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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gérard Bergeron (1922-2002), “Itinéraire sociologique”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 15, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 233-237. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des œuvres de M. Gérard Bergeron]

Gérard Bergeron (1950)

ITINÉRAIRE SOCIOLOGIQUE.”

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. XV, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 233-237. Québec : département de sociologie, Les Presses de l'Université Laval.


Septembre 1950, automne 1974 : 25 ans, le quart de siècle. C'était hier. Dans la petite rue de l'Université, à deux pas des Remparts, devant une première classe dont quelques-uns allaient percer qui sont dans l'actualité politique ou la production sociologique justement. Voilà pour la minute nostalgique.

Les responsables de ce numéro spécial ont précisé le mot d'ordre : parler du « je » en toute simplicité. Ce « je » de la vie se vivant est quand même moins encombrant pour les autres, et le « je » actif même, que les « moi » littéraires... Et puis « honni soit qui mai y pense » puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement !

Comment ça s'est passé dans mon cas, je le résume d'une seule proposition : une infidélité apparente, dès le début, à la sociologie pour la première fois rencontrée mais tout au long, depuis lors, une espèce de sur-loyauté à la plus large des sciences sociales, au point d'en être fâcheusement indéterminée mais, peut-être à cause de cela-même, combien exigeante !

Avoir 20 ans à « l'époque d'Hiroshima et de la guerre froide » naissante alors qu'on est passionné d'histoire depuis toujours, surtout des grands moments où elle renverse son cours ; mais, d'autre part, voir se fonder puis s'insérer dans notre milieu cette « chose » fascinante ou menaçante d'inconnues, qu'on appelle « les sciences sociales », tout en assistant à la révélation de ces vocations nouvelles, en devoir de « service social » intellectuel de se donner comme objet d'études le Canada français (on ne disait guère à l'époque « le Québec ») : était-il vraiment d'une « infidélité » grave de se diriger vers l'étude des relations internationales ? Ils allaient être relativement nombreux à se vouer à la sociologie du milieu ; on allait être si peu, en fait le premier en date et longtemps le seul, à se consacrer à l'étude de l'environnement international.

Pour la préparation d'une carrière de journaliste avec cet intérêt particulier, je me dirigeai tout naturellement vers la Faculté des sciences sociales de Laval. C'était même décidé depuis mon époque d'élémentaire alors que tel soir de 1938, en ouvrant L'Action (Le Devoir n'était alors que « toléré » dans nos collèges classiques), j'apprenais que le P. Georges-Henri Lévesque fondait une École des sciences sociales à Laval. Je me souviens avoir dit à mes voisins de la salle de récréation : « Je ne m'imagine pas aller ailleurs que là après mon « bac. » Mon inscription en 1944 à cette institution, devenue faculté l'année précédente, avait la banalité d'une formalité allant de soi.

C'est ainsi que commençait « l'itinéraire sociologique » qu'on nous demande de retracer. Il n'y avait pas à Laval de département de science politique ou de relations internationales. Mais entre les départements, tous jeunes d'une années, d'Économique, de Relations industrielles et de Sociologie, j'optai pour le dernier parce qu'il semblait offrir l'optique la moins lointaine des études spécifiques que je mènerais ailleurs plus tard. L'encouragement efficace de mon doyen, qui me disait compter sur ma collaboration pour lancer un enseignement en relations internationales, à créer un jour, la compréhension sympathique des professeurs du département faisaient que je ne m'y sentais pas étranger bien qu'un peu distrait » par les autres centres d'intérêt que j'y ajoutais.

J'annote Les règles de la méthode sociologique de Durkheim, j'apprends les contributions de Cooley ou de Ross en matière de face-to-face relations ou de social control ; Simmel ou Tönnies me sont présentés comme les premiers théoriciens des conflits ou des solidarités de gemeinschaft et gesellschaft. Mais ma thèse de licence porte sur la sécurité collective d'après la Charte des Nations Unies qui viennent d'entrer en opération, en référence aux dispositions analogues dans le Pacte de la Société des Nations. Je me débrouille comme je peux dans cette manie naissante de traiter de « gros sujets », surtout que, circonstance aggravante, j'étais démuni de presque tout pour traiter d'un tel sujet : sans programme d'études correspondant, sans direction de recherche, avec des ressources bibliographiques institutionnelles plus pauvres que celles que ma bourse d'étudiant devait assumer. (La date est importante : nous sommes en 1946-47.) Mais on m'enseigne aussi des choses bizarres et disparates : lire un tableau statistique à défaut de pouvoir en constituer un ; apprendre à regarder un quartier de ville (en l'occurrence celui de Saint-Sauveur, la future « Aire numéro 10 ») ; spéculer dans l'emboîtement des « biens communs » thomistes ; ou trouver naturel que Drummondville ou Saint-Denis-de-Kamouraska soient de beaux sujets d'observation sociologique.

Avant de partir pour des études internationales en Europe, je m'offre un cours d'été de six semaines à l'Université Columbia. J'estime ce stage nécessaire à ma formation aussi dissymétrique que déficiente. Triple immersion : dans New York, capitale des métropoles mondiales ; dans une grande université américaine ; dans l'étude des International Relations (avec l'un des maîtres d'alors, Frederick L. Schuman). En débarquant en septembre 1947, je me sentirai plus rondement nord-américain en cette Europe, encore dévastée, inquiète d'une nouvelle insécurité, et dont la moitié occidentale allait être promue au rang de pensionnée par le Plan Marshall.

Pour ma propre probation, je passe une année à l'Institut universitaire des Hautes Études Internationales de Genève. La villa qui loge cet Institut a comme voisin immédiat l'édifice du Bureau international du Travail, le secrétariat de l'Organisation du même nom, mise en veilleuse depuis 1940, mais qui avait surtout le grand mérite d'avoir survécu à la guerre. À quelques minutes de là, le grand Palais de la Société des Nations commençait à se ranimer en devenant le siège européen de la nouvelle organisation. À partir de ma petite expérience québécoise, tout ce contexte m'apparaissait merveilleusement irréel et historiquement flagrant !

De « sociologie » point, pas même le mot ; mais du droit international et de l'histoire internationale récente à fond de train. J'allais me rendre compte assez tôt que, dans l'avoir voulu, je faisais des choses à l'envers : qu'on aborde l'étude du droit international après un cycle d'études juridiques et préférablement en droit public ; qu'il est indiqué d'avoir un certificat d'histoire générale plutôt qu'une licence en sociologie pour n'être pas trop dérouté en histoire internationale des dernières décennies. Je pris aussi conscience des premiers « ravages » de ma première formation sociologique, toute faiblarde était-elle. Parler de relations inter-groupales ou de schème de valeurs ou d'anomie sonnait d'une étrangeté ! Quand c'étaient les bonnes questions, je ne les posais pas comme il fallait.

Puis ce fut Paris à la Faculté de droit où je ferai ma scolarité de doctorat. Deux décisions préalables s'imposaient : continuer mes études en relations internationales ou retourner en sociologie ; et, dans la première hypothèse, m'inscrire en droit ou en « Sciences po. » ? À Paris en 1948, c'est presque le désert sociologique : Halbwachs, mort en camp de concentration ; Mauss, diminué, à ses derniers moments ; Davy et Bayet occupaient les chaires à la Sorbonne tandis que Gurvitch faisait la navette entre Strasbourg et Paris. Qu'on regarde les notices biographiques des sociologues qui allaient compter sous peu : ils étaient professeurs de lycée à l'étranger, ou en faculté comme étudiants. D'autre part, j'avais pris goût à l'étude de l'organisation internationale et à celle du droit international, la branche la plus difficile du droit, parce que la plus primitive et, pour une bonne part, simplement analogique. Je me passionnerai en outre pour les grands débats de sociologie juridique qui s'étaient livrés dans l'entre-deux guerres entre Duguit et Hauriou et que prolongeaient des internationalistes dont Georges Scelle (à la retraite depuis peu). Sur ce plan, ma sociologie de novice me facilitait tout de même la lecture de la collection des Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, (où Georges Gurvitch fit ses débuts) qui avaient connu leur heure de gloire dans les années 1930. Mais toutes espèces de préoccupations sociologiques, sans être bannies, étaient d'une stricte inutilité pour le cours normal des études et pour préparer en particulier le diplôme d'Études supérieures de droit public. Pourquoi la « Faculté de droit »plutôt que les « Science po. » ? En outre de l'intérêt se confirmant dont je viens de parler, une considération étroitement académique m'incitait à ne pas aller à l'institution légendaire de la rue Saint-Guillaume qui, n'offrant qu'un « complément de formation », ne décernait pas de doctorat. (Le doctorat de recherches, dit du 31 cycle, n'allait être lancé que plusieurs années après.) C'est ainsi que, lorsque je prendrai mon doctorat beaucoup plus tard, je serai l'un des rares docteurs en droit à n'avoir pas de licence en cette matière ni, à plus forte raison, à être membre de quelque Barreau. « La sociologie mène à tout... ».

Le premier sujet de ma thèse de doctorat : le contrôle international de l'énergie atomique - toujours la manie des gros sujets ! Mais, en proie un moment à une exigence de purisme juridique technique, j'avais considéré sérieusement de choisir plutôt, comme sujet, les conditions du rattachement de Terre-Neuve au Canada qui venait de se produire (1949). Je ratais ainsi l'occasion de devenir un des premiers historiographes du seul « père » de la Confédération vivant, Joey Smallwood... Ayant retracé une petite histoire du désarmement depuis la « terreur de l'arbalète », je butai sur une difficulté qui allait m'entraîner loin : l'absence d'un modèle satisfaisant de contrôle international en référence duquel pourrait s'étudier celui de l'énergie atomique à des fins militaires. Très tôt, il apparaissait que le très hypothétique organisme qui exercerait un pareil contrôle détiendrait la souveraineté universelle. Il fallait donc bâtir ce modèle par analogie aux modes de fonctionnement d'un ordre politique plus restreint, et bien rodé historiquement depuis quelques siècles : l'État contemporain. C'est là que mon ignorance autant sociologique que juridique m'a lancé dans une aventure intellectuelle dont je ne me rendrai compte que graduellement. Je commençai à écrire une introduction qui devait proposer un bref de référence à l'étude du contrôle international par le dégagement des fonctions naturelles du contrôle intra-étatique. Après trois recommencements, je me noyais dans cet impossible sujet. Il ne s'agissait de rien moins que d'élaborer un schéma de théorie politique générale ! C'est ainsi que, quinze ans plus tard, l'introduction d'une thèse de doctorat qui ne devait jamais voir le jour (celle-là), sera devenue une « brique » de quelque six cents pages de théorie politique.

Mais j'anticipe. Je rentre donc à Québec et commence ma carrière de professeur à Laval en septembre 1950 : cours d'histoire des relations internationales, d'organisation internationale, de problèmes internationaux contemporains. Je suis rattaché au Département de sociologie et, grâce aux séminaires avec des collègues, je renoue avec cette discipline. Quatre ans plus tard, le conseil de la Faculté crée le nouveau Département de science politique sur une base modeste et avec un personnel fort restreint. Quelqu'un est requis pour enseigner un large cours d'introduction à la science politique. Je suis désigné. Je reprends le manuscrit trois fois recommencé et abandonné depuis quatre ans. Responsable de ce cours de 1954 à 1960, sa matière se complète, ses concepts fondamentaux se précisent, ses lignes directrices dépassent les premières esquisses ; des étudiants utilisent ce modèle dans des travaux de circonstance. Entre le manuscrit inachevé de 1950 et Fonctionnement de l'État, il y aura eu ce cours et les discussions qu'il suscitait sur cette théorie sociologique du politique. Sans la « contamination » sociologique de mes premières études, je n'aurais pas écrit ce livre. Je n'avais pas choisi d'être hybride, de l'être doublement : Français d'Amérique, entremêlant naturellement des legs d'une pensée politique traditionnelle d'origine européenne, principalement française, avec des apports récents d'une beaucoup plus jeune sociologie américaine ; premières imprégnations sociologiques avant de me colleter avec des contributions plus conventionnelles de science politique, de droit public, alors que le passage s'opère plus naturellement en sens contraire. Cet itinéraire fut, en grande partie, accidentel ; et, pour le mieux ou le pire, cela doit continuer dans la même direction si je veux honorer le projet d'un cycle complet jusqu'à la théorie des relations internationales en passant par celle du fédéralisme.

J'ai eu aussi de courtes phases de journaliste engagé dans la « bagarre » québécoise : les dernières années de l'interminable règne de Duplessis (1956-8) ; puis, cinq ans plus tard, lorsque le créditisme de Caouette envahissait les arrière-pays et que le séparatisme se mettait à jouer de la dynamite terroriste. Responsable d'un cours sur les partis politiques canadiens et québécois, j'y reste attaché ne serait-ce que pour me fournir un field work quotidien et plus immédiat que la politique internationale. J'ai commis un petit livre-dossier sur la crise et l'éveil québécois à l'intention de nos cousins de France. La guerre froide se terminant, je m'en suit fait l'historiographe d'après un schème classificateur cyclique. J'ai aussi distribué ici et là diverses analyses de politique québécoise, canadienne et internationale et quelques articles de théorie pure, plus immédiatement liés à ma recherche fondamentale.

Est-ce là de la « sociologie » ? Je ne sais pas et ne m'en préoccupe guère. Ce gentil reproche qu'on me fait parfois d'être touche-à-tout, j'en sais la validité et en subis probablement plus les inconvénients que je ne serais prêt à l'admettre. Je suis d'une génération où, dans les débuts surtout, il fallait être plusieurs. Certaine propension à la spécialité des idées générales trouvait à s'y légitimer. Si l'on ajoute les aléas d'une carrière à une première « déformation » sociologique incitant à tout ordonner en concepts et systèmes, ce sont peut-être là autant d'ingrédients pour fabriquer de la théorie sociologique sans l'avoir vraiment décidé un jour. Ce sur quoi je travaille, ce que j'en publie c'est toujours me « situer » par rapport à... Mais, finalement, n'est-ce pas ce qui arrive à tout sociologue ?


Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 février 2010 11:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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