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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Michel BERGÈS, “Démystifier Maurice Duverger, alias « Philippe Orgène »: le devoir des historiens du politique”. Bordeaux: Université de Bordeaux, avril 2015, 44 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 9 avril 2015 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

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Michel BERGÈS

Professeur des universités, Agrégé de science politique
Université de Bordeaux IV Montesquieu

Démystifier Maurice Duverger,
alias « Philippe Orgène » :
le devoir des historiens du politique
”.

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Bordeaux : Université de Bordeaux, avril 2015, 44 pp.



Introduction

I. Duverger-Orgène, au service carriériste de la « Révolution nationale »

Un antisémitisme duvergérien caractérisé
L’arrogance durvergérienne décalée de servir la Révolution nationale : le rêve d’être « secrétaire général à la Jeunesse de Vichy »

II. Dissociation cognitive, rédomption, repentance calculée

Servir Vichy en tant que jeune agrégé de Droit public
De la reconstruction échevélée de soi, ex post, dans une cité « au mensonge déconcertant »

Annexe 1. L’article du 28 novembre 1942 dans Le Progrès de Bordeaux, lors de l’obtention de l’agrégation par Maurice Duverger.
Annexe 2. Article de La Petite Gironde, du 12 janvier 1943 concernant l’École régionale d’Administration, avec en photo, Maurice Duverger et Maurice Papon.
Annexe 3. Extrait des mémoires enregistrées et révisée, Le Sel et le Refus, à partir de 27 heures d’enregistrement à Paris d’un entretien avec le journaliste et musicologue Claude Glayman, qui devait le publier au départ dans la collection qu’il dirigeait, « Les Grands Journalistes », chez Stock.
Annexe 4. Lettres d’échanges entre Maurice Duverger et Marc Granet, au sujet du passage cité précédemment concernant « l’Équipe » du Progrès de Bordeaux, qui devait originairement être publié dans l’ouvrage de Mémoires de Duverger, et qui sera caviardé dans la version finale édité par Albin Michel.
Annexe 5. Liste des articles de Maurice Duverger-« Philippe Orgène » dans Le Progrès de Bordeaux


INTRODUCTION

Le professeur Maurice Duverger, né en 1917, issu de la Faculté de Droit et fondateur de l’Institut d’Études de Bordeaux, pilier de la création d’une certaine « science politique » française, est décédé le 17 décembre dernier. Les éditorialistes ont rendu compte de sa carrière et l’ont enseveli sous les éloges. Ceux-ci étaient-ils mérités ?

Sur le plan déontologique, non. Nous allons voir qu’il a toujours cherché à dissimuler son passé idéologico-politique des années trente et quarante. Et sur le plan scientifique, son apport se montre, hélas, tout à fait dépassé. Même si – bizarrerie mnémonique – il est encensé par le directeur actuel de l’Iep de Bordeaux, qu’il a fondé.

Cependant, les historiens ont critiqué ses analyses simplistes des partis, de leurs origines, de leurs alliances formant des « blocs » et des « fronts », du poids des modes de scrutin, faits que d’autres avaient déjà découverts avant lui (l’Allemand Ferdinand A. Hermens, le Suédois Herbert Tingsten…). Son comparatisme a sous-estimé les contextes nationaux et idéologiques. Et il a ignoré des ouvrages de référence comme celui de Georges Bourgin, Jean Carrère, André Guérin (Manuel des partis politiques en France, Paris, Éditions Rieder, 1928), ou celui de Fernand Corcos (Catéchisme des partis politiques, 1932) – qu’il ne pouvait pas « politiquement » citer, ce dernier, brillant avocat au barreau de Paris, membre de la Ligue des Droits de l’Homme, étant aussi un « sioniste » conséquent –, études qui montrèrent l’importance des ligues, des associations, des groupes de pression, dans la formation des coalitions partisanes, selon une vision réaliste plus que juridique et typologique du sujet.

Les comptes rendus de presse lors du décès en question ont aussi évoqué, au détour, un problème qui ne relève point, selon la façon dont ils l’ont présenté, de « la polémique », mais bien plutôt de la science historienne du politique : l’utilisation par cet universitaire de « pseudonymes » pour rédiger des articles idéologiques dans la presse fascistoïde locale des années trente et sous le régime de Vichy.

Des informations concernant le démon politicien qui habita étrangement pendant près de soixante ans ce juriste-journaliste-acteur de théâtre, issu dans sa prime jeunesse du monde catholique local par rapport auquel il en franchit les frontières éthiques [1], méritent d’être rappelées en toute brièveté. En deux temps. D’abord, par une démonstration brève, montrant les engagements de Duverger sous le Régime de Vichy en faveur de la « Révolution nationale », en termes de soutien sans ambages à la propagande de ce régime (I.) [2]. Puis, en nous interrogeant sur la façon dont ce juriste habile joua avec sa propre histoire, en recherchant avec une assiduité calculée, pour se « couvrir », l’aval de nombre d’acteurs qu’il trompa, en les sollicitant de façon subreptice en les utilisant pour sa « défense », mais en les laissant totalement dans l’ignorance de ses compromissions secrètes liées à un passé idéologico-politique qui dura dix années (II.).

I. Duverger-Orgène, au service carriériste
de la « Révolution nationale »

Nous avons déjà démontré, preuves à l’appui, que sous Vichy, le juriste en question a été pétainiste, dans la continuité de ses engagements antérieurs [3]. Cela, à deux niveaux : l’un autour de la fameuse « Révolution nationale », l’autre plus organique et intellectuel, servant les intérêts du régime vichyssois.

Voici le début de « l’aventure » politicienne de l’intéressé. Le maire Adrien Marquet, issu du socialisme, confia en juin 1941 la direction de son hebdomadaire, Le Progrès de Bordeaux, à de jeunes intellectuels issus des bancs de la Faculté de Droit de la ville et d’une troupe de théâtre locale d’avant-garde, « La Compagnie du Bon Vouloir », créée et dirigée par Jean Lagénie. Ceux-ci tenaient diverses rubriques, coordonnées par Marc Granet, attaché, lui, au cabinet et secrétaire particulier du maire, rédacteur en chef du journal, qui allait chaque semaine obtenir l’aval de la Propagandastaffel, puis se rendait à l’imprimerie pour la lecture de la morasse avant l’impression. Le journal tirait à 1200 exemplaires (850 pour les abonnés de la clientèle « marquétiste » des années 30 et 40, et le reste, vendu dans des kiosques et distribué notamment dans les cafés et les hôtels).

L’orientation collaborationniste de l’hebdomadaire (dont nous avons pu retrouver la collection complète en 1983 grâce au rédacteur en chef dudit journal) fut « marquétiste » : c’est-à-dire à la fois « socialiste » et « nationale ». Les jeunes impliqués y poursuivirent leurs positions épousées dans des organisations d’extrême droite des années trente, très proches de « l’esprit fasciste » tel que Drieu La Rochelle l’avait défini en 1938. Ils défendirent en la circonstance un modèle de « révolution autoritaire » et de « rénovation nationale » spécifiquement « français » mais, disons-le au passage, xénophobe, antiféministe, antidémocratique…, et totalement dans la ligne politique définie par le Maire Marquet lors de sa déclaration générale du 19 septembre 1940 à la presse nationale, ce politicien bien en vue d’alors ayant créé par ailleurs, au printemps 1941, le « Centre de Propagande française pour la Reconstruction européenne », concocté depuis novembre 1940 afin de regrouper sa clientèle politique antérieure, soutien de sa propre municipalité.

Maurice Duverger, le meilleur ami de la Faculté de Droit de Marc Granet, s’imposa tout de suite comme le leader intellectuel de ce qu’ils appelèrent officiellement « L’Équipe ». Il signa vingt-et-un articles sous le pseudonyme personnel « Philippe Orgène », nom de substitution qu’il avait déjà utilisé avant guerre dans Le Libérateur du Sud-Ouest du 15 au 22 avril 1937, journal du fascisant Ppf de Jacques Doriot, avec un autre pseudonyme pour des articles tout autant antisémites (celui d’« Alceste » et d’« Alceste et Philinte », tiré du Misanthrope de Molière – fait avoué dans ses mémoires ultérieurs). Par ailleurs, certaines expressions de ses articles avaient déjà été utilisées telles quelles avant-guerre. Chacun de ses copains écrivit dans le même hebdomadaire en utilisant des pseudonymes séparés, en signant de leur propre nom, ou en restant anonymes.

Les « pseudos » en question nous sont tous révélés par un précieux document issu des Renseignements généraux du 2 décembre 1942 (que nous avons retrouvé en 1983 aux Archives départementales de la Gironde). Le préfet régional avait demandé en effet qu’on lui présente ledit journal avec le nom de tous les intervenants et toutes autres informations utiles. Le groupe comptait, en plus de Granet et de Duverger, Jean-Michel Cadroye (alias « Paul Coudert »), Christian Cadroye (alias « Pierre Corday », chronique musicale), Lucien Veillon (alias « Luc Duverneuil »), Robert Ducos-Ader (alias « Henri Dangos »), Raymond Carcaillon (alias « Clair-Aniger »), Marcel Duprat (alias « Miguel Picaro »), Pierre Mounic (alias Pierre Noël), et, signant avec leur nom : Bargiarelli, Yvon Le Louarn, Teyssandier, Léon Émery…

La permanence se trouvait dans les anciens locaux du Parti néosocialiste français de Marquet, 2 cours de la Marne à Bordeaux. La preuve absolue qu’est le document policier précité est confirmée par trois témoignages incontestables (dont ceux de deux membres de l’équipe en question, Granet et Ducos-Ader) que nous avons enregistrés. Il est très symptomatique, notons-le, que ces jeunes « engagés » utilisèrent tous le subterfuge des « alias » pour s’exprimer.

Preuve d’une lâcheté intellectuelle, de prudence, d’un souhait de ne pas « se compromettre », voire d’une mauvaise conscience intériorisée ? On trouve également la trace que chacun signait avec un pseudonyme distinctif, dans le numéro du Progrès du samedi 26 décembre 1942. Tous se donnèrent pour tâche de rédiger un conte de Noël : pour Duverger-Orgène, ce fut « Le Roi vaincu » (en première page) ; pour « Jacques Capdeville », « Le fils du Père Noël » ; pour « Paul Coudert », « Noël gaulois » ; pour « Yves Michel », « L’Exilée » ; pour « Pierre Brun », « Noël rouge » ; pour Luc Duverneuil, « Noël Colony » ; pour « Miguel Picaro », « Baisers de Noël » (article non arrivé à temps) ; pour « Pierre Noël », « Il est Noël » ; pour « Guy Bargiarelli », « Conte à ma mie ». L’éditorial de première page souligne :

« Comme l’an passé, chacun de nous a écrit, pour vous, un conte de Noël ! Avons-nous réussi ? Vous seul pourriez le dire…
Aussi nous vous prions de vouloir bien nous écrire, dans l’ordre, vos préférences.
Nous publierons les résultats…
Avec l’espoir que nos lecteurs les excuseront plus facilement encore.
Se sont abstenus Louis Rauger et Miguel Picaro !!!

L’Équipe. »

Concernant spécifiquement Duverger-Orgène, deux exemples peuvent être retenus, qui révèlent clairement les orientations du mentor de « l’Équipe » en 1941-1942 : un antisémitisme idéologique explicite, le même qu’il avait déjà affiché dans ses articles d’avant-guerre, directement, ou sous le pseudonyme précité d’« Alceste » ou d’« Alceste et Philinte » dans La Liberté du Sud-Ouest (quotidien catholique important dans Bordeaux duquel il fut exclu par l’Abbé Peuch, rédacteur en chef, en raison de ses outrances, comme il le révèle lui-même ingénument dans ses Mémoires initiales). Idéologie que partagèrent ses copains du Progrès, qui leur servit de véritable défouloir compensatoire de leurs angoisses sociales pour trouver un travail face aux « étrangers » susceptibles, dans leur tête, de le leur dérober : actes intériorisés de xénophobisme…

Ensuite, l’ambition orgueilleuse de se voir nommer (en rêve putatif) secrétaire général à la Jeunesse de Pétain, à la place du très catholique Georges Lamirand…

– Un antisémitisme duvergérien caractérisé

Pour ce qui est de l’antisémitisme, Le Progrès du 29 juin 1941 publia un article non signé qui donne le ton de l’hebdomadaire, et que laissa passer sans état d’âme particulier le Maire Adrien Marquet, mentor politicien de « l’Équipe ».

L’auteur (ce peut être ou Granet ou Duverger, passionnés tous deux de cinéma, le rédacteur en chef ne signant aucun de ses articles et n’utilisant pas de pseudonyme quant à lui) considéra le cinéma français comme « pourri » par « l’invasion juive, cause de notre décadence » (titre du papier). Comme « le gouvernement du maréchal Pétain » était en train de s’occuper de la renaissance du septième art en France, il fallait, selon lui, absolument louer l’ouvrage récent de Lucien Rebatet (alias « François Vinneuil »), Les Tribus du cinéma et du théâtre, qui dressait un bilan (ce même Rebatet qui fut aussi l’auteur des Décombres, ouvrage intégralement antisémite et fasciste de l’époque). Avant la défaite, continua l’article, on constatait l’élimination des « Français d’origine » au profit « d’apatrides et d’escrocs notoires », appartenant tous à « la race juive », souvent « naturalisés de fraîche date », « la technique juive » consistant à siphonner les budgets, à monter des mises en faillites, l’ensemble étant sans cesse alimenté par de « nouveaux arrivages de métèques franchissant nos frontières, accueillis par leurs frères de race ». Cela, tant au niveau des producteurs, que des metteurs en scène ou des acteurs qui faisaient venir « toute la lie des ghettos d’Europe ». Et l’article, citant avec délectation l’antisémite Rebatet, de dresser des listes de noms prouvant cette « invasion juive », et de dénoncer « les vaudevilles fabriqués à la chaîne » semblables à « la camelote des Uniprix juifs », ce qui aboutissait à un « abrutissement public ». Le pamphlet critiqua enfin, avec Rebatet, notamment les films de Marcel Carné, Hôtel du Nord, Quai des Brumes, Le Jour se lève, au contenu « fataliste », d’un « déterminisme dégradant ». Il ajouta qu’il était urgent de faire appliquer les décrets pris contre cette « invasion », mais qui restaient pour l’instant « sur le papier ».

Ce type d’approche sera complété par un article tout autant « élitiste » de Duverger, le 3 août 1941, portant sur l’état du théâtre dans le pays, en complément de celui sur le cinéma.

Même continuité : dans la rubrique « Au fil de la pensée » du Progrès de Bordeaux du 6 juillet 1941, Duverger-Orgène se démasqua crûment et se déchaîna avec son « pseudo » dans un article intitulé : « La Trahison des clercs ».

Là, il prit très violemment à partie Julien Benda, ce dreyfusard de la première heure, proche de Charles Péguy, contempteur des « religions temporelles » politiques, totalement fétichistes. Face à « L’Action française », dont il se déclara l’adversaire irréductible, Benda critiqua aussi très durement la politisation débridée de nombre d’« intellectuels », en dénonçant le repli de ces « clercs » vers des pensées et des positions frelatées, eux qui se jetaient comme des gogos sur les faux et flous concepts d’« État », de « patrie », de « race », de « nation », de « classes sociales », de « parti », de « marxisme », de « fascismes », mythes illusoires et dérisoires…. Benda conspua tous ceux qui s’étaient pliés aux ordres d’organismes qui avaient substitué des succédanés de « religion » à des choses terrestres, politiques, liées à des intérêts critiquables, arrivistes, carriéristes ou sordides, sous des couverts pseudo-intellectuels, captant et manipulant « les haines politiques » des générations montantes, trompant ainsi toute la jeunesse.

Duverger, qui se sentit directement visé dans sa propre trajectoire henriotiste et doriotiste antérieure échevelée, outrancière, raciste, xénophobe, antidémocratique, antisémite, sexiste, explicite, celle des années 1934-1940, comme dans sa soif d’engagement pétainiste suivante, rétorqua sans ambages, se définissant ainsi lui-même négativement :

« En définitive, dire “les clercs” est aujourd’hui la façon distinguée et passablement apprêtée de désigner ce que le langage vulgaire nomme “les intellectuels” : écrivains, artistes, philosophes, professeurs, ou ceux qui servent l’esprit, qui le développent, qui l’analysent, qui le meublent ou qui l’ornent.

Ils ont reçu le baptême des clercs de la main de ce petit Juif de salon qui se nommait Julien Benda, spécimen curieux d’une étrange faune, dont l’extraordinaire courage en paroles avait pour corollaire une lâcheté sans limite en face de l’action. Il y a quelques années, ce personnage produisit un livre d’assez grand succès, sous le titre que nous avons donné à ces réflexions : il nous a paru juste en effet de reprendre à ce Juif le terme chrétien dont il s’était emparé… (souligné par nous) »

Rappelons que dans Le Progrès du 7 juin 1942 – le jour de la date limite d’imposition de « l’Étoile jaune », mesure de répression policière infligée aux Juifs de la zone occupée à la demande d’Heydrich venu à Paris le 5 mai 1942 – on peut lire cet éditorial rédigé par le meilleur ami de Duverger, Marc Granet (selon le propre témoignage enregistré que ce dernier nous a livré), publié en première page, intitulé « En suivant l'étoile » :

« Les Juifs vont circuler désormais sous le signe de l’étoile de David. Malgré le souci d’information déployé les semaines passées, le Juif n’est pas encore perceptible au premier examen. Ses caractères somatiques ne sont pas toujours suffisamment marqués pour permettre une défense justifiée. Aussi convient-il de signaler évidemment le danger afin de le prévenir.

Cette précaution a suscité une certaine émotion…

On a parlé de “mesure vexatoire”. Je voudrais bien qu’on nous explique en quoi le port de “l’insigne” prescrit peut autoriser cette expression si le Juif ne jouit déjà dans l’opinion d’une implicite suspicion.

Un chrétien, en effet, pourra se promener demain sous le signe de la croix ; un Français sous les couleurs de son drapeau, sans susciter le moindre soupçon, la plus infime antipathie, sans être lui-même gêné, – bien au contraire ! Si le Juif ne bénéficie pas d’une identique situation, c’est que l’étoile le signale comme né d’une race dont la puissance a conduit ce pays de la servitude, à la ruine, pour la satisfaction d’une soif traditionnelle de domination par la richesse.

L’influence décisive des forces de corruption du capitalisme juif dans l’abêtissement, l’aveulissement, la démoralisation de ce peuple, le rôle de premier plan joué par un cinéma pourri, une presse asservie, un gouvernement vendu, dans une guerre sans but, sans enthousiasme, sans espoir, n’est plus à démontrer. La prolongation de cette guerre par la collusion inexplicable d’un capitalisme épouvanté avec un communisme avide, ne peut s’expliquer que par l’important dénominateur commun que constitue pour l’un comme pour l’autre, la juiverie internationale menacée.

Le sabotage de la politique de relèvement national entreprise par le Maréchal, l’insolent trafic du marché noir, la suffisance repue que le “peuple élu“ étale sur la Côte d’Azur, alors que tout le peuple souffre d’un ravitaillement précaire soutenu par les Juifs émigrés, suffiraient – après tout le reste – à expliquer pourquoi Israël pourrait moralement pâtir…

Mais, nous savons. Il est encore bien des âmes sensibles pour soulever le cas du “bon petit Juif qui a fait son devoir”. Ce phénomène, aussi rare d’ailleurs que le Juif aux mancherons d’une charrue ou au soufflet de forge, subira tout simplement l’effet d’une solidarité sociale que les Juifs eux-mêmes ont particulièrement contribué à introduire dans le monde chrétien…

Il est, dans les premiers versets de la Genèse, une histoire de péché originel répartie dans ses conséquences sur des êtres bien peu responsables… Que le “bon petit juif qui a fait son chemin” médite ces pages édifiantes, il comprendra sans doute mieux la rigueur du lien qui l’unit à ses frères dans le malheur comme dans la félicité ; il s’apercevra qu’il est un sort plus douloureux que le sien : celui de nos camarades prisonniers qui subissent le châtiment qui lui revient ; il saisira pourquoi ces Français battus ont ce regard d’inquiétude sévère… en suivant l’étoile.

Le Progrès. »

La semaine suivante, le 13 juin 1942, le même hebdomadaire publia en première page un dessin du caricaturiste du journal, Yvan Le Louarn (alias plus tard Chaval, ami intime de Maurice Duverger, qui parle beaucoup de lui dans ses Mémoires – cf. notre document de frontispice, nous allons y revenir). L’artiste stigmatisa en image, après l’éditorial précédent de Granet, deux israélites, l’un de face, l’autre de dos. Le second demandait au premier, qui portait deux « étoiles jaunes » :

« – Tiens, vous en avez deux ?…
– Oui, on m’a fait un prix. »

Signalons au passage qu’un autre ami de Duverger, du temps du Ppf local, n’était autre que Pierre Garat, ancien étudiant de la Faculté de Droit de Bordeaux, lui aussi, devenu chef du « Service des affaires juives » de la préfecture de la Gironde début 1942 grâce à l’intercession du Doyen de cette Faculté, Roger Bonnard, consulté par le directeur de cabinet de la préfecture, Georges Reige, puis confirmé, en juillet suivant et placé sous la houlette du secrétaire général, Maurice Papon, aux responsabilités que l’on sait…

Mais Duverger-Orgène n’en resta pas là. Il pensa, non sans arrogance, que sa position, ses liens directs et personnels (dans divers repas assez réguliers que nous a avoués Marc Granet ex post, ce dans les meilleurs restaurants de Bordeaux) avec Marquet, « le Maire le plus collaborationniste de France » (dixit Lucien Rebatet dans Les Décombres), étaient susceptibles de lui permettre de plus vastes ambitions dans le régime en pointillé. Il franchit le pas par écrit, avec une naïveté inversement proportionnelle à son ambition d’alors.

– L’arrogance décalée
pour servir la Révolution nationale :
le rêve duvergérien d’être « secrétaire général
à la Jeunesse de Vichy »


Ce second exemple symptomatique mérite d’être signalé : celui concernant le fait que Duverger s’est pris effectivement, un instant, dans Le Progrès de Bordeaux, pour le secrétaire d’État à la Jeunesse de Vichy, contre Georges Lamirand…

Un autre ancien « copain » de la Faculté de Droit et du Ppf bordelais, Robert Ducos-Ader (« Henri Dangos ») avait lancé dans le journal, le même 7 juin 1942, un débat qui partageait les membres de « l’Équipe », concernant le secrétariat à la Jeunesse. Ducos-Ader reprocha au ministre de Pétain de ne pas avoir su choisir « une politique révolutionnaire » à la façon des « exemples étrangers », comme ceux de l’Espagne franquiste et du Portugal (sic). Duverger, leader de « L’Équipe » en question, crut bon d’ajouter aussitôt son grain de sel.

Lamirand avait pourtant été très bien accueilli à Bordeaux, quelque temps auparavant. Le témoignage que celui-ci nous a livré à Paris le 31 mai 1986, en présence de son délégué régional girondin de janvier 1941 à décembre 1942, Raymond Courtot, nous l’a confirmé dans nos entretiens enregistrés. Par exemple, les 22 et 23 avril 1941, le ministre et son état-major, firent une visite sur place, où il reçut avec ses adjoints un chaleureux accueil. À l’occasion, le dernier soir, un dîner officiel somptueux fut offert par Courtot au grand restaurant, Le Château Trompette (ceci en pleine disette pour la population, exsangue et affamée quotidiennement…). Dans le compte rendu de La France de Bordeaux et du Sud-Ouest du 25 avril 1941, on constate que Maurice Duverger était présent, avec son ami Marc Oraison et divers membres de l’équipe théâtrale des « Compagnons du Bon Vouloir » de Jean Lagénie, tous proches de la délégation régionale de Courtot, la Faculté de Droit étant elle aussi bien achalandée :

« À ce repas, nous avons notamment remarqué M. Pierre-Alype, préfet ; M. le professeur Poplawski, adjoint au maire de Bordeaux ; Mme Paquet ; Mlles Sauvaneix et Macé ; MM. De Marcy ; le professeur Brèthe de la Gressaye, le colonel Duché ; Roche, inspecteur d’Académie ; Tabart-Robert, préfet honoraire [directeur des Services annexes de l’Occupation], Thibaut, inspecteur de l’Enseignement technique ; Reige, directeur de cabinet du préfet ; les directeurs des quotidiens bordelais ; Gaston Poulet ; Dumaine, Duverger, docteur Marc Oraison, Teyssandier, le docteur Daron, Ducos, Lagénie, Clerc, etc. [souligné par nous] »

Duverger précise dans ses mémoires éditées (L’Autre côté des choses) qu’il tint une conférence à la délégation régionale de la Jeunesse. Divers numéros du Progrès abordèrent les questions attenantes concernant ce sujet. Pourtant, dans le numéro du 24 janvier 1942 de l’hebdomadaire, le jeune juriste s’efforça de livrer un étonnant article, révélateur de son ambition cachée : « Si j’étais secrétaire général à la jeunesse ». Quelques extraits :

« L’ère des contradictions est close. La doctrine du Secrétariat général est désormais nette et invariable. Ni pluralisme, ni mouvement unique : fédéralisme.

Je mets un terme au pluralisme, parce que le pluralisme, c’est le désordre et que je hais le désordre comme vous devez le haïr, car il est la source de tous nos malheurs.

Je repousse cependant la doctrine du mouvement unique. Parce qu’elle n’aboutit pas à l’ordre, mais à sa caricature, l’uniformité. Je ne veux pas, pour la jeunesse de France, le nivellement des esprits, de la péréquation des cerveaux et du caporalisme idéologique, où s’enliserait inéluctablement un mouvement unique. Je crois que la liberté de la pensée est aussi nécessaire que la discipline de l’action, pour assurer le relèvement du pays. Cette liberté de l’esprit est en effet une des traditions françaises les plus profondes, et nous ne saurions la renier sans rester nous-mêmes.

Donc ni pluralisme, ni mouvement unique. Mais fédéralisme.

Cela signifie qu’en principe les mouvements existants subsisteront, et que les mouvements nouveaux pourront toujours être créés.

Mais la liberté des uns et des autres sera limitée de deux façons : d’abord par un contrôle de l’État sur l’organisation et l’activité des différents mouvements. Seront impitoyablement dissous les mouvements incapables de s’organiser convenablement, les mouvements dont les ressources apparaîtront suspectes, les mouvements jugés dangereux pour l’unité matérielle et morale de la patrie.

Ensuite, tous les mouvements seront obligés de s’unir pour former une seule Fédération de la jeunesse française. Aucune abstention ne sera tolérée ; toute résistance sera brisée.
Dans cette fédération, les différents mouvements conserveront leur pleine autonomie culturelle, philosophique et religieuse. Mais ils devront tous accepter, enseigner et propager une même doctrine politique : la doctrine politique de l’État français. Leurs dirigeants devront donc avoir fait un stage dans une école nationale de cadres et prêter serment de fidélité au chef de l’État.
Ainsi seront maintenues et raffermies l’indivisible unité de la jeunesse française, en même temps que la diversité nécessaire au développement de l’intelligence et la concurrence indispensable au progrès matériel. »

Le jeune coq bordelais, fier comme Artaban, termina ainsi :

« Pendant six mois, entouré d’une petite équipe de collaborateurs dévoués et sûrs, je travaillerais d’arrache-pied, de jour et de nuit, à réaliser le programme ainsi défini. »

Texte dans le sens pétainiste, pétri d’orgueil, qui confirme aussi les relations privilégiées avec Raymond Courtot – en complément donné à l’équipe de « ses » jeunes par Adrien Marquet, contre Pucheu, contre Pélorson, puis contre les dérives de Laval.

Courtot, d’abord délégué régional à la Jeunesse en Gironde (avant d’être nommé plus tard pour un temps délégué au ministère de l’Information), nous a répété de vivo, lors de nos entretiens à Paris, ses propres critiques à l’égard de Lamirand, qu’il exposa à l’époque de façon plus ou moins voilée dans ses rapports à Vichy (qu’il nous a aussi confiés dans leur intégralité). Duverger fit en quelque sorte « du Courtot » dans son article du 24 janvier, reprenant les mêmes thèmes, comme si le délégué régional avait insufflé au jeune juriste bordelais l’idée de se positionner politiquement, couvert qu’il était par le maire collaborationniste Adrien Marquet (l’obtention de l’agrégation de Droit public en septembre 1942 le sauvera de cette « carrière » politique putative). Cela, d’autant que, nous l’avons déjà dit, l’équipe du Progrès fut souvent invitée par Marquet dans des restaurants bordelais bien fournis en nourritures en ces temps de disette forcée, répétons-nous, pour échanger des vues générales sur la situation et résoudre certains problèmes passagers… Une précision : Raymond Courtot prononça également le 27 avril 1942 une conférence explicitement antisémite et publia dans Le Progrès de Bordeaux le texte d’une allocution devant l’Age (l’Association générale des Étudiants), « Les étudiants et la Révolution nationale », dont le contenu est très proche des articles de Duverger précités.

Le grand maître de l’impétrant à la Faculté de Droit, Roger Bonnard, ayant informé les étudiants que l’Agrégation du Supérieur, jusque-là arrêtée en raison de la guerre, allait être réintroduite, le jeune vacataire, brillant docteur bonnardien depuis le 4 août 1940, profitant de cette information, se mit à préparer avec acharnement ce concours, tout en continuant de transmettre quelques articles au Progrès… Avec des facilités, en raison du fait que pour appuyer son poulain, Bonnard le fit entrer à la Fondation Thiers à Paris – institution analysée par l’historien Pascal Ory [4] –, avec une bourse importante. Le mentor du protégé fut lui-même nommé… président dudit concours d’Agrégation par le fameux ministre de l’Éducation, le collaborationniste Abel Bonnard (défenseur outrancier du Sto pour les étudiants…, dénommé « Abetz Bonnard » et même « Gestapette », par de mauvaises langues spirituelles d’alors…, avant la triste fin de la trajectoire de ce dernier à Sigmaringen…).

Miracle !

Duverger sortit… major de « l’épreuve ». Donc, sur du velours (voilà comment on passait l’Agrégation de Droit public sous le Vichy du temps de Pierre Laval…).

Aussitôt, Le Progrès du 28 novembre 1942, qui publia sa photo avec son nom enfin étalé à la lumière, mit le reçu et son leader intellectuel en vedette, lui déployant ce tapis rouge :

« Maurice est agrégé ! Ce cri, nous l’avons jeté sans surprise dès que nous parvint la fameuse nouvelle. Nous, qui – de très loin d’ailleurs ! – avions suivi les brillantes étapes de son ascension, nous n’avions jamais douté. Sous l’autorité d’un maître, M. le doyen Bonnard, une intelligence si vive, une forte méthode de travail devaient normalement l’emporter.

Nous ne voulons pas attirer les regards égarés sur un être fabuleux. Tous ceux qui le connaissent savent déjà et se sont réjouis avec nous au premier écho de son succès.

Nous n’avons pas à souligner l’ampleur de son mérite. Une première place à l’agrégation de droit public – à son âge – lui confère tout son éclat.

Ici, nous ne le féliciterons pas. Il est des formules si banales qu’elles n’ont plus de sens entre nous.

Nous dirons simplement notre fierté parce qu’il est des nôtres et que son succès retombe un peu sur le groupe, sur cette équipe qu’il avait avec nous rassemblée, fortifiée.

Il en avait dirigé les premiers travaux… Lorsque nous fut confiée la rédaction du “Progrès”, Maurice, dans un article qui reste “un texte”, avait défini l’Équipe, en avait indiqué la tendance et formulé les disciplines consenties.

“Nous ne sommes point des individus isolés agissant de façon indépendante, chacun pour son propre compte et sous sa seule responsabilité. Nous avons mis en commun nos idées et nos volontés, notre foi et notre espoir, nous sommes une Équipe.

Il faut abandonner l’individualisme et agir désormais en communauté. Il faut retrouver le sens de l’Équipe.

Chacun y apporte sa contribution personnelle mais en acceptant les modifications et corrections qui permettront à cet apport de s’intégrer à l’œuvre commune. Ainsi l’Équipe dépend de personnes et chacun dépend de l’Équipe”.

Maurice restera “le grand collaborateur” jusqu’au jour où ses travaux personnels ne lui laissèrent aucun loisir, mais il n’en suivit pas moins l’expression de nos efforts afin de les informer et de les guider. Et ce vieil ami nous revient aujourd’hui fidèle… et triomphant.

Alors que s’éloignent les derniers lampions et que se fanent les fleurs des officielles félicitations, nous allumons un gigantesque feu de joie afin qu’une flamme chaude et claire, comme notre amitié, l’accueille de nouveau parmi nous.
L’Équipe. »

Ainsi adoubé, après ces preuves d’allégeances idéologiques et politiques diverses dans le sens du pétainisme dominant à la Faculté de Droit de Bordeaux – comme d’ailleurs –, le nouveau professeur allait donner toute sa mesure… au service intellectuel de Vichy, comme il le fera après avec les régimes ultérieurs. Sans jamais abandonner, ceci dit encore une fois, les fameux démons de la politique qui l’avaient habité dans sa tête, depuis sa jeunesse…

Le jeune publiciste consacré avait revêtu ainsi, simultanément, trois masques : journaliste idéologue impénitent et politicien local d’extrême droite en herbe ; acteur de théâtre (il joua dans maintes pièces au sein de la troupe officielle de la Révolution nationale précitée, « Les Compagnons du Bon Vouloir », dont « La Nuit est un songe » de Calderon, et même en écrivit certaines… qui n’eurent pas un grand succès après 1945) ; professeur d’Université, dont l’œuvre typologique ultérieure « de juriste », aujourd’hui critiquée sur toute la ligne donc [5], est en grande partie tombée dans l’oubli en France [6].

Que penser, finalement, de ce « cas Duverger », en reflet avec un tel passé, qui ne fut pas sans répercussion sur l’image que ce fondateur publiciste de la « Science politique » en France tenta de donner lui-même, effaçant de façon subreptice ses engagements de jeunesse un peu lourdauds ?


II. Dissociation cognitive,
rédemption, repentance calculée


Après l’obtention à l’automne 1942 de l’Agrégation de Droit public par Duverger dans les conditions précitées, deux choses importantes peuvent être mises en évidence : d’abord la confirmation des engagements culturels, idéologiques et politiques de ce dernier dans le Progrès de Bordeaux – hebdomadaire sabordé par le maire Marquet et « refilé » à la branche déatiste du néosocialisme local en janvier 1943, complétée par la poursuite d’une participation intellectuelle pétainiste dans des instances « scientifiques » de la Révolution nationale. Enfin, après l’étape d’une épuration qui n’eut vraiment pas lieu à la Faculté de Droit de Bordeaux [7], on peut recomposer les diverses contorsions que l’intéressé tenta pour faire oublier son passé et se relégitimer à bon compte, ce qui est très compréhensible, humainement parlant.

– Servir Vichy
en tant que jeune agrégé de Droit public


Fort de son poste de professeur, acquis via la rampe de lancement idéologico-politique que nous venons d’esquisser, Duverger valorisa ses compétences techniques par des enseignements bien « intégrés » aux visées du nouveau régime, en dehors de l’Université elle-même, toujours dans le sillage de son mentor Roger Bonnard. N’abordons pas ici la question, que nous avons étudiée plus à fond, de l’engagement intellectuel que le doyen bordelais avait demandé à son poulain, concernant la légitimation des mesures prises par Vichy contre les fonctionnaires « juifs », publié dans la Revue du Droit public et de la Science politique en juin-décembre 1941 [8]. Ce texte, inqualifiable, lié à l’ensemble des interventions pétainistes de Bonnard, a fait à juste titre couler beaucoup de critiques de la part des historiens du droit public qui l’ont analysé la plume à la main (hélas, sans connaître le dessous bordelais des cartes ni les engagements effectifs du maître, comme du disciple…) [9]. Bornons-nous, en complément ici, à préciser les débordements pédagogiques extra-universitaires de Duverger.

D’abord, sur ordre de Bonnard qui en fut l’instigateur avec le préfet régional ultra-pétainiste Alype, le jeune promu accepta de donner des cours intensifs de Droit public à l’École régionale d’administration, créée à Bordeaux le 14 janvier 1942 [10]. Celle-ci fut placée dès l’automne suivant sous la direction de Maurice Papon, qui la dirigea en tant que secrétaire général de la préfecture de la Gironde, et, à ce titre, chef du personnel départemental et de la formation des agents de son ressort. Lors de l’organisation des sessions de l’École, Roger Bonnard eut un rôle décisif, choisissant les enseignants dans les divers secteurs (cours théoriques, cours pratiques, séances de méthodologie), conseillant la marche à suivre en pédagogie, à tous les niveaux. S’il n’assuma que huit heures lors de la première session qui ne compta que 90 heures de cours, l’assesseur du Doyen, Henry Vizioz, et Maurice Duverger, le remplacèrent lors de la seconde. Ce dernier assuma un maximum d’heures lors de la troisième promotion qui regroupa environ plus de 100 élèves, y compris l’enseignement à distance par correspondance, avec près de 200 heures de cours. Lors de la troisième session, après le discours d’ouverture prononcé par Maurice Papon (le préfet régional Maurice Sabatier étant en déplacement), Duverger assuma la leçon inaugurale en présence de ce dernier (comme le montrent le compte rendu et les photos de l’époque dans La Petite Gironde indiqués en annexe). Les Archives départementales de la Gironde ont même conservé des échanges de lettres entre Maurice Duverger et Maurice Papon, concernant les sommes conséquentes de défraiement du professeur, qui arrondissaient ainsi ses fins de mois.

Ensuite, il est avéré que Duverger obtint un enseignement important de Droit public à l’Institut d’Études corporatives et sociales à Paris, installé boulevard Saint Germain (avec une annexe dans un hôtel particulier de la rue de Lille). Cela, grâce à Bonnard, mais aussi à Brèthe de la Gressaye (juriste de la Faculté de Droit de Bordeaux, qui y donna lui-même des cours) et à Maurice Bouvier-Ajam (chargé de cours à Bordeaux en 1942), qui en devint le directeur-fondateur dans la capitale.

Il s’agit là d’une véritable instance de regroupement des « corporatistes » du pays autour d’un thème hypertrophié par le pétainisme, auquel adhéra Duverger dans nombre de ses articles politiques des années trente et que Bonnard avait traité dans un ouvrage paru en 1937 (Syndicalisme, corporatisme et État corporatif), sujet prisé aussi par les économistes bordelais (dont Garrigou-Lagrange). Bref, un centre de propagande placé sous le patronage de Pétain et financé par son cabinet (entre 3 et 6 millions de francs furent débloqués).

Nous disposons sur ce point de deux études de référence. Celle de Steven L. Kaplan d’abord [11], qui précise :

« Le 21 janvier 1942, anniversaire de l’exécution de Louis XVI, un auditoire de plus de 2000 personnes écouta Georges Lamirand, secrétaire général à la Jeunesse – intendant de l’avenir –, célébrer l’inauguration du nouvel Iecs. Bouvier-Ajam s’entoura d’une pléiade d’éminents personnages (où les femmes brillaient par leur absence). Olivier-Martin, juriste et historien de l’organisation corporative, présidait le conseil supérieur, assisté par deux vice-présidents, Georges Blondel, professeur au Collège de France, où Bouvier-Ajam avait brièvement travaillé pour lui, et Alfred Rolland, architecte de profession et collaborateur de la première heure de l’Iecs. Parmi les membres du comité de patronage figuraient plusieurs hommes d’affaires corporatistes, deux rejetons de la famille La Tour du Pin, porte-drapeau de la bannière doctrinale, le duc de Lévis-Mirepoix, historien et futur académicien, et Sacha Guitry, le spirituel écrivain, membre de l’Académie Goncourt et surtout du Comité d’organisation des entreprises de spectacle fondé en 1941 par Vichy. Parmi les enseignants et les collaborateurs aux périodiques et autres publications de l’Iecs, entre autres, on trouvait des professeurs aussi distingués que l’économiste François Perroux, le juriste Maurice Duverger, scrupuleux exégète des mesures autoritaires et antisémites de Vichy, mieux connu par la suite en tant que journaliste du centre gauche qui collabora au Monde après la guerre, et un jeune espoir des milieux politiques et administratifs, qui devait détenir un portefeuille ministériel de second plan sous la IVe République, avant d’être plusieurs fois ministre, notamment de l’Intérieur en 1968, sous le général de Gaulle, Raymond Marcellin. Ce nouveau baptême de l’Institut consacrait l’apothéose de son directeur, Bouvier-Ajam. »

Ensuite, celle, plus large et complémentaire, d’Antonin Cohen [12]. Non seulement le politologue confirme la présence de Duverger, en indiquant que lui fut attribuée, en tant que titulaire et pas simplement conférencier, la chaire de « Droit public » au dit Institut, mais il révèle encore la présence, en tant que nouveau venu, du disciple de Bonnard à la seconde session des « Journées du Mont Dore », tenue en septembre 1943. Dans la Commission consacrée aux mesures à adopter pour « les étrangers », on lit ceci, concernant les dispositions contre les Juifs :

« 1. L’expérience montre que les juifs constituent dans chaque nation, un bloc de sang et d’esprit réfractaire à l’assimilation ; 2. Les juifs résidant en France doivent être considérés comme des étrangers non assimilables ; 3. Des exceptions devront être prévues : a) pour les juifs établis en France depuis plusieurs générations ; b) à titre individuel, pour les juifs anciens combattants ; c) à titre individuel, pour les juifs ayant rendu de grands services à la nation. 4. Les enfants des mariages entre juifs et français seront considérés comme juifs ; 5. Chaque communauté professionnelle fixera son “numerus clausus” [13] ».

La lecture du travail d’Antonin Cohen éclaire les orientations multiformes des « Journées du Mont Dore », qui se voulurent une des centrales de construction de « la Révolution nationale ». Y participer, c’était adhérer à celle-ci. Une preuve convergente de plus…

Mais, comment, après avoir traversé sans faille la période de « l’épuration » de 1944-1945, si ductile, à Bordeaux, concernant la Faculté de Droit, gérer la mémoire des faits et assumer une image « de soi » en termes de dissonance cognitive, mais aussi de repentance compréhensible de la part de Duverger-Orgène ?

– De la reconstruction échevelée de soi, ex post,
dans une cité « au mensonge déconcertant »


Un second point surgit là, sous-jacent, car extensible à d’autres cas aussi symptomatiques que cette « Affaire Duverger » : le syndrome bordelais concernant le rapport entre histoire scientifique, militantisme, reconstruction mais aussi instrumentalisation de la mémoire.

Bordeaux s’est haussé de temps en temps sur la crête de l’Histoire de France, lorsque le pays a traversé des difficultés (en 1870, en 1914, en 1940), devenant la capitale temporaire du pays. D’ailleurs, son maire actuel pourrait être éventuellement le prochain président de la République (en 2017 ?). Ça se sait…

Il est donc paradoxal que pour la période de l’Occupation, le travail d’histoire politique dans cette Cité, qui fut aussi de 1943 à 1945 celle surtout du Commissaire de la République Gaston Cusin, ami de Jean Moulin, nommé par le Général de Gaulle, puis, incidemment et ultérieurement celle de Jacques Chaban-Delmas – qui récupéra beaucoup de choses dans le mythe politique qu’il forgea sur lui-même à partir de 1944 et après 1947 –, ait été tant dévalorisé et humilié. Et que beaucoup de collègues de nos amis, qui ont fait œuvre d’historien, aient dû subir, en dehors de la très frileuse Université locale, déconsidérée sur le sujet, des « mises en justice », des intimidations, des discrédits passagers, pendant que disparaissaient archives et témoins de l’époque, irremplaçables pour la mémoire des générations futures…

Mais la vérité chemine lentement. Et plus de soixante-dix ans après les événements, il y a encore beaucoup à faire. Bordeaux serait-elle la ville « du mensonge déconcertant » [14], une sorte d’édredon de la mémoire ? C’est bien cette ville qui a attendu notre travail archivistique encouragé par notre ami Jean Cavignac des Archives départementales de la Gironde, pour découvrir en 1981, alors qu’elle s’était située en zone occupée depuis juin 1940, le phénomène historique de la Shoah – dont André Malraux a écrit : « c’est la première fois que l’Homme a donné des leçons à l’Enfer »…

Toute enquête y est d’autant plus difficile qu’elle se heurte à l’omerta de nombreuses institutions concurrentes, qui s’autoglorifient, s’autolégitiment et reproduisent une langue de bois officielle qui filtre ou étouffe les informations. Dans beaucoup de lieux, la politisation a déformé, voire informé anachroniquement la vérité. Mais le passé dans sa globalité revient toujours, comme un boomerang, et les morts, « visages de l’Autre » (Michel de Certeau), nous parlent encore.

Exemple frappant de ce syndrome dans un scénario mnémonique récent, totalement inversé, que fait surgir le cas Duverger : la Faculté de Droit de la ville est en train de connaître l’affaire symbolique de la « débaptisation » de l’amphithéâtre du doyen pétainiste Roger Bonnard, « le juriste de Vichy », question dont s’est emparée depuis le procès Papon en 1997, l’Organisation socioculturelle de Bordeaux IV (Osb IV) en son « objection de conscience » – demande refusée par les autorités concernées, dont deux anciens présidents juristes. La tendance serait donc plutôt, côté étudiants surtout, à construire « un devoir de mémoire » bien informé, concernant l’ensemble du problème, rejeté au nom de la fermeture des écoutilles qui règne dans la Faculté concernée, noyée dans ses propres mythes de façon sclérosée et irréelle – alors que de surcroît, est éventuellement à l’ordre du jour dans le futur la question de la débaptisation de deux autres amphithéâtres (ceux portant les noms d’Henry Vizioz, assesseur pétainiste du Doyen Roger Bonnard et de Joseph Lajugie, chef adjoint du Cabinet de la préfecture de la Gironde, superviseur à ce titre de l’« aryanisation » des biens juifs mais aussi des questions de propagande pétainiste, de 1941 à 1942 – dont, de surcroît, le nom a été donné à la rue montante qui mène à la Faculté de Droit à Périgueux). Une précision : c’est Roger Bonnard, répétons-le, qui, à la demande du directeur de Cabinet de la préfecture de l’époque, Georges Reige (condamné à mort à la Libération par la Justice), a livré des noms de jeunes licenciés ou docteurs en droit qui lui furent demandés pour être employés supplétifs à la préfecture dans les nouveaux postes exigés par le régime (dont le fameux « Service des Affaires juives »).

À l’inverse, à l’Institut d’Études politiques de Bordeaux, à cinquante mètres de là, les propos à la presse du directeur actuel, lors du décès de Duverger-Orgène – termes unilatéraux par rapport à l’un de ses propres articles antérieurs sur le sujet [15] –, laissent à penser que le mot d’ordre convenu, partagé par une majorité d’étudiants et d’enseignants de cet établissement, est plutôt « un devoir d’oubli ». Ne faut-il pas sauver là encore, « l’image » de l’Institution en sacralisant son fondateur, présenté à l’occasion de sa mort comme « le pape », « le père de la Science politique en France » ou « le principal politologue français de la deuxième moitié du XXe siècle » (sic) – alors qu’il en est déontologiquement le fossoyeur, à l’image des deux fossoyeurs de la pièce de Shakespeare, Hamlet, ce prince du Danemark qui prononce le fameux : « To be or not to be » (dans la Scène 1 de l’acte III) [16] ?

Ce rituel discursif de fin 2014 renouvelle et rappelle l’arrogance et l’insouciance scientifiques déjà apparues lors du quarantième anniversaire de l’Iep en 1988 (en plein procès de Duverger contre le mensuel Actuel !), qui réunit à l’occasion trois anciens directeurs autour de son fondateur, cérémonie « optimiste », qui caviarda les engagements de ce dernier dans les années trente et sous l’Occupation [17].

Résumons-nous. Donc, d’un côté, la Faculté de Droit veut punir le Maître Roger Bonnard, de l’autre, l’Iep disculpe son Disciple, Maurice Duverger, pourtant plus engagé que lui encore avec Vichy… Deux institutions différentes, deux discours mémoriels inversés !

Pour y voir clair, il est bon de rappeler cette remarque précieuse d’Antoine Prost :

« L’impartialité (plutôt que l’objectivité) de l’historien résulte d’une double attitude, morale et intellectuelle. Morale d’abord : de Seignobos à Marrou, tous les auteurs qui ont écrit sur l’histoire ont tenu un discours éthique. Ils ont insisté sur la nécessité pour l’historien de prendre en compte la position de tous les acteurs, de faire preuve d’honnêteté intellectuelle, de mettre entre parenthèses leurs propres opinions, de faire taire leurs passions, et pour cela de s’efforcer d’abord d’élucider et de dépasser leurs implications personnelles. Bien que moralisateurs, ces conseils ne sont pas inutiles. On voit encore trop d’historiens qui, emportés par leurs passions, commettent des erreurs de faits qui les discréditent [*].

[* En note] On en prendra pour exemple la controverse sur Vichy qui a conduit un historien comme Zeev Sternhell à invoquer des faits qui sont faux à l’appui de sa thèse : “L’équipe d’Esprit se joint jusqu’aux derniers jours de 1942 à l’œuvre de la Révolution nationale” (Le Monde, 21 septembre 1994), alors que la revue a été interdite par l’amiral Darlan en août 1941 et son directeur arrêté en janvier 1942), ainsi que le lui objecte Michel Winock (ibid., 5 octobre 1994). Les historiens qui prennent de telles libertés avec la vérité signent leur propre condamnation.

Mais l’appel à l’honnêteté et à la rigueur est aussi d’ordre intellectuel. C’est d’abord le choix d’une posture intellectuelle, et non morale ou politique. S’il vise l’impartialité, l’historien doit résister à la tentation de faire servir l’histoire à autre chose qu’elle-même. Quand on critique la prétention de l’histoire à être une science, on oublie souvent que cette revendication a servi historiquement à rompre le lien qui faisait d’elle une maîtresse de vie, un recueil de bons exemples. Il est d’usage d’ironiser sur les illusions de Ranke qui prétendait dire “comment les choses se sont réellement passées” ; mais le propos reste d’actualité si on le prend dans son contexte :

“On a attribué à l’histoire la mission de juger le passé, d’enseigner le monde contemporain pour servir aux années futures : notre tentative ne s’inscrit pas dans des missions aussi hautes ; elle cherche seulement à montrer comment les choses ont vraiment été.”

La question du régime de vérité de l’histoire déborde cependant très largement celle de l’impartialité du chercheur et du désintéressement de la recherche. C’est aussi une question de méthode : la vérité, en histoire, c’est ce qui est prouvé [18]. »

Il faut bien tenir compte des preuves dans les choses humaines, en histoire politique ! Quelques mots à ce propos, sur tous ces points.

Maurice Duverger, jouant habilement des couvertures institutionnelles et symboliques les plus multiples qu’il pouvait actionner, de par sa renommée justifiée, n’a-t-il pas toujours tenté de dissimuler les faits que nous avons évoqués le concernant, en se jouant de la Justice, mais aussi, à l’inverse, en tentant de s’abriter derrière elle ? À voir…

Quant à cela, la science historique positiviste, telle que rappelée ici par le témoignage d’Antoine Prost, a été très clairement définie, par exemple, au XIXe siècle, par Charles Seignobos, comme aujourd’hui, par l’historien italien Carlo Ginzburg. Serait-elle totalement coupée de cette même Justice en termes de science forensique (de criminalistique), c’est-à-dire de production de la preuve en matière de police scientifique et de droit pénal, ici appliquée au monde de la politique par les historiens [19] ? Notre réponse est simple : non, évidemment – ceci, dit pour tous les étudiants qui parviendraient un jour à nous lire…

Anomalie donc, concernant là Duverger, depuis le procès qu’il intenta au journal Minute en 1967, jusque dans ses mémoires publiées et épurées, L’Autre Côté des choses, parues chez Albin Michel en 1977, nous l’avons vu, en passant par le procès final de 1988.

Plusieurs choses peuvent être rappelées brièvement.

Par rapport à notre modeste témoignage produit devant la XVIIe Chambre correctionnelle du Tribunal de Paris lors du procès contre Actuel lancé en 1987 en termes de plainte par Duverger-Orgène, ainsi que devant les caméras du journal télévisé de FR 3 Aquitaine le mercredi 19 octobre 1988 [20], l’intéressé fut obligé de reconnaître, par un processus de distillation dans son alambic mnémonique, la réalité que nous avions ravivée de façon historienne et qu’il avait jusque-là dissimulée.

Relevons, à chaque étape de cette révélation livrée de façon sélective et tardive, l’utilisation habile de la brèche ouverte par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation publique par voie de presse, qui rend difficile, pour des faits de plus de dix ans, leur évocation et la discussion de leur véracité, alors que la loi (avec raison) demande de façon jurisprudentielle à tout journaliste de se montrer « prudent », « objectif » et « circonspect » lorsqu’il commente des faits avérés.

Autre élément : jouant sur les erreurs d’écriture et les déformations éventuelles de la réalité de ceux qu’il avait attaqués en justice en écrivant sur lui et son œuvre, pensant, comme lors de son premier procès de 1967, qu’un jugement favorable le « laverait » définitivement de tout soupçon, Duverger-Orgène instrumentalisa ainsi des hauts responsables. Cette tactique alimenta la dissociation cognitive durvergérienne : l’ouverture du parapluie des titres et de l’autorité de personnalités pouvant servir impunément de caution morale, mais ignorant les faits dissimulés, tout cela devant « enfumer » la Justice, fille de l’instant, extrêmement fragile, car toujours livrée à des rapports de force…

Cela passa, au niveau symbolique, par la recherche de témoignages de « Juifs d’honneur » (l’horrible et l’inadmissible terme !), devant prémunir Duverger-Orgène, dans sa tête, de tout antisémitisme : ce fut d’abord le cas de Charles Eisenmann, à la demande d’Hervé Beuve-Méry en 1957, directeur du Monde… Même tactique lors du procès contre Actuel en octobre 1988 (mensuel qui l’avait accusé à la fois de commentaires complaisants du texte vichyssois précité contre les « fonctionnaires juifs » dans la Revue du Droit public et de la Science politique de 1941, mais aussi – à tort – d’avoir arraché les pages concernées dans maintes bibliothèques du pays, pour que l’on ne puisse y avoir accès…).

Duverger-Orgène, dans cette logique, déploya donc en 1987-1988, une ultime fois, de sérieux efforts pour faire citer une kyrielle de personnages « légitimes » censés le « couvrir » définitivement : Bernard Tricot, Étienne Burin des Roziers (anciens secrétaires généraux gaullistes de l’Élysée), Maître Bernard Chenot, Pierre Chatenay, l’ambassadeur Dabezies, Jean-Paul Enthoven… Ainsi que maintes lettres de soutien (du professeur Jean Rivero, des conseillers d’État Chavanon – son copain du temps de Roger Bonnard à Bordeaux –, de Combarnous, celui aussi des doyens juristes si honorables, Vedel et Grapin…), comme des écrits de Bordelais respectables devant l’adouber et lui remettre inopinément leurs missives de créance (Jacques Chaban-Delmas, Jacques Ellul, Jean Lacouture [21]). Tout ce déploiement, pour « impressionner » à contresens… Défense oblige. En définitive, par le truchement de ces moyens, la tactique que Duverger avait calculée l’emporta relativement un temps, jusqu’aux lézardes ultérieures.

Face à tous ces « témoins » de « pure autorité », cités avec force par le défenseur du plaignant, Maître Charrière-Bournazel, devant la XVIIe Chambre correctionnelle du Tribunal de Paris (présidée à l’époque par Alain Lacabarats, avec, pour substitut le contradictoriel Philippe Bilger), émergea la défense d’Actuel, menée par Maître Charles Libman (assisté de Maître Maguy Bizot) [22].

Maître Charles Libman, immense défenseur des Droits de l’Homme, fête aujourd’hui ses soixante-dix ans de Barreau, entrant ainsi dans l’honorariat, au 1er avril 2015. Lui qui a plaidé pour les victimes dans les procès contre Touvier et Barbie accusés pour « Crime contre l’Humanité, » a reçu un hommage émouvant, sur le fond, de la part du Barreau de Paris, le 19 juin 2012. Rappelons, à l’écoute de la cérémonie concernée, qu’il fut forcé de s’inscrire à la Faculté de Droit de Toulouse, devant quitter Paris à cause des mesures de Vichy concernant les étudiants juifs. Il connut dans cette province, en tant qu’étudiant, le professeur de Droit constitutionnel, André Hauriou, qui entra ultérieurement dans la résistance et dirigea le mouvement « Combat » de Haute-Garonne puis gagna Alger, lui qui était le fils du célèbre publiciste catholique, Maurice Hauriou. Et, sur convocation respectueuse du Doyen de Toulouse d’alors, le Professeur Chagnol, en novembre 1942, il fut averti par ce dernier que les Allemands entreraient dans la Cité… le lendemain. Charles Libman put ainsi s’enfuir aussitôt, gagner clandestinement le Tarn-et-Garonne, protégé qu’il fut de façon extraordinaire par une chaîne de refuges de la part de divers amis. Il entra alors dans des conditions de vie difficiles, mais aussi dans la Résistance. Rappelons que Mgr Salliège de Toulouse (qui fut nommé dans l’ordre des Compagnons de la Libération par le Général Charles de Gaulle), s’était engagé en juillet précédent dans un prêche mémorable lu dans toutes les paroisses autour de Toulouse en faveur des victimes juives de Vichy, au moment précisément des rafles et des activités inhumaines de ce régime aux ordres des Allemands, juste après la rafle du « Vel-d’Hiv », si tristement célèbre concernant Paris. Et redisons-le, n’oublions pas, concernant Bordeaux, l’attitude solidaire de Mgr Feltin envers les Juifs persécutés et son ami le Grand Rabbin Joseph Cohen, dont nous avons déjà évoqué les actes de solidarité réciproque concernés, qui fut à l’origine de ladite protestation menée par le conseil des Archevêques et Évêques de France en la circonstance [23].

Nous nous sommes ainsi trouvés en 1988, à la demande de Maître Serge Klarsfeld et par la bienveillance de Maître Libman, être un modeste témoin pour Actuel, à côté d’abord de Madeleine Barrot : cette Grande Dame de la solidarité protestante, créatrice dévouée de la Cimade sous l’Occupation. De concert avec le Pasteur Marc Bœgner [24], face à Vichy, contre vents et marées, avec l’appui de l’Église catholique – dont Mgr. Gerlier, Archevêque de Lyon et Primat des Gaules –, celle-ci se battit avec tous les réseaux du Refuge protestant, tant dans les zones de la France coupée en deux, qu’en Suisse ou en Allemagne, organisant des filières d’évasion par la Suisse en faveur des Juifs de France persécutés. Et, visitant activement les camps de malheur de la zone sud, elle se dévoua corps et âme pour sauver qui elle pouvait, jour et nuit, sans qu’aucun journaliste du temps du procès de 1988 – tous imbus des « arguments d’autorité » – n’ait eu un mot pour elle, ni fait mention de son témoignage. Madame Barrot est heureusement aujourd’hui, pour tous les temps, honorée du titre de « Juste parmi les Nations ». Cependant, face à la réalité des citations contradictoires des divers témoins lors du procès contre Actuel, elle se positionna contre Jacques Ellul, cité par Duverger comme un de ses alibis principaux – pourtant lui aussi nommé ultérieurement avec raison « Juste », mais ficelé en 1988 par les pouvoirs locaux d’alors, faisant ainsi perdurer « le mythe de Bordeaux » – qu’il avait pourtant « démystifié » dans son ouvrage si problématique et détaché, L’Illusion politique [25].

Autre témoignage percutant face à Duverger-Orgène lors du procès contre Actuel : celui du philosophe André Glucksmann. Ce dernier, arrêté avec sa mère sous l’Occupation, mais ayant échappé miraculeusement aux textes honteux qu’avait commentées Duverger en 1941 à la demande de son maître bordelais, le publiciste Roger Bonnard, il ne mâcha pas ses mots, en la circonstance, situé, comme pour tous les témoins, à deux ou trois mètres du juriste vichyssois dans une salle peu spacieuse (celle de la XVIIème Chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, « réservée » aux questions concernant la Presse…). Écoutons-le :

« Heureusement que le gendarme qui nous a humainement libérés, ma mère et moi, au lieu de nous arrêter, n’a pas lu votre article. Dans ce cas, il aurait compris que je n’étais pas de “race française”, mais de “race juive”. On ne peut pas oublier certains événements du XXe siècle, et d’abord l’existence des camps d’extermination. Là, il y a deux attitudes. Celle qui consiste à minimiser les faits et à rejeter la faute sur les autres ; celle qui consiste à reconnaître les faits et sa propre responsabilité. Heidegger, qui fut membre du parti nazi, je le mettrais dans la première catégorie. Soljenitsyne, qui fut stalinien mais se servit de cette expérience pour écrire la plus formidable critique du stalinisme, je le mettrais bien sûr dans la seconde. Et Duverger, je le vois plutôt du côté d’Heidegger… Rien n’oblige un juriste à commenter une loi ignominieuse. Vous saviez que c’était une loi cruelle, assassine. Vous avez pris le ton du fonctionnaire qui fait fonctionner l’inhumain. Dans vos arguments de défense, vous ne faites que reprendre les arguments des collaborateurs de dictatures ! Monsieur Duverger se rendait-il compte qu’il s’agissait d’une loi assassine ? Vous étiez comme le chef de gare de la Shoah – l’homme qui s’arrangeait pour faire rouler les trains à destination d’Auschwitz. Il veillait à ce qu’il n’y ait point de retard  – ce n’était pas facile. Il ne voulait pas connaître les conséquences de ses actes. Vous étiez un fonctionnaire de l’horreur. »

Il nous faut encore rapporter, lors dudit procès, le témoignage important du professeur Pascal Ory, spécialiste internationalement reconnu de l’histoire des idées politiques [26], cité par le défenseur d’Actuel. Ory nous a révélé ex post qu’il fut aussi le témoin (au sens physique du terme) d'une âpre discussion entre Jean Paul Enthoven et André Glucksmann, d’où il ressortit que le premier se mordait les doigts d’avoir accepté de témoigner, en tant qu’ancien assistant de Maurice Duverger, et d’avoir soutenu la parfaite moralité « humaniste et philosémite » dudit professeur, alors que le second, lui, manifesta ostensiblement au premier son plus complet mépris… Instants d’un procès, humainement parlant.

Nous avons nous-même été contactés, juste après l’évenement de 1988, par un ancien étudiant de Duverger à la Sorbonne, stupéfait par nos « révélations », malgré le fait que celles-ci furent caviardées par les comptes rendus de la presse officielle, Le Monde en tête, par la plume orientée de Jean-Marc Théolleyre, qui défendit loyalement son journal, mais aussi hélas, par le journal Sud-Ouest de l’époque, qui, lui, prétendit, de bonne guerre, que nous n’étions pas certain que Duverger était Philippe Orgène… [27] – attitude d’étouffement de la vérité qui s’est perpétuée lors du décès de Maurice Duverger en décembre 2014, « mythe de Bordeaux » et « journal local » obligent, via le directeur de l’IEP de Bordeaux !

En novembre 2003, dans un article important de la revue l’Histoire, Pascal Ory, qui se trouva également aux côtés de Maître Charles Libman lors des procès Touvier et Barbie pour crime contre l’humanité, se montra sensible dans la suite de cette affaire, au cas du dessinateur-caricaturiste « Chaval » (en fait Yvan Lelouarn – cité plus haut –), qui avait publié les « dessins » antisémites indignes précités au Progrès de Bordeaux. Insistant sur le secret qui avait relié Yvan Le Louarn-Chaval et Duverger-Orgène, Pascal Ory alla à l’essentiel, écrivant notamment, en préambule de sa réflexion sur les deux compères :

« Quand donc les Français – au même titre, il est vrai, que la plupart des autres peuples d’Europe et d’Asie naguère plongés dans le même drame – s’arrêteront-ils d’ouvrir les placards dans lesquels sont restés cachés certains des secrets de l’Occupation, pour les étaler au grand jour ? La réponse est simple : ils s’arrêteront quand il n’y aura plus de placard à ouvrir […] »

Donnant la parole à Chaval, dans un entretien peu connu qu’il cite, l’historien précisa :

« “Quant aux Bordelais, ils avaient la réputation d’être assez collabos, et en fait je crois que c’était justifié”, affirmera Chaval, dans ses entretiens avec Pierre Ajame […]. Puisqu’il n’ajoute rien sur sa trajectoire personnelle, il y a quelque chose de vertigineux à lire, quelques lignes plus loin : “J’avais donc, mentalement, un côté collabo moi aussi. – Et, pas une fois dans votre vie, vous n’avez fait un acte politique ?” , lui demande Ajame – “Non, répond Chaval, je n’ai même jamais mis les pieds dans un bureau de vote. […] La chose publique ne m’intéresse pas, je n’ai jamais milité. Je suis toujours resté seul.”

Le trouble n’est pas moindre à la lecture de L’Autre Côté des choses. Maurice Duverger y avoue son appartenance, avant guerre, au Parti populaire français de Jacques Doriot. Pour la période de la guerre, en revanche, il se contente de donner de lui l’image d’un juriste sans doute trop préoccupé de sa carrière mais, quoi qu’il en soit, très hostile à la collaboration, et ce dès 1940.
Aucune mention du Progrès, rien de très précis, non plus, sur l’étude, mieux connue, publiée à l’époque sous son vrai nom, où il commente, avec l’impassibilité qui sied à un strict technicien du droit, le nouveau statut imposé aux fonctionnaires depuis – terminologie intéressante par son ambiguïté – la “Révolution” de 1940.

André Malraux a eu des mots sévères pour le fouaillage des origines, qui ne ferait remonter à la surface qu’“un misérable petit tas de secrets” ; mieux connaître son enfance s’est pourtant révélé indispensable à l’analyse du personnage qu’il entendit jouer par la suite. Fournir au public le chaînon manquant dans des biographies de l’importance de celles de nos deux héros est, tout simplement, une obligation morale. L’être humain n’a pas de secrets ; il n’a que des trous de mémoire.

Un dernier point : c’est à Bordeaux que Chaval est revenu passer les derniers mois de sa vie, et c’est là qu’il s’est suicidé, aux premiers jours de l’année 1968 [28]. »

Poursuivons les choses, brièvement, concernant Yvan Le Louarn. Nous avons sous les yeux le n° 2 de la revue Carton. Les Cahiers du Dessin d’humour (premier trimestre de 1975), consacré à Chaval. L’ensemble a été réalisé de façon exceptionnelle en collaboration avec madame Le Louarn-mère, Maurice Duverger, Alain Mignien, Marc Granet, Jean-Claude Simoën, Les Frères Jacques, Pierre Ajame, et Henri Brusley, de Bordeaux, apparenté avec Duverger, qui fut, lui, l’exécuteur testamentaire de Chaval. Voici l’avant-propos de ce dernier, à l’occasion, concernant cet « admirateur de Céline » :

« Qui était Chaval ?

Cela n’importe pas. Seul, ce qu’il a fait importe. Il a écrit lui-même, notamment dans son Petit Bilan – ce qu’il voulait qu’on connaisse de sa vie. Le reste est son domaine privé, fermé, qu’il défendait contre les intrus. Il vivait dans un monde clos – un “œuf” disait-il – avec Annie, sa femme, un petit groupe d’amis généralement très anciens, son chien, ses crayons, son stylo, sa caméra et ses personnages. Les autres ? – “Tous des cons, disait-il, sauf nous”. Il le pensait. Mais à travers ses dessins, on croit voir transparaître parfois une indulgence, une pitié pour ces “cons”. Comme Céline, qu’il admirait.

Chaval est-il un misanthrope tendre ?

“Si mes dessins sont meilleurs que les autres, c’est qu’ils vont jusqu’au bout : ils détruisent tout. Mais ils vont jusqu’au bout parce que j’y vais moi-même, et que je me détruis aussi” : je rapporte ce mot de lui (en 1965) parce qu’il peut éclairer son œuvre. Encore qu’il me semble trop dur.

Chaval s’est détruit lui-même, mais son œuvre ne détruit pas tout. Si ridicules, si lamentables, si absurdes que soient les fantoches qu’il a créés, ils restent souvent impitoyables. Oiseaux à l’œil rond, ahuris, perdus, solidaires, paumés ; pharmaciens fuyant d’incompréhensibles orages ; petits bonshommes étriqués et méticuleux, figés dans une gigantesque médiocrité : l’implacable précision du trait les délimite avec cruauté. Pourquoi faut-il qu’ils nous paraissent fraternels, cependant ?

Tous des cons, oui. Mais pas des cons méchants semble-t-il. Est-ce une illusion ? ».

« Cruauté », « implacable », « paumés », « fantoches », « cons », comparaison des hommes à des « oiseaux » [29]… Bestiaire étrange… Qui parle ici, en de tels termes, avec une distance arrogante mais factice, de désenchantement, d’amertume explicite, de dénigrement systématique, de mots pessimistes (« moi n’amuse pas moi »), nihilistes par rapport à la vie et au bonheur des femmes et des hommes ? Serions-nous en présence de « moines du rien » nihilistes (Emmanuel Mounier) avec le couple Duverger-Chaval ?

Pourtant, à la lecture des entretiens avec Pierre Ajame que nous avons effectuée dans son ensemble, on a l’impression de se trouver face à un être « ordinaire », simple, limité humainement parlant, égoïste, caractériel, recroquevillé sur sa petite personne dans son appartement perdu dans Paris et dans un Bordeaux imaginaire. Un individu donc peu communicatif, qui refuse de sortir « dehors », qui crache son humeur et on venin inutile contre tout le monde, selon les jours. Bref, nous sommes en face d’un dessinateur talentueux peut-être, mais pessimiste, dépressif, cyclothymique, un roi du mépris de l’humanité, qui humilie l’homme. Mais qui, soudain et subrepticement, par intérêt (pour faire « passer » et financer ses dessins) s’affiche explicitement dans ses propos enregistrés, comme un conformiste « béni-oui-oui » opportuniste (cf. ses aveux de soumission à l’ordre social représenté par Le Figaro qui lui finançait ses productions au cas par cas !). Il s’agit d’un humoriste sans humour, décalé, sans distanciation, peu généreux, qui, au-delà des calembours-alibis sur lesquels il appuie souvent ses dessins, facilement, au jour le jour, comme pour fuir, refuse soi-disant de politiser son œuvre et s’abrite derrière des « jeux de mots » hors du dessin, faits de calembours faciles. Il avoue à son confident admiratif et naïf, Pierre Ajame, ému par lui-même, n’avoir jamais voté de sa vie (lui qui fit partie cependant de la suite du Maire Marquet avec « l’Équipe » du Progrès de Bordeaux sous l’Occupation et qui, devant son interviewer, a caviardé ces faits de politisation effective – nourrissante en son temps !).

Le Louarn oublie ses critiques choquantes contre les autorités – par souci alimentaire. Comme en une certaine lâcheté et complaisance affichée, il déclare ne s’attaquer, avec facilité débonnaire et convenue, qu’au « peuple », qu’au « Français moyen », qu’il vomit ainsi, contre lequel il se défoule de l’extérieur et anonymement, comme par compensation de ses propres limites personnelles, et aussi de celles collectives de ses amis bordelais du temps de l’Occupation, les couards signant avec des pseudonymes leurs articles de l’époque, si orientés et explicites, pourtant.

Un héros du dessin social ? Peut-être, mais à l’envers, lui qui respecta les pouvoirs existants, le catholicisme et les prêtres compris tels qu’il se les imaginait… Ce qu’il avoue sans fard à Pierre Ajame, alors qu’il dit être devenu lui-même « incroyant », pour des raisons grotesques qu’il explique, alors qu’il fut antérieurement ému par le catholicisme, réglant des comptes avec sa propre famille et sa propre socialisation. Une girouette prête à dénigrer « des oiseaux » ? En tout cas, nous restons en présence d’un scripteur de la trajectoire de l’ensemble de ses amis, engagés dans le Progrès de Bordeaux

Les deux complices, Le Louarn et Duverger, s’exprimèrent certainement au nom de cette petite bourgeoisie bordelaise en mal d’ascension sociale et d’identité dans leur ville d’origine, se construisant de façon compensatoire et frustrée, en rabaissant systématiquement les étrangers, les femmes (rejetées par une misogynie chronique), les hommes de toutes classes confondues, les étrangers vaguement désignés. Pourquoi ce rejet intériorisé, incarné, si symptomatique ?

En plus des entretiens avec Pierre Ajame, ultérieurs, le document constitué par Carton. Les Cahiers du Dessin d’humour, nous livrent divers avis autorisés sur le dessinateur en question : ceux de Patrick Rogiers, de François Rivière, d’Yves di Manno, d’Yves Frémion… Au-delà de ces billets admiratifs pour l’artiste solitaire séparé de son contexte, ne s’agit-il pas, résumant l’état d’esprit échevelé de L’Équipe, d’un dessinateur du « mépris », qui exprima surtout la peur vécue à Bordeaux pendant l’Occupation, et les angoisses liées à la précarité du statut d’artiste dans ses engagements avec son épouse (qui se suicida la première !), mais aussi, tout ce que ressentirent les copains du Progrès, complices de comportements de stigmatisations faciles et non avouables, mais compensatoires de leurs propres errements, voire de leur détresse, à l’ombre du pouvoir municipal d’alors qui les instrumentalisa, naïfs qu’ils étaient, stigmate de leur fragilité personnelle, en fait, au-delà des calembours et des pitreries condensés dans les dessins d’Yvan Le Louarn, futur Chaval ?

Dernière précision concernant ce dessinateur sombre et maudit aux yeux de certains : dans la logique de l’analyse de Pascal Ory et des témoignages que nous avions recueillis concernant Le Progrès de Bordeaux et le marquétisme local, grâce à un collègue et ami de droit privé à l’Université locale (Montesquieu Bordeaux IV et Michel de Montaigne Bordeaux 3), Pierre Cabrol, nous avons communiqué librement l’ensemble des quarante-sept dessins d’Yvan Le Louarn, parus dans Le Progrès sous l’Occupation, à l’organisatrice de l’exposition d’Angoulême concernant « Chaval », Madame Béatrice Rolin [30].

L’événement culturel en question fut programmé avec l’accord du maire de ladite Cité, Philippe Lavaud, et de son Conseil municipal, l’ensemble ayant été exposé au Musée de la ville du 25 octobre 2008 au 31 janvier 2009. Mérite d’être indiquée ici la présentation en termes d’hommage historique mené par Madame Rolin, dans la plaquette officielle du Musée concernant l’exposition en question nous sommes effectivement en présence d’un artiste émouvant, qui alla jusqu’au bout de sa trajectoire unique et tragique – shakespearienne en un mot, dans l’amour désespéré qu’il eut de son épouse, qui, répétons-le, se suicida la première :

« Chaval au Musée d’Angoulême.

Le grand public, aujourd’hui, ne connaît guère de Chaval que des dessins d’un humour décalé au charme intemporel. Il ignore le plus souvent ses textes ciselés au vitriol ou encore son œuvre très créative de publicitaire.

Si les débuts d’Yvan Le Louarn sont entachés par la production entre 1941 et 1943 de dessins pour le très douteux organe collaborationniste Le Progrès de Bordeaux, la suite de son œuvre, signée après une dizaine d’années noires, sous le pseudonyme de “Chaval”, est celle d’un grand humoriste au talent aujourd’hui unanimement reconnu.

À côté des dessins d’humour, l’Exposition du Musée d’Angoulême fait aussi place aux illustrations terribles qu’il fit pour “La mort est mon métier” de Robert Merle (France Dimanche, 1952-53) jamais exposées dans leur ensemble jusqu’à ce jour. Elle montre un grand nombre d’esquisses et de documents qui permettent de comprendre la lente élaboration d’un dessin ou d’un texte.

Du 25 octobre jusqu’au festival de la bande dessinée, cette exposition, dans une scénographie de J. M. Debaud et Pascal Sablot, vous offre l’essentiel des dessins d’humour du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, complétés d’œuvres et de documents empruntés à la bibliothèque municipale de Bordeaux ainsi qu’à des collectionneurs passionnés. »

Après la parenthèse sur ces événements ex-post, concernant l’attitude de Maurice Duverger-Orgène et de ses relations avec l’artiste-caricaturiste Yvan Le Louar-Chaval (« le meilleur d’entre eux », dont l’œuvre constitua pour son exécuteur testamentaire un « pactole » ex post ?), nous avons l’impératif de revenir à l’essentiel.

Apparaissent évidemment de peu de poids et dérisoires les tentatives, humainement compréhensibles de Duverger-Orgène de se « dédouaner » lui-même en imagination, pour sauver la face aux yeux de soi, en simulant des postures « résistantes » ou « critiques de Vichy » de la dernière heure, via des appels du pied pathétiques et reconstruits en s’abritant derrière des hommes de la Résistance authentique…

Tout d’abord, caution suprême mise en avant par l’intéressé, le Père Maydieu.

À ce propos, Hubert Beuve-Méry, fondateur et directeur du Monde, qui avait été l’ami de Maydieu à Uriage, écrivit à l’intéressé le 18 octobre 1988, pour « étayer » sa défense (alors qu’en fait, il aggravait son cas sans le deviner…) :

« Cher Ami,

Sachant que vous avez engagé un procès en diffamation portant sur des thèmes essentiellement juridiques, et touchant la question juive, je me permets de rappeler que c’est un dominicain, le Révérend Père Maydieu, qui vous a recommandé auprès de moi pour vous faire entrer dans l’équipe du Monde. Le père Maydieu m’avait assuré d’autre part que vous aviez mis fin dès 1938 à une participation de jeunesse au Ppf. Vous avez pu ainsi entrer en 1945 au Journal, où vous avez assuré une excellente collaboration.

Lorsque diverses protestations se sont élevées plus tard, notamment en 1957, j’avais demandé l’avis de Charles Eisenmann, lui aussi professeur de droit public à la Faculté de Droit de Paris. L’avis de celui-ci était catégorique [31]. Je n’en ai pas moins posé aussi la question à Vladimir Jankélévitch, qui avait été mon jeune collègue à l’Institut français de Prague. Sans entrer dans le détail des discussions techniques qui n’étaient pas de son ressort de philosophe, il s’était rallié sans réserve aux conclusions d’Eisenmann. Il va de soi que vous pouvez faire état de cette lettre si vous le jugez à propos.

Cordialement à vous. »

Mais là, rien, une fois de plus, concernant « Philippe Orgène »…

Que penser encore de la prétendue « saisie par la Milice » en 1944, d’un « Que sais-je » sur les Constitutions de la France… qui n’a jamais été suivie, étrangement, ni d’arrestation, ni de menaces, et qui n’a laissé aucune trace archivistique relevable, alors que Duverger dans le chemin de croix de sa repentance, le met indûment en avant ?

Et aussi, quid de la course à cette même repentance intéressée dans la foulée et sous la robe du Père Augustin Maydieu à Bordeaux…, « confesseur politique » déclaré de Duverger par lui-même. Mais rencontré surtout après… la Libération, personnage si honorable, surdimensionné dans l’article duvergérien de 1998, « Un révélateur d’hommes », texte empreint de la même dissociation cognitive (mais tout de même avec des aveux filtrés concernant l’article de « Philippe Orgène » contre Julien Benda, de juillet 1941, enfin reconnu !), dans l’ouvrage d’hommage à ce résistant dominicain, si touchant au regard de sa vie et de son engagement, dont le culpabilisé parle comme de son « directeur de conscience » [32] ?

En voici un extrait publié dix ans après le procès contre Actuel, en 1998, qui avoue enfin par la bouche de Duverger, ce que ce dernier avait dissimulé jusque-là concernant sa participation personnelle et non pas uniquement « collective » au Progrès de Bordeaux – ses « omissions » calculées et son mensonge se révélant ainsi par étapes progressives, inverses à la logique judiciaire malhonnêtement enclenchée par Duverger-Orgène pour se dédouaner – :

« Plus vague était l’information du Père sur mon appartenance à l’équipe issue de la Compagnie du Bon-Vouloir, troupe de comédiens amateurs d’un niveau quasi professionnel animée par un disciple de Jacques Copeau. J’y étais entré juste avant la guerre en jouant le sir Andrew Aguecheek de La Nuit des rois avant d’incarner dans l’été 1941 le Clarin de La Vie est un songe, bouffon ironique et détaché auquel le destin donne une grandeur finale en le frappant à mort au moment où il prétend fuir le combat entre les partisans du roi et ceux de la liberté. Quelques semaines auparavant, les compagnons avaient accepté de transformer leur propos d’avant et après répétition en articles d’un petit hebdomadaire local publié par la municipalité, l’un d’entre eux étant devenu son rédacteur en chef comme attaché au cabinet du maire.

L’expérience valait d’être tentée, puisqu’ils étaient les maîtres d’une double page centrale, à en-tête de « l’Équipe » définie par un manifeste inaugural proclamant : “Nous qui, chaque semaine, tenterons ici de faire comprendre et aimer l’art de France, en toutes les apparences variées qu’il revêt théâtre, littérature, musique, cinéma, peinture, sculpture, etc., nous avons tenté de former une équipe. Chacun y apporte sa contribution, mais en acceptant les modifications et les corrections qui permettront à cet accord de s’intégrer dans l’œuvre commune”. Jusqu’alors, il y avait eu peu de divergences entre les équipiers, qui ne parlaient guère de politique sauf dans le style de l’humour définissant la révolution nationale par la trilogie “bibliothèque rose, terreur blanche et marché noir”. J’espérais pour ma part faire passer sous un pseudonyme collectif des idées alors proscrites en usant d’un double langage dans le genre de celui que Maydieu développera dans les cahiers de “Rencontres”.

L’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne, le 22 juin 1941, révéla brusquement la faiblesse de notre petit groupe. Il refléta la fracture d’une nation qui risquait de se dévoyer dans une guerre civile. Téléphonant ma joie ce matin-là au rédacteur en chef en lui expliquant qu’Hitler, comme Napoléon, allait s’épuiser en coups de poing dans l’édredon russe, je fus interloqué par la réponse : “Tu préfères le Nkvd à la Gestapo ? ”. En répliquant : “Oui, parce que le Nkvd est à Moscou et la Gestapo à Paris”, je pressentais que l’équipe était condamnée. Je m’en aperçus quand je tentais le plus audacieux des articles codés, sous le titre La Trahison des clercs, appliquée à deux catégories de déserteurs : ceux “qui ont pris le bateau ou l’avion pour l’Amérique, aux heures lourdes où le malheur étreignait la patrie”, ceux “qui sont restés mais n’espèrent pas autre chose que la résurrection pure et simple du passé”. Le silence sur ceux partis rejoindre de Gaulle était éloquent à l’époque, où nul ne parlait de fuir aux États-Unis, mais où la radio de Londres était généralement écoutée tous les soirs. On comprenait par lui que ces derniers incarnaient “l’effort opiniâtre pour faire jaillir la clarté hors des brumes de l’avenir” magnifié sans le situer. Pour que ces phrases passent, je dus les dissimuler derrière des premières lignes fustigeant l’auteur du livre dont j’avais emprunté le titre : ce Benda que je détestais d’ailleurs parce qu’il était l’ennemi hargneux de Bergson, mon maître à penser depuis la philo.

Maydieu blâma cet excès. Il apprécia au contraire que, libéré du contrôle de l’équipe par mon départ à Paris, j’aie masqué derrière la critique du terme “pluralisme”, accusé de couvrir une “pagaïe sympathique”, la défense de la réalité qu’il implique, en écrivant : “Je repousse cependant la doctrine du mouvement unique parce qu’elle n’aboutirait pas à l’ordre, mais à sa caricature : l’uniformité. Je ne veux pas pour la jeunesse de France du nivellement des esprits, de la péréquation des cerveaux et du caporalisme idéologique où s’enliserait inéluctablement un mouvement unique. Je crois que la liberté de la pensée est aussi nécessaire que la discipline de l’action pour assurer le relèvement du pays. Cette liberté de l’esprit est en effet une des traditions françaises les plus profondes, et nous ne saurions la renier sans nous renier nous-mêmes” (17 et 24 janvier 1942). À mon retour à Bordeaux, je fus sollicité par ses membres résistants de reprendre contact avec l’équipe pour l’empêcher de s’enfoncer dans la Collaboration. Encouragé par Maydieu à le faire, j’obtins ainsi le sabordage du journal en mars suivant [souligné par nous]. »

Beaucoup de déformations et de triturations, encore une fois, énormes par rapport aux faits, mais une reconnaissance de l’engagement frelaté de l’Occupation, si difficile à digérer et à légitimer ex post, qui avança légèrement. Répétons-nous : c’est le Maire Marquet qui arrêta la publication de « son » hebdomadaire… après la bataille de Stalingrad, en précisant à « l’Équipe » des jeunes que tout était terminé et qu’il fallait plier les valises… (nous en avons personnellement la preuve de la part de Marquet lui-même, à travers les notes retranscrites qu’il réunit dans un carnet concernant ses impressions sous l’Occupation, jusqu’à son arrestation en 1944 à Bordeaux, indications de l’instant livrées à Marc Granet). Mensonge, encore donc, sur la fin du Progrès

Voilà cependant l’aveu partiel – tardif tout de même ! – que Duverger fut bien « Philippe Orgène », et aussi le rédacteur « non collectif » des articles du Progrès, dont le fameux texte contre Julien Benda précité, « La Trahison des clercs ».

Enfin ! Dans le même document justificatif, nous avons de la part de l’auteur, en prime, ce bouquet final, incroyable, oubliant là encore, en récidive, les errements politiciens de 1934 à 1944 :

« Dans ma mémoire, ont aujourd’hui une même place essentielle la promenade de 1944 sur les allées de Tourny avec le Père et la conversation de 1980 dans une forêt provençale proche de la Sainte Victoire avec Hubert Beuve-Méry me disant : “On devrait se tutoyer désormais”. Cela ne fut point facile. Mais de tels honneurs sont plus grands pour moi que la haute dignité conférée dans notre Ordre national.

Équivalent à mes yeux est celui fait par Jacques Ellul me demandant d’évoquer sa carrière et son œuvre dans la cérémonie organisée en 1983 en Sorbonne pour lui remettre les Mélanges publiés en son hommage sous le titre Religion, société et politique. Je constatais alors que sa discrétion sur son courage pendant l’Occupation faisait pendant à celle du P. Maydieu. À Bordeaux, la plupart de ceux qui ont fait de la résistance “civile” – si l’on peut dire – par opposition politique aux dictatures de Vichy et de l’occupant, n’ont pas réclamé des médailles et des titres à la Libération, estimant qu’ils devaient être réservés aux résistants militaires des maquis, de l’armée secrète ou des commandos gaullistes. Cette résistance civile a été plus répandue dans la bourgeoisie chrétienne qu’on a coutume de le dire. La ville en a conservé le souvenir en donnant à des rues les noms des PP. de Jabrun et Dieuzayde. Sur ma demande, le Premier ministre et nouveau maire Alain Juppé a envisagé avec sympathie que le cinquantième anniversaire de la mort du P. Maydieu soit l’occasion de témoigner une mémoire analogue à celui qui fut un des animateurs essentiels de la Résistance catholique en France. Il me semble que la Résistance protestante pourrait être honorée simultanément par une rue Jacques Ellul. »

Une « résistance civile » ? Un appel « par ricochet » au maire de Bordeaux alors premier ministre, pour faire honorer d’un nom de rue un résistant honorable qui servit de truchement et de couverture implicite personnelle à l’anamnèse macaronique de Duverger, qui ne le connut en fait qu’en 1944 ? Qui pourrait bien « croire » ce professeur-là, après ses articles personnels dans Le Progrès ?

Sur le fond, ces arguments dérivés, d’Autorité et de Croyance, peuvent-ils supplanter, à un tel niveau de recomposition des rôles, la Vérité ? Ne nous trouvons-nous point là face au stratagème troublant et multiforme d’un acteur de théâtre (hypocritos, en grec) et d’un auteur de « pièces » ?

Et que dire concernant les courbettes obséquieuses à l’égard de Jacques Ellul, qui servit d’alibi à Duverger (qui, lui, publia, en retour, ses ouvrages sur l’Histoire des Institutions aux Puf, en tant que directeur de la collection « Thémis » après la guerre) ? Ellul qui fut, répétons-le, l’épurateur désigné par une résistance locale introuvable au « Comité académique d’enquête » et se montra particulièrement indulgent en 1944 concernant l’épuration de l’Enseignement supérieur, et surtout celle de la Faculté de Droit de Bordeaux en particulier. Cela en raison de services rendus par le doyen Roger Bonnard et Henri Vizioz, son assesseur, sous l’Occupation, qui lui permirent d’assumer des vacations de cours d’histoire du Droit romain, mais aussi l’encouragèrent avec Chavanon, l’ami de Duverger, à passer l’Agrégation correspondante sous Pierre Laval, alors qu’il était « fils d’étranger » révoqué par Vichy en 1940 de son poste de Maître de Conférences [33]

Soixante-quinze ans après les faits, il serait donc temps que l’histoire scientifique ait enfin « droit de cité » à Bordeaux même, face à tous les Corybantes et les Curètes politico-institutionnels qui ont couvert ou oublié par « amnésie charitable » le passé du cas Duverger… et continueront à ouvrir les parapluies, comme le montre le travail journalistique – si peu heuristique – qui a suivi le décès de « Philippe Orgène ».

On pourrait rétorquer : un grand intellectuel n’a-t-il pas « le droit à l’erreur » ? En politique, tout le monde peut se tromper. Mais Duverger a été journaliste, comédien, essayiste… et aussi professeur d’Université.

Et là, depuis 2500 ans, cette très ancienne institution, qui a traversé toutes les formes de pouvoir tentant de la circonvenir, repose sur des valeurs incompatibles avec des idéologies indignes. Elle doit valoriser les preuves objectives, former des jeunes à l’esprit critique, à l’art du raisonnement, non chercher à courir derrière l’actualité et à lécher le pouvoir en cours, ce qu’a tenté l’auteur, incorrigible, possédé par des démons, redisons-le…

Un collègue politologue consacré de notre pays, nous a suggéré d’aller plus loin à ce propos, sans illusion – ce que nous faisons en le citant avec un grand respect :

« Je ne vois pas ce que vous espérez côté sciences-po : porter atteinte au mythe est trop coûteux, et maintenant que l’homme est mort, ce ne serait même pas convenable de la part de ceux qui se sont tus quand il était vivant. Ce que je vois d’utile, c’est votre réflexion sur la nécessité éthique pour chacun de maintenir son unité morale, et sur la tentation mondaine qui saisit de temps à autre les savants au point de les transformer en courtisans. Votre argument serait beaucoup plus fort et surtout entendu si vous disiez : “Vous voyez, même quelqu’un d’aussi éminent que Duverger a pu céder à cette tentation et se comporter comme un salaud, soyez deux fois plus vigilants, vous qui n’avez pas fait autant de choses que lui pour la science politique, personne n’est à l’abri”. »

C’est vrai. Personne n’est à l’abri. Mais le cas Duverger relève plus des romans d’Alexandre Dumas que d’une approche scientifique du politique, qui, elle, « n’est pas un bal costumé »…


DOCUMENTS ANNEXES

– 1. L’article du 28 novembre 1942 dans Le Progrès de Bordeaux, lors de l’agrégation de Maurice Duverger.

– 2. Article de La Petite Gironde, du 12 janvier 1943 concernant l’École régionale d’Administration, avec en photo, Maurice Duverger et Maurice Papon (qui nous a été indiqué initialement par l’historien Philippe Souleau, dont les recherches portent sur Bordeaux, une ville en guerre).

– 3. Extraits de l’ouvrage initial des Mémoires publiés par Maurice Duverger en 1977, Le Sel et le Refus de 1975, concernant la participation au Progrès.

– 4. Lettres d’échanges entre Maurice Duverger et Marc Granet, au sujet du passage cité précédemment concernant « l’Équipe » du Progrès de Bordeaux

– 5. Liste des articles de Maurice Duverger-Philippe Orgène dans Le Progrès de Bordeaux


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– Annexe 1.

L’article du 28 novembre 1942 dans Le Progrès de Bordeaux, lors de l’obtention de l’agrégation par Maurice Duverger.




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– Annexe 2.

Article de La Petite Gironde, du 12 janvier 1943 concernant l’École régionale d’Administration, avec en photo, Maurice Duverger et Maurice Papon.







– Annexe 3.

Extrait des mémoires enregistrées et révisées, Le Sel et le Refus, à partir de 27 heures d’enregistrement à Paris d’un entretien avec le journaliste et musicologue Claude Glayman, qui devait le publier au départ dans la collection qu’il dirigeait, « Les Grands Journalistes », chez Stock.

La pagination des entretiens a été interrompue pour cet ajout, négocié avec Marc Granet (cf. les lettres suivantes de Maurice Duverger à son ami). Tous deux avaient convenu ensemble que l’ouvrage de Mémoire, L’Autre Côté des choses, intégrerait le passage en question, discuté entre eux et avec Henri Brusley, beau-frère de Duverger. Mais l’ouvrage parut sans le passage en question, ce qui rompit les relations personnelles entre les deux amis des années trente, rupture confirmée lors du procès contre Actuel en 1988.

T. 1, p. 126/2-127/3

p. 126/ 2

« Une idée s’ancre alors dans mon esprit. Dans la situation terrible où la nation est enfermée, il faut maintenir l’unité des Français, à travers les diverses formes de résistance. Les partisans des Allemands, les fascistes, les collabos sont peu nombreux. Ils le resteront toujours, même quand Vichy penchera de leur côté. Les autres ne doivent pas se déchirer entre eux, qu’ils soient gaullistes, pétainistes, attentistes, etc. Pas se considérer comme des ennemis irréconciliables, qui poursuivent des objectifs opposés. Mais comme des rivaux qui cherchent à parvenir par des voies différentes au même but : libérer le territoire national. Certes, tout le monde n’est pas d’accord sur le futur système politique de la France. Mais la question ne se posera qu’après la libération. Tant que les Allemands seront là, tout le monde doit s’occuper seulement de déblayer le terrain. Par n’importe quel moyen. On pourra se diviser sur le modèle d’édifice à construire.

Dans cet esprit, le groupe d’amis constitué autour du théâtre et de l’amour de l’art décide de se réunir assez régulièrement, en s’adjoignant deux ou trois éléments extérieurs. À peu près tous les quinze jours. Les divergences politiques y sont grandes, en ce début d’année 41. Les uns penchent plutôt vers Pétain, d’autres vers de Gaulle, quelques-uns se tournent vers Laval. Sur le seul plan des préférences privées. Aucun n’est engagé dans un mouvement. Il s’agit de confronter loyalement les points de vue. D’essayer d’aller au fond des choses. Sans masquer l’ampleur des divergences. Mais en essayant de les réduire. Nous avons à peu près le même âge et une façon commune d’aborder les problèmes. Cela permet de se comprendre. Notre accord dans le domaine de l’art, notre sympathie mutuelle aide chacun à tolérer les préférences des autres. L’atmosphère était agréable dans ce petit club (moins de dix personnes). On prend l’habitude de le nommer “l’Équipe" pour sacrifier aux modes communautaires du temps. L’expérience fut enrichissante pour la formation personnelle. Elle développa quelques amitiés.

127/2

Elle fut un échec sur le plan du syncrétisme. Les réunions régulières, les discussions franches, la sincérité réciproque laissèrent intactes les divergences quant aux moyens politiques. L’accord sur les buts parut plus facile. On parvenait à s’entendre sur quelques principes généraux de la France future : démocratie efficace, pluralisme libéral, organisation économique, égalité sociale. Mais les arrière-pensées restaient différentes. On arrivait à préciser des schémas constitutionnels, petit jeu auquel j’excellais. Mais chacun ne mettait pas le même liquide dans les flacons soigneusement étiquetés. Malgré tout, l’effort pour se comprendre mutuellement n’était pas un résultat négligeable en ces temps où l’on songeait surtout à s’excommunier.

En octobre 1941, mon départ à Paris met fin à ma participation à l’entreprise. Il ouvre un nouveau chapitre dans ma vie. Quelque temps auparavant, “l’Équipe” avait commencé à dévier. Elle avait toujours eu deux faces. Divisée sur le plan politique, elle était fortement unie sur le plan de l’art, où les idées, les volontés, les espoirs de ses membres restaient très proches. Ils voulaient faire “comprendre et aimer l’art de France”, comme disait un texte commun. Dans ce domaine, les compétences étaient rares à Bordeaux. Il était donc naturel qu’on offrît au groupe de s’exprimer librement sur deux pages littéraires et artistiques d’un petit hebdomadaire édité par le Maire, nettement séparées du reste. L’erreur fut d’accepter la proposition. Je la commis avec les autres, avant de les quitter. Notre excuse tenait à la fringale de moyens d’expression. Un peu d’air, c’était bon à respirer.

L’expérience échoua, naturellement. D’abord le journal en question s’avéra plus engagé que municipal. Il prit des positions qu’on ne pouvait plus cautionner, fut-ce derrière un cordon sanitaire. Ensuite - et surtout -il était naïf de croire qu’on peut mettre la politique

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au frigidaire quand on parle d’art, surtout dans les temps troublés. Elle affleura vite à la surface. Cela n’eût pas été grave si les tendances de chacun avaient pu s’exprimer. Mais la chose n’était pas possible dans la France occupée. L’Équipe était totalement dévoyée. Le même pavillon couvrait une marchandise différente. Marc parvint heureusement à torpiller l’entreprise, malgré ceux qui se réjouissaient de son nouvel aspect. Il y mit plusieurs mois, une extrême habileté et un grand courage.

Naturellement, cela ne fit que renforcer ma répugnance aux actions collectives. La recherche de moyens d’expression m’avait entraîné dans une erreur analogue à celle de l’Équipe. Mais seul cette fois, ce qui limitait les dégâts. En zone occupée, certains organismes vichyssois prenaient une figure patriotique, en face des attaques de la presse collabo après le renvoi de Laval. J’estimais possible d’y chercher des auditoires, auxquels on pouvait dire quelques bonnes vérités, moyennant certaines précautions de forme. À Bordeaux, je donnais une conférence à la délégation Lamirand. À Paris, l’année suivante, je fis quelques leçons à l’Institut d’études corporatives.

J’y démontrais qu’on ne pouvait pas transposer des institutions médiévales au XXe siècle et que la théorie d’un droit professionnel autonome était insoutenable.

Le dernier exposé servit de base à un article publié dans « Droit social » à la Libération. Je mesurais bien vite les limites du procédé. Les précautions de forme empêchaient qu’on soit pleinement compris par les auditeurs. Ceux-ci étaient moins nombreux que les gens impressionnés par le patronage qu’on accordait à l’institution en acceptant d’en parler. Le bilan risquait d’être négatif. Je renonçais aux entreprises de ce genre.

p. 128/3

Elle fut un échec sur le plan du syncrétisme. Les réunions régulières, les discussions franches, la sincérité réciproque laissèrent intactes les divergences quant aux moyens politiques. L’accord sur les buts parut plus facile. On parvenait à s’entendre sur quelques principes généraux de la France future démocratie efficace, pluralisme libéral, organisation économique, égalité sociale. Mais les arrière-pensées restaient différentes. On arrivait à préciser des schémas constitutionnels, petit jeu auquel j’excellais. Mais chacun ne mettait pas le même liquide dans les flacons soigneusement étiquetés. Malgré tout, l’effort pour se comprendre mutuellement n’était pas un résultat négligeable, en ces temps où l’on songeait surtout à s’excommunier.

L’unanimité subsistait d’ailleurs dans un domaine : celui de l’art. L’Équipe avait deux faces : divisée sur le plan politique, elle était fortement unie sur le plan culturel, où les idées, les volontés, les espoirs de ses membres restaient très proches. Ils voulaient faire “comprendre et aimer l’art de France”, comme disait un texte de juin 1941. Ils tentèrent donc de s’exprimer dans ce domaine, où la liberté de mouvement était plus grande. Mais on ne peut mettre la politique au frigidaire quand on parle d’art, surtout dans les temps troublés. Elle affleura vite à la surface. Cela n’eût pas été grave si les tendances de chacun avaient pu s’exprimer aussi. La chose n’était pas possible dans la France occupée. L’Équipe se trouve ainsi dévoyée, juste au moment où je la quitte pour m’installer à Paris. Marc parvint heureusement à saborder le navire, non sans difficultés ni remous. Il y mit plusieurs mois, une extrême habileté et un grand courage.

128 / 4

La fringale de moyens d’expression m’avait entraîné dans une autre erreur, seul cette fois, ce qui limitait les dégâts. En zone occupée, certains organismes vichyssois prenaient une figure patriotique, en face des attaques de la presse collabo après le renvoi de Laval. J’estimais possible d’y chercher des auditoires, auxquels on pouvait dire quelques bonnes vérités moyennant certaines précautions de forme. À Bordeaux, je donnais une conférence à la délégation Lamirand. À Paris, l’année suivante, je fis quelques leçons à l’Institut d’études corporatives. J’y démontrais qu’on ne pouvait pas transposer des institutions médiévales au XXe siècle et que la théorie d’un droit professionnel autonome était insoutenable. Le dernier exposé servit de base à un article publié dans “Droit social” à la Libération. Je mesurais bien vite les limites du procédé. L’influence qu’on pouvait avoir sur quelques auditeurs ne compensait pas le patronage moral qu’on accordait à l’institution. D’autant que les précautions de forme ne permettaient pas toujours d’être compris. Je renonçais aux entreprises de ce genre. »


– Annexe 4.

Lettres d’échanges entre Maurice Duverger et Marc Granet, au sujet du passage cité précédemment concernant « l’Équipe » du Progrès de Bordeaux, qui devait originairement être publié dans l’ouvrage de Mémoires de Duverger, et qui sera caviardé dans la version finale édité par Albin Michel.



DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE DE LA SORBONNE

UFR DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS I

LE DIRECTEUR

Paris, le 10 juin 1975

Monsieur Marc Granet
Résidence de la Cité
51, rue Barbès
92120 Montrouge

Mon Cher Marc,

Après une première discussion avec Henri, j’ai relu les passages sur l’Équipe, qui me sont apparus très insuffisants et surtout pas exacts, ce qui est mauvais. J’ai donc entièrement réécrit les pages 124 à 130 (actuellement 130 ter) du manuscrit. J’ai ajouté également, mais à propos de l’Institut une page 171 bis.

Avant de les insérer dans le manuscrit que je t’ai envoyé, il convient d’en discuter tous les trois. Je t’attends donc au 24, rue des Fossés Saint‑Jacques le mercredi 9 juillet à 20 heures.

Bien amicalement,

Maurice Duverger 24 rue des Fossés St. Jacques

75 005 Paris


DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE DE LA SORBONNE

U.E.R. DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS I

LE DIRECTEUR

Paris, le 11 juin 1975

Monsieur Marc Granet
Résidence de la Cité
51, rue Barbès
92120 Montrouge

Mon Cher Marc,

Il y a eu une erreur de date dans la lettre d’hier. Le dîner est le mercredi 18 juin.

Ci‑joint par ailleurs une nouvelle rectification de texte concernant les pages 127 et 128, qui se substituent à celles envoyées hier.

À la réflexion, il me semble inutile de donner des détails qui n’intéressent pas 99 % des lecteurs. L’essentiel étant qu’on ne puisse pas me reprocher d’avoir dissimulé quelque chose. On discutera de cela mercredi prochain.

Maurice Duverger


DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE DE LA SORBONNE

U.E.R. DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS I

LE DIRECTEUR

Paris, le 29 avril 1975

Monsieur Marc Granet Fédération nationale du négoce de l’Ameublement 221, fg St Honoré 75001 Paris


Mon Cher Marc,

Je t’envoie ci‑inclus un tiers environ de mon bouquin dans la rédaction quasi‑définitive, sous réserve des corrections que j’y porterai après tes remarques, celles d’Henri, etc.

Je pense t’envoyer une suite dans une dizaine de jours. Quand tu auras ut lu, il faudra que nous ayons à déjeuner à tous les deux et un long entretien.

Passe-moi de toute façon un coup de téléphone pour me donner ta première impression.

Bien amicalement,

Maurice Duverger



– Annexe 5.


Liste des articles de Maurice Duverger-« Philippe Orgène » dans Le Progrès de Bordeaux

1) « L’Équipe » (n° du 15 juin 1941)

2) « Mesure de la France » (n° du 22 juin 1914)

3) « Derrière la façade » (n° du 29 juin 1941)

4) « La Trahison des Clercs » (n° du 6 juillet 1941)

5) « La Révolution Intérieure » (n° 20 Juillet 1941)

6) « Liberté, liberté chérie » (n° du 27 juillet 1941)

7) « Jeunesse du théâtre » (n° du 30 août 1941)

8) « Une génération à la dérive » (n° du 20 décembre 1941)

9) « Pluralisme et pagaïe sympathique » (n° du 10 janvier 1942)

10) “Si j’étais Secrétaire Général à la Jeunesse » (n° du 24 janvier 1942)

11) « Attente ou Action » (n° du 4 avril 1942)

12) « Maurice Duverger agrégé des Facultés de Droit », Samedi 28 nov. 1942

13)  « Du fond de l’abîme » (n° du 5 décembre 1942)

14) « Des Français de qualité » (n° du 19 décembre 1942)

15) « Le Roi vaincu » (n° du 26 décembre 1942)

16) « D’hier à demain” (n° du 9 Janvier 1943)

17) « Et le public » (n° du 9 janvier 1943)

18) « Pour le meilleur et pour le pire » (n° du 16 janvier 1943)

19) « Condition d’une révolution française » (n° du 6 février 1943)

20) « La République autoritaire » (n° du 13 février 1943)

21) « L’illusion démocratique » (n° du 20 février 1943)

22) « Orientations » (article non publié d’un journal qui est resté en état de projet, dont la morasse du numéro 1 est datée du 12 juin 1943).



[1] Cf. ces Mémoires édités de Maurice Duverger, L’Autre Côté des choses, Paris, Albin Michel, 1977. En fait, ce sont là des mémoires réécrites et tirées d’un entretien de vingt-sept heures d’enregistrement durant quatre jours, dans son bureau parisien de la rue des Fossés Saint-Jacques, avec le journaliste et musicologue Claude Glayman, dactylographié en 1975 sous le titre : Le Sel et le refus. Nous en avons retrouvé un exemplaire original. Le texte en question est bien plus complet que l’ouvrage publié. Il intègre notamment un passage de trois pages très euphémique sur la participation de l’auteur au Progrès et à « l’Équipe », sans tout révéler évidemment à Claude Glayman, lui aussi « enfumé », comme le seront d’autres acteurs plus tard. Initialement l’ouvrage était prévu dans la collection « Les grands journalistes », dirigée par Claude Glayman aux Éditions Stock.

[2] Sur le totalitarisme du régime et la réalité de sa propagande variée, cf. Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944, Paris, Puf, col. « Politique d’aujourd’hui », 1991. Cf. également l’ouvrage d’Yves Chalas, Vichy et l’imaginaire totalitaire, Arles, Actes Sud, 1985, préface de Pierre Sansot.

[3] Cf. notre étude, « Engagement et distanciation : le cas Duverger. Élément d’histoire de la science politique bordelaise », téléchargeable sur le Site Internet « Les Classiques des Sciences sociales », Bibliothèque numérique de l’Université du Québec à Chicoutimi, septembre 2011, texte présenté au Congrès de l’Afsp (Association française de Science politique) à Strasbourg en septembre 2011, 87 p. (plus les annexes photographiques).

[4] Cf. le texte de Pascal Ory sur l’histoire cette fondation, d’intérêt général, existant depuis mai 1893, « Le premier siècle de la Fondation », publié dans l’annuaire de celle-ci en 1893. Cf. le site http://www.fondation-thiers.org/histoire.php

[5] L’histoire politique a en effet adressé de sévères critiques aux analyses des partis proposées par Duverger, que nous avons suggérées en introduction. Cf. à ce sujet, Serge Bernstein, « Les partis », in René Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, le Seuil, 1988, p. 56-58, et, dans le même ouvrage, la contribution de Jean-Pierre Rioux, « L’association en politique », p. 102, note 28. Cf. également Pierre Avril, Essais sur les partis politiques, Paris, Payot, 1990, p. 8, 10, 15, 18, 72, 83, 91, 170.

[6] Cf. à ce propos, l’article du politologue Bastien François, « Maurice Duverger. La gloire avant l’oubli », publié dans le numéro spécial aseptisé de la Revue internationale de politique comparée consacré au juriste bordelais, 2010/1, vol. 17, p. 23-38.

[7] Cf. À ce propos notre étude sur Le Pouvoir à Bordeaux. Le pétainisme (1940-1944), à paraître, notamment concernant ici « le cas Jacques Ellul ».

[8] Ibidem.

[9] Cf. notamment, Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme », in Les Usages sociaux du droit, Curapp, Paris, Puf, 1989, p. 252 et sq. ; Danièle Lochak, « Écrire, se taire… Réflexion sur l’attitude de la doctrine française », in Dominique Gros et alii, Le Droit antisémite de Vichy, Revue Le Genre humain, n° 30-31, Paris, Le Seuil, 1996 ; Dominique Gros, « Le “statut des Juifs” et les manuels en usage dans les Facultés de Droit (1940-1944) : de la description à la légitimation », Cultures et conflits, 9-10, 1993, p. 139-171 ; « La légitimation par le droit », in Serviteurs de l’État, op. dirigé par Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert, Paris, La Découverte, col. « L’espace de l’histoire », 2000 ; Grégoire Bigot, « Vichy dans l’œil de la Revue de Droit public », in Le Droit sous Vichy, Das Europa der Diktatur, Frankfurt am Main, 2006, p. 415-435 (nous tenons à remercier ce dernier auteur de nous avoir transmis cette contribution).

[10] Informations tirées des liasses 185 à 192 de la « Série continue » des Archives départementales de la Gironde.

[11] Cf. Steven L. Kaplan, « Un laboratoire de la doctrine corporatiste sous le régime de Vichy : l’Institut d’études corporatives et sociales », Le Mouvement social, 2001-2, p. 35-77.

[12] Cf. Antonin Cohen, « “Vers la révolution communautaire”. Rencontres de la troisième voie au temps de l’ordre nouveau », in Revue d’histoire moderne et contemporain, 2004/2, n° 51-2, p. 141-161.

[13] Antonin Cohen, ibid., p. 154.

[14] Nous pensons là au titre de l’ouvrage d’Ante Ciliga, Le Pays du mensonge déconcertant

[15] Cf. Vincent Hoffmann-Martineau, A Short Biography of Maurice Duverger, French Politics, 2005, 3, p. 304-309, Pacgrave Macmillan Ltd, 2005. Hélas, l’auteur, enclin à la connivence dans ses citations, passe vite sur la réalité des faits et ne cite pas les sources qu’il utilise…

[16] Cf. l’article de Bernard Lasserre dans Sud-Ouest du 22 décembre 2014, « Maurice Duverger, Père de la Science politique ».

[17] Cf. le compte-rendu de Sud-Ouest du 21 octobre 1988.

[18] Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Le Seuil, 1996, p. 288-289.

[19] Cf. à ce propos, les deux ouvrages de Charles Seignobos, Introduction aux Études historiques (corédigé avec Charles-Victor Langlois), et La Méthode historique appliquée aux sciences sociales (seconde édition, 1909), tous deux accessibles en libre accès sur le site Internet « Classiques des Sciences sociales », fondé et dirigé par le Professeur Jean-Marie Tremblay, sociologue, site de la bibliothèque numérique de l’Université Chicoutimi auQuébec. Et, ceux, extraits et traduits en français, de l’œuvre mondialement connue du Professeur Carlo Ginzburg, le grand historien de l’Inquisition italienne, dont Mythes, emblèmes et traces (Paris, Verdier, 2010) et Le Juge et l’historien, Paris, Verdier, 1998.

[20] Nous en avons conservé l’enregistrement officiel d’un homme aux pieds du mur, triturant les faits, document communiqué par Alain Cholon, de FR3 Aquitaine, preuve vidéo de son demi-aveu et de son demi-mensonge en même temps.

[21] Dans sa lettre du 18 octobre 1988, Jacques Chaban-Delmas, alors Maire de Bordeaux, écrivit au Président de la Cour, en substance : « Je me dois de témoigner de ce que M. Maurice Duverger, à Bordeaux, jouit d’une grande renommée et de l’estime générale ». Sans être prolixe (d’autant que c’est lui qui fut responsable de l’épuration pour la Faculté de Droit en 1944…, et non sans humour, quand on sait que Duverger finit comme député européen sur les listes du Parti Communiste italien), Jacques Ellul rappela simplement dans sa propre lettre que les communistes, pourtant « très sévères » lors de l’épuration, n’avaient rien eu à reprocher à Maurice Duverger…

[22] Cf. à ce propos le site Internet : dailymotion.

[23] Cf. notre étude, Approche qualitative de la tentative d’anéantissement de la communauté juive de Bordeaux (1940-1944). L’engagement du Grand Rabbin Joseph Cohen (1876-1976), édité dans le Site Internet, Classiques des Sciences sociales, de l’Université Chicoutimi au Québec, téléchargeable.

[24] Cf. l’ouvrage incontournable pour la compréhension des actes criminels de Vichy, les Carnets du Pasteur Bœgner, publiés par son fils Philippe, Paris, Fayard, 1992. Ce Pasteur extraordinaire se concerta sans cesse avec Madeleine Barrot dans son combat, et se dévoua aussi totalement aux victimes du régime en question, tout en tentant de demander – ce qui était son rôle en tant que chef de la communauté protestante de France – des explications aux acteurs de l’époque, Pétain en tête, en passant par Laval, Pucheu, Bousquet et consort – ce que lui permettaient ses fonctions historiques. Boegner agit aussi en la matière, en toute confiance avec Mgr. Gerlier, Archevêque de Lyon, aussi impuissant que lui, concernant la mort de milliers de personnes dont ils étaient tous deux conscients. Il témoigne dans ses Carnets d’époque (témoignage d’autant plus précieux) de ses efforts, vains, mais qui révèlent sa haute dignité morale, à la place où il fut destiné un temps, lui qui savait tout, très tôt, par les pasteurs protestants allemands et la Croix Rouge, via la Suisse, sur la « Shoah ».

[25] Cf. Michel Bergès, Le Pétainisme à Bordeaux, à paraître. Cf. également Jacques Ellul, L’Illusion politique, Paris, La Table ronde, 2012 (réédition), ouvrage qui montre l’incompréhension totale de la politique et de ses enjeux à Bordeaux de 1944 à 1947, de la part de cet auteur encensé aujourd’hui par certains, mais très estimable, dans les valeurs qu’il défendit alors, évidemment.

[26] Citons, parmi l’incontournable œuvre de Pascal Ory, concernant la France : Les Collaborateurs, Paris, Le Seuil, col. « Points Histoire », 1980 ;  en tant que directeur, Nouvelles Histoire des idées politiques, Paris, Hachette, 1987 ; puis, Du fascisme, Paris, Perrin, 2003 ; La France allemande, Paris, Gallimard, col. « Archives », 1977 ; L’Art de la bande dessinée, Paris, Éditions Mazenod, 2012 ; et aussi, sa très grande thèse, La Belle Illusion, Culture et politique sous le signe du Front Populaire, Paris, Plon, 1994, que nous avons compulsée de long et en large…

[27] Cf. le compte-rendu rédigé par Jacques Belin (« Maurice Duverger contre Actuel »), dans Sud-Ouest du vendredi 21 octobre 1988.

[28] Pascal Ory, « Petits tas de secrets sous l’Occupation », L’Histoire, 2003, n° 281, nov. 1983, p. 18 et sq.

[29] Cette réduction des hommes à des oiseaux n’est pas originale, malgré son aspect symptomatique. Comme nous l’a fait judicieusement remarquer notre collègue et ami Pierre Cabrol, Yvan Le Louarn a pu s’inspirer de l’ouvrage d’Anatole France, célèbre en son temps, L’île des Pingouins, publié en 1908. Aucune référence explicite n’est avancée en la question dans l’ouvrage de Pierre Ajame, Entretiens avec Chaval. Portrait de l’artiste sans légende (Paris, Alice Éditions Chêne, 1976), enregistré à Paris pendant trois semaines en 1966, agrémentés de 41 photos, dessins et reproduction d’eaux fortes, dont certains confiées à l’éditeur par Maurice Duverger – exécuteur testamentaire de « Chaval » –, publié après le suicide du dessinateur, en raison des scrupules de l’interviewer. Mais cela n’est pas une preuve négative en soi. La question concernant le modèle d’Anatole France n’a pas été posée à « Chaval » par le journaliste indiqué, mais elle reste sur le fond, très plausible…

[30] Cf. la lettre que nous a aimablement transmise le 15 octobre 2008 Madame Béatrice Rollin, organisatrice de l’exposition « Chaval » à Angoulème. Celle-ci nous a là précisé, dans un témoignage très compréhensif concernant « Chaval » : « Je ne veux pas refaire un procès qui a eu lieu. Je ne suis pas pour la double peine. Mais je pense qu’en ce moment de crise où l’on sent monter toutes sortes d’idéologies malsaines, il est important d’avoir un langage pédagogique et de montrer que dans certaines circonstances, certains et non les moins doués, ont pu très dangereusement déraper. Vous parliez de pédagogie, je crois qu’elle se situe bien là. ».

[31] Face aux interprétations critiques de publications comme Le Journal du Parlement, La Tribune sioniste et Le Populaire parues en 1957, quant à l’article de Duverger concernant les mesures de Vichy contre les fonctionnaires juifs dans la Revue de Droit public de 1941, Le Monde fit constituer un dossier ouvert aux lecteurs qui le demandaient, et qui comprenait une analyse dudit article par Charles Eisenmann. Ce dernier, professeur de Droit public à la Faculté de Paris, écrivit notamment : “Aucune phrase de l’article incriminé n’exprime ou n’implique approbation des lois raciales par son auteur.” Il est évident que Charles Eisenmann ne fut jamais mis au courant de la participation de Duverger-Orgène au Progrès de Bordeaux

Même scénario lors du procès de l’impétrant évoqué plus haut contre le journal d’extrême droite Minute, le Tribunal de Paris ayant considéré là que l’article de 1941 constituait « une étude purement juridique, technique et critique de la législation raciale alors en vigueur et ne révél[ait] pas, contrairement à l’analyse faite par le prévenu, une quelconque prise de position favorable à ces mesures. »

Dans l’ouvrage collectif, Religion, société, politique. Mélanges en hommage à Jacques Ellul, Paris, Puf, 1983, Maurice Duverger consacra tout son article, « La perversion du droit », p. 707-718, à réfuter les arguments de ses contradicteurs antérieurs. En vain… mais en ajoutant des arguments politiques de circonstances, ce qui montre qu’il était tout de même torturé par la question. Pour se dédouanner, il précisa qu’il fut même… invité à donner quelques cours à l’Université de Jérusalem… en 1978. Exemple de démonstration ex-post, indirecte, « par l’absurde » ou par ricochet, une fois encore. Si « le droit de Vichy » ne fut pas du droit mais bien de l’idéologie, on peut se demander si la perversion se trouve vraiment du côté du « droit », ou de celui des juristes qui cautionnèrent le Régime en question…

[32] Cf. dans l’ouvrage collectif, Jean Augustin Maydieu. Actes des colloques, numéro spécial de Mémoire dominicaine. Histoire. Documents. Vie dominicaine, réunis par David Gaillardon, Paris, Cerf, 1998, p. 303-313, l’article à nouveau justificateur de Duverger, « Un révélateur d’hommes », p. 303-313.

[33] Cf. le dossier correspondant dudit Comité d’épuration aux Archives départementales de la Gironde, Série continue, liasses 1854-1856 et 1867-1868. Cf. notre étude précitée, Le Pétainisme à Bordeaux, à paraître, qui reproduit le témoignage de Jacques Ellul à ce propos.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 9 avril 2015 19:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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