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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Michel Bernard, L'UTOPIE NÉOLIBÉRALE (1997)
Préface de Michel Chartrand


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Bernard, L'UTOPIE NÉOLIBÉRALE (1997). Montréal: Éditions du Renouveau québécois et la Chaire d'étdes socio-économiques de l'UQÀM, 1997, 318 pp.

Préface
de Michel Chartrand

Tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droit.
Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
 
Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme

 

Le professeur Michel Bernard m'a fait un grand honneur en me laissant signer la préface de cet immense travail que constitue L'utopie néolibérale et je me sens bien incapable de rendre compte de toute sa valeur théorique ainsi que de sa profondeur philosophique et historique. 

Je lui suis grandement reconnaissant de répondre scientifiquement, dans un langage clair, à des intuitions et des questions que je me pose depuis l'âge de seize ans. En effet, depuis la Grande Dépression des années 1930, puis au cours des années d'après‑guerre et du début des années soixante, la question du chômage n'a cessé de me hanter. 

Je me souviens qu'à un congrès de la CSN, j'avais proposé l'ajournement du congrès, faute de quorum parce qu'on n'y avait pas discuté du chômage. Pendant toutes ces années où J'ai présidé le Conseil central de Montréal, le chômage était une préoccupation centrale, constante. Des dizaines d'activités ont été organisées pour le dénoncer. Des auteurs comme Guy Fournier et Marcel Dubé avaient même écrit des pièces de théâtre sur le sujet. 

Le chômage m'a d'abord perturbé, au début des années 1930, au cours de mes études au Collège Brébeuf, puis au Séminaire de Sainte‑Thérèse, alors que je voyais certains de mes condisciples, plus intelligents et plus studieux que moi, devoir mettre fin à leurs études parce que leur père avait perdu son emploi. Je me posais beaucoup de questions à propos du chômage et de ses causes. 

Mon père, fonctionnaire du gouvernement du Québec, était alors membre de quelques sociétés Saint‑Vincent‑de‑Paul à Outremont et à Montréal. La distribution de bons de nourriture et de paniers de provisions pour les sans travail occupait ses temps libres. Il nous parlait souvent des pauvres qui manquaient de charbon et de vêtements chauds l'hiver. Quand il y avait tempête de neige, il nous faisait remarquer que cela allait donner du travail. 

À ma sortie de la trappe d'Oka vers 1935, j'ai adhéré à la J.I.C., la Jeunesse indépendante catholique. À cette époque, à peu près tous les jeunes chômaient. Je voulais qu'on parle du chômage dans les réunions et qu'on talonne le gouvernement. Je me suis fait dire que ce n'était pas là le rôle d'un mouvement d'action catholique. J'ai quitté la J.I.C. 

En 1938, je me suis rendu en Abitibi avec de jeunes chômeurs de Montréal-Ouest à la colonie Dollard‑des‑Ormeaux, organisée par l'Association catholique de la jeunesse canadienne. Située dans le canton Saint-Dominique-de-Béarn, pas très loin d'Amos, elle relevait du ministère de la Colonisation du gouvernement de l'Union nationale. Nous couchions dans des tentes mal montées, la viande était entreposée dans un abri protégé par des filets contre les mouches. Elle faisandait. L'eau de la rivière Davie que nous buvions était impropre à la consommation selon le ministère de la Santé. Nous travaillions à ouvrir un chemin entre la rivière Davie et la rivière Harricana pour les compagnies minières. Près de la rivière Harricana, les colons logeaient dans une ancienne écurie. 

Neuf jeunes chômeurs colons de Montréal ont dû être hospitalisés à Amos et à Montréal. Trois sont morts. On a déclaré qu'ils étaient morts de tuberculose pour ne pas avouer qu'ils étaient morts empoisonnés. Le ministère de la Colonisation n'a pas voulu défrayer le coût du transport des corps d'Amos à Montréal. Ce sont de jeunes chômeurs colons qui se sont cotisés pour permettre à leurs familles de revoir le corps de leurs enfants. Seul The Montreal Star relata, à l'époque, ces faits, grâce à la complicité d'un journaliste ami de la famille, Monsieur Cusak. 

J'ai réalisé que ce n'était pas les Anglais ni les Juifs qui tuaient les Canadiens français, mais bien un gouvernement catholique et français, l'Union nationale. J'ai alors décidé de faire de l'action politique. Je suis allé voir Paul Gouin, le fondateur de l'Action libérale nationale, et lui ai demandé de poursuivre le gouvernement au nom des chômeurs morts sous les auspices du ministère de la Colonisation de l'Union nationale. 

En revenant d'Abitibi, j'ai voulu suivre des cours comme auditeur libre à l'École des hautes études commerciales. On me répondit qu'il n'y avait pas de place. Je me suis plutôt inscrit aux cours du soir en sciences sociale, économique et politique de l'Université de Montréal, rue Saint‑Denis. Le professeur d'anthropogéographie nous parlait de Quand le soleil était jeune, Avant que la lune naisse. Le professeur de sociologie appliquée nous entretenait des institutions du siècle passe mais jamais de celles de notre époque. Le professeur de science économique nous lisait un traité de science économique. Un soir, il prit trois quarts d'heure à nous expliquer qu'on fabriquait une chaussure plus vite à la machine qu'à la main. Je lui demandai, après le cours, pourquoi il avait pris tant de temps à nous expliquer une chose aussi simple. Il m'a répondu : « J'ai de la matière pour dix‑neuf cours et je dois en donner vingt-cinq. Alors, je brode ». Je lui ai rétorqué que je ne m'étais pas inscrit à des cours pour apprendre à broder, que je travaillais à l'imprimerie de sept heures du matin à sept heures du soir et que, parfois, je devais retourner à l'atelier après les cours, à dix heures du soir. L'inscription aux cours ne coûtait pas cher. Les professeurs n'étaient pas payés cher, s'ils l'étaient. Les cours ne valaient pas cher non plus. 

Ce fut la fin de mes cours académiques en science économique, mais non pas de ma recherche personnelle sur les causes du chômage et de la grande misère des peuples. Vers 1950, mon ami Jean‑Paul Geoffroy, de retour d'un stage en France, m'a fait connaître la revue Économie et Humanisme du père Louis-Joseph Lebret, ancien aumônier des marins. Le père Lebret, qui a participé à plusieurs comités des Nations Unies, a fustigé dans Suicide ou survie de l’Occident ? le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et affirmé que « le matérialisme pratique de l'Occident est aussi néfaste que le matérialisme philosophique de l'Est ». J'ai lu Jean-Marie Albertini et François Perroux qui aimaient répéter que l'économie doit être au service de « tout l'homme et de tous les hommes ». J'ai aussi lu d'autres économistes non orthodoxes, c'est-à-dire non capitalistes, mais également des économistes comme Alain Minc et autres faiseux capitalistes. Cependant, j'ai consacré très peu de temps aux exégètes des notes de la correspondance intime de Marx. Les marxistes scientifiques m'ont toujours fait suer. 

Pour l'étude de la démocratie, les œuvres de Maurice Duverger, et plus particulièrement Georges Burdeau, furent mes livres de chevet. Une phrase de Burdeau a même servi de thème à un congrès du Conseil central de Montréal du temps où J'en étais le président : « Il ne s'agit pas de surveiller le pouvoir mais de l'exercer. L'État n'est pas un spectateur ni un arbitre neutre; il doit être le promoteur du bien commun ». 

Je pourrais également parler des sociologues que m'a fait connaître le professeur Jacques Dofny, sociologue émérite et socialiste des plus respectable, soit Alain Touraine, Michel Crozier, Georges Balandier, Alfred Sauvy et, surtout, le grand Georges Friedman, l'auteur de Problèmes humains du machinisme industriel et Le travail en miettes. J'ai eu le bonheur de lui faire visiter mon imprimerie et il s'est montré agréablement impressionné en voyant comment j'avais annoté ses livres. 

Tous ces auteurs ont contribué à forger ma pensée sur les questions essentielles du chômage, de la démocratie et de la vie en société et me permettent d'apprécier l'importance de l'ouvrage de Michel Bernard. 

Son livre L'utopie néolibérale est d'une grande pertinence en ces années où le chômage atteint de nouveaux sommets et que la misère sévit pendant qu'une nouvelle classe d'affairistes s'en met plein les poches. 

On nous répète à satiété qu'« il n'y a plus d'idéologie, que les idéologies sont mortes avec l'URSS ». On nous parle plutôt de rationalisation, de mondialisation, de compétitivité, d'excellence, de dégraissage de la fonction publique, du retrait de l'État, etc. Le professeur Bernard démontre, au contraire, que ces thèmes sont on ne peut plus idéologiques, qu'ils portent les couleurs de l'idéologie néolibérale. 

L'idéologie néolibérale se propage et se transforme aujourd'hui en un mouvement pragmatique qui détruit les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs, les institutions publiques et les mesures sociales. Le droit de propriété est érigé en absolu, par‑dessus même le droit à la vie. Avec l'idéologie néolibérale vient le projet d'une société gouvernée par le marché. C'est la fin de la démocratie politique, mais également de la démocratie industrielle, sociale et économique, car on s'en remet au marché, et au seul marché, pour gérer les rapports de pouvoir. 

Cette idéologie anti-sociale ne peut se propager qu'avec la complicité des médias. Au Québec, la grande majorité des médias écrits sont la propriété et sous le contrôle de trois hommes : Conrad Black, Paul Desmarais et Pierre Péladeau. Et, dans nos sociétés modernes, posséder les institutions où s'élaborent les idées et se forme l'opinion publique, c'est posséder le pouvoir. 

En décortiquant le discours néolibéral, en retraçant ses fondements idéologiques, en confrontant ses dogmes avec la réalité concrète - ce qui est la seule méthode scientifique valable -, le professeur Michel Bernard a fait œuvre utile. Très utile. Son livre devrait servir de guide à toutes celles et ceux qui luttent pour un monde meilleur. 

Chacun doit combattre le néolibéralisme à sa façon, ne serait-ce qu'en refusant à cette idéologie des possédants et à son immense force de persuasion la possibilité de lui coloniser le cerveau. À ce que je sache, ce qui s'est fait de bon dans l'humanité s'est fait par la solidarité, la fraternité et la connaissance du système économique et politique dans lequel nous vivons. 

Merci, Michel Bernard pour un très grand livre. 

Michel Chartrand
Richelieu, 5 avril 1997



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 10 septembre 2008 18:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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