégalités au Japon, historiquement et actuellement, nous amène finalement à remettre en question la négation de l'importance des inégalités sociales au Japon, autant dans le passé que dans la période contemporaine. Cet examen nous incite à reconnaître que, malgré la mobilité sociale phénoménale des années 1965-1990 et malgré l'autoclassement de la majorité des Japonais dans la classe moyenne, il demeure au Japon des inégalités, que l'on peut analyser en termes de classes, et ces inégalités semblent en train de s'accentuer. Il faudra voir si cette accentuation est conjoncturelle, liée aux difficultés de l'économie japonaise depuis 1990, ou si elle est plus « structurelle », c'est-à-dire si elle constitue une tendance à plus long terme, liée à des caractéristiques plus fondamentales de la société et de l'économie japonaise. Plusieurs des indications présentées plus haut nous portent à croire qu'il s'agit de tendances structurelles, qui continueront de se développer dans les années 1990 et par la suite. Si c'est le cas, il y aura ralentissement et même renversement de la mobilité, surtout entre générations, comme ce fut le cas aux États-Unis dans les vingt dernières années. Les implications sociales de telles tendances dépendraient de leur ampleur et des mesures de contrôle établies par l'État. Mais il ne fait pas de doute que si ces tendances se maintiennent, il faudra s'attendre à des transformations profondes de la société japonaise. L'une d'elles, qui a déjà fait son apparition, est la baisse de l'éthique du travail chez les jeunes. Il est probable que, si la mobilité devient plus difficile, cette baisse s'accentue. 

 

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[1] La recherche nécessaire pour cet article a été faite grâce àune subvention du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada, d'une durée de trois ans (1988-1991), portant sur le nationalisme japonais, plus spécifiquement sur l'image que les intellectuels japonais avaient de leur propre société. Je remercie le CRSHC pour cette subvention. Je remercie aussi les étudiants qui ont participé à ce projet, et spécialement Michel Richard qui a résumé et traduit un certain nombre de textes japonais. dont le livre de Umesao et Tada (1972) et Nishio (1990a). La citation du livre dirigé par Umesao et Tada présentée dans l'article a été traduite par Michel Richard et Bernard Bernier. Toutes les autres citations ou résumés de textes en japonais sont de l'auteur de cet article. Les données sur l'organisation des entreprises et sur l'automatisation industrielle ont été obtenues lors de recherches dans des usines japonaises en 1986 et 1990. La recherche de 1986 a été financée grâce à une subvention de recherche de la Fondation du Japon.

[2] Les noms d'auteurs japonais mentionnés dans le texte suivent l'usage japonais, c'est-à-dire que le nom de famille précède le prénom : par exemple, dans le cas de Murakami Yasusuke, Murakami est le nom de famille.

[3] Il n'y a pas que les Japonais qui ont nié l'existence des classes ou la pertinence d'une analyse en termes de classes pour le Japon : plusieurs spécialistes américains ont importé dans les études japonaises la méfiance parsonienne envers l'analyse de classes ou ont adopté sans discussion le point de vue japonais. Dans cet article, je m'en tiendrai seulement aux spécialistes japonais, car les arguments utilisés dans l'examen des théories japonaises s'appliquent généralement aux présupposés de l'analyse des Américains.

[4] Bourdieu (1979) a montré comment les modes de consommation sont des marqueurs de positions sociales, et cela sans que les personnes ne les utilisent consciemment comme tels.

[5] Bourdieu (1982, 1984) nomme « classes » toutes les formes de divisions des sociétés. En réalité, il s'intéresse plus au processus de définition explicite de diverses catégories sociales, au processus de classement, qu'aux classes comme telles. Je préfère quant à moi limiter le terme « classe » à la différenciation sociale fondée sur une combinaison de la richesse, du pouvoir et du mode de vie, quitte à trouver d'autres termes pour les divisions fondées sur le sexe, sur l'origine ethnique, etc. Il s'agit là toutefois d'une préférence arbitraire, fondée sur la volonté de clarifier l'exposé, et cette préférence ne doit pas être conçue comme donnant une quelconque primauté ontologique ou théorique aux classes ainsi définies par rapport à d'autres formes de divisions sociales.

[6] Notons toutefois qu'Egami affirme la même unité des classes pour les États-Unis et l'URSS. Les différences marquées entre classes seraient surtout le fait de l'Europe de l'Ouest, de la Chine et du Moyen-Orient.

[7] La structure du ie comprend certaines caractéristiques importantes (pour plus de détails, voir, entre autres, Beillevaire 1986a ; et Bernier, à paraître a) : la maisonnée est une personne morale, qui dépasse sa manifestation à tout moment ; tous les membres de la maisonnée doivent tenter d'assurer la continuité temporelle du groupe ; en fait, la persistance de la maisonnée est le premier devoir de tous ; la maisonnée comprend non seulement les membres présents, mais aussi les membres passés et futurs ; la maisonnée a aussi un nom, un certain degré de prestige, des richesses, que les membres doivent tenter de maintenir ou d'améliorer ; le contenu de la maisonnée en termes de membres dépend des tâches à accomplir ; selon ce principe. la maisonnée peut comprendre plusieurs familles nucléaires, dont les membres sont hiérarchisés autour du chef de maisonnée ; le chef de maisonnée, qui est nommé par le chef précédent, est généralement le fils aîné de la famille principale autour de laquelle la maisonnée se construit, mais le chef peut choisir comme successeur un fils cadet ou même une personne non apparentée, car ce qui compte, ce n'est pas le lien de parenté, mais la compétence du chef dans la direction de la maisonnée.

[8] On peut trouver un résumé en anglais de certains aspects de ce livre dans Journal of Japanese Studies, numéro de l'été 1984 (voir Murakami 1984b).

[9] Il faut toutefois noter que lkegami voit la possibilité de contre-tendances qui limitent la portée d'une tendance principale.

[10] Selon Koike, une particularité du Japon vient de ce que les cols bleus jouissent d'un statut semblable à celui des cols blancs pour ce qui est de la sécurité d'emploi et des promotions (Koike 1984a : 215-217).

[11] Un résumé en anglais de ce livre de Murakami est disponible (Murakami 1982).

[12] Cette assertion au sujet de la disparition de la classe dirigeante en Allemagne et au Japon en 1945 est très discutable. On peut reconnaître que cette classe a été considérablement affaiblie, mais on ne peut en conclure à sa disparition. Dans le cas du Japon, la bureaucratie, qui constituait dans l'avant-guerre un des piliers du pouvoir, s'est maintenue presque intacte. Par ailleurs, plusieurs militaires se sont recyclés dans l'industrie. En outre, si près de 2 000 dirigeants d'entreprises furent exclus de la vie publique, les administrateurs de rang supérieur et moyen demeurèrent en place. Enfin, plusieurs des politiciens influents des années 1945-1970, y inclus les premiers ministres Yoshida, Hatoyama, Kishi, Ikeda et Satô, étaient des membres influents de la bureaucratie, des partis politiques ou des cabinets avant 1945. Sur cette question de la continuité entre la classe dominante de l'avant-guerre et les dirigeants de l'après-guerre, voir, entre autres, Dower (1979, en particulier : 306 sq.).

[13] Les « Intouchables » du Japon, appelés burakumin, sont les descendants, d'une part, de groupes dont les métiers étaient considérés comme impurs selon le bouddhisme ou le shintô (bouchers, tanneurs, fossoyeurs, etc.) et, d'autre part, de groupes jugés dangereux (acteurs itinérants, etc.). Selon les estimés, ils seraient maintenant entre deux et trois millions. Les burakumin, qui partagent un statut héréditaire bien que non reconnu officiellement, subissent encore une forte discrimination autant pour ce qui est de l'emploi que du logement ou du mariage (pour plus de détails, voir, entre autres, Sabouret 1983).

[14] Il faut reconnaître toutefois que plusieurs dirigeants d'entreprises, politiciens et universitaires japonais ont fait preuve dans les années 1980 d'une arrogance semblable à celle des Américains dans les années 1960. Pour des exemples dans la littérature académique. voir Hamaguchi (1981), Nakagawa et Ota (1981), Itami (1986), Aoki (1988), Hayashi (1988).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mai 2008 11:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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