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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Bergès, “De l’origine pythagoricienne des Constitutions politiques: l’approche transcendantaliste des Grecs.” Cours d’histoire des Idées politiques. Université Montesquieu-Bordeaux IV et Toulouse I Capitole, février 2011. Texte inédit. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 20 février 2011 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Michel BERGÈS

De l’origine pythagoricienne des Constitutions politiques:
l’approche transcendantaliste des Grecs
.


Cours d’histoire des Idées politiques Université Montesquieu-Bordeaux IV et Toulouse I Capitole, février 2011.


« Pour un engendré divin, il existe une période que détermine un nombre parfait, tandis que, pour un engendré humain, c’est un nombre dans lequel, pour la première fois, des accroissements ayant puissance ou soumis à puissance ayant reçu trois distances et quatre limites, de termes assimilants et désassimilants, accroissant et diminuant, mettent en évidence toutes les relations de correspondances mutuelles, rationnellement exprimables ; le fondement épitrite de ces termes, une fois marié au nombre cinq, donne lieu, quand on l’a multiplié trois fois, à deux harmonies : l’une égale un nombre égal de fois, autant de fois cent ; l’autre, en un sens, d’égale longueur, allongée par ailleurs : savoir, d’une part, de 100 nombres (carrés) provenant des diagonales rationnelles exprimables de 5, déficients chacun d’une seule centaine, ou de deux centaines s’ils proviennent de diagonales irrationnelles, et, d’autre part, de cent cubes du nombre trois ».

Platon, La République : « Le nombre nuptial »

VIII, 546, 547
p. 1143, Gallimard, La Pléiade.


 « Nous sommes tous des pythagoriciens »

Iannis Xénakis


« Pythagore fut aussi, dit-on,
le fondateur de la science politique toute entière
 »

Jamblique, Vie de Pythagore, 130.



Laissons-nous porter quelques instants par le long fleuve tranquille de l’histoire des idées politiques. Ne serait-ce que pour oublier les fureurs de la société moderne d’aujourd’hui…

Au regard de l’origine des Constitutions, tentons ici, prudemment, une brève incursion dans la pensée grecque. Celle-ci – cela se sait et se discute de façon controversée sur le plan international –, malgré la dimension irrationnelle et mythologique qu’elle a investie religieusement sans pouvoir s’en déprendre, a aussi « inventé » la rationalité, le « regard distancié » (la theoria), à travers la philosophie, la science (porteuse de découvertes heuristiques et prémonitoires à tous les niveaux), sans parler du théâtre tragique ou comique, de la littérature poétique, romanesque et épique, de la pédagogie universitaire, de la gamme musicale ou de la typologie des régimes politiques et des questions d’éthique… En les reliant, pour tous les temps. Restons donc quelque part des disciples de La Cité antique de Fustel de Coulanges, le maître d’Émile Durkheim à l’École normale supérieure de Paris.

Marquée par des auteurs ayant vécu une aventure individuelle ou collective de pensée dans la très longue durée (2600 ans environ), parvenue jusqu’à nous par miracle, malgré des lacunes temporelles liées à la survie des supports matériels des textes, auteurs par auteurs, celle-ci, dans sa dimension transcendantaliste, a fait s’affronter dès ses débuts les théories humanistes ou sophistes, celle du « Droit naturel », celle du « Contrat social » et de « La loi » écrite [1], ou, à l’inverse, celle de la violence politique déchaînée à l’état pur. Dans une société très portée sur la guerre, de classe sociale à classe sociale, de cités à cités, sur les inégalités esclavagistes ainsi que sexistes, cela dit sans anachronisme.

La théorie selon laquelle l’homme était « la mesure de toute chose », reposa, elle, sur le Droit et la Loi (même celui ou celle du plus fort !), et donc sur la volonté bonne ou mauvaise des hommes à l’aune de leur nature si versatile, tantôt positive, tantôt passionnée et destructrice, voire animale. Dans quelques cas, la première tendance du Droit lié à la Nature a déteint sur la seconde, fondée sur la raison strictement humaine, qui a voulu alors l’intégrer comme par mimétisme ou par fascination, notamment pour essayer de définir la « démocratie », un des trois grands types de régimes distingués et analysés par les Grecs, avec la monarchie et l’aristocratie, mais aussi dans leurs formes déviées : la tyrannie, la ploutocratie (pouvoir de l’argent-roi), ou la licence démagogique, populiste et anarchique. Ce débat fait écho, évidemment, dans la durée, aux « idéalistes platoniciens » et aux « réalistes aristotéliciens » – ou inversement, aux « réalistes platoniciens » et aux « idéalistes aristotéliciens » –, courants qui ont structuré de façon divergente la pensée politique occidentale avec tous les effets d’interpolations, de déformations, de miroirs, de récurrence et de rebondissement dans chaque « camp », à toutes les générations d’hommes.

Observons là que l’Occident n’a rien à envier, en termes de répétition, à la pensée chinoise, qui, vu de trop loin, nous apparaît parfois, elle, totalement figée et immuable depuis ses débuts (ce qui est faux) [2]. En tout cas, nous retrouvons sur ce point, en l’élargissant et en l’inversant, la problématique que nous avions développée concernant l’œuvre nodale – en apparence ! – de Nicolas Machiavel, qui brassa lui aussi, à sa manière, à l’orée du XVe siècle, les messages de l’Antiquité, échoués comme des bouteilles jetées à la mer [3]. Il nous reste à investir ici, non plus un regard « culturaliste », enfermant un écrivain dans sa prison temporelle, comme précédemment pour le Florentin, mais, à l’opposé, une conception diachronique, comparative, errant au gré des « textes » émergés de façon aléatoire de l’Antiquité [4], depuis Pythagore.

Très loin donc de « notre » « modernité » ou « post-modernité », ont pu « renaître » en effet des livres oubliés ou insuffisamment « relus », grimoires ou palimpsestes, qui ont hanté l’imagination des penseurs du politique comme des théologiens, des scientifiques et des musiciens ultérieurs, malgré le fait que les uns et les autres ont dissocié progressivement leur savoir, non sans tenter parfois de les recouper de façon intuitive, voire nostalgique ou « magique ». Y aurait-il donc une « mémoire » inconsciente du « Grand thème », plein de beauté imaginative, « inventé » semble-t-il par Pythagore de Samos, qui aurait inspiré l’origine transcendantaliste des Constitutions politiques de façon durable, étant effectivement « le fondateur de la science politique » ? Quoi de plus étonnant ?

En tout cas, ce thème, qui est à la fois celui du fondement mathématique des Constitutions politiques, si prisé par la Révolution française via l’École polytechnique ou ses polytechniciens et celui de « la musique des sphères », structurant une sorte d’ordre politique transcendant sur les mathématiques, a été incontestablement repris par le Platon du « Mythe d’Er » de La République, du Timée (ce si grand livre « occidental » !), mais aussi répété par Cicéron (Le Songe de Scipion du De Republica), en passant, entre autres, par Appolonius de Tyane, le Saint Augustin de La Cité de Dieu et du De Musica, Macrobe, Jean Bodin (le sixième Livre de La République), Jean-Jacques Rousseau (Le Contrat social, qui plagie quasiment Bodin en inversant la répétition de la théorie de la « souveraineté » – comme Platon par rapport à son maître Pythagore !), Condorcet, Sylvain Maréchal… Cela jusqu’aux années 1790 ! Fragilité des penseurs, qui, voulant imiter la Nature, empreints pour certains de « newtonisme social », tentèrent de fonder un ordre politique sur des « Lois naturelles » qui les dépassent.

Sans parler de la fascination explicite, par rapport à Pythagore, des philosophes (le Père Kircher, René Descartes, son ami le Père Mersenne et son Traité de l’Harmonie universelle…), des théologiens (pensons-là au discours unanimement remarqué du Pape Benoît XVI à Paris, au Couvent des Bernardins, en novembre 2008, où il se réfère à plusieurs reprises aux travaux de Dom Jean Leclerqc, de l’Abbaye de Clairvaux, dont L’Amour des Lettres et le désir de Dieu [5]), des savants (Képler, Newton, aujourd’hui Trinh Xuan Thuan – Le Chaos et l’Harmonie…) ou des musiciens (sans citer Jean-Sébastien Bach et sa « science » innée des nombres, présente dans toute son œuvre, notons que Mozart a composé jeune un opéra, Le Songe de Scipion, puis La Flûte enchantée, Joseph Strauss une valse, La Musique des sphères, Schönberg, la Kammersymphonie, Paul Hindemith un opéra sur la vie de Képler, L’Harmonie du monde…), et sans ignorer la dernière œuvre du romancier allemand, Prix Nobel de Littérature en 1946, Hermann Hesse, Le Jeu des perles de verre avec son héros fascinant, Joseph Valet, ludi magister, qui jongle avec tous les éléments de la culture humaine… en les rapprochant, étrangement, comme si l’histoire de l’origine des sciences s’était effacée…

Pour mieux concevoir cette redondance mentale et temporelle, caractéristique de l’histoire des idées politiques occidentales, qui transcende de fait les époques, dans les façons brèves qui nous sont imparties, nous avons choisi l’orientation suivante : condenser le discours de Pythagore lui-même, qui a certes beaucoup parlé et enseigné, mais dont nous n’avons gardé aucun écrit. Ce qui renforce son « mystère »…

Cette méthode « phénoménologique », propice à l’historien, pourrait-on préciser, revêt un double risque : prendre pour argent comptant les échos déformés par ses disciples contemporains ou ultérieurs de son propre enseignement (preuve de son influence doctrinaire et pluridisciplinaire, tout de même), mais aussi les gloses, les commentaires, tout autant discutables, vraisemblablement, des auteurs d’autres périodes. Comme – seconde critique justifiable –  le défaut évident de pastiche artificiel, donc non crédible… Bref, le danger de lui faire dire n’importe quoi ! Nous relevons cependant le défi, intellectuellement parlant, quitte à être critiqué et contredit, car l’historien peut aussi avoir « un ordinateur dans la tête », même inversé !

Nous souhaitons rendre ainsi hommage, modestement dit à l’occasion, à celles et à ceux qui ont porté la flamme (qui n’est pas olympique) et la grandeur de la pensée grecque, issus de générations précédentes d’enseignants brillantissimes de ce sujet (pensons-là notamment à Jacqueline de Romilly et à Jean-Pierre Vernant, qui nous ont quittés récemment, sans vraiment que nous les abandonnions, pédagogiquement parlant, dans notre souvenir, en admirant leur œuvre en profondeur)…

Transportons-nous donc à Crotone, en Grande-Grèce, en 530 ans a. c. Imaginons que par une soirée d’été, sur une colline boisée, se tient une réunion de la société des pythagorikoi

Après un bain en feux follets sur les bords de la mer Tyrrhénienne, les jeunes gens des divers degrés d’initiation de « l’École des Italiens », qu’a fondée Pythagore de Samos [6], ont partagé avec le pain de l’amitié, servi par des esclaves féminines et masculins, tous de blanc vêtus, des fèves, mais aussi le fameux sussitia, mélange de graines de pavot et de sésame, de peau d’oignon de mer, de fleurs de jonquilles et de mauve, broyé en une pâte assaisonnée de pois chiches et d’orge, agglomérée avec du miel. Le repas a été agrémenté d’invitations à boire, de sacrifices et d’interminables offrandes aux divinités diverses. Lyres, cithares, auloï, tympanoï, syrinx, tambourins…, tenus par des musiciens chantant et imitant les cris de divers animaux, ont harmonieusement mêlé accords errants, mélodies, exercices sur la gamme de l’École, poèmes… Les effluves de sel, pur produit du soleil, du vent et de la mer, mêlées aux parfums de feu de bois, d’huile d’olive, de fruits juteux, de vin, d’encens, ont grisé les esprits et délié les langues avant l’écoute de la leçon du Maître…

Libations et agapes achevées, les convives ont gagné l’amphithéâtre en bas de la colline, sous les cyprès. Comme si leur place était assignée à l’avance, se regroupèrent entre eux les mathèmatikoï, les physikoï, les thèrètikoï, les sebastikoï, les politikoï, les oikonomikoï, les nomothetikoï, les akousmatikoï. Aux élèves et aux frères enseignants, se sont joints les athlètes célèbres des écoles de gymnastique (Milon, qui a épousé la fille du Maître, Myïa, mais aussi Iccos, Crison, Astyle…), accompagnés des belles épouses des membres du Synèdrion, le sénat de la Cité. Mêlons-nous en rêve subrepticement à eux…

Les couleurs du jour s’effacent lentement. Le bleu profond de la nuit recouvre bientôt l’assemblée. Les bavardages s’éteignent. Un disciple favori annonce soudain le « Grand thème », sur lequel va disserter le fils de Mnésarchos, Pythagore, qui, lui, s’était abstenu de dîner, et se présente de façon solennelle devant toutes et tous.

Éclairé par une lune resplendissante, fendu en deux par une voie lactée particulièrement visible ce soir-là, le ciel étoilé lui sert de décor. Plantées dans le sol, les torches de résine, dispersées tout autour, révèlent un homme de grande prestance, au front immense, mince, élégant avec sa barbe blanche au-dessus de sa toge de lin agrémentée d’un pentagramme dessiné en noir. Il s’avance à petits pas, appuyé sur un long bâton d’olivier. Il lève soudain les deux bras comme pour embrasser l’auditoire. Un vent légèrement frais, venu de la Tyrrhénienne, porte sa parole aux oreilles des auditeurs…



« Chers invités, jeunes gens, mes chers disciples, si votre repas n’a pas été trop lourd, comme le recommande notre enseignement, même si certains me semblent avoir le hoquet [rires dans l’assistance], nous allons pouvoir partager ensemble une fois encore quelques moments de réflexion, dans le sens que vous savez plus ou moins déjà.

Je voudrais vous parler, ce soir, du lien entre les sciences, l’astronomie, l’arithmétique, la géométrie, la musique et, puisqu’il y a parmi nous des membres du Synèdrion de Crotone, la politique, sœurs entre elles au-delà de l’apparence de la différence de leurs objets. Toutes ces muses sont de la même famille. Ces savoirs, auxquels notre société de sagesse vous initie, doivent donc être regroupés, même si on vous les apprend séparément… Examinons cela de plus près…

Je dis : le Dieu, Il « est ». Il ne peut pas ne pas être, et nous sommes tous les uns face aux autres. Il est éternel et infini. Il est avant tout création. Il a même créé le Dieu créateur du Monde… Il est le Modèle, l’Unique, l’Un, l’Indivisible. Et il « est » à la fois le Même et l’Autre. Il n’a donc pas eu de commencement. Il n’aura jamais de fin. Il n’est pas devenir. Car il est avant le Temps, même s’il contient le Temps qu’il a aussi créé. Il est hors de toute cause, étant, Lui l’Incréé, Cause première, Cause de toutes les causes. Et Il est hors de toutes les formes qui sont celles de sa création, du monde du multiple et non plus de l’Un. L’Un contient potentiellement le multiple…

Il y a donc le Dieu, mais il y a aussi sa création : le Dieu créateur, les divers dieux dans le Ciel, puis l’Univers, le Cosmos, architecturé à son image, beau, ordonné et bon, que reflètent le Ciel et l’Harmonie de tout le Cosmos. L’Autre de la Chose, en tant que partie du Tout, n’est pas le Même, bien qu’il lui ressemble. Le Même ne peut être réduit à la somme de ses parties. L’Autre créé aussi de façon seconde. Ainsi, le Deux indéfini est devenu en partie le Dieu créateur, le Multiple défini, divisible, limité par les formes que vont représenter les nombres. Il constitue le Monde d’Ici-Haut, qui enveloppe tous les vivants intelligibles et les âmes des Bienheureux, comme le Monde d’Ici-Bas, qui contient les créatures visibles. L’Autre, le Deux et les autres nombres après le Deux, est la substance du Dieu qui est la Cause. Je reviendrai si j’en ai le temps ce soir, devant vous, sur la création de ces deux Mondes. Mais parlons d’abord du nombre.

Le nombre, qui part de l’Un, est la manifestation évidente et l’instrument de l’Intelligence du Dieu Un. C’est le langage et l’être de Dieu, le Logos, précisément, c’est-à-dire les rapports, les proportions entre les nombres, que peut reproduire à certaines conditions, voulues par la théoria, la Raison de l’homme qui le reflète.

Tout est nombre, à l’image du Créateur du Dieu créateur et de sa Volonté providentielle. Le nombre est son organe de décision. Issu de l’Intellect divin, qui n’est qu’esprit, il reflète sa pensée suprême dans tous les ordres de la création : l’Univers et ses éléments, les Astres, le Temps, les Planètes, instruments du temps et de la musique céleste, les matières fondamentales, l’Eau, l’Air, la Terre, le Feu, les pierres et les végétaux, les espèces de vivants, l’Âme elle-même. Les nombres expriment la beauté et l’ordre du monde de l’Un. Ils s’incarnent dans les deux mondes, prenant la forme des choses visibles et des choses humaines, même la politique de la Cité, comme celle des choses invisibles et indivisibles. Tout est nombre aussi dans notre esprit quand on fait l’effort d’atteindre l’ordre et cette beauté pure et première. On peut donc tout déduire des nombres qui sont à l’origine de toutes les formes. Essences intelligibles et immanentes, présents aussi en tant que langage du Dieu créateur depuis la création de l’Univers, les nombres sont encore à l’origine de la création de l’Univers. Ils organisent le lien, l’analogie, la similitude entre les êtres éternels et les créatures soumises au temps, au devenir, qui ont, elles, un commencement, un milieu et une fin.

Reflets à la fois de l’Unité du Dieu créateur et du Multiple du Monde, principes, formes, propriétés et substances, ils entrent en rapports et proportions entre eux et entre les choses. Ils lient le Monde à l’Un, atteignant la beauté par des proportions harmoniques et l’ordre par des proportions arithmétiques et géométriques. La musique est ainsi nombre et le Monde, musique, par les nombres. Comment retrouver, derrière les choses, ces logoï, ces rapports entre les nombres qui forment la Grammaire du Dieu Premier ?

Parlons d’abord de ces nombres si mystérieux, que l’homme ordinaire non instruit ne peut comprendre s’il n’est point initié. Saisissons-les séparément et en série, lorsqu’on définit et mesure le Multiple.

Les éléments du nombre sont d’abord l’impair, qui divise en parts inégales, et le pair, qui divise en parts égales. Nous nous heurtons dès l’abord au secret des trois premiers nombres.

Prenons le nombre Un, la Monade, en tant que principe symbolisant le monde, qui définit l’unité, l’identité, l’égalité. Il est le premier des principes, correspondant à la cause efficiente de toutes les formes. Il incarne l’Intellect divin, invisible et silencieux. À l’Image du Dieu des dieux, la Monade est le début et la totalité de tous les chiffres, pairs et impairs. C’est le symbole de l’infini, du seul, du point parfait, mais aussi celui du fini, du limité, du devenir en puissance. C’est ce que j’appelle “le grand mystère”. Le premier nombre symbolise l’unité de l’Être et aussi de l’Âme, cet autre élément des corps qui les quitte et monte pour rejoindre le Dieu dans l’éternité du Ciel. Le Un, l’illimité, n’est pas cependant le contraire du Multiple puisqu’il le contient.

En effet, le nombre deux (pair), ou Dyade, en tant que principe, représente la cause passive et matérielle, le monde visible, l’Autre, le créé, la mutabilité de tout ce qui est. Il est la forme du début de la division de l’être et du multiple. Il symbolise le contraire, la dichotomie, le mouvement, le changement, les transformations des formes de l’Être, son infinité inépuisable, ses limites aussi, qui s’épuisent dans chaque forme. Il est aussi la femme et la fécondité, introduisant le contradictoire et les discordances dans le monde.

Le nombre trois (impair), la Triade, est formé du premier nombre impair et du premier nombre pair. Il symbolise la succession dans le temps. C’est le début de la suite des nombres (1 + 2), la réconciliation de la monade et de la dyade, du un et du deux… Et, de là, représente la suite de toutes les formes qu’ils symbolisent, les étapes du vivant dans le temps, les palpitations de la vie : elle est, elle, ce qui commence, ce qui a un développement, puis ce qui a une fin. Comme la plante, comme l’oiseau, comme l’homme, comme la femme et l’enfant qui naît de leur union, incarné par le chiffre 3…

Le nombre 4, la Tétrade, nous lui donnons le nom de Tetraktys, vous ne le savez que trop… C’est un nombre sacré ! On le retrouve en musique avec la quarte, aussi dans le mélange des quatre éléments de l’Univers (eau, air, terre, feu), et ainsi de suite. Il nous mène vers le nombre dix, la Décade, par sa force et sa vitalité.

En effet, si l’on additionne les quatre premiers nombres, on obtient dix (1+2+3+4 = 10), à savoir la Décade. Cette dernière représente la nature du nombre. Avec elle, on retourne à un, car après dix, qui est aussi le nombre des doigts de nos deux mains, on repart de l’Unité pour suivre la multiplicité. Donc la décade renferme le nombre selon l’Unité. Elle embrasse la nature des nombres dans son ensemble (les corps qui parcourent le Ciel ne sont-ils pas au nombre de dix ?). La décade résume par ailleurs les dix opposés qui sont les principes de tous les êtres. Il existe en effet, vous le savez, dix dualités fondamentales, dont la première est la principale. Elles présentent, dans l’ordre, soit sous forme d’opposés, soit sous forme de contraires, le fini et l’infini, l’impair et le pair, l’un et le multiple, la droite et la gauche, le mâle et la femelle, le repos et mouvement, le rectiligne et le courbe, le clair et le foncé, le bon et le mauvais, le carré et le rectangle. Pourquoi dix dualités ? Parce que dix est le nombre parfait et rejoint l’unité de l’être en tant que somme des quatre premiers nombres. Vous savez qu’il existe aussi des liens entre ces dualités : par exemple, l’infini est lié à l’obscurité, le fini à la lumière et au feu, comme le montrent le ciel et les étoiles qui scintillent au-dessus de nous…

Revenons à l’importance de la Tétrade. Si l’unité est renfermée dans le dix, elle l’est aussi dans le quatre avec la puissance qu’il contient et la fait revenir à elle-même. C’est d’ailleurs à partir des quatre premiers nombres, des points et des lignes que se forment les figures planes, puis les figures complexes. Avec la tétrade, on passe de l’arithmétique à la géométrie.

Vous savez que tous ces calculs peuvent s’expliquer par la manipulation de cailloux, ce qu’apprennent les apprentis de notre enseignement. Si, à partir d’un caillou, vous alignez des lignes de cailloux dont chacune contient un caillou de plus que la précédente, vous obtenez un nombre triangulaire. Pourquoi ? Parce que  les nombres qui forment les choses sont aussi à la base des figures qui s’étalent dans l’espace. Si vous placez les uns sous les autres les quatre premiers nombres 1, 2, 3, 4, alignés côte à côte, vous obtenez la forme géométrique qui est le plus simple des corps parfaits : le triangle…

Posés dans l’espace les uns sous les autres et alignés les uns à côté des autres, les quatre premiers nombres additionnés, forment la Tetraktys, qui, dans sa perfection, retrouve l’unité du dix, et par-delà, l’unité de l’Être. C’est pour cela que dans notre confrérie, nous vous faisons prononcer le fameux serment…

Celui-ci signifie que la Tétraktys est la source de toute notre sagesse, le fondement perpétuel et la racine du Monde créé par le Dieu Premier et Éternel ! C’est le moment où le simple nombre devient figure géométrique !

Vous savez qu’ensuite, si vous alignez les séries de chiffres selon l’équerre, c’est-à-dire le gnomon, outil de base de tous nos charpentiers, architectes et bâtisseurs, vous obtiendrez toujours, à partir du nombre 1, la forme géométrique du carré, ou, à partir du nombre 2, la forme géométrique du rectangle. Comment cela ?

Partons de 1, symbole de l’unité. Prenons 2 (symbole de la dualité issu de l’unité démultiplié : 1+1). Ajoutons 2 à 1 (cela fait 3), puis 2 à 3, (cela fait 5), puis 2 à 5 (cela fait 7), et ainsi de suite. De la succession des nombres impairs (1, 3, 5, 7…) positionnés dans l’espace en suivant le gnomon, apparaît toujours géométriquement un carré.

Partons maintenant de 2. Ajoutons chaque fois 2 (2, 4, 6, 8…). Le gnomon  pair est alors un rectangle.

Triangle, carré, rectangle… Le carré est la somme des nombres impairs successifs. Le rectangle est la somme des nombres pairs successifs. Avec seulement les quatre premiers chiffres, vous obtenez les trois figures géométriques fondamentales ! Avant d’aller plus loin, je veux vérifier si vous n’avez pas tout oublié. Quels sont les nombres linéaires, qui ne forment aucune figure ?

– Trois et cinq, crient ensemble les disciples impliqués, amusés par l’exercice mnémonique du Maître…
– Et les nombres carrés, c’est-à-dire qui forment un carré ?
– 4 et 9…
– Et les nombres triangulaires, obtenus par addition ?
– 6 (1 + 2 + 3) et 10 (1 + 2 + 3   4)…
– Et les nombres oblongs, qui forment des rectangles, qui mettent en évidence les diviseurs d’un nombre et leur multiplication ?
– 6, 8 et 12…
– Quels sont les deux premiers nombres solides, permettant d’obtenir des figures à trois dimensions ?
– 23 et 33
– Quelle est la somme des cubes des quatre premiers nombres ?
– 13 + 23 + 33 + 43 = 1 + 8 + 27 + 64 = 100… »


Les mathématikoï sourient, fiers de leurs réponses. Satisfait de l’apprentissage des leçons, le Maître poursuit :


« Vous voyez que multiplié ou à la puissance, 1 reste toujours 1, c’est-à-dire le symbole de l’Un, de l’Inchangé, du Dieu Premier…

Je m’aperçois que je viens d’oublier ce qui est aussi le symbole du savoir de notre École : le chiffre 5, ou Pentade, représenté par le pentagramme que je porte sur ma toge. C’est le chiffre de l’hypothénuse, le grand côté du triangle parfait avec ses deux autres côtés de 3 et de 4. Ce nombre est aussi représenté en musique par la quinte qui donne la note dominante de notre gamme musicale. La Pentade est produite par la fusion du premier pair féminin, 2, et par le premier impair masculin, 3. Ajoutée à elle même, nous obtenons la Décade (5 + 5 + = 10). Chacune de nos mains n’a-t-elle pas 5 doigts ? Et combien y a-t-il de cercles célestes ?

Restons-en là pour ce soir, sans aller plus loin en ce qui concerne la construction de solides à partir de formes élémentaires de triangles, qui, assemblées entre eux, à des carrés ou à des rectangles, donnent, vous le savez, des tétraèdres, des cubes, des octaèdres, des icosaèdres, notamment, à la base du feu, de la terre, de l’air et de l’eau, et de toutes les formes que nous percevons de façon sensible qui composent l’univers.

Pour en revenir aux nombres, à leur suite et à leurs liaisons, rappelons-nous que l’illimité, c’est le nombre pair, qui entouré et limité par l’impair, confère aux êtres leur illimitation, c’est-à-dire que vous pouvez les diviser à l’infini, ce qui correspond à la puissance du continu, la limite étant la forme. La preuve, c’est que si vous ajoutez les gnomon impairs autour de l’Unité, vous obtenez toujours une figure identique. Cependant, si vous ajoutez les gnomons pairs sans partir de l’unité, la figure est toujours autre. L’illimité est le nombre pair, parce que tout nombre pair est divisible en deux parties égales jusqu’à l’infini. L’addition d’un nombre impair limite le pair, interdisant la division en moitiés égales. La division, je le précise, ne s’applique pas aux nombres, mais aux grandeurs. L’illimité est donc une substance, mais aussi une matière que l’on peut diviser en partie.

Laissons-là les chiffres seuls ou en série, ainsi que les figures, qui pourraient nous amener très loin, puisque des nombres, naissent les points, des points, les lignes, des lignes, les figures planes, des figures planes, les figures solides à trois dimensions, des figures solides, les corps sensibles…

Passons maintenant aux logoï numériques.

Les nombres, vous l’avez compris, produisent, lorsqu’on les met en relations entre eux, des proportions arithmétiques, géométriques et harmoniques.

Avant, permettez-moi de vous rappeler comment j’ai découvert, par hasard, l’Intelligence pure du Dieu, cet intellect immanent fondé sur les nombres et sur l’harmonie de leurs logoï, c’est-à-dire de leurs proportions.

Un jour où je réfléchissais à la façon de concevoir un instrument utile pour seconder l’oreille, à la manière de l’équerre qui aide l’architecte dans ses calculs, je passais devant l’atelier d’un chaudronnier qui frappait avec régularité des morceaux de fer. À ma grande surprise, cela produisait une musique répétitive et harmonieuse ! Chaque coup créait des sons différents, certains consonants, d’autres dissonants. Celui entre la quarte et la quinte sonnait mal, mais complétait les autres. J’arrêtais ma promenade et ma méditation, entrais dans l’atelier de l’artisan. Après l’avoir salué, je compris rapidement, alors qu’il reprenait les rythmes de son travail, que les sons différents étaient le fait de marteaux de poids inégal. L’un de 6 livres, l’autre de 12 livres, dans un rapport de 1/2, donnaient une octave parfaite. Celui de 8 livres et celui de 12 livres, d’un rapport de 2/3, une quinte. Celui de 9 livres, par rapport à celui de 12 livres, avec un rapport de 3/4, soit une quarte. À mon retour, je confirmais la découverte en suspendant des cordes de différentes longueurs lestées de poids à une planche de bois. La corde pincée livrait un son à l’octave avec un poids d’un demi par rapport au poids le plus lourd, un son à la quinte avec un poids de deux tiers, un son à la quarte avec un poids de trois quarts de celui du plus lourd. Je fabriquais aussitôt un instrument formé d’une seule corde en boyau bien tendu et d’un petit taquet mobile de bois sous celle-ci, posé sur une planche un peu plus large. En déplaçant le bois vers la droite ou vers la gauche, j’obtenais, soit des sons montants, soit des sons descendants et proportionnés de la même manière…

Ainsi les objets produisent sur terre des sons différents, qui, selon les proportions de leur mouvement et de leur poids, donnent des consonances ou des dissonances. De même, les Astres du ciel, le Soleil et la Lune, toutes les étoiles, grandes en taille et en nombre, par les différences de leur vitesse et de leurs distances, entretiennent des rapports semblables à ceux des rapports musicaux. Ils produisent de même que sur terre une musique qui émet des sons immensément grands et proportionnés de façon consonante. Près des Dieux et des Muses qui les servent, la beauté ne règne-t-elle pas ainsi totalement ? Il y a donc dans le Ciel une musique des sphères comme il y a une musique sur terre.

Ce sont bien les nombres qui définissent les attributs et les proportions des échelles musicales du Ciel, dans le monde supralunaire de l’illimité et de l’infini monde qui nous est inaudible, comme dans celui sublunaire, sans oublier la Lune, Terre éthérée et île où vivent les Bons et les Bienheureux entre les deux mondes. J’entends par là ceux des âmes des hommes vertueux qui sont purifiées et baignent pour l’éternité dans le cosmos, bercées par la musique des sphères… »


À ces mots le Maître désigne par son bras, d’un geste lent et circulaire la voûte céleste. L’assemblée, émerveillée, regarde vers le haut.

Soudain, un nomothètikos se lève et pose cette question :


– Maître, permets-moi de t’interrompre… Si cette musique des sphères existe vraiment, ne devrions-nous pas l’entendre, surtout par cette nuit d’été où l’on voit si bien la Lune et toutes les étoiles dans la Voie lactée ?

– Sot ! lance l’interpelé brandissant son bâton d’olivier en raison de cette énormité, aux éclats de rires de l’auditoire.

Il faut sans cesse relier toutes les parties de l’univers ! Ne vous enfermez-pas dans les matières auxquelles vous avez été initiés et que vous répétez comme des litanies de l’oracle de Delphes ! La musique des sphères a frappé vos oreilles uniquement à l’instant où vous êtes nés ! Vous l’avez oublié ! On ne peut la concevoir que dans le monde intelligible ! Point sur terre ! Dans le monde d’Ici-bas, très éloigné du Ciel, vous ne pouvez distinguer directement ce son par rapport au silence qui est son contraire, et surtout par rapport aux milliers de bruits de la vie sensible qui contrarient ou charment nos oreilles, selon qu’ils obéissent ou non aux lois des mathématiques et des intervalles harmonieux. Le forgeron dont je parlais était indifférent à la musique qu’il faisait, en raison des bruits extérieurs et de son ignorance des nombres. La merveilleuse musique des sphères est réservée aux hommes qui ont été bons et justes sur cette terre, et dont les âmes ont quitté le corps pour rejoindre la grande prairie et contempler directement le cosmos sous la lumière blanche qui l’irrigue ! Eux seuls pourront l’entendre dans le Ciel ! Ne soyez donc pas si impatients ! Vous restez des vivants bienheureux parmi nous au sein de l’École qui vous accueille comme une mère. Travaillez encore. Faîtes le Bien et attendez que vos âmes vertueuses rejoignent le Ciel ! Et surtout, élevez dans chaque Cité un temple spécial aux Muses, elles qui sur terre prophétisent, nous visitent dans nos songes, et, au ciel, chantent en chœur en accompagnant les âmes et les différentes planètes, comme de bonnes sirènes…

Je dis encore…

Les formes sonores n’existent qu’en relation avec la forme des nombres et avec les formes que les nombres créent, dans des proportions arithmétiques, géométriques ou harmoniques.

Les relations entre les nombres, ou proportions, qui constituent le langage divin, sont de trois sortes. Soit arithmétiques, suivant la suite des nombres selon l’unité, soit géométriques, suivant la multiplication progressive des nombres par 2, soit harmoniques ou subcontraires (c’est-à-dire contraires à la relation arithmétique), suivant une progression impaires par 3 et proportionnée.

Les relations entre les nombres sont parfaites, c’est-à-dire belles et ordonnées selon l’ordre divin, quand elles imposent la plus complète unité aux termes reliés. Chaque fois que de trois nombres, poids ou forces quelconques, le nombre moyen a cette propriété que ce que le premier est à lui-même, lui-même l’est au premier, et que, inversement, ce que le dernier est au moyen, le moyen l’est au premier, alors le moyen peut prendre la place du premier et du dernier, le dernier et le premier à eux deux la place du moyen, permettant ainsi, par les équivalences dans les relations, de constituer une unité. Le premier terme est au second comme le second au troisième ; dans ce cas, le rapport des plus grands termes est identique au rapport des plus petits. J’appelle cette proportion “géométrique”.

On peut en distinguer deux autres, vous le savez aussi.

La proportion (ou médiété, ou moyen) “arithmétique”, qui consiste en ce que les trois termes sont dans un rapport analogue d’excédent, c’est-à-dire tels que la quantité dont le premier dépasse le second soit égale à celle dont le second surpasse le troisième. Dans cette proportion, le rapport des plus grands termes est plus petit et le rapport des plus petits, plus grand.

Le moyen subcontraire, que j’appelle “harmonique”, existe lorsque le premier terme surpasse le second d’une fraction de lui-même identique à la fraction de lui-même dont le troisième est surpassé par le second. Là, le rapport des plus grands termes est plus grand et celui des plus petits, plus petit.

Mais laissons-là en partie la science des nombres et ses multiples subtilités qui constituent la paideia de notre École, que vous aimez et servez tant ! Vous savez que l’on peut l’appliquer intégralement à la définition de la meilleure Constitution pour la Cité – je dis ceci pour les membres du Synèdrion de Crotone qui ont bien voulu nous honorer ce soir de leur présence [7]. Brièvement, pour terminer mon discours, voyons cela de plus près.

Sur le plan civil et pénal, si l’on respecte la loi des nombres, chaque magistrat de la Cité, choisi parmi les plus sages et les plus âgés, est l’égal des autres citoyens. Il doit obéir cependant aux lois divines que je viens de rappeler et, en retour, chacun lui doit le respect absolu. Un magistrat est garant des coutumes des ancêtres, des lois en cours, comme du savoir suprême concernant l’ordre rationnel divin. Cela d’autant que la justice qu’il sert doit refléter les lois de l’univers : on la retrouve dans le Ciel, chez les Dieux (c’est Thémis qui l’incarne), dans les enfers (où elle représentée par Dikè), et sur terre, par les lois orales et écrites.

Ainsi, la politique concerne donc tous les citoyens, quels que soient leurs conditions, leur pouvoir et leur richesse. Qu’ils relèvent du pair ou de l’impair, ils doivent fusionner dans le chiffre un qui les a créés. La cité doit former une communauté unifiée. Les magistrats donnent des ordres selon la justice divine, les seconds y obéissent, car derrière tous, il y a la loi que chacun peut comprendre s’il est initié. Pour bien gouverner, il faut éviter la foule, fuir l’ambition, la flatterie, l’amour de la gloire, l’étalement de la richesse, qui excite envie et jalousie, donc la révolte, à laquelle est prompte la foule des ignorants. Seuls les initiés aux savoirs divins, à la cosmologie, à la science des nombres et aux formes qu’ils impulsent, peuvent gouverner selon la raison des proportions et comprendre que la science politique de la Cité repose sur l’observation de la simultanéité de deux contraires qu’il faut concilier, le juste et l’injuste.

Ce serait l’anarchie sur la terre et dans chaque Cité si tout était inversé ! Tout serait alors en proie à la démesure, aux passions, à l’impiété, aux débordements, à la destruction, à l’anarchie, à la vengeance, à la mort…

Heureusement, il y a ce voyage que l’on peut réaliser vers l’intelligence du Dieu, progressif selon les âges de la vie. Avec les lois, l’éducation, physique, littéraire, civique, théorique, des enfants, des femmes, des hommes mûrs, reste le fondement de l’ordre de la Cité. Tous ces savoirs harmonisés entre eux inculquent à chacun le sentiment et la réalité de la justice, la morale, l’équilibre que nous ressentons en nous. Pour cette raison, la confiance, la bonne foi, l’amitié doivent se réaliser dans la Cité, comme dans notre École où l’harmonie règne entre maitres et disciples. Si tout le monde devenait roi, ou si chacun était totalement vertueux, la vie deviendrait impossible, toute Constitution serait totalement inutile. Mais les hommes étant ce qu’ils sont, et les Cités ce qu’elles sont, il faut élaborer une Constitution servant la justice, qui s’efforce de rendre chacun vertueux en tenant compte des inégalités entre les hommes ! »


À ce moment, osant l’interrompre, un politikos se lève. L’orateur, souriant, écoute sa parole :


– Maître, si l’on applique la règle des trois proportions numériques exposées précédemment, laquelle retenir pour atteindre la meilleure Constitution pour la Cité ?

– Il faut tenir compte de la réalité de chaque Cité. Le modèle qui garde la préférence de notre École est bien sûr le logos, l’analogon harmonique, car c’est celui qui s’inspire le mieux des lois du Dieu Un. La Justice doit être représentée, à l’égal de la situation de chacune des Cités en leurs inégalités fondatrices, par le triangle scalène, c’est-à-dire non isocèle et non équilatéral, mais rectangle : c’est celui qui possède un angle droit. Dans ce type de figure oblongue particulière – que l’on appelle aussi « triangle des arpenteurs », certains d’entre vous le savent –, marquée par l’inégalité de ses côtés, l’hypoténuse (le plus grand des côtés), par exemple de 5, est égal à la somme des carrés des deux autres côtés, par exemple de 3 et de 4. Et tous vous savez aussi que l’angle droit donne le gnomon. Cette forme symbolise l’égalité proportionnelle qui reste à introduire dans la Cité, en tenant compte du fait que les côtés, c’est-à-dire les groupes, les citoyens en leurs qualités, leurs spécialités, leurs richesses, leurs biens et leurs défauts, sont inégaux entre eux, comme les côtés du triangle rectangle scalène ! Ce qui redresse l’ensemble et établit l’égalité, c’est l’angle droit, qui représente la Justice, mais aussi les valeurs au carré de chacun des côtés, qui sont égales alors que la longueur des côtés ne l’est point.

Une Constitution est donc comme un triangle rectangle dont les lignes doivent former un angle droit, dont l’une des lignes doit avoir les caractéristiques de l’épitrite, c’est-à-dire qu’un des côtés dudit triangle est composé d’un nombre de plus du tiers de celui-ci (par exemple 4, est épitrite de trois !), l’autre étant de trois, et l’hypoténuse de 5, de telle sorte que la racine carrée de 5 soit égale à la racine carrée de l’épitrite (4, le carré du premier nombre pair) et à celle de l’autre côté 3. Cela faisant 25, égal à 16 + 9 ! Par ailleurs, si vous ajouter la somme de l’hypoténuse (5) à l’épitrite (4) – nombre qui est le seul formé par les mêmes nombres, soit par addition, soit par multiplication –, vous obtenez le carré du plus petit côté (3), c’est-à-dire 9 (le carré du premier nombre impair !), le carré étant un nombre constitué par un autre nombre pris un nombre de fois égal à lui-même.

Ces distances et limites sont donc en relations de correspondances mutuelles, que nous pouvons comprendre par la raison des nombres. Il nous reste à les appliquer à la vie politique de toutes les Cités, quelles que soient leur Constitution et la forme de leurs gouvernements ou leur degré d’inégalité. Je viens de vous démontrer que l’on peut établir des relations d’égalité entre des côtés qui sont inégaux les uns par rapport aux autres ! Il en est de même pour les angles : la somme des deux angles aigus du triangle rectangle scalène est égale à l’angle droit de ce même triangle ! Nous retrouvons là l’harmonie du Cosmos, du Dieu Un, car de l’inégalité, nous découvrons l’égalité, conjuguant le pair et l’impair, c’est-à-dire les contraires qui partagent toute Cité.

Nous rejoignons aussi, observez-le, les lois de l’harmonie musicale et ses intervalles de la tierce, de la quarte, de la quinte, puis de l’octave, dans les relations numériques qui composent la musique elle-même, et en premier, celle des sphères. C’est pour cela que la Terre est unie éternellement au Ciel, et qu’il faut faire correspondre la musique bruyante des Muses, que certains d’entre vous pratiquent journellement pour trouver leur équilibre intérieur et collectif (que vous avez su déchainer lors de vos libations tout à l’heure, sans retenue, en mon absence !), et celle mystérieuse et silencieuse des planètes, que les Sirènes du Haut déploient aussi dans leur chant aux âmes nobles et vertueuses d’Ici-Bas qui se rendent vers l’Île des Bienheureux après avoir traversé la Grande Prairie et découvert la Lumière blanche ! »


À ces mots, ne sentant plus sa joie intériorisée jusque-là à chaque étape d’une telle démonstration, l’assistance, debout dans l’amphithéâtre, applaudit longuement et chaleureusement la démonstration du Maître qui acheva son discours du soir en ces termes :


« Voilà les secrets que je devais vous délivrer, que m’ont enseignés en partie, au-delà de mes réflexions et de mes propres observations, notamment les prêtres de l’ancienne Égypte, du temps de mes jeunes pérégrinations lointaines vers l’Orient…

Il existe, bien sûr, autant de formes politiques, selon les Constitutions des Cités, qu’il y a de formes géométriques. Allons plus loin, en tirant cette leçon de notre vérité politique, respectueux que nous devons être de chaque gouvernement tant que ceux-ci seront respectueux de nous, de notre École, de notre savoir secret, si difficile à acquérir. Vous en savez quelque chose, puisque certains d’entre vous n’ont pas toujours la mémoire suffisante pour retenir oralement nos leçons !

La valeur de chaque homme, de chaque citoyen, c’est un peu comme le périmètre du carré. L’aire du carré, ce sont ses droits politiques. La Justice implique que chacun n’ait ni plus ni moins de droits que sa valeur personnelle n’en impose. Nous devons donc obéir aux lois, en respectant celles de nos ancêtres, mais aussi les conditions de fonctionnement politiques, naturelles, économiques, climatiques de la Cité que nous habitons, lieu principal de nos vies, au-delà de nos voyages et de nos découvertes des autres Cités. Il faut que l’aire et le périmètre correspondent et que chacun ait les droits que lui confère son propre mérite.

Sinon, on se situe dans l’Injustice, ce qui est néfaste pour l’équilibre harmonique de la Cité. Il faut équilibrer les proportions, et non imposer une égalité commune à tous. D’autant que les hommes sans savoir, la foule innombrable et ignorante, ne peuvent prétendre diriger la Cité selon leurs passions, leurs humeurs d’un jour, contre des magistrats savants et sages. C’est ce que ne comprennent point les partisans de certaines Cités voisines, comme Sybaris, qui veulent imposer à tous, la démocratie égalitaire par des rapports arithmétiques, sans tenir compte des talents et des valeurs de chacun. Méfions-nous donc d’eux et de tous leurs chefs démagogues qui flattent le peuple ignorant pour imposer leur propre intérêt, en bafouant leurs promesses et en le trompant inévitablement, un jour ou l’autre, après l’avoir flatté et caressé dans le sens du poil.

Nous devons rendre la Cité eudémoniaque et vertueuse, comme le Cosmos est lui-même harmonique. Cela passe par les efforts de chacun pour connaître le secret du monde, pour dépasser ses instincts de l’instant et ses humbles désirs. La force politique d’une Cité et d’une Constitution, c’est d’établir l’équilibre entre les commandants, les plus forts, les plus sages et les meilleurs, et les commandés, les plus obéissants car les plus faibles et les moins bons, cela dans l’accord de tous, avec bonheur. Partageons tous l’harmonie de la musique des sphères, que l’on ne peut entendre sur terre !

Suivons ici-bas, pour nous préparer au Grand Voyage après notre mort physique qui voit se décomposer et brûler nos corps, la musique qui éduque nos âmes et nous rend heureux. Cette communauté de logoï, qui relie les dieux et les hommes, doit reposer sur l’amitié, sur l’amour de chacun, sur la vertu, sur le bon arrangement et la bonne administration, non sur le dérèglement et les dissonances. C’est à ce prix là que nos âmes gagneront le Ciel, tout là-Haut.

Mais je réserve cela, pour aller plus avant, à des confidences d’un autre jour, en vous remerciant, une fois encore, de votre attention… »

Le maître se tut alors et s’éclipsa en reculant, avec le regret peut-être d’avoir livré quelques secrets de sa pensée.

La Lune, comme si elle l’avait écouté aussi, fut bientôt recouverte par des nuages poussés par le vent venant du large. Sans avoir applaudi, cette fois-ci, l’assemblée se dispersa à pas lents, par petits groupes, sous la lumière vacillante des torches, chacun méditant en son for intérieur cette leçon.

Désormais, le silence allait rendre la nuit encore plus noire…



[1] Cf. notamment de Jacqueline de Romilly, La Loi dans la pensée grecque, des origines à Aristote, Paris, Belles Lettres, 1971 et Les Grands Sophistes dans l’Athènes de Périclès, Paris, de Fallois, 1988.

[2] Ceci dit en filigrane de l’œuvre de Marcel Granet, de l’École durkheimienne, ou de celle de François Julien, parmi d’autres, trop exclusivistes et relativistes peut-être face aux enseignements plus universalistes et comparatistes de l’école sinologique et anthropologique de Cambridge. Cf. de Marcel Granet, La Pensée chinoise, La Civilisation chinoise, ainsi que l’œuvre multiforme de François Julien, de Joseph Needham, de Geofrey Lloyd et de Jack Goody. Cf. aussi la préface de Jean-Louis Martres, notre collègue de Bordeaux, à l’ouvrage de son étudiant, Xu Zen Zhu, L’Art de la politique chez les légistes chinois, Paris, Économica, 1995.

[3] Cf. Michel Bergès, Machiavel, Un penseur masqué ?, Paris, Bruxelles, Éditions Complexe, 2000.

[4] Cf. Lambros Couloubaritsis, Histoire de la philosophie ancienne et médiévale. Figures illustres, Paris, Grasset, 1998, notamment les p. 15-27. Sans parler de Delatte, cité plus loin, nous devons beaucoup ici aux travaux lumineux de Jean-François Mattéi : article de la Revue Philosophie grecque, « Philosophie du nombre nuptial chez Platon », juillet-septembre 2002, p. 281-303, ouvrage Phythagore et les Phythagoriciens, Paris, PUF, Que-Sais-je ?, 2001 – 3ème édition, en ajoutant évidemment le colloque de Nice, qu’il a brillamment organisé, La Naissance de la Raison en Grèce, Paris, PUF, col. « Quadrige », 1990. Autres ouvrages de référence, ceux, évidemment de Matika C. Ghyka, Le Nombre d’or, Paris Gallimard, 1959, et de Jamie James, La  Musique des sphères, Paris, Éditions du Rocher, 1997, de Jean-Luc Perillié et alii, Platon et les Pythagoriciens. Hiérarchie des savoirs et des pratiques. Musique – Science – Politique, Cahiers de philosophie ancienne n° 20, Éditions Ousia, 2008. Nous pouvons lire aussi, d’un collègue récemment disparu, rencontré à Bordeaux en 1996, Shmuhel Noah Eiseintadt, de l’Université hébraïque de Jérusalem, son ouvrage illuminateur et brillantissime, hérité de la pensée de Max Weber et de Matin Buber, Les Antinomies de la modernité. Les composantes jacobines de la modernité et du fondementalisme, Paris, l’Arche 1997.

[5] Paris, Éditions du CERF, novembre 2008. Voici l’extrait de ce discours de Benoît XVI auquel nous pensons là, concernant l’apport monastique chrétien à la culture européenne : « Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères [sic]. Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés est née la grande musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité » personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité. »

[6] Un bon condensé des traces de l’existence de Pythagore de Samos se trouve dans l’Encyclopédie Wikipedia. Selon les Vies le concernant, rédigées par des écrivains comme Porphyre, Jamblique, Diogène Laërce…, Pythagore (580 ; 497 a. c.), réfugié en Italie du Sud à Crotone vers 512, a quitté une des lointaines colonies grecques de l’Asie mineure, l’île de Samos, pour fuir le tyran Polycrate qu’il combattit. Certains prétendent qu’il serait né à Tyr, vers 570, d’un père graveur de pierres précieuses, Mnésarchos, grand voyageur lui-même. Avant de gagner Crotone, selon les légendes qui accompagnent les relations sur sa vie, il aurait beaucoup vagabondé dans le monde méditerranéen d’alors, marqué par la colonisation, la construction de mondes nouveaux que celle-ci permettait, ainsi que par la circulation des « philosophes », des « sages », ingénieurs, guérisseurs, artisans, réformateurs, diplomates, stratèges… et de leurs doctrines. Ses biographes ultérieurs, qui recueillirent les témoignages de certains de ses disciples, soutiennent qu’il fut dans sa jeunesse un des premiers à avoir été initié aux mystères des prêtres égyptiens. Il aurait étudié la géométrie en Égypte, les nombres et les proportions en Phénicie, l’astronomie et le secret des mages en Chaldée, la théoria auprès de Zoroastre, dont il aurait été lui-même un temps le disciple. Itinéraire initiatique qui alimenta maints ésotérismes postérieurs… Certains n’ont-ils pas même prétendu qu’il aurait « séjourné aux enfers » ? S’il a cultivé la mythologie généalogique et la poésie homérique, il a aussi participé à l’émergence d’une Raison théorique grecque inédite, dans la suite des penseurs de Milet. Ainsi aurait-il suivi les cours de Phérécyde de Syros (son oncle maternel, qui l’initia !), d’Anaximandre de Milet (maître également d’Anaximène) et d’Hermodamos. Jamblique indique qu’il aurait influencé dans le pourtour méditerranéen cent trente-cinq philosophes (dont dix-sept femmes !), sans oublier Platon (428 ; 347 a. c.), qui récupéra à son profit sa doctrine en la reconstruisant (cf. à ce sujet l’ouvrage de référence cité de Lambros Couloubaritsis, Histoire de la philosophie ancienne et médiévale. Figures illustres, p. 9-27, p. 168-177, ainsi que le colloque récent, sous la direction de Jean-Luc Périllé, Platon et les Pythagoriciens. Hiérarchie des savoirs et des pratiques. Musique, Science, Politique, Bruxelles, Éditions Ousia, 2008, Cahiers de philosophie ancienne n° 20).

D’âge mûr, il est devenu le prophète d’une doctrine très syncrétique mêlant des savoirs lointains. Il parle d’un autre monde préparé par la vie terrestre, de punitions, d’enfer, de régénération, de métempsychose (c’est-à-dire de réincarnation des âmes après la mort dans un corps humain ou animal), mais aussi d’ascèse, de diététique, de dieux, d’initiation, de contemplation… Ses idées pédagogiques et intellectuelles sont éclectiques. Sa pensée quitte la poésie des premières théories cosmologiques milésiennes (celles de Thalès, Anaximène, Anaximandre…). Elle mêle toutes les matières, la science des nombres, la géométrie, la musique… Ce chef de confrérie, mystique et gourou, semble être l’inventeur, ou du moins le divulgateur, d’une raison nouvelle reliant toutes les parties de l’univers, l’humanité, la société, la politique, la nature, la divinité…. Certains affirment que c’est lui qui a inventé le mot philo-sophia (l’amour de la sagesse)… Fondateur de la science politique toute entière, à qui il va donner pour la première fois des assises transcendantes, il est le prototype du « roi-philosophe » dont la figure a hanté la pensée politique occidentale, développée par Platon. Il prône la sagesse, définit des règles de vie pour la communauté de ses disciples qu’il initie par grade à son savoir multidimensionnel et en partie secret, conseille la Constitution de Cités de la « Grande Grèce » (l’Italie du Sud). Il veut changer l’homme par une éducation appropriée et propose une réforme politique fondée sur le respect de la Loi et l’établissement d’une Constitution « harmonique ». Il a de nombreux fidèles qui tentent d’appliquer ses règles. Sa réputation gagne l’ensemble du monde méditerranéen d’alors. Mais nous n’avons de lui aucun écrit direct et officiel. Sa vie et sa pensée sont protégées par le mystère… Nous l’avons donc recomposé ici partiellement de façon synthétique – fragile et « fantaisiste » diront les puristes et les spécialistes –, à partir de ce que ses biographes et ses disciples, Platon en tête, ont rapporté à travers une tradition orale ou la connaissance d’écrits multiples, pendant plus de sept cents ans. Le pythagorisme, véritable Bible de la religion d’une partie du néopythagorisme comme du néoplatonisme, est devenu, au croisement de plusieurs civilisations, une « École » de pensée universelle et s’est même transformé en religion à Rome (cf. à ce propos le beau livre de Jérôme Carcopino, Études romaines. La Basilique Pythagoricienne de la Porte majeure, Paris, L’Artisan du Livre, 1927), au tournant de l’ère chrétienne. Cela, avant d’alimenter une tradition de plus longue durée encore, à travers ses répétiteurs et ses commentateurs ultérieurs, ésotéristes et chrétiens compris, notamment jusqu’à la Révolution française. Nous sommes bien aux fondements de la pensée politique orientalo-occidentale, avant même les historia d’Hérodote…

[7] Sur la reconstitution de la doctrine politique pythagoricienne, l’ouvrage de référence est celui d’André Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, Université de Liège, doctorat en philologie classique, 1921. L’auteur montre notamment que Jamblique a conservé dans sa Vie de Pythagore, quatre discours prononcés par ce dernier lors de son arrivée à Crotone. L’un aux jeunes gens, l’un au Sénat, l’un aux enfants, l’un aux dames. Par l’intermédiaire d’Apollonius, ces textes viennent des Histoires de Timée. En fait, il semble que ce soit une reprise par des Pythagoriciens du 4e ou 5e siècle, des idées du Maître. L’intérêt du discours au Sénat est de révéler une doctrine non « infiltrée » ou déformée par les idées platoniciennes ou stoïciennes ultérieures, fréquentes dans les textes néo-pythagoriciens.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 5 avril 2011 18:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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