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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Bergès, “La comparaison en science politique.” in ouvrage sous la direction de Daniel-Louis Seiler, La politique comparée en questions, pp. 43-80. Bordeaux, France : L.C.F. Éditions Ly-CoFac, Institut d’Études Politiques de Bordeaux, 1994, 192 pp. [Le 11 mai 2012, Michel Bergès, professeur retraité de l’Université de Bordeaux, nous a accordé l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[43]

LA POLITIQUE COMPARÉE EN QUESTIONS.

LA COMPARAISON
EN SCIENCE POLITIQUE
.”

Par Michel BERGÈS


THÈME… ... Le regard de l'historien

Michel BERGÈS, LA COMPARAISON EN SCIENCE POLITIQUE.” [45]
I. À propos de « Politique comparée » de Bertrand Badie et Guy Hermet. [48]

1.1. Une critique historiciste de la sociologie [49]
1.2. Une critique sociologiste de la « socio-histoire » et un retour à la sociologie généralisante [54]
1.3. Un refus de l’histoire historienne [61]

II. Science politique ou sociologie historique. [66]

2.1. Le paradoxe de Badie et Hermet [66]
2.2. La réponse des socio-historiens américains [70]
2.3. La « science-coucou » de Jean Leca [76]

[44]
[45]

On observe deux attitudes différentes des politologues français face à la méthode comparative. Pour ce qui est non des travaux qui l'utilisent, mais de ceux qui essaient épistémologiquement de la définir, disons que les uns la banalisent, la réduisent à un ensemble de techniques diversifiées, à une démarche intellectuelle générale, alors que les autres, à l'inverse, s'efforcent de la constituer théoriquement en objet de connaissance autonome, dans une conception strictement sociologique, avec l'idée que la comparaison serait porteuse d'explication. On parle tantôt de « comparaison méthodique » ou de « méthode comparative », tantôt de « comparatisme » ou de « comparativisme ».

Le point de vue de la banalisation est présent depuis le début de l'institutionnalisation de la science politique après la Guerre. Par exemple Maurice Duverger, dans un manuel méthodologique de référence, a considéré, à la suite des sociologues du XIXe siècle, que la comparaison, méthode fondamentale des sciences sociales, devait s'attacher à dresser des tableaux de ressemblances et de différences entre les faits observés [1]. Utilisant un pluriel, il distingue, rappelons-le, les méthodes comparatives classiques (approximatives, analogiques, fondées sur des typologies d'objets, de structures, de fonctions, de formes, de complexité et de contextes comparables, proches ou éloignés), les méthodes comparatives « plus rigoureuses » (qui comprennent pêle-mêle les techniques statistiques, mathématiques, graphiques, cartographiques), les méthodes combinées de sciences différentes (l’interdisciplinarité ?), qui comparent les divers aspects d'un même phénomène ou analysent avec une méthode comparable des phénomènes différents. Dans cette perspective très large, la comparaison est réduite à sa fonction de traitement de données et elle concerne l'ensemble des sciences sociales et humaines. On ne voit pas en quoi elle servirait spécifiquement l'explication en matière politique. On trouve la même banalisation chez Madeleine Grawitz, pour qui la comparaison constitue une « tendance naturelle de notre esprit », que l'on ne peut réduire à des procédures techniques [2].

[46]

Elle est opératoire à tous les niveaux des sciences sociales, dans une dimension soit qualitative (élaboration de typologies) soit quantitatives, dans tous les modes de saisie, à tous les stades de la recherche (description, classification, explication, théorisation). Cette méthode connait cependant des limites : elle est souvent utilisée de façon trop vaste, sans définition préalable de ses critères. Malgré l'existence d'indicateurs internationaux et de banques de données, elle est utile pour la description et la découverte de faits, mais elle ne peut être érigée en « véritable explication » théorique. Réserves identiques chez un émule de Maurice Duverger, Jacques Lagroye, qui, dans un manuel syncrétique récent, affirme que la comparaison (en tant que rapprochement d'objets analogues, semblables, différents ou opposés), est présente dans toutes les sciences [3]. Ce dernier s'ingénie à critiquer sans ménagement les études classiques de politique comparée, dénonçant leurs terminologies incalculables et « décourageantes », leurs regroupements arbitraires d'objets politiques dissemblables, la généralisation trop peu explicative de leurs catégories (en terme de fonction, de structure, de culture politique...).

À l'inverse, des auteurs pratiquant eux-mêmes la comparaison politique, ont essayé de lui donner des fondements plus théoriques. Jean Blondel, par exemple, dans un article de synthèse, tout en admettant les incertitudes de ce secteur de la science politique si décrié, souvent simplicateur et « mal assuré », plaide pour la constitution d'une branche « substantielle » de connaissance qui ne soit pas simplement une méthode de description ou de classification des faits qui accumule des données empiriques [4]. Pour lui, la comparaison doit s'appuyer sur un « déductivisme théorique », c'est-à-dire sur des concepts opératoires ordonnant les faits, respectueux des contextes, de la spécificité des contenus et des configurations, sans tomber dans des généralisations prématurées. Pour arriver à cet objectif, des études empiriques, portant sur des objets concrets et universels (comme les partis politiques, les régimes, les parlements, les machines politiques, les gouvernements, les groupes de pression...), sont indispensables.

Même conception chez Daniel Seiler, qui se range ouvertement du côté de la sociologie du politique, du « déductivisme », seul fondateur d'une comparaison « sérieuse » [5]. Ce dernier ne nie pas l'utilité d'un recours à la méthode historique, mais il refuse la possibilité de construire une théorie « ex-post », qui serait rigoureusement induite (souvent à la base du travail historique, même si l'histoire utilise aussi des modèles hypothético-déductifs). S'appuyant sur Karl Popper et Thomas Kuhn, comme sur Piaget et sur Karel Kosick, il affirme le caractère « ante » de la théorie. Il reprend aussi les critiques vigoureuses adressées au comparatisme anglo-saxon dominant, parlant là de « fraude intellectuelle », d'« imposture », de « naïveté », d'« ethnocentrisme », [47] de « fausses comparaisons » (celles des « monographies parallèles » qui ne se rencontrent jamais). Beaucoup de travaux ne reposent en effet que sur des typologies juridisantes, sur des erreurs d'échelles, sur l'ignorance des phénomènes globaux et de la totalité, comme de la spécificité des contextes. Daniel Seiler souligne au passage le caractère ethnocentrique et national de beaucoup de nomenclatures classificatrices des régimes ou des partis politiques (notamment les typologies de Duverger). Il se démarque encore de l'empirisme quantophrène, abstrait ou événementiel, comme des nihilistes spontanéistes et phénoménologues (les épigones de Wynch et de Schütz), qui, eux, opposent connaissance généralisante et individualisante en refusant toute classification comme toute systématisation. Pour dépasser ces blocages, l'auteur se replie sur les règles de la vigilance épistémologique définies par Pierre Bourdieu [6], tenant d'une approche perspectiviste à tendance objectiviste (inspirée des théoriciens du cercle de Vienne), qui implique notamment une suspicion systématique vis à vis des langages ordinaires. Selon Daniel Seiler, théoricien de la classification des partis politiques en Europe, on ne peut comparer que des objets saisis par la théorie (« c'est la structure qui doit être comparée »), des espèces sociales et des causalités construites. Les modèles doivent ensuite être confrontés aux « faits », afin d'aboutir à une classification générale des systèmes politiques qui ont chacun des trajectoires singulières dans l'espace et dans le temps. Malgré ces accents « linéens » qui suggèrent un tableau à la Mendeleïev dans lequel tous les phénomènes politiques pourraient entrer dans des cases (préoccupation déjà présente chez le comparatiste Duverger), Daniel Seiler place son espoir dans une sociologie historique du politique (celle de Tilly, Rokkan, Wallerstein...), inspirée plus ou moins de l'Ecole historienne des Annales, concluant que la « sociologie politique » ne pourra que bénéficier d'un rapprochement avec l'histoire et avec l'anthropologie.

Dans une perspective épistémologique proche, on peut citer encore l'ouvrage de Mattéi Dogan et Dominique Pelassy sur la comparaison internationale en sociologie politique [7]. Ces derniers limitent le concept de comparaison à des études « sur deux pays au moins » et à la recherche de « similitudes » et de « contrastes » nécessaires à la construction d'une théorie générale des systèmes politiques. L'orientation semble être plus inductive que déductive. La comparaison est érigée en « discipline interdisciplinaire » que seule une sociologie « imbriquée à la science politique » peut réaliser. Les « sciences proches » (l'anthropologie, l'histoire, la géographie ou l'économie) sont reléguées au rang de « discipline d'apport », et le spécialiste d'un pays est assigné à emprunter ses concepts et ses hypothèses au comparatiste. Un an avant, en 1979, dans son émouvant hommage au grand comparatiste disparu, Stein Rokkan [8], Dogan reconnaissait [48] cependant que la science politique était apparue à ce dernier, comme à d'autres analystes originaires de la sociologie (Lipset, Linz, Allardt, Rose, Sartori, Deutsch, Merrit, Eisenstadt, Wiatr, Lepsius, Janowitz...) « plus ouverte » à la comparaison internationale que la sociologie.

Dix ans après, bien plus mitigé est le bilan dressé en juillet 1990 par Bertrand Badie et Guy Hermet dans un manuel récent [9]. Nous allons essayer de comprendre pourquoi (I), avant de nous interroger sur les relations que la science politique entretient avec l'histoire autour de « la sociologie historique » américaine, importée en France depuis peu (II).

I. À PROPOS DE
« POLITIQUE COMPARÉE »
DE BERTRAND BADIE ET GUY HERMET


Le pan-comparatisme anglo-saxon qui servait de référence obligée à beaucoup de politologues antérieurs, fait place dans cet ouvrage à un examen critique et au doute méthodologique. Les auteurs parlent sans ambages de crise du comparatisme classique, tout en défendant une comparaison perçue comme un nouveau mode de saisie théorique et empirique du politique, mais aussi comme une manière d'être humaniste, qui débouche sur une introspection scientifique et sur la réhabilitation de pensées autres, non-occidentales. La comparaison ne doit pas être un amalgame de procédures techniques de description (statistique, mathématique, cartographique...), ni un moyen d'illustrer dans l'espace et dans le temps des modèles théoriques généraux ou partiels. Elle devient une philosophie du regard scientifique, du rapport au politique, en permettant une ouverture aux problèmes du monde, en dépassant tous les colonialismes intellectuels dont les différents positivismes hérités du XIXe siècle ont été prodigues.

Pour autant, les deux politologues ne défendent point un culturalisme absolu. S'ils affirment la spécificité des cultures et des modes extra-occidentaux de construction du politique, ils rejettent les circonvolutions (à l'allemande) des discours « du sol et du sang » (de triste mémoire) et des théories de « l'esprit des peuples ». Leur conception tourne le dos à la recherche d'une mono-causalité et de déterminismes simples (économistes ou psychologistes, à la mode marxiste ou béhavioriste). Elle mobilise plutôt une pensée du complexe, du contradictoriel, des différenciations, à la manière peut-être des bouleversements épistémologiques qui parcourent les sciences exactes, biologiques et naturelles. Sont ainsi pris en considération l'unicité des développements historiques, les complexités combinatoires multivariées, la différenciation de séquences, le transculturel universalisable en même temps que le monoculturel irréductible à une aire. Ce nouveau regard, empreint de « relativisme relatif », correspond semble-t-il, dans le développement institutionnel de la science politique (une des disciplines les plus internationales, effectivement), au contexte de [49] la fin des années 80, marqué entre autre par le grand affrontement culturel entre le christianisme et l'islam, par l'écroulement du positivisme marxiste, et par l'ébranlement des démocraties libérales. Sa philosophie différencialiste et relativiste est bien contenue dans ces lignes introductives :

« Comparer conduit aussi à relativiser, à sortir de son lexique politique, de ses théories, de ses déterminismes, de ses présupposés. Il n'y a pas de lexique universel de science politique, parce que tout concept n'est pas a priori universalisable, encore moins sur la base de définitions strictes et limitatives. Il n'y a pas de déterminismes universels, car les histoires sont, pour cela, trop nombreuses, trop complexes et en fait, trop indépendantes les unes des autres. Il n'y a pas de théories politiques totalement universelles, car aucune théorie ne peut se prétendre indépendante de la culture du sociologue qui la fonde et aucune culture ne peut prétendre avoir accédé à l'universalisme. Aussi l'analyse comparative a-t-elle pour principal bienfait de déconstruire les certitudes que d'autres construisent, de manière à préciser, affiner, corriger ou amender les paradigmes et trace, éventuellement, la frontière pouvant séparer le domaine de l'universel de celui du particulier (...). L'analyse comparative montre que si les trajectoires de développement politique sont différentes, ce n'est pas parce que les hommes sont différents ou qu'ils ont inégalement profité des lois de l'histoire, mais c'est en grande partie parce qu'ils ont fait des choix différents et entretenu différemment des traditions différentes (...). Le propos du comparatiste est d'abord de présenter ce qui est, en un lieu et en un moment comme l'expression de ce qui aurait pu ne pas être et n'existe, en tout cas, nulle part ailleurs, ni à aucun autre moment du temps » [10].

Cette perspective essaie de définir un espace disciplinaire renouvelé, fondé sur une approche géopolitique comparative qui veut se démarquer à la fois des grandes théories générales de la sociologie (I.1), de la sociologie historique (I.2.), comme de l'histoire historienne (I.3.).

I.1. Une critique historiciste de la sociologie

S'opposant à divers courants de la sociologie américaine des années 50 et 60, Bertrand Badie, à la suite de Pierre Birnbaum [11], semble aller plus loin dans « Politique comparée » que dans ses deux ouvrages méthodologiques antérieurs [12]. Précédemment, en effet, dans son étude sur les paradigmes du développement politique, il présentait les théories développementalistes classiques en critiquant leurs postulats [13]. [50] Mais il acceptait le caractère « séduisant » et « cohérent » de leurs généralisations, malgré leurs présupposés organicistes. Il envisageait somme toute une certaine continuité scientifique entre ces paradigmes généralistes et les nouveaux paradigmes formels d'analyse qui les avaient relayés pour reconstruire « dans l'abstrait les propriétés récurrentes, jugées communes et spécifiques à tout processus de développement politique » [14]. La recherche de nouveaux modèles heuristiques devait renouveler la science politique. Et malgré les critiques qu'il adressait au passage à ces modèles partiels, institutionnaliste d'Huntington, néo-fonctionnaliste d'Apter, centropériphériste.... Badie reconnaissait qu'ils contribuaient à la connaissance de « cette part d'universalité que recèle tout changement social ou politique » [15], perçu comme un but ultime de la connaissance politologique. Plus qu'aujourd'hui, l'auteur insistait sur l'existence de processus généraux de développement communs à l'ensemble des systèmes sociaux. Quant aux variations, aux processus complexes de différenciation des phénomènes globaux (par exemple entre l' »Occident » et le « Tiers-Monde »), une étape de la recherche, présentée comme complémentaire [16], par un « retour à l'histoire », devait analyser l'ensemble du développement politique, transformé « de l'état d'objet abstrait à l'état d'objet singulier et concret » [17]. Les modèles sociologiques universalisants, hypothético-déductifs, gardaient leur pertinence, malgré le « retour à l'histoire » annoncé. Badie écrivait là sans ambiguïté :

« La réflexion historique (...) n'efface pas ce qu'une autre tradition a pu nous apprendre, à un autre niveau, sur la dimension universelle du développement politique » [18].

Dans « Politique comparée », les auteurs ont durci leur critique à l'encontre des modèles généralisants et abstraits de la tradition sociologique. À la lecture de leur ouvrage, un historien malicieux pourrait éprouver une certaine jubilation à voir ainsi une discipline souvent parée des mille feux de ses prétentions anti-historiennes, organiser elle-même sa propre destruction. Insistant plus qu'auparavant sur une conception historiciste de la différenciation des processus de développement, les deux auteurs franchissent peut-être des points de non-retour. Dans le passage sur « la crise de 1'universalisme » [19], tout en reprenant des critiques précédentes du comparatisme classique, ils remettent en question explicitement la méthode hypothético-déductive de modélisation en sociologie.

Ainsi, ce qui est le fondement de la démarche weberienne (sur laquelle semblait s'appuyer jusque là Bertrand Badie), est nié au nom du caractère relatif des concepts et des pratiques historiques. Serait désormais impossible tout « Jeu de concepts » applicable à l'ensemble des situations politiques. La théorie weberienne du pouvoir, [51] qui a inspiré une grande partie de la science politique américaine, condensée ici en 35 lignes (plus d'ailleurs à partir de l'« Ethique protestante » que des deux tomes fondamentaux d'« Economie et Société »), se trouve réduite à une vision linéaire et développementaliste non combinatoire. Les concepts de « bureaucratie » et de « néopatrimonialisme » seraient incapables de rendre compte des transitions et variations concrètes que l'on rencontre sur le terrain [20]. Comme si Weber avait construit son modèle idéal-typique de la bureaucratie ou du pouvoir traditionnel à partir du développement occidental ! N'a-t-il pas plus tôt toujours considéré que les types abstraits de domination et leurs modes de légitimité correspondants étaient simultanés et combinés dans des variations infinies, formant des types d'État diversifiés à travers l'espace et le temps ? Sur le caractère combinatoire de la théorie weberienne du pouvoir, liée à la méthode de l'idéal-type, on peut se référer à ce commentaire de Raymond Aron :

« Les trois types de domination sont des exemples de concepts que l'on pourrait appeler « atomiques ». On les utilise comme des « éléments grâce auxquels on reconstruit et comprend des régimes politiques concrets. La plupart de ces derniers combinent des éléments qui ressortissent à ces trois types de domination (...).

La bureaucratie, selon Max Weber, n'est pas une singularité des sociétés occidentales. Le nouveau royaume d'Égypte, l'Empire chinois, l'Église catholique romaine, les États européens ont eu des bureaucraties comme en a l'entreprise capitaliste moderne de grande dimension [21].

À l'inverse de Weber (et d'Aron), Badie et Hermet affirment

« État, nation, démocratie représentative, espace public, société civile sont ainsi des catégories de l'histoire occidentale abusivement construites comme des concepts universels (...). La découverte des spécificités a atteint en profondeur la définition même du politique, celui-ci ne pouvant plus apparaître comme universellement différencié, ni territorialisé, ni même lié à l'hypothèse weberienne du monopole de la violence légitime. Penser que le politique renvoie nécessairement à un domaine isolable d'actions, à un espace territorial clos, à la construction d'un monopole, à l'accomplissement d'une formule de légitimité, paraît de plus en plus hasardeux » [22].

Ils ajoutent encore ce qui rend plus difficile une sociologie générale du pouvoir :

[52]

« Bien des malentendus seraient levés, bien des simplifications seraient évitées si l'on admettait enfin l'impossibilité d'une définition universelle du politique » [23].

La sociologie politique comparée consisterait alors en une comparaison (nominaliste ?) de nomenclatures, de terminologies linguistiques, de modes d'identités irréductibles, en un catalogue différencié des modes de désignation du politique d'une société à une autre. N'est-ce pas là rendre impossible toute comparaison analytique et synthétique ? Au-delà des langages et des représentations, des phénomènes politiques communs et universels ne sont-ils pas déployés, qui constituent des objets comparables, à certaines conditions d'observation et de méthode ? Conscients de l'implosion entraînée par de tels postulats, les auteurs tentent de se rattraper en écrivant :

« Peut-on parler encore de sciences sociales si disparait toute universalité ? La critique de l'universalisme se doit de rester modérée d'autant qu'il est clair que de nombreux processus sociaux et politiques, surtout conçus à un certain niveau d'abstraction, gardent une dimension universelle » [24].

Sans que soit précisé le problème de la définition de ces niveaux d'abstraction, Badie et Hermet proposent une étrange bipartition des concepts politologiques autour des phénomènes de « culture » : les uns rendant compte d'objets transculturels (ceux de norme, loi, centre, périphérie, obligation, mobilisation...), les autres d'objets « monoculturels » (ceux de bureaucratie, idéologie, politique publique, état, gouvernement représentatif, nation, souveraineté, totalitarisme, démocratie, légitimité populaire...). Le statut de concepts wébériens comme ceux de corruption, de clientélisme, de néopatrimonialisme, qui expliquent des réalités que l'on retrouve même dans les systèmes les plus « développés », reste plus incertain pour les deux politologues. Ce qui leur parait important, ce n'est pas de construire de façon rigoureuse des concepts abstraits généralisables (plus peut-être qu'universels-concrets), c'est d'évaluer les concepts de la sociologie politique à partir des représentations des autochtones impliqués [25].

Que donnerait une telle méthodologie « perspectiviste » appliquée à des objets aussi inquiétants que le nazisme ou le stalinisme ? Faudrait-il se limiter à la simple reproduction et prétendue « compréhension interne » de leurs « visions du monde » irréductibles, sans pouvoir s'appuyer sur une autre conception du droit, du pouvoir, de l'État et de l'humain ? Le relativisme des valeurs effacerait-il tout esprit critique et toute capacité de théorisation spécifique ? Ne risque-t-on pas de tomber dans un « solipsisme » d'un type particulier, qui ne privilégierait que le « sens commun », les représentations « indigènes » et « exotiques », les catégories pratiques, les langages explicites, les idéologies ? On peut aboutir là à une incompréhension, à une incommunication totale d'un système de signification à l'autre. La pensée du politique [53] par lui-même est-elle suffisante pour élaborer une théorie comparative du politique ? Poussée jusqu'à son terme, cette position, qui conçoit difficilement l'articulation entre des niveaux macro et micro d'observation de la réalité, risque de s'enfermer dans un culturalisme autarcique. Comment parler de « construction de la comparaison » sans aborder, à partir des acquis des diverses disciplines comparatistes, les mécanismes globaux, généralisés sur de vastes aires, voire mondialisés, d'échanges culturels, de domination, de diffusion de modèles ? Les risques que laisse présager la première partie de « Politique comparée » s'estompent à la lecture des chapitres suivants (notamment du passage consacré à la sociologie de l'importation des modèles politiques) [26]. Mais la mise en avant du concept globalisant de « culture », saisi en dehors des phénomènes d'acculturation, de déculturation et d'enculturation, peut rendre difficile la prise en compte, dans l'espace et dans le temps, des échanges interculturels incessants entre des « civilisations ». Remarquons que ce dernier concept est absent de l'index des deux politologues, alors qu'un grand historien comparatiste comme Fernand Braudel, qui le définit comme représentant à la fois des espaces, des économies, des systèmes sociaux hétérogènes, des cultures, et des continuités historiques de longue durée, l'a placé au centre de sa problématique temporelle différencialiste [27].

On ne peut non plus sous-estimer la mondialisation de certaines catégories politiques occidentales, promues par des acteurs institutionnels concrets, au niveau culturel politique, économique, diplomatique, militaire... Une approche comparative du politique doit-elle délaisser l'analyse des systèmes d'échanges et les stratégies « régionales » ou mondiales, les interactions, l'adhésion et la plus ou moins grande adéquation au modèle de l'État-Nation et à des pratiques normalisées que tout État accepte dans le cadre des Nations-Unies ou du F.M.I. ? Sur ce thème de l'influence des facteurs externes sur les situations politiques internes, on peut se référer aux travaux comparatistes d'Aristide R. Zolberg, peu utilisés par Badie et Hermet (qui eux ne négligent pas pour autant la sociologie de l'importation de modèles politiques, sans en faire un des thèmes principaux de leur synthèse comparatiste). Zolberg insiste lui sur l'importance, à un niveau macro-analytique, des processus d'ingérence extérieures, des interactions entre États-voisins, ou des relations transnationales, en distinguant les interventions militaires, les ingérences, l'influence des mécanismes de l'économie internationale, le poids du système étatique mondial et les données spécifiquement culturelles. Regrettant que dans le « cheminement vers le Graal scientifique », le comparatisme se limite à l'étude du « politique chez les autres », Zolberg ne néglige point la référence à des facteurs sociologiques plus universels, comme les théories économistes de Polanyi ou la théorie des champs de Pierre Bourdieu [28].

[54]

Que dire encore d'une science politique comparée qui ne se poserait pas non plus la question d'une typologie des formes d'État, des types de régimes, de gouvernements, de systèmes politiques, comme celle, plus théorique et comparative dans l'espace et dans le temps, des modes d'évolution ou d'involution d'une forme à une autre, ou celle de ses critères de classification ? Refoulant donc une certaine sociologie universaliste (plus peut-être qu'universalisante), semblant nier la possibilité d'une anthropologie générale du politique, Badie et Hermet font appel (en dernier recours ?) à un ensemble de travaux, dont les résultats alimentent la seconde partie de leur manuel, qu'ils rangent sous la bannière de la « socio-histoire ». Mais loin d'adhérer à la méthodologie comparatiste que ceux-ci mettent en application, ils proposent une critique et un « renouvellement » de ce courant particulier de la sociologie politique américaine.

I.2. Une critique sociologiste de la « socio-histoire »
et un retour à la sociologie généralisante


On se souvient que Bertrand Badie, dans un ouvrage méthodologique sur le développement politique, avait vanté les mérites de la socio-histoire, tenante d'un retour à l'histoire et de l'analyse de la construction étatique, censée renouveler les analyses du politique [29]. Dans « Politique comparée », il se démarque au contraire de ces approches, tout en en soulignant l'intérêt. Avec Hermet, il distingue parmi les socio-historiens américains [30] ceux qui appliquent un modèle général et a priori à l'histoire (tel Immanuel Wallerstein), de ceux qui recherchent inductivement des régularités causales dans des phénomènes historiques communs à plusieurs sociétés comparables (comme Barrington Moore, Perry Anderson ou Théda Skocpol), de ceux enfin qui comparent des trajectoires pour différencier des séquences (tels Clifford Geertz, Samuel Eisenstadt et Rokkan) [31]. Les deux politologues regroupent également tous ces auteurs des années 60 en deux grands courants : l'un marxiste (Moore, [55] Anderson, Wallerstein, Skockpol, Tilly, Hechter), l'autre (avec Bendix, Eisenstadt et Rokkan), « développementaliste revisité » (néo-wébériens dirions-nous) [32].

Méthodologiquement parlant, ces travaux attachés au comparatisme sont sévèrement critiqués. D'abord, tous limiteraient leurs analyses à l'aire occidentale, délaissant l'Afrique ou l'Asie [33]. Ensuite, chaque socio-historien n'aurait pas vraiment pensé son « rapport à l'histoire » dans l'utilisation de ses sources documentaires, dans le traitement et la vérification empirique des documents, certains se voyant reprocher le fait d'être davantage historien (comme Tilly et Rokkan) ou de trop varier les espaces de référence comparés. Manque plus grave : l'absence de manifeste méthodologique commun ou simplement explicite [34]. Rokkan, lui, est suspecté en raison de la nature trop historique et séquentielle de sa carte conceptuelle de l'Europe, qui aboutirait à une simple description de singularités accumulables à l'infini, sans que soient dégagées des « variables vraiment explicatives » [35].

Afin d'apprécier cette analyse critique peut-être un peu rapide de la sociohistoire, on peut citer l'ouvrage de Charles Tilly : « Macrostructures, larges processus, vastes comparaisons » [36] (que Badie et Hermet n'ont pas utilisé), qui défend une approche de sociologie historique dégagée justement des généralisations habituelles de la sociologie déductive, comme d'une approche spécifiquement historienne.

Pour Tilly, la sociologie doit réintroduire un point de vue historiciste, c'est-à-dire attentif à la localisation des phénomènes dans l'espace et dans le temps, aux cas concrets, comme aux déterminations de notre présent par des éléments hérités de contextes passés. Cet auteur choisit comme objet privilégié de la socio-histoire (dont il reconnaît la fragilité et la disparité), l'étude comparée des macrostructures et des grands processus dans le contexte des changements du XIXe siècle (le développement mondial du capitalisme et la construction d'États-Nations), qui pèsent toujours sur le monde actuel. Il s'efforce dans un premier temps de critiquer les « huit postulats pernicieux » issus de la pensée sociale du XIXe siècle. Il dénonce ainsi les tendances à isoler chaque société, à réduire le social à des événements mentaux individuels, à uniformiser le problème du changement perçu de façon linéaire ou développementaliste, à privilégier une fonctionnalité sociale en terme d'ordre, de contrôle, de différenciation, d'intégration.

Charles Tilly s'appuie explicitement sur la sociologie et la science politique, plus, à son grand regret [37], que sur l'histoire, l'anthropologie, l'économie ou la [56] géographie. Sans nier leur légitimité, il se démarque des approches globales de l'histoire mondiale comme des systèmes-mondes (unités signifiantes de composantes définies par des relations de coercition, d'échanges, par des processus de subordination, de production et de distribution dans des aires particulières), ou du niveau micro-historique (celui des relations à un moment donné entre des individus et des groupes). Il distingue plusieurs modalités d'application de la méthode comparative en fonction du niveau de grossissement de l'observation auquel on se situe. Sceptique, quant à lui, à l'égard des tentatives d'histoire totale des systèmes-mondes (il s'interroge longuement sur la pertinence de la grande synthèse de Fernand Braudel), tout en reconnaissant l'intérêt de l'approche micro-historique, il propose une distinction de la méthode comparative à ce niveau même.

Il s'agit pour lui d'étudier, dans l'aire européenne depuis 1500, des unités d'analyse bien délimitées, soit des structures (les États, les modes de production régionaux, les solidarités sociales, les systèmes militaires, les entreprises...), soit des processus (de prolétarisation, d'urbanisation, d'accumulation du capital, de construction étatique, de bureaucratisation...), en recherchant, de façon comparée, d'une aire à l'autre, des uniformités et/ou des variations parmi ces unités que l'on doit identifier concrètement avec prudence, sans nécessairement tout assimiler à chaque État-Nation. Tilly insiste sur le choix des unités qui dépend d'un parti pris théorique clair : soit la connaissance va privilégier une approche spécifiante de cas (saisissant un cas unique ou l'ensemble des cas d'un phénomène donné), soit elle va essayer de rendre compte d'une multiplicité de formes (c'est-à-dire des propriétés communes d'un phénomène). Il dresse le tableau suivant qui situe les divers travaux de socio-histoire selon leurs orientations (en précisant que celles-ci peuvent être combinées et sont complémentaires) :

Il détaille ensuite quatre « stratégies » méthodologiques : une comparaison individualisante (qui dégage des contrastes entre des cas spécifiques d'un phénomène), une comparaison universalisante (qui recherche des règles communes pour chaque cas d'un phénomène), une comparaison de variations (attachée aux variations d'un phénomène et aux différences entre les cas), une comparaison « systémique » (« encompassing », environnementale, qui place les différents cas à travers des situations [57] variées, mais dans un même système totalisant qui les explique dans leurs transformations) [38].

Tout en reconnaissant que les historiens de métier sont souvent réticents à utiliser la méthode comparative comme les théories des macro-structures et des larges processus, Tilly insiste sur l'intérêt de celles-ci pour la recherche historique. Après un exposé détaillé et critique des divers travaux américains de socio-histoire, il termine sur une note d'inquiétude quant à leur éventuelle institutionnalisation. Selon lui, ils risquent de s'enfermer dans un affinement comparatif trop subtil, intégrant un très grand nombre de cas et de variables à l'infini, aboutissant à l'élaboration de théories obsolètes, ou se terminant dans un désespoir endémique en raison de difficultés à élaborer des explications vraiment pertinentes. Malgré ces limites épistémologiques, qui considèrent comme évident le postulat qui lie le processus de construction des États au développement de l'accumulation capitaliste (problématique marxiste toujours discutable, dans les réductions qu'elle implique, pour un point de vue historien attaché à la complexité des phénomènes de construction étatique). Tilly différencie utilement la méthode comparative. Il lie ses modalités d'élaboration au niveau de grossissement et d'échelle retenu par l'observateur, plus subtilement que Badie et Hermet qui, eux, se contentent de renvoyer dos à dos la sociologie généralisante, structuralo-fonctionnaliste, et la socio-histoire, inspirée du marxisme ou de la méthode weberienne, sans précisément montrer que celle-ci peut investir plusieurs stratégies comparatistes qui produisent des objets théoriques et empiriques différents. Mais quelle voie méthodologique les deux politologues proposent-ils eux-mêmes ?

Ils avancent prudemment vers une « troisième » voie, censée renouveler le comparatisme, en prônant, sans que l'on s'y attende, la réactualisation de deux paradigmes de la sociologie généralisante, présentés comme « nouveaux » (sic) : « l’analyse culturelle », et la « sociologie stratégique de l'action ».

Ils considèrent le premier paradigme culturaliste, même si celui-ci s'est renouvelé, comme ayant en fait « plus d'un siècle d'existence » [39]. Ne nous attardons pas trop sur le fait que ces deux modèles explicatifs sont issus de la même sociologie que celle conspuée, on l'a vu, dans le chapitre sur la « crise de l'universalisme ». Soudain, Badie et Hermet semblent retrouver des vertus au généralisme. Ils reconnaissent par exemple l'intérêt de la sémiotique et de la linguistique pour l'analyse culturelle, même s'ils restent attachés au seul repérage par celles-ci des différents vocabulaires politiques [40], gommant donc leur dimension structuraliste. Ils défendent encore leur relativisme en insistant sur la difficulté de l'utilisation généraliste du concept de culture que chaque chercheur doit construire en l'adaptant à son objet de façon variable [41]. Fuyant l'approche complexe d'un Stein Rokkan, à la fois historique et comparatiste, ils se réfugient derrière le concept problématique et opaque - ils le [58] reconnaissent explicitement [42] - de « culture ». Celui-ci est tantôt assimilé à un système de significations, à un code symbolique globalisant (par exemple « la culture islamique » ou la « culture chrétienne »), qui précisément efface les hétérogénéités dans l'espace et dans le temps, tantôt se trouve réduit au système symbolique irréductible d'une petite communauté, intraduisible dans d'autres codes (empêchant la comparaison et la prise en compte des échanges culturels) [43].

L'analyse culturelle permet-elle vraiment d'expliquer les variations et les ressemblances entre les systèmes politiques ? Les scrupules permanents et la critique incessante actionnée rendent difficilement crédible le niveau de l'explication, réduit à une combinaison (un défilé) de variables. Remarquons là la référence paradoxale à Max Weber et à sa méthode « interprétative », qui a de quoi surprendre, eu égard aux critiques précédentes de sa méthode idéal-typique. Badie et Hermet considèrent celle-ci comme en retrait par rapport à la méthode causale et à la recherche de la genèse des phénomènes. Une telle opposition était loin d'être évidente pour le Max Weber des « Essais sur la Théorie de la Science » [44].

Autre paradigme généralisant mis en avant pour « renouveler » l'approche comparative du politique : celui de la sociologie de l'action. Même si sont différenciées les conceptions de l'acteur rationnel prônées par l'individualisme méthodologique (on ne peut plus occidentales !) de celles qui prennent en compte les stratégies d'acteurs concrets, individuels et collectifs (comme la bonne vieille histoire politique ou diplomatique... à la Seignobos), les auteurs rapprochent de façon symptomatique les différentes théories hypothético-déductives de la sociologie des années 80 en ces termes :

« La sociologie de l'action ne contredit donc ni le recours à l'histoire, ni le recours à l'analyse culturelle, mais au contraire devient indissociable de l'un et de l'autre » [45].

Sans que soit vraiment justifiée la convergence syncrétiste de ces paradigmes méthodologiquement divergents, ni précisés les critères théoriques de ces deux recours, ils tentent enfin de définir ce qu'ils ne distinguent pas explicitement : des théories et des variables d'analyse. Après un rapide parcours historique (peut-être anachronique ?) à travers quelques textes de philosophie politique regroupés pour la circonstance (censés rapprocher des théoriciens « fondateurs » du comparatisme politique), est avancée, non une théorie de la comparaison politique, mais une énumération de variables multiples, dont la combinaison prendrait une dimension « explicative ».

[59]

Sont ainsi posées des variables « culturelles » (religieuses et non-religieuses, des systèmes juridiques, éducatifs, familiaux, les images des rapports sociaux, bref, tous les « cadres d'élaboration et d'inculcation de la normativité politique »), des variables économiques (la faim millénaire, les révolutions agricoles et industrielles), des variables proprement politiques du politique (l'espace, la temporalité et les interactions) : étrange définition du politique qui gomme l'analyse interne des États, notamment dans leur dimension administrative, les processus complexes de structuration de la vie politique, de démocratisation, de bureaucratisation, de mobilisation, de pénétration de l'État par les forces socio-politiques...

La prise en compte des variables culturelles permettrait de corriger les tentations des explications globalisantes en réintroduisant l'originalité des substrats de chaque « génotype politique » [46]. Une telle méthodologie semble donc se situer plus dans le camp des sciences de l'esprit, de la culture, à dominante historiciste, attachées à la description de formes concrètes, que dans celui des sciences analytiques anglo-saxonnes, que différencie Raymond Aron [47], ou d'une anthropologie structuraliste plus « loganalytique » (telle que la définit Michel Serres [48] que symbolique ou archétypale. Cette référence ultime au paradigme culturaliste et à celui de l'action, se pare à nouveau d'accents weberiens légitimisants, ainsi formulés :

« La comparaison n'est que collecte de données si elle se limite à la comptabilisation des ressemblances et des différences de terrains parents aussi bien que de sites hétéroclites. Et c'est, seulement, quand elle tend non pas vers cette accumulation d'informations mais vers la compréhension progressive - l'explication compréhensive de Max Weber - des mécanismes qui paraissent susciter ces dissemblances ou ces similitudes qui ne sont jamais que des résultantes, que la comparaison satisfait son ambition heuristique » [49].

De telles propositions épistémologiques soulèvent un certain nombre de difficultés. D'abord au niveau des choix théoriques et de la définition des objets traités. Qu'est-ce que les deux politologues proposent de comparer ? Des « cultures » ? Cet objet n'est-il pas confiné dans une irréductibilité ? Des « aires », des espaces « culturellement » cohérents ? Mais n'est-ce pas déplacer le problème précédent à une échelle supérieure d'observation des faits ? Des processus, ou bien des structures, des États ou des relations entre États ? Les niveaux d'objets, les espaces de référence, ne relèvent pas tous du même comparatisme : rien n'est précisé à ce sujet. Les objets [60] traditionnels des comparatistes (les États, les formes de gouvernement, les partis, les processus politiques d'étatisation, de démocratisation, de corruption...) ne peuvent se satisfaire du paradigme culturaliste ou de celui de la sociologie de l'action, à dominante psycho-sociologique, qui correspondent à l'étude de micro-objets contemporains de petites dimensions, et excluent toute analyse en terme de structures larges, d'institutions, de processus étalés dans le temps ou couvrant de vastes espaces, chers à Charles Tilly.

Ensuite la synthèse de Badie et Hermet paraît hésitante quant au type de « causalité » à privilégier et au mode d'explication qu'il sous-tend. Quelles « déterminations » retenir si le niveau d'observation et le type d'objets ne sont pas clairement définis ? Les deux auteurs acceptent-ils ou non le modèle déductif d'explication causale ? Au nom d'un syncrétisme explicite, qui refuse la mono-causalité, ils adoptent une démarche zigzaguante entre explication et compréhension, universalisme et particularisme, déterminisme multivarié et herméneutique mono-culturelle. Tantôt ils suivent Weber dans sa démarche compréhensive (fondée elle sur une différenciation culturelle à partir des grandes religions universalistes), tantôt ils le rejettent, dans sa méthode idéal-typique. Ils se rapprochent parfois de la sociologie généralisante en prônant la recherche de « causes », la « compréhension des mécanismes », de déterminations des différences et des ressemblances. Y aurait-il une causalité universelle des phénomènes sociaux au niveau des macrostructures et des processus globaux qui transcendent les aires particulières ? Comment « expliquer » des différences par des causes semblables et des ressemblances par des causalités différenciées, historicistes, variables, configurées dans des aires limitées ? Dans ce dernier cas, peut-on encore avancer le concept de « causalité » ? Ne vaudrait-il pas mieux parler de « conditions » ? Mais alors ne frôle-t-on pas l'historicisme et la variabilité « à l'infini » reprochés à Stein Rokkan ? Une causalité réduite à une résultante de phénomènes objectifs interactifs (culturels, économiques et politiques), donc de nature sociologique, relationnelle et répétitive, est-elle compatible avec une causalité « culturaliste », compréhensible, qualitative ? Le premier type ne réduit-il pas implicitement l'objet du social à des « instances » séparées (la métaphore éculée des trois « niveaux » de l'édifice social !), en écartant le concept transversal de structure, de système, de fonction ou d'historicité, sans que soient précisées les modalités de détermination des variables ou leur hiérarchisation ? En d'autres termes, au niveau de l'explication, le jeu de variables croisées entre des instances assimilées à un complexe d'interactions sans cesse changeantes dans le temps et dans l'espace, ne peut remplacer une théorie générale du social. La référence aux cultures qui informeraient les modèles de combinaison de déterminations entre les trois instances, ou à la sociologie stratégique, compatible avec cette vision du soci4 parait plus descriptive qu'explicative et en définitive se montre peu heuristique pour la recherche en politique comparée. Sans compter que le schéma des trois instances combinées implique un refus de penser l'autonomie du politique en tant qu'objet théorique, au delà de ses formes historiques d'organisation. Ce choix, contraire à de nombreux courants, aurait mérité d'être explicite autrement que par le caractère « occidental » du schéma de la séparation des fonctions, d'autant qu'on retrouve celle-ci (le grand comparatiste Georges Dumézil ne l'a-t-il pas montré ?) dans des sociétés non-occidentales et à des époques éloignées.

[61]

Dernier problème enfin, et non des moindres : le rapport à l'histoire et à l'historicité. Comment ne pas penser, au niveau d'une analyse politique comparée des diverses aires, le problème des évolutions conjointes et disjointes, mais surtout la question des continuités et des discontinuités dans le temps, le poids du passé, que ne peut épuiser la référence au paradigme culturaliste ou à celui de l'analyse stratégique, tous deux profondément a-historiques ? Peut-on proposer une construction de la comparaison en dehors d'une réflexion sur l'histoire ? Là, les deux politologues vont adopter une position de repli : sans justifier leur conception de l'historicité, et malgré l'intention affirmée d'une convergence entre histoire, acteur et culture, dans leur théorie des trois « recours », ils vont opposer systématiquement l'histoire à la sociologie. Etrange combinaison pour des tenants du comparatisme, mais parfaitement cohérente et logique dans leur espace théorique de référence.

I.3. Un refus de l'histoire historienne

Certains passages de « Politique comparée » pouvaient laisser présager qu'allait être écartée « la vieille querelle ». Le choix d'un programme méthodologique comparatiste, comme les critiques adressées au sociologisme classique [50] n'appelaient-ils pas un tel dépassement ? Quelques indices paraissaient rassurants : par exemple le reproche au courant behavioriste d'avoir oppose radicalement science politique et histoire, au courant marxiste d'avoir enfermé cette dernière dans une téléonomie, au systémisme mécaniste d'avoir sclérosé et simplifié à outrance, dans un formalisme essencialiste, le politique et le diachronique. Ou encore l'affirmation des contextes historiques spécifiques, ainsi formulée :

« L'introduction de cette variable contextuelle consiste notamment à tenir compte des traditions politiques propres à chaque unité géographique, c'est-à-dire en fait de leur histoire propre, expliquant les corrélations et donnant un sens à leur comparaison. Par ailleurs, seule l'analyse historique permet de vaincre les illusions nées du recours à la corrélation, en permettant de construire des hypothèses sur la nature des liens qui unissent entre elles les variables » [51].

Les deux politologues réhabilitaient-ils là l'histoire, perçue comme une combinatoire de variables spécifiques à une aire donnée ? Une telle conception excluait toute macro-histoire des systèmes-mondes, tout un développement commun lié à l'extension de phénomènes globalisants, limitait l'objet historique à des stratégies localisées, partielles, attachées à certains acteurs, à des micro-événements, dans une division « à l'infini » des espaces de référence, perçus comme des « niveaux multiples de complexité » isolés les uns des autres, comme des « contextes » balkanisés. Cette question trompeuse surgissait même [62] « La sociologie politique comparative est-elle pour autant appelée à disparaître devant l'histoire qui servirait ainsi de méthode à la politique comparée ? »

Brutale fut la réponse :

« La tentative de constituer une sociologie historique suggère en réalité tout autre chose. La politique comparée reste sociologique en cela qu'elle ne récuse a priori la conceptualisation sociologique, ni les méthodes ou les paradigmes de la sociologie, mais prétend plus simplement opérer un tri, au sein de cet outillage, entre l'universel et le particulier, entre les matériaux précisément marqués par une histoire et ceux qui, au contraire, se retrouvent dans les histoires. De même prétend-elle garder son autonomie par rapport au mode d'explication historique, considérant qu'expliquer des phénomènes sociaux ne revient pas nécessairement à dégager des continuités, mais aussi à insérer et critiquer celles-ci par référence aux acquis de la théorie sociologique » [52].

Les illusions tombent enfin. Les rapprochements esquissés, le neutralisme supposé, le « renouvellement » épistémologique s'estompent, comme le refus affiché du « faux dilemme » d'une science politique universaliste opposée à une histoire singularisante. Les deux politologues, sans préciser autrement que par une référence vague à des « codes culturels » les critères de la différenciation entre l'universel (les histoires) et le particulier (une histoire), opposent donc les modes d'explication sociologiques et historiques. Le débat sur les relations entre histoire et sociologie était en fait tranché depuis le début du manuel [53], dans la suite des positions défendues par Bertrand Badie dans son ouvrage antérieur sur le développement politique [54].

On perçoit mieux alors la quasi-absence dans « Politique comparée » de références à des travaux d'historiens attachés à l'interdisciplinarité et au comparatisme. Marc Bloch, Fernand Braudel, Georges Duby, Lucien Lebvre, Jean-Pierre Vernant... sont exclus de l'index nominum, seuls sont cités des titres d'ouvrages d'Agulhon, Furet, Milza et Rémond. Il en est de même des anthropologues : Augé, Balandier, Bastide, Dumézil, Godelier, Lévi-Strauss... sont écartés, Clastres et Lapierre simplement signalés. Les hésitations au sujet de la méthode weberienne [55] s'éclairent également : Weber n'a-t-il pas réussi à concilier l'histoire et la sociologie, en saisissant « génétiquement », « grâce à la méthode comparative », ce qu'il appelait « la singularité historique du développement de la civilisation européenne » ? Pour lui, d'ailleurs, le double mouvement constitutif de « généralisation et d'individualisation », touchait à la fois les sciences de la nature et celles de la culture, et l'utilisation de la méthode idéal-typique, loin de s'opposer à l'histoire, devait permettre de confronter les modèles à la [63] réalité empirique, étant entendu que l'histoire ne pouvait être réduite à « une science du singulier » (sic), à une simple « reproduction de faits » [56]

On comprend mieux aussi, dans la réponse de Badie et Hermet, leur vision très étriquée du savoir historique réduit à une analyse du « concret », du singulier, à une matière « micro-événementielle » ou à une description de « continuités » (mais de quelle nature ?). Les deux politologues réservent en fait à la seule sociologie le privilège de trier les matériaux universels et les matériaux singuliers, tout en refusant de construire une réflexion sur la temporalité. Alors qu'on se situe au niveau de l'histoire mondiale d'espaces politiques comparés, ils ne font aucun cas, par exemple, de la conception des temps différenciés élaborée par Fernand Braudel [57]. Les limites de l'historique sont posées uniquement par rapport à des répartitions d'événements dans des aires fermées sur elles-mêmes, en dehors de tout rapport à des séquences de longue durée, aux scansions de grandes structures ou de larges processus, qui pèsent sur les diverses contemporanéités, traversent et relient entre eux tous les espaces, à des vitesses variables, en produisant (et en étant produites par) des niveaux différents de réalité. Pourquoi ne pas accepter un temps complexe et multiple, qui, comme l'affirme Braudel, dans « La Méditerranée », ne s'oppose nullement à la liberté des acteurs politiques ? Lui parle là, pour désigner les soubassements temporels des événements courts, d'une « portée de musique sur quoi éclatent des notes singulières » [58] que sont précisément les faits de la micro-histoire ou les répétitions de la micro-sociologie (« ces fleurs d'un jour si vite fanées »). De plus, peut-on réduire le politique à la seule « sociologie des acteurs » (celle d'un Olson, d'un Giddens, d'un Goffmann... [59], à la surface de la vague, sans aborder la longue durée de l'histoire des institutions ou des représentations ?

Déniant implicitement à l'histoire toute dimension théorique, toute modélisation inductive universalisante, toute capacité comparative, Badie et Hermet réactivent les anciennes sociologistes pour qui celle-ci ne serait qu'une « discipline d'apport », qu'une banque de données recueillies dans « la poussière des archives », un gisement de monographies corvéables, juste bonnes à illustrer les modèles hypothético-déductifs [64] élaborés dans « les nuages de la théorie » [60]. Lucien Febvre dénonçait déjà cette opposition factice entre « le manœuvre voué à tirer les pierres de la carrière », « à dégrossir les pierres de taille », et le « sociologue-architecte », seul capable de les assembler, d'édifier des palais théoriques [61].

Cette vision caricaturale se retrouve chez beaucoup de politologues, qui prétendent réduire la science politique à de la sociologie [62]. Dans le cas de Badie et Hermet, le mélange entre d'un côté une « culture » isolée de l'histoire (et notamment de ses échanges avec les autres cultures), et, de l'autre, un sujet libre qui agit en dehors de l'histoire « objectivée » et de l'histoire « incorporée » (Pierre Bourdieu [63], est la conséquence logique de ce rejet sociologique de l'historique en tant que réalité et en tant que savoir. Cela explique peut-être l'absence, dans les divers chapitres de « Politique comparée », de périodisations mondiales spatialisées comme celles proposées par l'Atlas historique comparatif de l'Encyclopédia Universalis [64]. De même, la séparation radicale entre les « dynamiques occidentales », « extra-occidentales » et « orphelines », pourtant en interactions les unes avec les autres dans des rapports économiques, culturels, militaires et politiques complexes dans la longue durée, pèse sur la réflexion non périodisée concernant la « sociologie de l'importation de modèles politiques ».

Le bilan proposé, ramassé en raison de l'espace étroit d'un manuel, se limite, dans sa présentation générale, à une réflexion épistémologique critique. Celle-ci donne l'impression d'un effet de compilation qui, pour construire une cohérence formelle, divise artificiellement l'objet « pouvoir politique » de « l'expression politique », mais surtout se sert en seconde main des résultats empiriques d'auteurs ou de concepts contestés dans la première partie de l'ouvrage (cela est particulièrement sensible dans le passage sur l'État néo-patrimonial [65]. On peut être étonné aussi de certains accents « développementalistes », perceptibles dans la théorie de « la modernité » démocratique occidentale [66], ou encore de la définition retenue du concept d'État, dont le modèle reconstruit est bien celui, présenté comme homogène, de l'État occidental. Mais cet [65] objet est insuffisamment précisé dans ses composantes administratives et politiques comme dans la définition des étapes de sa construction évolutive comparables dans l'espace et dans le temps [67]. À ce sujet, aucune référence n'est faîte par exemple aux travaux de Gérard Timsit sur la comparaison des modes d'administration publique entre les divers États, qui distingue trois modèles élaborés autour de mécanismes d'« intégration » verticale et horizontale [68].

Relevons aussi, sans insister, les banalités du bref passage consacré au totalitarisme européen, qui ne fournissent aucun élément de théorisation du phénomène du fascisme dans un champ important de l'histoire politique, où la pertinence de l'étude comparée est particulièrement problématique, en raison des différences fondamentales entre les mouvements fascistes comme entre les systèmes de gouvernement des États totalitaires, le seul « concept » avancé reste la métaphore vitaliste de « pulsion totalitaire ». À la lecture de travaux d'histoire sur le sujet, comme ceux récents et comparatifs de Pierre Milza, de Pierre Ayçoberry ou de Ian Kershaw [69] (non utilisés), qui posent bien le problème des interprétations antagonistes de ce phénomène politique et idéologique (opposant les tenants des théories du « totalitarisme » à ceux des théories du « fascisme »), on mesure l'abîme qui les sépare, en capacité de compréhension et d'explication, d'une synthèse inachevée.

Marquons une dernière réserve. L'effort verbal pour instituer en « secteur » (l'horrible mot !) la politique comparée, risque de distiller dans la tête de jeunes lecteurs l'idée que la science politique aurait « inventé » le comparatisme et qu'elle se situerait au-dessus des débats soulevés à ce sujet par les autres disciplines. Cette prétention implicite, qui recherche de façon anachronique ses « pères fondateurs », nous interroge sur le statut d'une discipline qui prétend à une sorte d'autonomisation « au singulier », tout en se réclamant de la seule « sociologie politique ». Elle construit certes ses objets, elle dispose d'un début d'institutionnalisation, mais a-t-elle une méthodologie qui lui soit spécifique par rapport aux autres sciences humaines, particulièrement en matière de comparaison ?

Cela dit, sans oublier bien sûr que nous sommes là face à un manuel d'initiation qui, a ce titre, paraît incontournable et a le mérite de poser, autant et peut-être mieux que beaucoup d'ouvrages méthodologiques de disciplines consacrées, un certain nombre de questions épistémologiques. Cela n'est pas courant dans une époque [66] obnubilée par les préoccupations convenues des « sciences sociales », loin des savoirs désintéressés et critiques des « sciences humaines ». Signalons enfin que « Politique comparée » est à l'origine d'un important débat théorique sur les divisions paradigmatiques qui partagent la « sociologie historique » et différents courants de la sociologie américaine, voire de ses versions sous-titrées en français. Il est intéressant de présenter brièvement celui-ci.

II. SCIENCE POLITIQUE
OU SOCIOLOGIE HISTORIQUE ?


Juste après la publication de « Politique comparée » s'est tenue en effet un atelier sur la méthode de la sociologie historique au sein du Congrès mondial de Sociologie de Madrid en juillet 1990. Un texte de Bertrand Badie qui résumait les positions du manuel entama un dialogue direct avec les socio-historiens américains interpellés. La Revue internationale des Sciences sociales de l'UNESCO vient d'en reprendre le contenu à l'initiative de son directeur, Ali Kazancigil [70]. Celui-ci le présente comme « les retrouvailles entre les approches historiques et comparatives ». Est-ce bien l'expression qui convient ? Enumérons en les étapes à partir de la présentation des thèses défendues par les divers protagonistes, Badie et Hermet d'abord (2.1), les sociohistoriens américains ensuite (2.2.), le tenant d'une science politique anti-historienne enfin, Jean Leca (2.3.).

2.1. Le paradoxe de Badie et Hermet

C'est la communication de Badie, « Analyse comparative et sociologie historique » qui ouvrit la discussion épistémologique. Si aucun argument nouveau n’apparaît par rapport à « Politique comparée », un fait est frappant : l'insistance sur la question du recours à l'histoire, pressentie comme problématique dans notre présentation de l'ouvrage.

L'auteur insiste en effet sur l'ignorance de l'histoire par la science politique. Il énonce ainsi les causes idéologiques qui expliqueraient cette « exclusion » : l'historicisme (caractéristique par exemple de la téléonomie marxiste du sens de l'histoire ou de l'hyperculturalisme islamiste), le séparatisme béhavioriste, l'hypertrophie du modèle occidental de construction démocratique, qui se prétend universel. Il parle ensuite de la « panne » de la socio-histoire qui, dans ses méthodes, se heurte à deux paradoxes : le poids du singulier, rebelle à toute comparaison, et les divisions des théories macrosociologiques qui, incapables de saisir l'histoire, font douter de leur méthodologie.

[67]

La sociologie américaine, selon Badie, s'enferme dans une vision linéaire de la temporalité. Elle privilégie des modes explicatifs homogènes, sous la forme de jeux variables répétitifs, d'une conception universelle de l'historicité et du déploiement de l'État. Le politologue précise ainsi son point de vue :

« Si les histoires sont comparables, à quel niveau le sont-elles ? Si l'histoire est une aventure, ne risque-t-on pas de briser son identité en la ramenant à un jeu de variables communes ? Les trajectoires historiques sont-elles véritablement destinées à montrer des incarnations différentes d'un même phénomène social universel ? Ont-elles vocation à nourrir et à banaliser l'analyse multivariée ? Toutes ces questions buttent en réalité sur l'essentiel : les variables explicatives sont-elles indépendantes des cultures propres aux objets qu'on se propose d'analyser » [71] ?

Il se fait alors le défenseur (sans aucune référence à Fernand Braudel) d'une conception d'un temps historique différencié constitué d'une pluralité de durée. Mais loin de penser celle-ci au niveau global et universel, pour toutes aires culturelles, il opère une différenciation entre le temps « universel » de l'occident, celui de la domination, et les durées multiples des espaces dominés, qui résistent au premier et construisent des temporalités irréductibles. Celles-ci sont perçues comme des « durées », comme des « représentations du temps » (sic). Ainsi, le temps cyclique de l'Islam n'aurait aucun rapport avec le temps linéaire de l'Occident, comme avec celui du savoir historique occidental qui réduit tout à sa seule mesure. Durées culturellement construites donc, auxquelles s'ajoutent des modes diversifiés (et non identiques ou généralisables comme le concevaient Durkheim, Tönnies ou Weber) de passage de la tradition à la modernité.

Or la socio-histoire ne rendrait pas compte de ces « rythmes différents », des décalages, des hiatus qu'ils impliquent, puisqu'elle se complait dans l'universel, dans un temps des structures et des processus abstraits, indépendants des modes de réception par les cultures éparses, bref, d'un temps semblable à celui mesuré par les machines horlogères.

Ce jugement est partiellement discutable. Il réduit l'analyse de la temporalité à une façon de vire le temps, à une durée perçue, incompatible avec l'existence de temps objectifs, comme si les deux phénomènes ne pouvaient être analysés parallèlement, soit de façon séparée, soit en interaction. Le problème concerne en fait toutes les cultures, l'occidentale comme les autres. Le temps universel de la nature (qui a été mesure par toutes les civilisations, et pas seulement par l'Occident) n'est pas celui de l'histoire humaine universelle, et celui-ci, qui est un temps construit et perçu, est à fois globalisant et éclaté en temps multiples, comme en temps subjectifs. La différenciation n'est pas un privilège de certaines cultures, mais de toutes. C'est ce que montrent les travaux de la philosophie de la temporalité, de l'ontologie heidegerienne à Bergson ou [68] Bachelard, en passant par la « rythmanalyse » [72], ou encore ceux de la sociologie durkheimienne (notamment de Mauss, d'Halbwachs, de Granet) ou d'un Lewis Munford [73]. Le fait qu'il existe des processus de différenciation et de perception variés du temps (cela est valable aussi pour l'espace), n'exclut nullement le problème d'une temporalité objective ou celui de l'existence de temporalités transculturelles. Comme pour la construction du politique dans « Politique comparée », Badie s'enferme dans une conception strictement culturaliste, dans un idéalisme représentatif. Au nom de la critique (légitime) de l'universalisme de certains modèles politiques et idéologiques, voire scientifiques ou philosophiques, il tourne le dos à toute approche universalisante des phénomènes globaux, culturels, économiques ou politiques, sans voir non plus que l'Occident, perçu comme un tout homogénéisant, a subi lui aussi des processus de différenciations internes et des temporalités différencialistes (entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, les villes et les campagnes...). Si les modes d'importation de l'occidentalité ont été plutôt réducteurs et destructeurs dans l'histoire, est-il illégitime, au niveau du savoir, de les prendre comme objet ?

Badie s'acharne également à dénoncer le désordre explicatif de la sociohistoire, qui hésite sans cesse, dans son bricolage, entre le déterminisme des structures et la liberté stratégique des acteurs, comme entre le déductivisme abstrait et l’empirisme. Par rapport à « Politique comparée », le politologue utilise l'ouvrage de Charles Tilly (« Grosses structures, larges processus, vastes comparaisons »), mais de façon partielle, puisqu'il ne retient que les critiques de ce dernier à l'égard de certains travaux de sociohistoire, sans discuter sa proposition de classification perspectiviste des niveaux de comparaison (que nous avons présenté plus haut). Les hésitations de Badie quant à la possibilité d'une comparaison universalisante se ressentent bien dans le passage suivant :

« Il est vrai que construire une comparaison sur la micro-sociologie est impossible : comparer sans prendre en compte la globalité, l'effet de contexte, le paramètre culturel, fausserait dès le départ l'analyse » [74].

[69]

N'est-ce pas là remettre en question l'intérêt porté au paradigme de la sociologie de l'action dans « Politique comparée » ?

Sans vraiment se référer aux travaux spécifiques des historiens (y compris ceux du Droit) sur la construction de l'État, confiné dans des références bibliographiques exclusivement américaines, Badie, toujours aussi fluctuant, n'avance pas moins dans sa conclusion, l'affirmation selon laquelle il n'y aurait aucun substitut aux travaux de socio-histoire (qu'il vient de dénigrer) sur de tels sujets. Cela au nom d'une stratégie méthodologique (qui paraîtra assez éméchée aux historiens plongés dans le monde obscur de leurs archives !) qui fait l'aveu suivant :

« La métaphore de l'homme ne recherchant un objet perdu que sous l'éclairage d'un bec de gaz reste de rigueur » [75].

Comment s'étonner que cette sociologie là, faussement culturaliste (à la lecture de ces lignes déconstructrices !), ne trouve en définitive que ce qu'elle prétendait chercher !

Le co-auteur de « politique comparée », Guy Hermet, affiche lui une attitude toute aussi hésitante à l'égard de l'histoire, dans sa réponse personnelle à la communication de Bertrand Badie [76].

Il affirme d'abord son « découragement », son pessimisme », devant l'impuissance et les faiblesses de méthode des socio-historiens, qui, pour lui, construisent leurs schémas en se référant à l'organicisme. Les analyses de cette branche sociologique sont désincarnées, trop généralistes. Elles « dérivent » (sic) sans cesse vers l'histoire, qu'il vaut mieux réserver aux « historiens de métier ». Au passage, cette dernière se voit qualifiée de « passion du récit », de savoir plein d' »ignorances choisies », de « dédale » dans une « matière immense ». Le code de l'historien est réduit à des « relevés de fréquence », à des lubies chronologiques. L'histoire-savoir n'est qu'un piège : elle s'englue dans l'historicisme, dans des systèmes de sens irréductibles à des configurations spatiales ou temporelles. Mais, autre aveu de taille, Hermet affirme que l'on ne peut s'en passer, que la sociologie est condamnée à l' »utiliser » (sic), à y puiser « les idées ou les hypothèses qui alimentent son imagination » [77]. Cela revient à ouvrir la porte à toutes les méthodologies hypothético-déductives qui ne peuvent établir de rapport avec l'histoire historienne qu'en terme d'illustration, d'utilisation de données. L'auteur prône cependant la modestie, la prudence dans le travail sociologique, qui doit être, quant il utilise des matériaux historiques, plus interprétatif que démonstratif. Il faut se méfier, ajoute-t-il, du nominalisme, du sens des mots (par exemple de celui polysémique d'État).

[70]

Le paradoxe se renouvelle une fois encore comme chez Badie : l'histoire est méprisable, la socio-histoire est insuffisante, mais la sociologie sociologiste ne peut se passer de l'une et de l'autre ! Face à ces remarques sceptiques, qui font douter - mais au nom de quelle idéologie extra-scientifique ?) de la possibilité d'une science historique qui serait à la fois historienne et théoricienne, universalisante et particularisante, les socio-historiens américains, invités à débattre, se sont efforcés d'apporter des réponses plus optimistes.

2.2. La réponse des socio-historiens américains

Charles Tilly intervient le premier [78]. Dans un article particulièrement brillant, agrémenté de deux cents références bibliographiques (dont celles aux historiens Fernand Braudel, Carlo Ginzburg et Gérard Noiriel), il plaide pour une sociologie historique dynamique, qui refuse à la fois les théories réductrices de la décision, comme les visions « structurales » des systèmes-mondes, trop universalistes. Il s'oppose clairement à l'individualisme méthodologique comme à un déterminisme social (durkheimien, parsonien ou marxiste). Au nom d'un « interactionnisme » inspiré de Simmel, de Mead, de Marx, de certaines pages de Weber, des théories des réseaux et des processus économiques (Arrison White, Ronald Burt...), il répond vivement d'abord à Bertrand Badie, puis aux théoriciens des choix rationnels et aux sociologues de l'action.

Tilly affuble Badie du qualitatif de « sceptique paralysant » et de « prophète de malheur ». Il lui reproche son choix méthodologique d'une « comparaison causale » et d'un objet trop réducteur : des sociétés isolées, prisonnières dans des États-Nations, dans des schèmes culturels mystérieux, et dans des modèles de développement « linéaires ». Cette perspective aboutit à un savoir introuvable, « désespéré (sic), à la quête d'un objet insaisissable, à l'impasse d'une herméneutique interprétative, transcendante par rapport aux observateurs objectifs du réel social. Celle-ci, pour retrouver un sens universel, est contrainte de faire appel en dernier recours à une sociologie descriptive de l'action, seule susceptible de dépasser le mystère de chaque monade sociale, étatique et culturelle « rencontrée », saisie comme un mirage.

De même Tilly critique la sociologie de la décision et de l'action, profondément a-historique et a-temporelle. Sans détailler son propre rapport épistémologique à l'histoire des historiens, il précise le contenu de son objet : la grande dimension, les variations de structures, les processus sociaux généraux (d'urbanisation, de capitalisation, d'industrialisation, de sécularisation, de mobilisation...), les changements et les répétitions d'une époque à une autre. Selon lui, les globalisations qu'un savoir de synthèse est amené à proposer doivent systématiquement être soumises à des études historiques concrètes, seules capables de montrer les liens entre événements, processus et structures. Il faut éviter les vastes séquences historiques homogénéisantes, comme [71] les systématisations complexes mais répétitives et identiques, quels que soient les lieux et les objets étudiés.

Le politologue se déclare attentif au « poids du passé », à la longue durée des formes, des actions, des transformations évolutives, des connexions transnationales, que l'on ne peut saisir simplement en terme de continuités, placées sur une échelle de mesure unifiante. Les relations entre les processus et les changements, vérifiables empiriquement, forment l'objet d'un macro-comparatisme qui transcende les sociétés et les États pris comme unités d'observation. Celles-ci ne doivent pas être fétichisées, notamment le concept d'État-Nation, dont on peut observer l'écroulement actuel au sein de la vieille Europe (dans les pays de l'Est particulièrement).

La perspective de Tilly, qui relève d'une sociologie dialectique à tendance économiste, s'inspire certes de recherches sur la formation historique des États et des processus occidentaux. Prend-elle suffisamment en compte les stratégies des élites, le travail d'auto-organisation diversifié des corps administratifs, le poids des régimes ou des événements politiques internes ou externes (les systèmes diplomatiques par exemple) ? Le postulat affirmé de l'écroulement de l'État-Nation (qui n'épuise pas à lui seul l'analyse de l'État) pourrait être discuté. Au regard du regain des questions nationales et du renforcement des structures étatiques, perceptibles partout dans le monde, une histoire politique comparée ou une sociologie culturaliste pourraient conclure l'inverse. Il est possible de suivre Badie et Hermet dans certaines de leurs critiques à l'encontre des généralisations de cette socio-histoire.

En effet, l'analyse en terme de macro-processus, de grandes dimensions, reste insuffisante pour comprendre des phénomènes réduits à une aire donnée, même répétés, qui intègrent la longue durée et sont en liaison avec des mécanismes complexes de conscience collective. Tilly réduit la construction des modèles étatiques à certaines variables comme la guerre et le capital, négligeant les dimensions symboliques et culturelles. Ses références historiennes restent lacunaires, ce qu'il reconnaît lui-même honnêtement dans son dernier ouvrage où il ose, sur plus de 1000 ans, analyser les étapes de l'accumulation et de la concentration de l'État en Europe. Il écrit ainsi, après s'être présenté comme un disciple en même temps de Marx, Weber, Schumpeter, Rokkan, Moore, Ardant, Bendix, Korpi, Skoepol, Therbom... :

« À une telle échelle, il me faudra traiter les faits historiques à l'instar d'un galet qui ricoche sur l'eau, filant de point en point sans s'arrêter plus d'un instant à chaque fois. Je ne connais pas toute l'histoire qui serait nécessaire » [79].

Ce rapport d'humilité à l'histoire des historiens est clair mais symptomatique. Tilly se contente d'une liste de vérifications de ses hypothèses en six points, et réduit l'ensemble des critiques possibles à des objections sociologiques productibles par les [72] disciplines de la socio-histoire (Strayer, North, Wallerstein, Anderson)... Quel historien du droit, des formes étatiques, des institutions culturelles, des guerres, de la diplomatie, de l'armée, de la police, du politique, de l'économie, des hiérarchies sociales, des rituels symboliques du pouvoir... pourrait se retrouver dans cette synthèse « non-conventionnelle » qui veut « repenser le passé » (sic) en divisant l'ensemble du millénaire en quatre sections aux limites temporelles « fluctuantes » (Père du patrimonialisme, l'ère du courtage, l'ère de la nationalisation, l'ère de la spécialisation) ? Même si le politologue distingue des trajectoires irrégulières, il n'en investit pas moins une histoire évolutionniste de l'État qui aboutit à « une accumulation et une concentration plus grande » (détruite étrangement dans les années 1990 !).

Son approche, par exemple, de l'évolution de l'appareil policier dans la longue durée, dénote une tendance à cristalliser le concept trop unifiant de « centralisation étatique française », non distingué des phénomènes de bureaucratisation et d'étatisation proprement dit, et à construire une périodisation linéaire de longue durée, qui ne tient nullement compte de l'histoire discontinue, régimes après régimes, des formes administratives et de leurs rapports au politique [80]. La centralisation est perçue comme un processus inchangé, cumulatif depuis les confins de l'Ancien Régime jusqu'à nos jours, sans que soit abordée la question de l'évolution des types ou des formes d'État et des processus d'institutionnalisation différenciés que celles-ci impliquent.

Au-delà du plaidoyer en faveur d'une macro-comparaison et de ses objets multiples, on pourrait accepter la critique de Badie et Hermet selon laquelle l'objet construit par la socio-histoire relève souvent d'une conception abstraite et téléonomique. De fait, plus on gagne en extension, en grossissement de l'objet, plus on perd en netteté, en détail, en information, en historicité. Tilly, qui reconnait la légitimité de la micro-histoire, refuse d'en faire et se trouve incapable de l'intégrer vraiment dans les vastes synthèses de sa macro-histoire. Il fait l'économie d'une histoire lente, saccadée, conflictuelle, récurrente, alternée, de séquences « étatiques et de configurations politiques spécifiques dans l'espace mais aussi dans le temps. En un anachronisme continuiste, il établit des analogies de formes dans une longue durée jamais définie, qui deviennent effectivement fétichisées au-dessus de leurs conditions concrètes de production, « causes d'elles-mêmes » : l'État, forme transcendantale replongée dans une histoire reconstruite, semble marcher tout seul vers une direction montante et contemporaine, depuis un point de départ originel qui serait sa « modernité ». Le politologue, comme Théda Skocpol d'ailleurs, assimile pour la France ce grand commencement à1789, alors que d'autres socio-historiens comme Wallerstein, Perry Anderson ou Stein Rokkan le font remonter plus haut : on déplace simplement l'échelle temporelle de l'évolution, mais on se satisfait d'une vision simplificatrice et homogénéisante.

La sociologie des grandes enjambées parait peu conciliable avec la temporalité et la complexité introduites par les analyses historiennes qui, elles, tentent de [73] reconstruire des configurations synchro-diachroniques spécifiques. Les certitudes de Tilly, ou ses hypothèses, plus encourageantes et heuristiques cependant que celles de Badie et Hermet, nous interrogent sur la possibilité de connaître à la fois la grande dimension et la petite. Comme dans le principe d'incertitude d'Heisenberg, on a soudain l'impression, à la lire, malgré une problématique particulièrement stimulante, que l'on ne peut observer un phénomène à la fois dans sa longue durée et dans des séquences plus brèves. Peut-être faudrait-il là repenser la grille de définition de l'évolution des phénomènes sociaux, en remplaçant la linéarité par une conception plus transformiste, structurale, discontinue, qui soit transposable à la fois dans le temps (d'une période à l'autre des changements) et dans l'espace ?

Quoiqu'il en soit, ce n'est pas la légitimité de la démarche comparative en elle-même, la pertinence des questions que pose Tilly, ni ses objets, qui sont en cause, mais plutôt les choix méthodologiques déployés pour les atteindre, particulièrement problématiques tant dans leurs rapports avec la réalité historique qu'ils prétendent synthétiser, qu'avec les travaux historiques détaillés qu'ils ignorent. Si Tilly, attaché à une théorie des « réseaux » et des étapes de transformations perçues comme des « sections » d'un développement homogène, distingue bien des niveaux d'approfondissement, de grossissement, de liaisons entre des structures, des processus et des événements, s'il parle aussi (comme pour s'en débarrasser) du « poids du passé », il écarte le problème de la comparaison dans le temps, le rapport entre genèse et fonction, les modes de passages d'une totalité (une seule société ou des systèmes d'États comparables) à l'autre, par rapport à laquelle on peut voir des liens continus, mais qui n'en inclue peut-être pas nécessairement. Sa sociologie spatialisante, géographique, de l'État, ne pense pas l'inégal fonctionnement du temps. Sans préciser vraiment sa conception, de la totalité sociale ou des relations entre diachronie et synchronie, elle raisonne plus en terme d'instances socialisées et territorialisées, posées artificiellement dans le temps (les structures, les processus, les étapes de formation, les transformations), que de périodisations verticales, structurales, de sociétés perçues comme des totalités irréductibles, uniques, qui ne seraient pas cumulables et assimilables à des « moments » de tendance à long terme construites de l'extérieur, a posteriori, prétendument identiques dans une aire aussi vaste que celle de l'Europe, pour une période de plus de mille ans.

Malgré ces limites liées au niveau d'observation retenue et aux méthodes déployées, une tentative de comparaison dans l'espace et dans le temps est cependant considérée comme possible, alors qu'elle l'était bien moins dans la perspective herméneutique et culturaliste de Badie et Hermet. Est-elle pour autant suffisamment convaincante ?

Philip Mc Michael lui, par rapport à l'approche spatialisante de Tilly, veut prendre en compte les dimensions temporelles et concrètes de la comparaison dans sa réponse aux auteurs de « Politique comparée » [81]. Il défend à l'inverse une problématique [74] historiciste attentive à la différenciation des temps sociaux, des relations entre acteurs et structures dans le temps. Il prend acte de l'écroulement du paradigme développementaliste en cours après 1945 aux États-Unis. Deux perspectives contradictoires l'auraient remplacé dans la socio-histoire, qu'il est nécessaire aujourd'hui de dépasser : une théorie de la mondialisation, et une théorie pluraliste de l'indigénisation (ou « nativiste »). Chacune choisit différemment ses unités d'analyse et ses variables explicatives, la méthode comparative dépendant d'une stratégie théorique qui l'impulse a priori.

Partisan d'une sociologie de la connaissance théorique (influencé par le marxisme épistémologique de Karel Kosik [82], Mac Michael refuse de partir d'unités comparatives pré-construites comme d'une grille appliquant des variables explicatives à prétention universelle. Ces façons déductivistes aboutissent toujours à nier ou à euphémiser les réalités politiques et culturelles locales. Dans un travail de réflexion logique, il est pour lui important de critiquer les origines idéologiques et les usages politiques des analyses comparatives formelles. Le comparativisme formel, hypothéticodéductif, a toujours lié étroitement la théorie à la méthode, transformant les objets théoriques généraux en objets concrets (ce qui a abouti notamment à une fétichisation de l'État-Nation). Il a imposé chaque fois une uniformisation des cas étudiés, une abstraction des événements et des variables perçues en dehors de leurs cadres spatiaux et temporels d'émergence et de fonctionnement.

Contre une socio-histoire abstraite, hypothético-déductive, Mc Michael prône une « comparaison incorporée », qui adapte la théorie à la méthode et qui rende la comparaison inséparable de ses objets, que l'on ne peut détacher arbitrairement de leurs unités spatio-temporelles. Cela, même s'il existe des processus universels, auxquels on ne peut les réduire. La socio-histoire doit prendre en compte les contextes inégaux, les décalages, les larges processus, en évitant les deux pièges dans lequel est tombé le « post-développementalisme » : la spécification culturaliste (une société nationale ou un État conçus comme des totalités isolés du reste du monde), ou la généralisation en terme de mondialisation et d'universalisation. La comparaison, dans cette optique méthodologique, devient un résultat, une matière liée à l'objet étudié (c'est en cela qu'elle est incorporée) et non un cadre kantien a priori, une grille dans laquelle on enferme des éléments d'une combinatoire globale (à la manière d'un tableau du Mendeleïev). La totalité recherchée doit émerger dans sa spécificité. Les unités étudiées, en relations avec d'autres dans l'espace, forment aussi des configurations historiques mouvantes dans le temps. On voit apparaître à la fois des comparaisons « transversales » de segments comparables, de processus communs ou contradictoires dans l'espace, et des comparaisons dans le temps, soit diachroniques et généralisantes (par exemple l'unité temporelle que forment « une époque », une « génération » ... ), soit synchroniques (les multiples conjonctures particularisantes).

On est là en présence de deux stratégies méthodologiques pour qui la comparaison interne est incorporée à l'analyse du processus soit isolés dans l'espace, dans [75] le temps, ou dans les deux, soit reliés à d'autres processus plus larges. Mc Michael refuse toute séparation entre théorie et méthode et oppose une comparaison « historique », « dialectique », à une comparaison « formelle ». La théorie, ajoute-il, les catégories sociologiques, orientent l'analyse empirique, mais celle-ci permet des transformations théoriques, des ajustements permanents, intégrés à l'analyse. Elles ne peuvent être assimilées à des « données » générales, à des universaux a priori, ni à des combinatoires de variables indépendantes, reproductibles à l'infini, dans n'importe quel contexte spatial ou temporel. L'investigation logique ordonne les faits historiques, qui à leur tour bouleverse la théorie. N'est-ce pas là une certaine façon d'opposer l'histoire des historiens, avec ses modèles construits, toujours provisoires, à la sociologie abstraite des politologues et des sociologues qu'investissent, malgré leurs divergences épistémologiques, aussi bien Charles Tilly que Badie et Hermet ?

À cette conception « historiciste » s'oppose Michael Hechter [83]. Ce dernier se présente comme un défenseur de la théorie non formaliste des choix rationnels, différente d'une conception herméneutique, structuraliste, ou formaliste. Pour lui, on ne peut échapper au déductivisme des théories générales, omnitemporelles, qui exclue toute approche inductive fondée sur une collecte de données. Les faits, en eux-mêmes, ne sont porteurs d'aucune intelligibilité. Pour les saisir il faut se référer à la théorie : soit une sociologie structuraliste (variée elle-même), attachée aux contraintes structurelles ou aux systèmes de relations entre les unités qui les composent, soit une théorie non-formaliste des choix rationnels, qui a pour objet principal les individus avec leurs projets, leurs intentions, leurs préférences, leurs valeurs, leurs utilités, leurs fins, même s'ils agissent dans des contextes de rareté des ressources et de contraintes socio-institutionnelles.

Hechter provoque au passage le structuraliste Charles Tilly qui ferait souvent de la théorie des choix rationnels sans s'en apercevoir lorsqu'il essaie d'expliquer certains de ses processus en recomposant la logique d'acteurs collectifs qui les impulsent. Vision donc conciliatrice, auto-contemplative, de la sociologie sur ses propres paradigmes... Le problème du rapport à l'histoire-savoir et à l'histoire-réalité de ceux-ci n'est pas posé.

Après deux articles authentiquement comparatistes et passionnants, l'un de Pierre Birnbaum (sur les relations entre les types de nationalismes et les types d'État), l'autre de Samuel Eisenstadt (sur le cadre des grandes révolutions historiques), formes de sociologie historique en acte plus que réflexion épistémologique, le débat se termine par un bilan syncrétique du premier vice-président de l'Association internationale de Science politique.

[76]

2.3. La « science-coucou »
de Jean Leca

Le titre humoristique de la postface de Jean Leca s'efforce de relever le caractère symptomatique des rapports qu'une certaine « science politique » hyperaméricanisée entretient avec la sociologie et avec l'histoire : la sociologie historique retombe-t-elle en enfance ? Ou quand la sociologie abandonne devant l'histoire [84] (d'où notre titre).

L'auteur semble, par son questionnement initial, se courroucer devant les incursions historiennes de la socio-histoire. Il reconnait au passage, en une sorte d'aveu, que le débat de la Revue internationale aurait pu prendre une direction différente, « externe », en opposant par exemple l'histoire historienne et la sociologie historique. Il s'en tient, sans investir cette confrontation (qui parait effectivement incontournable pour apprécier la crédibilité de la socio-histoire), à renvoyer dos à dos les sociologues à leurs différents paradigmes. Nous restons dans un monde clos, dans un « champ » où l'on se refuse à remettre en question ses propres codes et ses mécanismes internes de légitimation. La socio-sociologie se complait dans son miroir. L'épistémologie se limite à cela. En bon père de la science politique, l'auteur, donne au dialogue qui vient d'avoir lieu le ton d'un conte pour enfants (« il était une fois... Maman Durkheim, Papa Marx, Oncle Weber... ») qui fait défiler les légendes épistémologiques de la grande famille sociologique.

Jean Leca distingue au passage deux stratégies comparatistes, l'une durkheimienne, qui rechercherait des régularités continues, transhistoriques, entre des variables abstraites produisant causes et effets, l'autre weberienne, à la fois généralisante, causale, abstraite, combinatoire et discontinue, attachée à des configurations historiques concrètes (cette division des méthodes pourrait être discutée, en tenant compte notamment des travaux d'historiens durkheimiens, comme Granet, Hubert, Gernet ... ). Bertrand Badie est qualifié, lui, de « relativiste », de « constructionniste », de « romantique de l'authenticité », de tenant, à la façon du logicien Wittgenstein, d'une autocompréhension et d'un ethnocentrisme potentiel, qui mélangerait les processus réels et les représentations. L'auteur se démarque donc de Badie et Hermet, à qui il oppose justement la non-étanchéité des cultures, l'existence de « relations matérielles » qui sont à la source de bien des représentations, comme la nécessaire extension des analyses au temps et à l'espace, à la découverte d'analogies profondes au delà des histoires.

Jean Leca donne ensuite raison à l'inverse à Charles Tilly quand celui-ci reproche aux historiens la fétichisation et le cloisonnement de leurs objets, comme leurs « erreurs » dans l'analyse de leurs matériaux, dues au fait qu'ils ignorent les théories sociologiques. Pour lui, la fabrication de concepts reste incontournable. Il approuve cette fois Bertrand Badie quand celui-ci nous met en garde contre les risques d'universalisme mono ou transculturel, auxquels n'échappent pas certains socio-historiens. [77] Mais il se rapproche aussi de la théorie des choix rationnels de Hechter et du structuralisme de Tilly, qui refusent tous deux heureusement de fondre l'histoire et la sociologie « dans un seul discours ».

L'auteur défend un « contrôle croisé des deux démarches », plus qu'un rapprochement. À plusieurs reprises, il raille l'histoire historienne (qui n'a pas eu la parole dans le débat) en la réduisant à une sorte de « discours narratif ». Il va même jusqu'à refuser le concept d'histoire, proposant celui de « vie sociale dans le temps » (provocation supplémentaire qui semble considérer le temps comme homogène et explicatif en soi !). Les historiens sont déclarés prisonniers de théories inachevées, impensées, auto-explicatives, toujours construites à partir d'emprunts non maîtrisés à la sociologie, tel le concept d'État, ensemble disparate de sites d'analyse jamais défini par eux ! Souvent ceux-ci compensent cette absence théorique par un appel à la parole des documents, qui comprendraient en eux-mêmes, au delà de leurs projections subjectives, leur propre intelligibilité.

Par un habile tour de passe-passe, Leca applique les critiques adressées par Badie et Hermet à la socio-histoire... à l'histoire des historiens. Cet artifice tactique permet de resserrer les rangs de l'institution « science politique », de retrouver sur le dos du bouc émissaire historien une unanimité, voire une légitimité perdue ou ébranlée par les critiques internes incessantes. Le monologue accusateur à l'encontre de l'histoire se poursuit en dehors de tout débat empirique avec des historiens : Leca reproche (en note, pas dans le texte) à Roger Chartier (ami de Pierre Bourdieu et l'un des historiens les plus ouverts à une problématique sociologique en matière culturelle !) de n'avoir cité aucune étude de socio-histoire américaine, comme de se référer, dans ses « tentatives » d'explication des origines culturelles de la Révolution française, au poncif éculé du « passage à la modernité », en une sorte d'impressionnisme « surinterprétatif ». Pour Leca, il n'y aura jamais de bonne histoire sans des références maîtrisées à la théorie sociologique ou à la socio-histoire.

Vaste programme ! La diatribe contre l'histoire tranche, légitimation sociologique oblige, avec le ton conciliateur qui veut paternellement rapprocher les paradigmes ennemis, de la sociologie. Or ceux-ci, même si Jean Leca euphémise le problème en les rattachant à une seule « famille », s'entre-dévorent, de façon redondante depuis plusieurs décennies. Un peu comme un serpent qui se mord la queue, cette version chamailleuse de la sociologie dans laquelle se repaît une certaine science politique, semble effectivement « retomber en enfance ».

La nécessité d'une synthèse a posteriori, liée aux règles d'une postface, explique en partie ces accents syncrétistes. Mais ceux-ci sont aussi liés à une tentative explicite de légitimation sociologiste de la science politique, qui implique un choix épistémologique particulier. Jean Leca se déclare « minimaliste » et veut concilier tous les paradigmes concurrents : celui de l'herméneutique, attaché à la recherche de sens caché, celui des choix rationnels et des jeux, qui relativise le scientisme social en réhabilitant la rationalité limitée et les décisions contraintes des acteurs concrets, celui [78] de l'interaction, prôné à la fois par Charles Tilly et par Hechter, désireux de passer le structuralisme déterministe. La complémentarité théorique artificielle, nous est présentée comme « un bon programme ». C'est pour Leca la seule façon de ne pas « tomber » dans les « délices », dans la fascination de cette diabolique science historique qui torture tant Badie et Hermet, et surtout, de « ne pas laisser aux seuls historiens l'usage du matériau historique primaire » [85]. Traiter les historiens comme des « indigènes », leur reprocher de ne pas utiliser les concepts des sciences sociales ou de le faire de façon naïve quand ils traitent eux-mêmes les données recueillies dans les « poubelles » de l'histoire (les archives sont en effet pleines de poussière, de grains de sable, au sens propre et au sens figuré du terme), prétendre enfin que les « sociologues » peuvent traiter eux-mêmes les matériaux bruts sans préciser alors en quoi il se sépareraient des méthodes inductives et critiques de l'histoire, voilà somme toute les a priori épistémologiques offerts aux jeunes chercheurs ! Est-ce au prix d'une telle déclaration de guerre symbolique que la bonne conscience sociologique doit se légitimer, cent ans après Durkheim ? Ce dernier, fondateur incontesté de la sociologie française, aurait-il été d'accord avec de telles propositions que d'aucun prétendent qu'il a inspirées ?

L'examen rapide de cette production de la « Revue Internationale des Sciences Sociales » sur les méthodes de la sociologie historique, confirme ce que nous pressentions dans la présentation du manuel de Badie et Hermet, « Politique comparée ». Cette branche de la sociologie politique se construit épistémologiquement en rejetant certaines traditions sociologiques européennes, pluri ou interdisciplinaires. Aucun dialogue n'est noué avec les diverses sciences humaines autre que la sociologie (géographie, linguistique, anthropologie, histoire...). Un corpus théorique très hétérogène sert de référence ultime. Posé a priori, il prétend régimenter les sciences du politique et piloter l'ensemble des travaux d'analyses concrètes. Comme l'a bien senti Me Michael, la théorie est coupée de la méthode, et ne pense qu'à déployer un comparatisme formel à partir d'une grille hypothético-déductive. Le mépris pour la recherche historique dans ses résultats comme dans ses multiples méthodes hypothético-inductives, qui n'excluent nullement la construction de modèles, est symptomatique à cet égard.

Le raffinement académique auquel on aboutit considère comme scientifiquement évidents des métalangages de sur-codage du réel qui ne sont en définitive, au delà des représentations et des idéologies professionnelles subjectives de ceux qui les fabriquent, que la traduction d'un désir de reconnaissance institutionnelle d'une discipline en mal de légitimation. La problématisation agitée reprend de vieux débats qui opposent sempiternellement histoire et acteur, événement et structure. Ces ritournelles, répercutées d'une génération sociologiste à l'autre, se trouvent revivifiées par leur traduction américaine. Les affirmations péremptoires, les faux dilemmes à base étroitement disciplinaires auxquels on aboutit, ont de quoi décourager les étudiants et les chercheurs avides de résultats concrets, de confrontations théoriques et empiriques autour de thèmes et d'objets pertinents.

[79]

L'ensemble de la socio-histoire, qui sert à la fois de cible et de recours à cette science politique désemparée devant l'histoire historienne, dépasse évidemment dans ses recherches (les travaux de Charles Tilly ou d'Eisenstadt, par exemple, le montrent bien) les cercles vicieux qui nous sont présentés comme des modes opératoires de structuration de la théorisation sociologique. En fait, ils n'en constituent qu'une vulgaire simplificatrice et étroite dans ses références scientifiques. Celle-ci risque d'entraîner une nouvelle impasse pour la recherche dans les sciences du politique.

Elle nous éloigne, en tout cas, de l'interdisciplinarité en acte qui constitue aujourd'hui la réalité de maints laboratoires, de travaux individuels, comme de programmes nationaux ou internationaux de recherches, dont beaucoup s'engagent dans les voies du comparatisme théorique, spatial ou temporel. Malgré de vagues références obligées à Marx ou à Weber, voire à Durkheim (dont l'œuvre, isolée de celle des durkheimiens, est réduite à du « structuralo-fonctionnalisme »), se gargarisant de références américaines, cette sociologie unidimensionnelle va à l'encontre du rapprochement scientifique inauguré dès le tournant du siècle entre la sociologie, l'histoire, l'ethnologie et des savoirs voisins (l’histoire du droit comparé, la linguistique comparée, la géographie, l'économie...). L'ignorance ou le refus non argumenté de cette large perspective et des débats dans et entre les différentes disciplines autour de la définition et de l'usage de la méthode comparative, ne paraît plus de mise aujourd'hui.

On peut éprouver une certaine déception devant l'incapacité de ce courant de la science politique à se servir des acquis des recherches de la discipline sur son objet spécifique, le politique, saisi dans toute sa complexité, pour interroger sur ce terrain les travaux historiens, discuter leurs apports et leurs modalités de construction de leurs propres objets. L'ouverture à l'histoire politique à partir d'une problématique de l'autonomie et de la spécificité du politique paraît particulièrement féconde à un moment où l'historiographie française s'interroge précisément sur la validité de ses anciens paradigmes qui ont dénigré et passablement délaissé les phénomènes politiques. Une confrontation avec les travaux historiens par exemple sur les modes de construction du politique ou sur l'histoire du développement de l'État dans des espaces et dans des ères différentes serait plus féconde qu'un repli sur le rabâchement de certains paradigmes sociologiques. La science politique ne serait-elle qu'une sociologie politique complexée qui s'ignore ?

Finalement, les orientations que nous venons d'examiner (qui sont loin de représenter la totalité des positions politologiques en la matière), nous invitent - c'est leur mérite -, à approfondir les concepts fondamentaux des sciences humaines (celui de causalité, d'explication, d'espace et de temps notamment), à envisager un travail conjoint d'histoire et de sociologie, à mieux définir les conditions de mise en œuvre de démarches interdisciplinaires élargies à d'autres disciplines « 'anthropologie, la linguistique, les sciences juridiques, la géographie...), à repenser aussi historiquement les rapports épistémologiques entre les différents savoirs, comme les différentes façons de construire la comparaison. C'est bien ce qui reste à chacun à esquisser à partir de son univers théorique et empirique propre.

[80]



[1] Maurice Duverger : Méthodes de la science politique, Paris, P.U.F., Thémis, 1959, pp. 311 à 314.

[2] Madeleine Grawitz : Méthode des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1972, pp. 378 à 381.

[3] Jacques Lagroye : Sociologie politique, Paris, P.F.N.S.P., 1991, pp. 142 à 163.

[4] Jean Blondel : « Généralités : le comparatisme », in Traité de Science politique, Paris, P.U.F., 1985, t. 2, pp. 1 à 26.

[5] Daniel Seiler :

- La politique comparée, Paris, Armand Colin, Col. U, 1982.

- « Le comparatisme en science politique », in Cahiers Vilfredo Pareto, tome XXIV, no 3, Genève, Droz, pp. 109 à 127.

[6] Cf. La politique comparée, op. cité, pp. 15 à 22 et p. 187. Daniel Seiler se réfère explicitement à l'ouvrage de Pierre Bourdieu, J.C. Chamboredon, et J.C. Passeron : Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1973. Pour une étude du Cercle de Vienne, on peut consulter De Vienne à Cambridge. L'héritage du positivisme logique de 1950 à nosjours, de Pierre Jacob, Paris, Gallimard, 1980.

[7] Mattéi Dogan et Dominique Pelassy : La comparaison internationale en sociologie politique, Paris, LITEC, 1980.

[8] Mattéi Dogan : « Hommage à Stein Rokkan », in Revue Française de Sociologie, XX, 1979, pp. 747-748.

[9] Bertrand Badie et Guy Hermet : Politique comparée, Paris, P.U.F., collection Thémis, 1990.

[10] Ibidem, pp. 10-11.

[11] Cf. Pierre Birnbaum : La fin du politique, Paris, Le Seuil, 1975, et Pierre Birnbaum et Bertrand Badie : Sociologie de l'État, Paris, Grasset, 1979.

[12] Bertrand Badie :

 Le développement politique, Paris, Economica, 1984.

- Culture et politique, Paris, Economica, 1983.

[13] Bertrand Badie : Le développement politique, op. cité, pp. 52 à 55 et 71 à 77.

[14] Ibidem, p. 77.

[15] Ibidem, p. 134.

[16] Ibidem, p. 137.

[17] Ibidem, p. 137.

[18] Ibidem, p. 138.

[19] Cf. Politique comparée, op. cité, p. 22 à 28.

[20] Ibidem, pp. 23-24 (sur la bureaucratie), pp. 243 à 252 (sur le concept d'État néo-patrimonial) et pp. 84-85 (sur Max Weber).

[21] Raymond Aron : Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, NRF, 1967, pp. 522 et 533.

[22] Cf. Politique comparée, op. cité, pp. 24-25.

[23] Ibidem, p. 25.

[24] Ibidem, p. 25.

[25] Ibidem, p. 28.

[26] Ibidem, pp. 235 à 243.

[27] Ibidem, p. 396. Pour apprécier la pertinence du concept de « civilisation », on peut consulter l'ouvrage de synthèse de Fernand Braudel : Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud Flammarion, 1986, comme le tome 2 de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque (le Philippe II, Paris, Armand Colin, 1990, pp. 96 à 163, ou encore Le modèle italien, Paris, Arthaud, 1989.

[28] Aristide R. Zolberg : « L'influence des facteurs externes sur l'ordre politique interne », in Traité de Science politique, op. cité, tome 1, pp. 567 à 598, Cf. notamment p. 572.

[29] Cf. Pierre Birnbaum : La fin du politique, op. cité, postface, pp. 261-262 et Bertrand Badie - Le développement politique, op. cité, pp. 139 à 147.

- Culture et politique, op. cité, pp. 58 à 70.

[30] On peut citer comme travaux de socio-histoire, parmi d'autres :

- Samuel Eisenstadt, Stein Rokkan : Building States and Nations, Beverley Hills, Sage Publications, 2 vol., 1973.

- Stein Rokkan : « Macro-histoire et analyse comparative des processus de développement politique : note introductive », note pour la Journée d'études de l'Association Française de science politique, Paris, 22 juin 1974.

- Charles Tilly et alii : « The Formation of National States in Western Europe », Princeton, Princeton University Press, 1975.

- Charles Tilly : « La France conteste de 1600 à nos jours », Paris, Fayard, 1986. - Perry Anderson : « L'État absolutiste », 2 vol. Paris, Maspéro, 1978.

- Immanuel Wallerstein : « Le système du monde, du XVe siècle à nos jours », 2 vol. Paris, Flammarion, 1984.

- Théda Skockpol : « État et Révolutions sociales », Paris, Fayard, 1986.

[31] Cf. Badie et Hermet, « Politique comparée », op. cité, p. 70-71.

[32] Ibidem, p. 44.

[33] Ibidem, p. 44.

[34] Ibidem, p. 45.

[35] Ibidem, pp. 31 à 36.

[36] Charles Tilly : Big Structures. Large Processes, Huges comparisons, New York, Russel Sage Foundation, 1984, Cf. également du même auteur l'article résumé de son point de vue sur la socio-histoire : « L'histoire à venir », dans la revue Politix, printemps 1989, pp. 25 à 32.

[37] Big Structures, op. cité, p. 15.

[38] Ibidem, pp. 80 à 86.

[39] Cf. Badie et Hermet, Politique comparée, op. cité, p. 34.

[40] Ibidem, p. 46.

[41] Ibidem, p. 49.

[42] Ibidem, p. 50.

[43] Ibidem, p. 54.

[44] Ibidem, pp. 57-58. L'opposition posée par Badie et Hermet entre interprétation du sens et recherche des causalités n'est pas contenue dans l'épistémologie de Max Weber. On peut se reporter sur ce point à l'ouvrage de M. Weber : Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965.

[45] Badie et Hermet : Politique comparée, op. cité, p. 62.

[46] Ibidem, p. 89.

[47] Sur l'opposition entre l'historicisme allemand et la philosophie analytique de l'histoire, comme sur les concepts d'explication et de compréhension, on peut consulter les cours de Raymond Aron au Collège de France : Leçons sur l'Histoire, Paris, Editions de Fallois/Le Livre de Poche, Biblio-Essais no 4136, 1989, pp. 13 à 35, 43-44, 114 à 248. On peut lire du même auteur : Philosophie critique de l'histoire, Paris, Vrin, col. Points, 1989.

[48] Michel Serres : Hermès l : La Communication, Paris, Éditions de Minuit, col. Points, 1969, pp. 21 à 35.

[49] Badie et Hermet ; Politique comparée, op. cité, p. 90.

[50] Ibidem, pp. 36 à 45.

[51] Ibidem, p. 38.

[52] Ibidem, p. 43.

[53] Ibidem, p. 11.

[54] Bertrand Badie : Le développement politique, op. cité, p. 203.

[55] Ibidem, p. 36.

[56] Max Weber, Essai sur la Théorie de la Science, op. cité, notamment les pages 28 à 116, 185, 191, 200 à 245, 178, 188. Cf. également l'ouvrage de Guenther Roth et Wolgang Schluchter, Max Weber's Vision of History, Ethics and Methods, Berkeley, University of California Press, 1979.

[57] Bertrand Badie et Guy Hermet, Politique comparée, op. cité, p. 43. Sur la conception temporelle de Fernand Braudel, cf. Fernand Braudel : Ecrits sur l'histoire, Paris, Flammarion, 1969.

[58] Fernand Braudel, La Méditerranée, op. cité, tome 2, pp. 515 à 520.

[59] On peut lire en français à ce propos :

- M. Olson, La logique de l'action collective, Paris, P.U.F.

- Erwin Goffmann, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Editions de Minuit, 1973.

- Anthony Giddens, La constitution de la société. Eléments de théorie de la structuration, Paris, P.U.F., 1987.

[60] Les expressions « poussières des archives » et « nuages de la théorie » sont utilisées par Michel Foucault dans un débat avec les historiens Maurice Agulhon, Jacques Léonard et Michèle Perrot, in Impossible Prison, Paris, Le Seuil, 1980, p. 29 à 39.

[61] Cf. Lucien Febvre, Combats pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1965, p. 58. Cité par Gérard Noiriel dans un article de la Revue « Les Annales » de novembre 1989, p. 1448 : « Pour une approche subjectiviste du social ».

[62] C'est le cas entre autres de Pierre Birnbaum et de Bertrand Badie dans Sociologie de l'État, (op. cité, pp. 7-8), ou encore d'Hervé Coutau-Bégarie dans Le phénomène « Nouvelle Histoire. Stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica, 1983, pp. 56-57.

[63] Pierre Bourdieu : « Le mort saisit le vif. Les relations entre l'histoire réifiée et l'histoire incorporée », in Actes de la Recherche en Sciences sociales, 1980, nos 32-33.

[64] Cf. Geoffrey Barraclough et alii, Le Grand Atlas de l'Histoire mondiale, Londres, Times Book Limited, 1979-1984, adaptation française : Encyclopedia Universalis France, Albin Michel, 1985.

[65] Cf. Politique comparée, op. cité, pp. 243 à 260.

[66] Ibidem, pp. 164 à 179.

[67] Ibidem, p. 231 à 234.

[68] Cf. Gérard Timsit, Administrations et États : étude comparée, Paris, P.U.F., 1987.

[69] On peut consulter à ce propos :

- Pierre Milza, Les Fascismes, Paris, Imprimerie Nationale, collection « Notre siècle », 1985 et Fascismes français, passé et présent, Paris, Flammarion, 1987.

- Pierre Ayçoberry, La question nazie. Les interprétations du national-socialisme (1922-1975), Paris, Le Seuil, col. Points, 1979.

- Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d'interprétation, Paris, Gallimard, 1992, col. Folio-histoire (édition anglaise, 1986 et 1989).

[70] « La sociologie historique. Débat sur les méthodes », Revue Internationale des Sciences Sociales, no 133, août 1992, Unesco/Erès.

[71] Ibidem : Bertrand Badie, « Analyse comparative et sociologie historique », p. 367.

[72] On peut citer, sans exhaustivité :

- Henri Bergson, Durée et simultanéité, Paris, P.U.F., 1968.

- Gaston Bachelard, La dialectique de la durée, Paris, P.U.F., 1950.

- Henri Lefebvre, Eléments de rythmanalyse. Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Editions Syllepse, 1992.

- Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard. (73) On peut lire à ce propos :

[73] On peut lire à ce propos :

- Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, P.U.F., 1960, pp. 15 à 17 et 632-633.

- Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, P.U.F., 1921, pp. 111 à 113.

- Marcel Granet, La Pensée chinoise, Paris, Albin Michel, 1968, p. 80-81.

- Lewis Mumford, Techniques et civilisation, Paris, Le Seuil, 1950.

[74] Bertrand Badie : « Analyse comparative et sociologie historique », article cité, in Revue Internationale des Sciences Sociales, no 133, p. 370.

[75] Ibidem, p. 371.

[76] Guy Hermet : « À propos de l'obstination historique », ibidem, pp. 389 à 396.

[77] Ibidem, p. 394.

[78] Charles Tilly : « Prisonniers de l'État », ibidem, pp. 373 à 387.

[79] Charles Tilly, Contrainte et Capital dans la formation de l'Europe (900-1990), Paris Aubier/Histoire, 1990, p. 71.

[80] Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, op. cité, pp. 198 à 404.

[81] Philip Mc Michael : « Repenser l'analyse comparative dans un contexte post-développementaliste », in Revue Internationale des Sciences Sociales, no 133, op. cité, pp. 397 à 413.

[82] Cf. KareI Kosik : La dialectique du concret, Paris, François Maspéro, 1978.

[83] Michael Hechter : « Théorie des choix rationnels et sociologie historique », in Revue Internationale des Sciences Sociales, op. cité, pp. 415 à 422.

[84] Jean Leca : « Postface : la sociologie historique retombe-t-elle en enfance, ou « quand la sociologie abandonne devant l'histoire », ibidem, pp. 453 à 465.

[85] Ibidem, p. 461.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 10 juillet 2019 6:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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