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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le syndicalisme dans l’enseignement. Histoire de la Fédération de l’enseignement
des origines à l’unification de 1935
.
François BERNARD, Tome 1. Des origines à la Première Guerre mondiale. (1969)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre de François BERNARD, Louis Bouët, Maurice Dommanget et Gilbert Serret (1968-69), Le syndicalisme dans l’enseignement. Histoire de la Fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935. François BERNARD, Tome 1. Des origines à la Première Guerre mondiale. Présentations et notes de Pierre Broué. Toulouse: Centre régional de documentation pédagogique, 1968-1969. Collection: Documents de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble. Une édition numérique de Claude Ovtcharenko, journaliste à la retraite dans le sud de la France.

Le syndicalisme dans l’enseignement.
Histoire de la Fédération de l’enseignement
des origines à l’unification de 1935.

Tome I. Des origines à la Première Guerre mondiale.

Présentation

_______

L’Histoire du syndicalisme universitaire a été rédigée en 1938 par quatre enseignants, François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget et Gilbert Serret. Militants syndicalistes, ils avaient été les animateurs et les dirigeants à des titres divers de la Fédération de l’Enseignement adhérente à la C.G.T. unitaire. En 1935, lors de la réunification syndicale en C.G.T. et C.G.T.U. pour laquelle ils avaient combattu, mais qui ne se réalisait sur des bases qu’ils jugeaient dangereuses, les délégués du dernier congrès fédéral avaient confié à quatre des leurs la tâche de rédiger l’histoire et de dresser le bilan du syndicalisme universitaire à cette date. Or cette œuvre est demeurée partiellement inédite. Seules les deux premières parties, confiées à François Bernard et à Louis Bouët, ont en effet été publiées, après-guerre, sous forme de fascicules aujourd’hui introuvables, par les soins de la coopérative des Amis de l’École émancipée, qui prolonge au sein de l’actuelle Fédération de l’Education nationale (F.E.N.) l’action de l’ancienne « majorité fédérale ». Les deux dernières parties, rédigées par Maurice Dommanget et Gilbert Serret, n’on jamais vu le jour, quoique le texte de Dommanget ait été entièrement composé lorsque la déclaration de guerre vint pour de longues années interrompre l’œuvre entreprise.

La Fédération de l’Enseignement de la C.G.T.U., la « fédération unitaire », pour employer le terme qui servit pendant quinze ans à la désigner, n’était pas, à la différence de bien d’autres fédérations syndicats, issue de la scission de 1921. La Fédération nationale des syndicats d’instituteurs et institutrices publics de France et des colonies dont l’adhésion à la C.G.T., décidée en 1907, était devenue effective en 1909, « tant en effet l’unique organisation syndicale d’enseignants d’avant-guerre. C’est à son congrès de Tours, en août 1919, qu’elle changea de nom pour s’intituler désormais Fédération des membres de l’Enseignement laïc ; une des bastions de l’opposition internationaliste à l’intérieur de la C.G.T. depuis 1915, l’un des fers de lance de l’opposition révolutionnaire à la direction réformiste de la C.G.T. au lendemain de la guerre, elle adhérait en bloc à la C.G.T.U. au lendemain de la scission de 1921. Au même moment, l’ancienne Fédération des Amicales d’Instituteurs, devenue en 1919 seulement la Fédération des Syndicats d’Instituteurs, puis, en 1920, le Syndicat National des Instituteurs et Institutrices de France et des colonies, adhérait de son côté à la C.G.T. Sans négliger pour autant le rôle du « S.N. » auquel ils consacrent de nombreuses pages, les auteurs, militants de la Fédération, considèrent avec raison sur le plan historique que leur courant était le seul courant syndicaliste : le S.N., qui se situait, lui, dans le prolongement direct de la Fédération des Amicales, était à leurs yeux un courant « amicaliste ».

On lira avec intérêt les pages consacrées par François Bernard au conflit entre le « syndicalisme » basant son action sur la reconnaissance et la nécessité de la lutte des classes, mettant au premier plan la solidarité matérielle et morale avec les travailleurs manuels, la classe ouvrière au premier chef, et l’« amicalisme », organisation de défense des intérêts corporatifs étroits de la profession, « trade-union » au sens primitif du terme, plaçant au premier rang de ses préoccupations la collaboration avec les « autorités », le « dialogue », et, éventuellement, la « contestation ». Le fait est qu’après la Grande Guerre, sous l’effet de la poussée qui transforme les syndicats en organisations de masses, les syndicalistes d’autrefois se retrouvent à la C.G.T.U. sous l’étiquette de « syndicalistes révolutionnaires », cependant que les anciens amicalistes, se proclament désormais « syndicalistes », se rassemblent dans la C.G.T. La nuance est sans doute difficile à saisir pour le profane, particulièrement aujourd’hui où le syndicalisme – et pas seulement le syndicalisme universitaire – s’est profondément imprégné, dans sa réflexion comme dans sa pratique, de l’« amicalisme » qu’il condamne toujours en principe. Le lecteur saisira plus concrètement cette opposition en la suivant, de l’intérieur, pendant ces années de lutte entre les deux courants et les centrales dans lesquelles ils s’incarnent, C.G.T. réformiste et C.G.T.U. révolutionnaire, et les syndicats enseignants correspondants, le « S.N. » et la « fédération ».

On aurait pourtant tort de réduire la divergence entre tenants de l’amicalisme et fidèles du syndicalisme – ou, pour faire une concession à l’usage, entre tenants de deux conceptions différentes du syndicalisme – à une simple opposition entre « réformistes » et « révolutionnaires ». Opposition dans les perspectives à long terme entre ceux pour qui l’action syndicale doit aboutir à l’abolition du salariat et à la destruction du capitalisme, et ceux pour qui il suffit d’aménager au mieux, dans le cadre du régime capitaliste, les intérêts matériels et moraux des membres de leur corporation, elle ne peut être ramenée, comme on l’affirme trop souvent, à l’opposition dans la pratique entre « rêveurs » qui veulent transformer le monde et « réalistes » qui s’attachent à des réformes graduelles. La réalité est plus dialectique, ou, si l’on préfère, plus nuancée : Maurice Dommanget, dans la troisième partie de cet ouvrage, s’attache à démontrer, preuves à l’appui, que c’est seulement parce qu’elle avait des perspectives révolutionnaires que la Fédération fut capable de lutter efficacement pour de véritables réformes.

Ce n’est pas par hasard que, sur ce point entre autres, il évoque l’autorité de Lénine et l’expérience des bolchéviks au même titre que celles de Griffuelhes, Pelloutier et des autres pionniers de la C.G.T. La biographie d’un Louis Bouët, socialiste militant et animateur de la fédération avant-guerre, membre du noyau révolutionnaire et internationaliste pendant la guerre, dirigeant du Parti communiste en ses débuts et secrétaire de la fédération que ses adversaires désignaient alors comme la « fédération Bouët », est la meilleure illustration de cette continuité, ou, pour employer le mot de Madame Kriegel, historienne des débuts du mouvement communiste en France, de ce « syncrétisme » qui permettait à l’anglais Tom Mann d’écrire dans la Vie ouvrière, au lendemain de la Révolution russe : « Bolchévisme, spartakisme, syndicalisme ont le même sens révolutionnaire ». Il est vrai que l’ensemble des conceptions militantes des syndicalistes révolutionnaires de la C.G.T. d’avant 1914 faisaient d’eux, dans toute l’Europe occidentale, les militants ouvriers les plus proches de la pratique bolchévique. Parlant de Pelloutier, Rosmer qui fut l’un des plus éminents d’entre eux, a pu écrire : « Lutte pour les revendications immédiates de la classe ouvrière qui permet le rassemblement du plus grand nombre d’ouvrier autour de l’organisation, et, en même temps, évocation des perspectives plus lointaines de la révolution sociale qui, en élargissant l’horizon des luttes quotidiennes, prépare la formation du groupement capable de lutter dans son ensemble, et, par suite, de servir de guide à la classe ouvrière dans sa bataille d’aujourd’hui et de demain. Base solide de tout mouvement révolutionnaire que Lénine et les bolchéviks, partis d’un autre point, l’idée de parti, ne cessaient de rappeler à leurs militants ». Trotsky, sur la base d’une analyse semblable, n’écrivait-il pas en 1921 à son ami Pierre Monatte : « Tout votre travail antérieur n’a été qu’une préparation à la fondation d’un parti communiste, à la révolution prolétarienne. Le syndicalisme d’avant-guerre était l’embryon du parti communiste ».

Il n’en est pas moins vrai qu’à partir de 1924, de façon générale, à partir plus précisément de 1929 dans la Fédération unitaire, le Parti communiste s’est engagé, sous le drapeau de la « bolchévisation » d’abord, sous le mot d’ordre de la « direction unique » ensuite, sur les slogans enfin de la « troisième période », dans un effort systématique pour se subordonner la C.G.T.U., et que bien des militants syndicaux communistes s’opposèrent de toutes leurs forces à cette domestication. L’entreprise eut comme première conséquence, dans presque toutes les fédérations, de provoquer la crise, la chute des effectifs, l’impuissance, quand ce n’était pas le pur et simple ralliement à la C.G.T. Mais elle échoua dans la Fédération de l’enseignement. On notera avec intérêt que nombre des responsables de la « fraction » communiste ou des porte-parole de l’appareil, depuis Dommanget, Rollo, Hérard et Aulas, avant la constitution de la « majorité fédérale » en minorité à l’intérieur de la C.G.T.U., jusqu’à Léon Vernochet et Guilloré ensuite, ont fini par quitter le Parti communiste ou par en être exclus : preuve que l’instrument de la domestication, le parti lui-même, ses militants, n’étaient pas l’outil impersonnel, passif et bêtement discipliné que dénonçaient déjà nombre de ses adversaires. Pour arriver à ses fins, l’appareil stalinien dut vaincre d’abord les résistances des militants communistes. Dans la Fédération, il n’y parvint pas.

La lutte interne ainsi déclenchée avait pourtant de graves conséquences. D’abord, la majorité de ces communistes qui tenaient bon pour que la C.G.T.U. demeure une organisation syndicale authentique allaient peu à peu cesser de lutter sur le plan politique, sur le terrain du communisme, dans le parti ou à l’extérieur, pour se placer de nouveau exclusivement sur le terrain syndical, ressusciter le « syndicalisme révolutionnaire » et se rallier progressivement à l’« indépendance du syndicalisme » qu’ils avaient longtemps énergiquement condamnée. Ensuite, parce que les coups portés à la Fédération de l’enseignement par les appareils du P.C. et de la C.G.T.U. stalinisée allaient briser son développement, accaparer l’attention et les forces de ses militants, les obligeant à une lutte épuisante et démoralisante, rebutante aussi pour les jeunes. Ce n’est pas sans un serrement de cœur que les militants de toutes générations liront dans cet ouvrage les lignes pourtant sobres du compte-rendu du congrès de Marseille, et revivront l’introduction dans le mouvement syndical des méthodes de gangstérisme, de violence aveugle, de fanatisation et de manipulation de militants ignorants, qui allaient permettre à Trotsky d’écrire que le stalinisme était devenu « la syphilis du mouvement ouvrier ». Un spectacle significatif en tout cas : preuve supplémentaire que seuls des commentateurs intéressés ont pu convaincre d’honnêtes gens que le stalinisme était le continuateur du bolchévisme alors qu’il ne vint à bout de sa résistance que par la violence et la terreur.

Dans le cas de la Fédération unitaire, il est plus remarquable que la poignée des révolutionnaires de la première génération, les Bernard, les Bouët et les autres, aient pu tenir, mais encore aient été capables de gagner des militants plus jeunes, les Dommanget d’abord, les Serret et les Aulas ensuite, les Salducci et les Valière enfin. Ici, à la différence des autres secteurs du mouvement ouvrier, il n’y a pas eu solution de continuité, mais poursuite du travail militant entrepris au début du siècle, sur les mêmes bases et conformément aux mêmes principes. Constamment menacés par la répression d’un État républicain peu enclin à l’indulgence vis-à-vis des idées subversives des maîtres d’école, cibles de certains milieux d’affaires et de « lobbies » cléricaux, objets de l’ironie, des manœuvres et des attaques souvent concertées avec l’administration, des amicalistes du S.N. – fiers de leurs gros bataillons de syndiqués passifs, prudents et intéressés – obligés de se défendre contre la calomnie et la brutalité au sein de leur propre confédération, traqués de tous côtés dans une extraordinaire « chasse à la sorcière », les dirigeants de la Fédération unitaire de l’enseignement et la majorité des militants n’ont pas baissé les bras. Minorité triplement opprimée, ils présentent néanmoins de leur action un bilan nettement positif. Cela donne à réfléchir au moment où, précisément, la pente du défaitisme et du découragement redonne vigueur et apparence de raison aux arguments du « réalisme » et de l’« efficacité » en faveur d’une politique de présence et de dialogue qui ramène en réalité le mouvement ouvrier soixante années en arrière et ne fait que peindre de couleurs modernistes les thèmes anciens de l’amicalisme.

À lire son histoire, on sera frappé de l’extraordinaire efficacité de ce petit groupe de militants. Aucune période, aucun rapport de forces ne leur paraît jamais vidé de toute possibilité d’action. Ils se refusent à subir sans réagir, et, du fait de leur petit nombre comme de leur qualité, savent réagir avec une autre efficience que les grandes organisations, soucieuses avant tout de conserver leurs effectifs et de préserver leurs rangs gonflés d’attentistes, d’hésitants et d’opportunistes. On note leur souci, aussi bien dans le choix des mots d’ordre que dans celui des moyens d’action préconisés, d’augmenter à tout instant la participation des enseignants à la lutte, et, du coup, d’accroître leur conscience, afin de pouvoir ensuite les élever plus facilement à l’étape supérieure du combat qui les attend. On remarque leur attachement à la démocratie syndicale, leur respect de la liberté des tendances qui prétendent pourtant les bâillonner ou les écraser, la franchise des explications qu’ils donnent, leurs efforts permanents pour faire prendre conscience et décider par les militants en toute connaissance de cause, sans jamais farder ni dissimuler la vérité. Ces dirigeants ont la préoccupation de lutter contre leur propre bureaucratisation, la volonté de refuser de devenir des « bonzes » à l’image de ceux qu’ils combattent.

Il fallait beaucoup d’audace et de foi dans les ressources du militantisme pour confier la direction nationale de l’organisation à des sections départementales, pour placer le centre de gravité et le cerveau du syndicat loin du ministère et de ses antichambres, au cœur du pays, dans les montagnes ardéchoises par exemple, là où précisément se trouvait le véritable établi de l’instituteur, ce prolétaire en veston. Il fallait beaucoup de conscience et aussi de confiance dans les possibilités créatrices de l’action militante, dans les ressources de l’instituteur de « la base » – comme on dit aujourd’hui – pour faire une règle absolue du fonctionnement de l’organisation syndicale de refus des « permanents », coupés des conditions de vie de ses camarades, ou du « renouvellement des responsables » – dont l’optique change à force d’occuper toujours le même poste et d’avoir toujours le point de vue du « sommet ».

En fait, on peut dire que l’organisation syndicale des enseignants de la C.G.T.U. – et c’est sa profonde originalité – fonctionne avec la préoccupation constante de ce que sont les exigences de la lutte contre la société et l’ordre anciens et celles de la construction d’une société nouvelle. En bataillant contre l’institution des « directeurs-adjudants », la Fédération ne rêve pas de directeurs dont elle contrôlerait, par le biais de commissions, paritaires ou non, les nominations, s’érigeant ainsi en administration parallèle : solution « amicaliste » combien précaire si l’on s’en réfère à la situation en train de se créer aujourd’hui ! Elle se bat pour la suppression des fonctions de directeur, pour l’attribution de leurs prérogatives au conseil des maîtres, apprentissage de la gestion de la société socialiste, apprentissage et pratique de la démocratie ouvrière qui est la condition d’une lutte réellement efficace. En lançant la revendication du « traitement unique », elle se soucie peu de n’avoir pas, par le biais d’une « participation » ou de tout autre « consultation », le moyen de satisfaire aux vœux d’une clientèle qui se syndique comme on contracte une assurance : elle cherche à effacer les divisions introduites dans les rangs des enseignants par le système démoralisant des « promotions », l’arbitraire des « pourcentages », à créer les conditions pratiques, matérielles, d’une véritable action unie d’enseignants dont les revendications ne pourraient se contrarier si leurs conditions étaient uniformes. Elle refuse d’accepter comme article de foi l’inégalité des salaires entre jeunes et vieux, entre hommes et femmes, et, malgré le scepticisme des prétendus réalistes, elle obtient d’importants succès sans jamais renoncer aux principes et au but en dehors desquels le mouvement n’est rien.

Syndicat d’enseignants, durement frappée au début du siècle pour sa volonté de prendre place dans les rangs de la C.G.T. centrale ouvrière, la Fédération ne se contente pas de références rituelles à la classe ouvrière dans ses résolutions de congrès. Ses militants savent qu’ils sont avant tout des hommes chargés d’instruire les enfants des ouvriers. De ce point de vue, ce ne sont pas des phrases creuses qu’ils font sur les « usagers » : c’est avec la Fédération des Ports et Docks que les enseignants de la C.G.T.U. étudient et mettent au point le projet – largement utilisé depuis – d’écoles pour les enfants de bateliers jusque-là livrés, au hasard du « nomadisme » de leurs parents, à une scolarité intermittente et incertaine. Si les aspects « corporatifs » des questions syndicales semblent être parfois un peu négligés, c’est qu’aux yeux de ces maîtres, les questions pédagogiques sont de première importance : le contenu et la forme de leur enseignement leur importent, non du point de vue dont il sera jugé par l’inspecteur, non de celui de leur propre commodité, mais de celui des enfants dont ils ont la charge et que les travailleurs leur confient pour en faire des hommes capables de lutter, c’est-à-dire, au premier chef, d’apprendre et de connaître. Rénovation des méthodes pédagogiques propagande pour les méthodes actives – ce qu’on appelle aujourd’hui encore « pédagogie nouvelle » – tout cela est à mettre à l’actif des maîtres de la Fédération, avec la lutte contre les auteurs médiocres que les éditeurs réservent à la clientèle enfantine, contre l’histoire conventionnelle et chauvine que trop de maîtres acceptent d’enseigner par résignation ou par ignorance : leurs livres de classe – le « Manuel d’Histoire » qui recevra l’hommage significatif d’Albert Mathiez –, leurs Editions de la Jeunesse ont été, depuis, imitées, jamais égalées.

Or les résultats sont là. Tandis que la C.G.T. reste depuis 1909 et demeurera jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale sous la houlette du même Léon Jouhaux, les « leaders » se succèdent à la tête de la Fédération unitaire, poursuivant l’œuvre des aînés, préparant la relève, initiant les militants des départements, la Saône-et-Loire après le Morbihan, avant l’Ardèche et les Bouches-du-Rhône, refusant de croire et démontrant qu’il est faux qu’il ne soit de militant parisien ou provincial « monté à Paris », fondant dans une véritable équipe – l’opposé d’une clique – des hommes et des femmes de générations et de provinces différentes, créant finalement un type nouveau de militant, un type nouveau de dirigeants syndicaux, ces couples militant-militante qui se sont succédés à sa tête sans jamais quitter la salle de classe, unis dans la vie comme dans l’action syndicale. Gilbert Serret, le petit homme au regard vif qui rédige en 1938 ces pages lucides en même temps que brûlantes de passion avant d’être en novembre le porte parole de la minorité révolutionnaire au congrès de Nantes de la C.G.T., était aussi le « Gilbert » que connaissaient et aimaient les travailleurs de l’Ardèche, chaufourniers de Lafarge ou cheminots du Teil, l’auteur d’une remarquable étude sur la question paysanne. Il était ce type d’homme et de militant parce qu’il continuait l’action de ses aînés, Bernard et Bouët comme Dommanget, parce qu’il avait été, sur les bancs de l’École Normale, comme dans la Fédération, l’élève d’Élie Reynier, parce qu’enfin il avait pour compagne France Derouet qui fut associés étroitement à tout ce qu’il pensa et entreprit.

De même, au moment où le contrôle des naissances et le problème de la maternité consciente se sont imposés comme des problèmes brûlants au point de devenir des armes dans la compétition électorale, force est de constater qu’il y a quarante ans, c’étaient les militantes de la Fédération unitaire qui posaient – avec quel éclat et quels risques – ces problèmes devant l’opinion et en faisaient une bataille de classe dans la campagne de meetings menée en 1928 pour la défense d’Henriette Alquier poursuivie en application de la fameuse loi de 1920 sur la propagande en faveur des méthodes anticonceptionnelles.

Étudiée sous tous les angles, l’histoire de la Fédération unitaire livre une riche expérience. Elle mérite d’être méditée aujourd’hui, dans un contexte social et politique dont la nouveauté par rapport à des périodes antérieures de réaction politique et sociale reste encore à démontrer. Elle rend parfaitement compte en tout cas de ce fait que les commentateurs de la presse quotidienne continuent de découvrir chaque année avec stupeur dans les congrès enseignants et à juger aberrant : l’existence dans les syndicats de la F.E.N. d’une tendance syndicaliste révolutionnaire, l’École émancipée, la plus ancienne par ses origines, et la plus jeune par son recrutement. État d’esprit et pratique, le syndicalisme révolutionnaire plonge des racines profondes dans le passé des syndicats enseignants, et c’est ce qui explique qu’il n’y ait pas été détruit par des années de stalinisme et puisse encore aujourd’hui y combattre l’amicalisme incarné par ses adversaires de toujours, les frères ennemis d’hier.

L’Institut d’Études Politiques de Grenoble a jugé que ce travail méritait de prendre place dans sa collection de « Documents ». Qu’il me soit permis d’indiquer ici en son nom les raisons de cette décision.

Cette histoire n’est pas une œuvre historique au sens universitaire du mot. Elle est cependant beaucoup plus qu’une simple chronique. Histoire combattante, histoire militante, ainsi que la définissait François Bernard dans la première présentation de l’œuvre collective, elle offre l’intérêt d’avoir été rédigée par les hommes qui l’avaient vécue et pensée, par les militants qui avaient voulu la faire. L’Institut considère déjà comme un privilège de pouvoir offrir au public un travail conçu et réalisé de ce point de vue.

Ce travail comporte en outre une véritable somme de documents, d’analyses, de citations concernant une période de l’histoire du mouvement syndical dont l’importance, toujours décisive en France, n’a pas été démentie depuis 1938 : le mouvement syndical enseignant peut, dans les conditions actuelles comme à l’avenir jouer un rôle déterminant. Or la connaissance du passé éclaire le présent et les possibilités de l’avenir. L’ensemble constitue une importante contribution à l’histoire de la C.G.T.U., terrain complètement vierge encore, et pourtant particulièrement important à déchiffrer pour comprendre les traits essentiels de la période d’entre deux guerres et certains caractères du mouvement ouvrier français actuel. En bref, cette histoire est une pièce essentielle pour la connaissance de notre histoire syndicale.

On regrettera sans doute, et à juste titre, l’absence de certaines références pour les textes cités. C’est que cette Histoire est l’une des rares pièces qui aient pu être préservées pendant la guerre : les archives de la Fédération unitaire ont en effet été détruites après avoir été saisies par la Gestapo venue arrêter Jean Salducci, un de ses anciens dirigeants, déporté ensuite à Neuengamme où il devait trouver la mort. L’historien de demain se consolera en apprenant que Maurice Dommanget a su préserver d’importantes archives qui seront déposées à l’Institut français d’histoire sociale et qui pourront ultérieurement contribuer à préciser l’information donnée ici, à la compléter – et pourquoi pas – à la corriger. Et puis, il faut bien le dire : dans ce contexte, l’absence de quelques références ne doit pas chagriner outre mesure l’historien le plus exigeant. Les aléas du succès littéraire – en l’occurrence amplement mérité – ont fait du militant Maurice Dommanget un historien connu pour sa probité et sa rigueur, et de son nom une garantie pour la valeur de cet ouvrage. Ce n’est lui enlever aucun de ses mérites que d’affirmer que les militants qui ont rédigé avec lui cette histoire et dont le nom n’évoque rien pour le public cultivé et les étudiants, étaient de la même trempe que lui. Ecrivant dans la fièvre des combats politiques, brûlant de la passion qui les animait, frémissant aux souvenirs encore frais de leurs luttes syndicales, ils s’étaient, de toute leur intelligence, appliqués à l’objectivité et à la recherche de la vérité, puisque, pour ces révolutionnaires, la vérité seule était révolutionnaire.

Nous pensons que l’ouvrage de François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget et Gilbert Serret vient à son heure dans une collection universitaire. Nous souhaitons avant tout qu’il ouvre une voie. Il faut une histoire du S.N.I et une histoire de la C.G.T. comme il faut une histoire de la C.G.T.U. et de ses syndicats. Il faut recueillir les souvenirs de militants de toutes tendances, commencer le dépouillement systématique de la presse syndicale, ouvrir les archives aux chercheurs compétents de bonne volonté. De ce point de vue, nous espérons que cette publication – qui ne laissera aucun lecteur indifférent – constituera une provocation au travail historique. Il est grand temps que le mouvement ouvrier français ait enfin une histoire de ses années décisives qui soit digne de lui, de ses ambitions et de ses espoirs.

Grenoble, le 1er juillet 1966

Pierre Broué

Assistant d’Histoire contemporaine

(Ancien secrétaire des Adjoints d’enseignement du S.N.E.S. (Syndical National de l’Enseignement Secondaire) F.E.N. –, ancien membre du Bureau national du S.N.E.S., ancien secrétaire-adjoint de la section de Seine-et-Marne de la Fédération de l’Education nationale.)

Pour la première édition complète, la préparation des notes de l’index, et, de façon générale, la présentation du travail doivent beaucoup non seulement à Louis Bouët et Maurice Dommanget, Hélène Bernard et France Serret, mais aussi à leurs amis de l’École émancipée, Jean Aulas, Fernande Basset, Simone Fraisse, Jeanne Laurent, Henri Sarda, Marcel Valière, et surtout Henri Vidalenche qui a été l’infatigable organisateur de cette partie collective du travail.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 décembre 2016 7:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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