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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard Bergeron, Pratique de l'État au Québec (1984)
Présentation de l'oeuvre


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard Bergeron, Pratique de l'État au Québec. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1984, 442 pp. Collection: Dossiers documents. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

Présentation de l'oeuvre


Une Ire Partie retrace un arrière-plan en triple profondeur pour la compréhension générale du Québec politique des années 1980. L'abord en est largement historique. Le traitement est a-théorique pour le premier et le troisième de ces chapitres. Pour l'autre, l'appel à un schéma théorique, classificateur de performance des équipes gouvernementales qui se sont succédé pendant le dernier quart de siècle, trouverait une justification supplémentaire dans l'exigence de concision pour faire tenir une matière si ample en un seul chapitre. Ainsi s'appellent et se complètent « Un peu d'histoire et beaucoup de politique ».

Une IIe Partie s'applique à une analyse spéciale des trois principaux événements relatifs à chacun des niveaux de l'État depuis la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976. Ces chapitres ont une autre pertinence que de permettre l'étude monographique de crises qui n'auraient pu trouver place ailleurs. L'examen topique de ces trois dossiers décisifs a aussi valeur d'illustration de la trinité essentielle des niveaux, tels qu'ils furent successivement mis radicalement en cause ces dernières années dans « l'État du Québec en crises de changement ».

La IIIe Partie, la plus longue et comprenant huit chapitres, est la substance de l'analyse que permet le déploiement de la théorie sur le Québec politique des dernières décennies. Les trois niveaux de l'État, qui auront été préalablement définis et distingués, requièrent ici un développement en plusieurs chapitres, autant pour des raisons de symétrie analytique que d'abondance des sujets à traiter. La dynamique d'ensemble de cet « État du Québec en opérations de fonctionnement » devrait s'en dégager en fin d'étude.

* * *

On aura constaté que, par sa répétition même, c'est la notion de niveau qui est la pièce capitale et partout déterminante du système d'interprétation proposé. L'État québécois - ou tout État - peut, en effet, être visualisé en trois niveaux analytiques et articulés hiérarchiquement. Cette présentation est à contre-courant des présentations usuelles qui sont d'inspiration dualiste et à structure planiforme, juxtaposant par exemple deux systèmes, le politique à côté de celui du social, et chacun d'eux interagissant avec l'autre. Les trois niveaux, ou plutôt les phénomènes propres à chacun d'eux, agissent aussi entre eux mais en des points d'une importance stratégique particulière qu'on qualifiera de « seuils ».

Chacun des niveaux a autant d'importance théorique que les deux autres, les trois étant mutuellement indispensables au fonctionnement total de l'État. Mais un niveau doit être privilégié en méthode puisqu'il est central et déterminateur des autres. C'est celui des agents politiques qui décident pour l'ensemble de la population, dont les décisions sont prises par décrets et par lois, qui s'adjoignent d'autres agents pour les faire exécuter par avance ou pour rétablir la situation en cas de violation. Tous ces agents ou acteurs politiques, qu'on appelle communément gouvernants et législateurs, administrateurs et juges, sont les responsables dans la cabine des commandes ou dans la chambre des machines de l'État. Ils ne gouvernent pas tous au sens fort du terme. Mais ils sont les indispensables rouages de son fonctionnement ou de son niveau immédiatement fonctionnel, bref de sa gouverne. Celle-ci se manifeste par l'exercice simultané de quatre « fonctions » centrales : de gouvernement et de législation, d'administration et de juridiction. Comment, entre ces fonctions, la division du travail s'effectue dans l'État, ce sera l'objet de développements ultérieurs en IIIe Partie, aux endroits annoncés dans le plan (introduction et début des chapitres IX à XII).

Ce niveau « fonctionnel » de la gouverne est aussi central parce qu'il y en a un au-dessus - et qu'on qualifiera naturellement de « superfonctionnel » - et un autre au-dessous - qui sera dit, d'identique façon, « infrafonctionnel ». Plus commodément on appellera régime le niveau qui surplombe le plan de la gouverne ; et politie celui qui est à la base de deux autres. Le niveau, superfonctionnel, du régime est celui qui institue et régit la totalité de l'État en une unité d'organisation spécifique et qui, le posant dans son être propre, lui permet de se distinguer des autres organisations du même genre et d'entrer en relations avec elles. Le niveau du régime est donc tourné à la fois vers l'intérieur de l'État, en sa structuration interne, et vers l'extérieur en ses rapports avec l'environnement international : d'où on dégagera ses deux « superfonctions » de légitimation et de sécuration [1] en tête des chapitres VI et surtout VII.

Le troisième niveau, infrafonctionnel, de la politie est celui de la société politique régie en forme d'État. Ce terme, dont on aura reconnu l'origine grecque, aurait pu ne pas tomber en désuétude relative, à l'instar de celui de polity qui est toujours en usage en anglais. Que le niveau de la politie soit également qualifié d'infrafonctionnel n'indique certes pas quelque dépréciation, ou infériorisation. Il s'agit de la position d'un niveau par rapport à d'autres et non pas d'une échelle de jugement de valeur. Tout au contraire, c'est bien parce qu'il y a d'abord une société politique, une politie, que s'érige au-dessus d'elle une gouverne pour la gouverner justement, et que l'une et l'autre, la gouverne aussi bien que la politie, sont non moins justement régies en régime d'État. Dans une chaîne de causalité ou de valeur, c'est d'évidence le niveau de la politie qui devrait être privilégié. Les activités propres à la politie sont ses six « infrafonctions », dont on verra en introduction à la IIIe Partie qu’elles se présentent en deux classes, consensuelles et dissensuelles : d'un côté la contribution, la participation et l'opposition ; de l'autre, la contestation, la dissidence et la rébellion.

En première approche de la théorie, il est moins utile de définir et de distinguer tout de suite les douze principales opérations politiques qui se déroulent à chacun de ces niveaux de l'État (les deux superfonctions, les quatre fonctions, les six infrafonctions) que d'établir que les niveaux entretiennent des rapports interactifs en des lieux de grande densité et déjà qualifiés de seuils. Ainsi le niveau central de la gouverne s'ouvre, par en bas, sur le niveau de la politie par le seuil des activations ; par en haut, sur le niveau du régime par le seuil des habilitations. Aussi bien le seuil des habilitations que celui des activations font voir des passages bidirectionnels, d'en haut et d'en bas. Régime et gouverne s'habilitent mutuellement tout comme gouverne et politie s'activent l'une l'autre ; L'agent type superfonctionnel de l'unicité du régime est le chef de l'État, personne unique pour un rôle unique. L'agent type infrafonctionnel de la multiplicité de la politie, non unique mais univoque, est le citoyen qui relève donc d'une classe de multitude.

De ce point de vue du nombre d'agents, les niveaux de l'État pourraient se représenter par une pyramide à triple étagement dont la base serait considérablement élargie. Mais comme les niveaux sont de l'ordre de la qualité, ou mieux de la qualification, il convient plutôt de dessiner en trois boîtes égales juxtaposées les trois niveaux de l'État. La figure de la page 15 peut être utile comme aide-mémoire de schématisation des éléments théoriques qu'on vient d'énoncer sommairement ; il serait indiqué de s'y référer lors de la lecture des chapitres des IIe et IIIe Parties.

Mais tout dans la politie n'est pas « politique ». Elle est une société avant que d'être qualifiée telle, comme le citoyen qui est d'abord, et plus généralement, un être humain. Les relations politiques sont une espèce des relations humaines. Tout ce qui se passe en politie n'étant pas politique, on en déduit l'existence d'un troisième seuil qu'on qualifiera de politification, soit ce phénomène de transformation des choses ou relations sociales en faits politiques et relevant spécifiquement de la politie (en son sens strict de la société en tant que politique).

Il fallait ce néologisme de politification pour distinguer le phénomène de celui de la politisation, qui s'applique aux consciences et aux activités humaines et est d'un autre ordre analytique. Le seuil de politification se situe donc à l'intérieur du niveau infrafonctionnel de la politie, démarquant la ligne de clivage entre le social et le politique, ou signalant l'émergence du politique dans le social. Ce qui passe à ce seuil (du social indifférencié devenant politique de quelque manière ou sous quelque aspect) est pertinent à l'analyse politique, à l'instar de tout ce qui relève de la gouverne et du régime, niveaux dont on pourrait dire qu'ils ne font que politifier ‑ par définition.

Figure 1

Premier niveau: RÉGIME

Superfonctions:       

1. Légitimation
2. Sécuration

(seuil des Habilitations)

……………………………………………………………………………………….

Deuxième niveau: GOUVERNE

Fonctions :

1. Gouvernement
2. Législation
3. Administration
4. Juridiction

(seuil des Activations)

……………………………………………………………………………………….

Troisième niveau : POLITIE

Infrafonctions :  

1. Contribution 
2. Participation
3. Opposition
4. Contestation
5. Dissidence
6. Rébellion

(seuil de Politification)

……………………………………………………………………………………….

SOCIAL non politifié



Telle pourrait être, graphiquement représentée, la dynamique de fonctionnement de l'État en trois niveaux, en deux seuils interniveaux et en un troisième seuil intraniveau, par où surgissent des impulsions politiques qui sont d'ailleurs au principe de tout le reste. Cette présentation ultrarapide n'a voulu rappeler que l'économie générale du système d'interprétation proposée. Encore une fois, des énoncés plus complets sur les deux superfonctions, les quatre fonctions et les six infrafonctions précéderont opportunément les analyses spécifiques qui seront faites des phénomènes propres à chaque niveau. Une telle exposition ferait surcharge en cette introduction générale et retarderait la présentation de la société historique particulière qui est l'objet de l'étude.

Quelques brèves considérations finales sur la notion de niveau. On passera vite sur les positions épistémologiques qu'elle implique, sur certaines difficultés heuristiques à l'usage. Il nous semble qu'elle est la plus apte à une mise en perspective féconde des phénomènes très divers et infiniment nombreux dont l'État devient le siège, l'agent et même l'enjeu. Pour balayer le domaine du politique nous avons besoin d'une technique optique à ajustement multiple et qui ne brouille pas ce qui est en dehors du champ de vision analytique du moment. La notion de niveau permet de tenir compte de la quadruple « logique » du phénomène étatique vu en globalité : une première logique d'organisation fondamentale des trois niveaux, se posant l'un par rapport aux autres et s'interpénétrant par les seuils - d'où une nécessité accrue de les distinguer ; et des logiques particulières de chacun des trois niveaux, ce qui rend particulièrement significatifs leurs rapports aux seuils interniveaux et l'impulsion émergente au seuil de politification. En plus grande profondeur, cette trinité des niveaux nous fait rejoindre les deux triades que toute analyse dialectique devrait tenir pour essentielles : l'organisation et les fins pour le niveau superfonctionnel, le fonctionnement et les normes pour le niveau fonctionnel, les conduites et les valeurs pour le niveau infrafonctionnel.

Faisons trêve partielle de « théorie » pour examiner, en Ire Partie, la société historique particulière faisant l'objet de notre étude. Le complément d'outillage théorique, ainsi qu'il a été dit, devra attendre le moment où la focalisation analytique le requerra dans les exposés subséquents.



[1] Terme formé comme l'est celui de légitimation, dérivant de légitimité. Il a fallu forger ce néologisme de sécuration parce que sécurisation, par ses tonalités psychologiques, serait ici impropre et porterait à confusion.



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 août 2009 8:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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