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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Paul Bernard, LES ROUGES.
Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle
. (1971)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Paul Bernard, LES ROUGES. Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle. Montréal: Les Presses de l'Université du Québec, 1971, 395 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 13 juin 2011 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.] Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 3 août 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

LES ROUGES.
Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme
au milieu du XIXe siècle.

Introduction


Dans l'histoire du Canada, on désigne généralement sous le nom de Rouges les libéraux doctrinaires et anticléricaux de l'époque de l'Institut canadien de même que les héritiers, au milieu du XIXe siècle, du radicalisme des Patriotes. Le parti rouge s'est formé entre 1848 et 1850. L'échec des soulèvements de 1837-1838 avait provoqué la désintégration du parti patriote, et des leaders comme Louis-Hippolyte LaFontaine et Augustin-Norbert Morin avaient réussi à gagner au parti réformiste l'appui de la majorité des Canadiens français. Quand apparut une minorité active qui attaqua le « modérantisme », voire le conservatisme des réformistes « pseudo-libéraux », ceux-ci dénoncèrent leurs adversaires « démocrates » et les affublèrent du titre de Rouges pour les assimiler aux révolutionnaires européens.

Avant 1854, Rouges et réformistes modérés se disputèrent le titre de libéraux. L'alliance des modérés avec les tories du Haut-Canada et la formation du ministère MacNab-Morin (1854) donnèrent d'une certaine façon raison aux Rouges qui purent s'intituler libéraux en face des libéraux-conservateurs condamnés, avec le temps, à devenir tout simplement les conservateurs. Mais dès la fin de la décennie de 1850, certains membres du parti libéral s'opposèrent au radicalisme de leur parti. Ils allaient triompher après 1867 et le parti libéral lui-même devait bientôt répudier le radicalisme. Comme mouvement, le rougisme se limite donc à la période de 1848-1867.

À l'absence de mouvement radical après 1867 au Canada français correspond une historiographie qui s'arrête peu au rougisme, qui l'explique assez mal et qui tend à minimiser son importance. Cette historiographie, dont la ligne dominante est nettement conservatrice jusqu'en [2] 1950, confirme elle-même, d'une certaine façon, la disparition du radicalisme dans la société canadienne-française.

Ce n'est pas que les Rouges aient été totalement ignorés. Dans les ouvrages généraux comme dans les œuvres qui portent sur la période de l'Union, on leur consacre quelques paragraphes et parfois même quelques pages. Des auteurs comme Turcotte (1871-1872), Royal (1909) ou Chapais (1919-1934), soulignent le retour d'exil de Louis-Joseph Papineau en 1845, sa candidature aux élections de l'hiver 1847-1848, l'apparition du parti démocratique, le mouvement annexionniste de 1849. De même, ils rappellent les succès électoraux des Rouges en 1854, leur alliance avec les libéraux du Haut-Canada et leur action contre le projet de la Confédération. Mais, en parfaite conformité avec le point de vue des adversaires des Rouges, Turcotte écrit : « ... la dissolution des chambres n'était pas d'une nécessité absolue, lorsque les trois quarts des députés, les autorités religieuses, presque toute la presse étaient favorables à la nouvelle constitution [1] ».

Plus riches en aperçus synthétiques et en données psychologiques, les pages de l'abbé Groulx sur les Rouges n'en confirment pas moins le point de vue de Turcotte et de Chapais. Plusieurs chapitres de Notre maître le passé, comme ceux intitulés « Un mouvement de jeunesse vers 1850 » et « l'Annexionnisme au Canada Français », touchent de près ou de loin à l'histoire des Rouges. L'historien écrit dans sa synthèse de l'histoire du Canada :

On se figure à peine le naïf et impétueux enthousiasme de cette jeune pléiade, groupée autour de son journal l'Avenir... L'idéologie de 48, filtrée par des esprits plus rigoureux, plus critiques, aurait pu produire quelques effets heureux. La jeunesse intellectuelle de ce temps-là, jeunesse animée du feu sacré, secoua louablement la léthargie canadienne. On lui doit la fondation de journaux, de sociétés d'étude, et en particulier, d'une dizaine d'instituts à travers la province, , instituts destinés à stimuler l'étude des problèmes nationaux. Pourquoi faut-il que, par manque de virilité d'esprit, elle n'ait pas su se protéger contre les utopies de l'époque, ni même s'épargner une crise d'anticléricalisme, ajoutant ainsi, à un peuple qui pouvait s'en passer, d'autres sujets de discordes [2] ?

Pour Groulx, le « démocratisme » de l'Avenir est une « maladie » qui couvre « un terrible esprit d'intrigue, de faction, d'insubordination contre les [3] chefs » et qui, par conséquent, menace « les intérêts supérieurs de la nationalité ».

Jusqu'en 1950, on pouvait aussi connaître les Rouges à travers l'ouvrage du Père Hudon, l'Institut canadien de Montréal et l'affaire Guibord (1938) et à travers celui de Marcel Trudel, l'Influence de Voltaire au Canada (1945). On a l'impression, dans le livre de Hudon, d'être en face d'un dossier contre l'Institut et d'un plaidoyer en droit civil et en droit canon. Quant à Trudel, qui nous a habitués à mieux depuis, il ignore l'aspect social du problème et il n'hésite pas à juger sans nuances, comme de purs attentats à la religion, le voltairianisme et l'anticléricalisme.

Il faut admettre que dans l'Union des deux Canadas, 1841-1867, publié en 1898 par L.-O. David, le son de cloche est quelque peu différent. David, qui était libéral, avait pour les Rouges, du moins pour les plus modérés d'entre eux, une sympathie qui a au moins l'avantage de les faire voir sous un jour meilleur. Il nous apprend ainsi qu'on était, à la veille de 1850, à une époque d'effervescence intellectuelle et que « le souffle de réforme, de liberté qui traversait le monde... avait pénétré sur nos rivages et remué l'âme de la jeunesse [3] ». Celle-ci désirait des réformes sociales, et après 1837, il était assez naturel qu'on pensât aux États-Unis comme à un paradis. David impute aux Rouges les premières fautes dans leur conflit avec le clergé :

Les théories démocratiques de l'Avenir, ... en faveur du suffrage universel, de l'abolition du pouvoir temporel du pape et des dîmes, de l'éligibilité des magistrats et des fonctionnaires publics, son hostilité agressive et radicale à l'égard de l'Angleterre et de l’Union, son acceptation du principe de la représentation basée sur le chiffre de la population, avaient, au point de vue religieux comme au point de vue politique, aliéné au nouveau parti les sympathies du clergé.

Le manifeste annexionniste acheva de convaincre les évêques et les prêtres que leur devoir était de s'opposer de toutes leurs forces au progrès de ce parti [4].

Par contre, à propos des années 1855-1860, David écrit : « [Les] exagérations libérales ne justifient pas les abus qu'un grand nombre de prêtres ont faits de leur influence spirituelle... [5] » Ainsi, aux élections de 1857 : « Toutes les fraudes, toutes les violences, toutes les influences indues et illégales furent mises en œuvre pour démolir les candidats libéraux. L'argent et les faveurs ministérielles achevaient de convaincre les âmes que les motifs religieux n'avaient pas complètement [4] converties [6]. » Admirateur de LaFontaine, David semble regretter la scission du parti de celui-ci, les excès radicaux, l'évolution du parti réformiste vers la droite et finalement l'alliance du clergé et du parti conservateur. Parce qu'écrit à la fin du XIXe siècle, son ouvrage parut très « libéral », alors qu'il ne l'était pas vraiment.

Dans son ouvrage The French Canadians, 1760-1945, publié en 1956, Mason Wade résume bien ce que l'on sait généralement sur le parti rouge. Il décrit la position des Rouges comme bien difficile, en face de l'« autoritarisme rigide » de Mgr Bourget et dans un pays où « plusieurs étaient devenus plus catholiques que le pape ». La perspective de Wade, comme celle de David, diffère de l'historiographie conservatrice. Cependant, Wade juge plutôt sommairement le refus des Rouges de suivre LaFontaine et de souscrire au compromis qui fit que le Canada français s'accommoda de l'Union. Il réduit le nationalisme séparatiste de 1848 - nationalisme qu'il qualifie d'outrancier - à un simple sentiment de jeunesse que l'expérience aura vite fait de changer.

Depuis une quinzaine d'années, il y a un renouvellement de la problématique dans l'étude de l'histoire du Canada français. Devenu plus critique en ce qui concerne ses orientations fondamentales, le Canada français peut lire son histoire avec des yeux neufs. Il lui fallait d'abord prendre une certaine distance à l'égard de ce que l'on a appelé « notre doctrine nationale » : à cela ont contribué, d'une part, l'évolution même de la société et, d'autre part, des travaux comme ceux de Cité libre, ceux des professeurs de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval et ceux des professeurs du Département d'histoire de l'Université de Montréal. Aux dénonciations du conservatisme, du cléricalisme et des élites nationales traditionnelles (Trudeau, Tremblay, Lamontagne) ont répondu les explications des déficiences du Canada français par la Conquête (Séguin, Frégault, Brunet). Dès lors étaient définis les deux pôles autour desquels allaient se concentrer les débats : d'un côté, l'auto-accusation, et de l'autre, l'hétéro-accusation.

Fernand Ouellet a tendance, avec Jean Hamelin, à souligner les lacunes du développement économique et social du Canada sous le régime français et, refusant de tout mettre sur le compte de la Conquête, il explique les crises du XIXe siècle par la permanence des mentalités de l'Ancien Régime, l'absence d'adaptation aux nouveaux impératifs du changement et le recours au nationalisme pour promouvoir les intérêts particuliers de la bourgeoisie professionnelle.

[5]

Les études de Maurice Séguin, Michel Brunet et Jean-Pierre Wallot font plutôt ressortir le caractère essentiel de la coupure de 1760 et la permanence des effets de la domination nationale et du nationalisme après la Conquête. Insistant sur le phénomène de structure, Wallot minimise les différences de niveaux culturels entre Canada anglais et Canada français et il souligne l'ouverture sur le monde des Canadiens français de même que la présence ininterrompue chez eux de courants progressistes. Les travaux de Claude Galarneau sur l'influence des idées françaises au Canada font également ressortir l'existence d'une tradition locale de gauche au XIXe siècle.

D'autre part, Philippe Sylvain a entrepris des études fouillées d'histoire religieuse qui permettent de se faire une idée plus juste de l'ultramontanisme et du libéralisme québécois au milieu du XIXe siècle. On lui doit en particulier d'avoir situé les courants idéologiques canadiens-français dans le contexte de leurs sources européennes. Grâce à lui, l'histoire de l'Institut canadien, particulièrement celle des relations entre l'Institut et l'autorité ecclésiastique, a été reprise dans un nouvel esprit.

Le sociologue Fernand Dumont a souligné, il y a quelques années, l'importance pour l'histoire des idéologies de la décennie qui suit l’Union de 1840. Après l'échec de l'idéologie formulée avant 1837, on en serait arrivé à une nouvelle façon de définir la situation et l'avenir de la nation canadienne-française : là serait apparu le nationalisme dominant jusqu'en 1950. Marcel Rioux situe au même moment la transition entre l'idéologie de l'indépendance nationale formulée par une élite laïque avant 1837 et l'idéologie de la conservation, « celle de la masse rurale dominée par le clergé ».

L'histoire des Rouges prend toute sa signification si on la place à l'intérieur des grands débats actuels. Les Rouges ont été, d'une certaine façon, les héritiers de l'idéologie des Patriotes et les témoins, engagés et critiques, des compromis qui conduisirent à l'acceptation de l'Union de 1840 et de la Confédération de 1867 : sur un autre plan, ils ont été les témoins et les victimes du triomphe du conservatisme et du cléricalisme. Il y a donc grand intérêt à connaître leur pensée et leur perception des événements. Jamais peut-être au Canada français, les différences idéologiques ne se sont traduites aussi directement dans les débats et les alignements politiques que pendant les années 1850 et 1860 : ce fait permet d'analyser mieux que durant d'autres périodes les conditions d'existence et de diffusion des idéologies. Le sort des partisans du suffrage universel et du scrutin secret, de la liberté religieuse et de l'indépendance devant le clergé, le sort des admirateurs des institutions américaines et des révolutions européennes, dans un peuple qu'on dit [6] généralement conservateur, dominé par le cléricalisme et fermé sur lui-même, peut sans doute contribuer utilement à la connaissance de l'idéologie dominante.

Au milieu du XIXe siècle, une fraction de la petite bourgeoisie a tenté de définir la société canadienne-française et la position du Canada français face au Canada anglais. Elle l'a fait en invitant les Canadiens français à se libérer de la domination des conservateurs et du clergé et à chercher pour le Canada français d'autres voies d'avenir national que l'acceptation de l'Union de 1840 et de la Confédération de 1867. Voilà le rougisme. Pour le connaître comme mouvement, il faut non seulement faire l'inventaire des thèmes qui ont été exploités par les Rouges, mais il faut aussi étudier la cohérence de ces thèmes et voir quels liens existent entre le radicalisme politique, l'anticléricalisme et le nationalisme. Il faut aussi connaître la traduction de ces thèmes idéologiques dans les programmes et les débats électoraux. Du côté de la méthode, c'est un minimum qu'il faut respecter et qui constitue déjà tout un défi à relever.

Au problème que représente l'étendue même du champ de recherche on doit ajouter que l'on connaît mal pour le milieu du XIXe siècle canadien-français les classes sociales et les structures économiques régionales. Sur un autre plan, des études systématiques plus particulières, comme celle du membership de l’Institut canadien, n'ont pas encore été faites. On peut donc comprendre que le présent travail ne peut pas être plus qu'une première vue d'ensemble. Une synthèse véritable, compréhensive et systématique, ne saurait venir qu'après des analyses qui restent à faire.

La pensée des Rouges s'est d'abord exprimée dans les journaux dévoués à leur parti. L'Avenir, jusqu'en 1852, et le Pays, par la suite, sont les principales sources à dépouiller. On trouve dans ces journaux non seulement des éditoriaux qui expliquent ou défendent les positions du parti, mais aussi quantité d'autres textes significatifs. La présentation des nouvelles européennes et américaines, l'information religieuse et les lettres des lecteurs sont souvent aussi révélatrices que les éditoriaux bien structurés. Il est d'autant plus nécessaire de recourir à l'Avenir et au Pays que l'on peut y trouver des comptes rendus des activités de l’Institut canadien, qui fut le foyer des idées libérales et le centre d'organisation du parti rouge. On ne peut ignorer d'autres journaux qui étaient fidèles au parti, comme le Moniteur canadien de Montréal, le Journal de Saint-Hyacinthe et le Défricheur de L'Avenir, non plus que les journaux libéraux de Québec comme le National et la Réforme. En plus de la pensée des journalistes, on peut trouver dans ces [7] journaux en temps d'élections, les manifestes des candidats, des comptes rendus d'assemblées et les résultats du vote.

Les Rouges ont publié un nombre assez considérable de brochures, de même que quelques volumes. Par contre, il reste d'eux très peu de choses dans les dépôts d'archives. C'est là une lacune importante qui explique sûrement, pour une part, que le parti rouge ait été oublié dans l'historiographie.

Nous avons attaché beaucoup d'importance au rayonnement de la pensée des Rouges. La question fondamentale, finalement, est peut-être de savoir si leur influence a été considérable, s'ils avaient des racines dans le milieu et s'ils avaient un auditoire auquel s'adresser. Aussi est-on amené à se demander quel a été le tirage de leurs journaux, quelle force et quels caractères présentaient l'Institut canadien de Montréal et les dizaines d'instituts qui furent fondés à son exemple à travers tout le Bas-Canada. Mais c'est l'analyse des résultats électoraux qui permet le mieux de mesurer l'influence des Rouges à une époque où le radicalisme s'exprimait dans la vie politique et où les radicaux étaient plus que quelques journalistes ou écrivains non conformistes.

Connaître le nombre de Rouges élus à chaque élection demeurerait bien insuffisant. Car on peut être candidat défait avec 49 % des voix alors que le candidat victorieux, avec 51 % des voix, est le seul dont on retient le nom. On sait aussi que le scrutin uninominal à un seul tour, de surcroît ouvert à l'époque, tend à exagérer la force du parti majoritaire en lui donnant une proportion des sièges de beaucoup supérieure au pourcentage des voix accordées à ses candidats. Aussi est-il nécessaire de tenir compte du nombre de voix obtenues par chaque candidat et de faire de cette donnée le critère même de la popularité du rougisme.

D'autre part, les comtés gagnent à être classés par régions plutôt que par ordre alphabétique pour l'analyse des résultats électoraux. On peut dès lors calculer facilement le pourcentage des voix données aux Rouges dans un ensemble de comtés unifiés par des facteurs géographiques ou par des influences communes. Comme c'est en milieu canadien-français que nous tentons de mesurer la popularité des Rouges, nous pouvons nous permettre d'organiser les données chiffrées en considérant à priori, comme non pertinentes, celles des comtés majoritairement anglophones.

Les premiers problèmes proviennent des lacunes dans les données : ainsi, pour les élections de 1851, on ne connaît pas les détails de tous les résultats électoraux et ces trous dans la documentation sont sans remède. Viennent ensuite les problèmes relatifs aux élections par acclamation. [8] Donner au vainqueur par acclamation autant de votes qu'il y a d'électeurs inscrits (leur nombre n'est d'ailleurs pas toujours connu) exagère l'importance d'un comté par rapport aux autres. Le plus juste est probablement de donner alors au vainqueur cent pour cent du vote « supposé », si l'on suppose qu'il y aurait eu un nombre de votes exprimés égal à la moyenne du nombre de voix exprimées aux deux élections précédant celle où le candidat a été élu par acclamation. Cette méthode, qui n'est pas sans arbitraire, a l'avantage d'être simple et commode. Elle permet, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des acrobaties, d'intégrer les résultats des élections par acclamation dans les séries chiffrées dés résultats des élections contestées.

Reste un dernier problème, le plus grave, celui de l'interprétation d'ensemble de tout le système. Car les consultations électorales ne sont pas exactement des sondages d'opinion et la correspondance n'est pas nécessairement parfaite entre les votes pour les Rouges et leur influence. Mais on ne ressuscitera pas les électeurs du siècle dernier pour leur faire subir des interviews et pour analyser leurs réponses selon des échelles d'attitude. Soulignons modestement que l'histoire, c'est le passé, mais dans la mesure seulement où il nous est possible de le connaître. Nous avons très consciemment essayé de dépasser les étiquettes (v. g. être candidat libéral ne signifie pas grand-chose) et, à la lumière des articles de journaux, des thèmes des campagnes électorales et des comptes rendus des travaux parlementaires, nous avons tenté de déterminer la portée « idéologique » de chaque candidature. Nous n'ignorons pas que certaines candidatures n'ont justement pas de portée idéologique et que certains électeurs peuvent exprimer par leur vote leur mécontentement contre le gouvernement conservateur plutôt que leur adhésion au programme des libéraux. Malgré un certain nombre d'erreurs d'appréciation nous croyons approcher d'une certaine vérité de type statistique. Une cinquantaine de comtés francophones, six élections générales, sept si nous considérons en 1867 les élections provinciales et les élections fédérales qui ont lieu au même moment, voilà une base assez large, si la méthode d'ensemble est bonne, pour justifier la tolérance d'un certain nombre d'erreurs.

On peut enfin dresser des listes de données chiffrées et dessiner des cartes permettant de cerner d'un seul coup d'œil les aires d'influence des Rouges en regard de celles des Bleus, en regard de celles des modérés - dont le programme emprunte et aux Rouges et aux Bleus - et en regard enfin de celles qui échappent à ces tendances. À chaque élection correspondent deux tableaux et deux cartes. Le premier tableau et la première carte représentent ce qu'on peut appeler la grande région de [9] Montréal, tandis que le deuxième tableau et la deuxième carte représentent la grande région de Trois-Rivières et de Québec. Le territoire dont la population est majoritairement canadienne-française est ainsi divisé en deux sections géographiques relativement égales au point de vue démographique, et assez individualisées. Cette division en sections simplifie le problème de la présentation des données chiffrées et de l'échelle de représentation sur cartes des comtés électoraux.

Comme l'histoire de l'Institut canadien de Montréal, celle des journaux rouges et celle des luttes électorales sont étroitement liées, il n'y a pas lieu de les étudier successivement. Mieux vaut diviser la matière par périodes, en suivant la chronologie. L'étude peut donc se répartir en cinq parties qui seront autant de chapitres. Le premier situe les origines du parti rouge dans les années qui précédèrent et celles qui suivirent 1837. Le second (1847-1852) étudie l'époque du journal l'Avenir et la première formulation de l'idéologie des Rouges. Le troisième (1852-1858) va de la naissance du Pays jusqu'à la guerre ouverte de l'Église contre l'Institut canadien. Le quatrième (1858-1863) se termine aux élections de 1863 et à la tentative de réconciliation avec le clergé. Le cinquième (1863-1867) rappelle les deux luttes perdues des Rouges contre la Confédération et contre l'autorité ecclésiastique de même qu'il souligne la régression du mouvement radical après 1867.



[1] Nous avons respecté l'orthographe des auteurs cités. Cette remarque s'applique à toutes les citations du livre.

Louis-P. Turcotte, le Canada sous l'Union (1841-1867), Québec, des presses mécanique du Canadien, 1871, p. 560-561.

[2] Lionel Groulx, Histoire du Canada français depuis la découverte, Montréal, Fides, 1962, vol. 2, p. 224.

[3] L.-O. David, l'Union des deux Canadas, 1841-1867, Montréal, Eusèbe Senécal, 1898, p. 89.

[4] Ibid., p. 115.

[5] Ibid., p. 155-156.

[6] L.-O. David, op. cit., p. 170.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 2 janvier 2013 14:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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