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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard Bergeron, La guerre froide inachevée. (1971)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard Bergeron, La guerre froide inachevée. Rétrospective: 1945-1962. Expectative: 1963-1970. Prospective: 1971. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1971, 315 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

Préface

John W. HOLMES
président de l'Institut canadien des Affaires internationales

Le professeur Bergeron par l'importance qu'il accorde au facteur temps a une façon très peu orthodoxe de raconter l'histoire de la guerre froide. Il en présente un découpage en séquences annuelles plutôt qu'en une juxtaposition de sujets. Cette démarche, qui ne vise pas à nier la pertinence des présentations coutumières, fonde sa propre validité. Je tiens pour remarquable le détachement de l'observateur. Sa perception de l'histoire est éclairante et moins contraignante que les constructions rigides des analystes systémistes ou des historiens révisionnistes qui font entrer de force dans leurs schèmes les faits récalcitrants. Le professeur Bergeron écrit avec la sérénité qui convient à un survivant dune époque qu'il considère après coup avec la modestie d'un chercheur sérieux parfaitement conscient des tâtonnements de sa méthode particulière. Sa démarche est celle dune hypothèse à vérifier et il demande à son lecteur d'en accepter la convention. Ce livre présente la guerre froide selon ses oscillations de tension et de détente entre 1945 et 1962. C'est une recherche pour discerner les caractères propres d'une tranche d'histoire plutôt qu'un effort pour élaborer une théorie générale des relations internationales. Il ne s'agit certes pas d'une première tentative de raconter ce chapitre sombre de l'histoire récente qui imprègne encore la situation internationale d'aujourd'hui, mais c'est un essai jusqu'à maintenant inédit d'empoigner pour ainsi dire la globalité du phénomène.

D'une certaine façon, c'est une perception de dramaturge. Le professeur Bergeron s'applique à considérer cette période historique selon ses perspectives formelles, causales et surtout séquentielles. L'action en devient dramatique - et peut-être en est-il ainsi à cause de notre attente de L'interrelation des événements. Voyons par exemple la scène internationale en 1948. Nous assistons au début de l'assombrissement du drame européen, mais tout de suite à l’intérieur de ce thème général s'introduit la sous-intrigue de la rébellion yougoslave, Tito annonçant déjà le polycentrisme dix ans avant que ce phénomène ne domine l'ensemble de l'action. En cette même année, c'est toutefois la victoire des Rouges en Chine qui est l'événement le plus lourd de conséquences, et nous prenons conscience que, de plus en plus, les affaires asiatiques vont avoir de l'importance dans les actes subséquents. Il ne s'agit pas d'imposer un canevas à la Shakespeare pour mettre en pleine lumière un personnage mais bien de présenter l'histoire en sa totalité. Il n'y a pas de distorsion délibérée des faits. Demeure, bien sür, la nécessité de les sélectionner. Et si nous savons que toute simplification est distorsion d'une certaine manière, le choix des événements n'obéit pas à une intention préconçue de l'auteur. Il n'est d'ailleurs nul besoin de les rendre plus dramatiques qu'ils ne le furent.

L'effort de détecter des rythmes pour retracer des cycles est, d'une façon paradoxale, la justification de cette division de l'histoire en d'artificielles tranches de douze mois - une méthode qu'on considérerait, pour d'autres raisons, comme trop primitive même pour des manuels d'école élémentaire. Cependant toutes les divisions historiques sont arbitraires. Le rappel d'une année dont la plupart d'entre nous peuvent se souvenir comme ayant son entité propre (« l'année de notre voyage en Europe », ou « celle où papa subit son opération ») nous aide à mieux comprendre le cours des événements. Ce n'est pas de la simple chronologie ; il s'agit d'un effort d'analyse par association temporelle, avec tous les avantages de la clairvoyance après coup ! C'est un procédé fascinant. Il est heureux parce qu'il nous incite à lire rapidement pour serrer les lignes directrices de l'action. Ce qu'on nous fournit n,est pas seulement une série de faits triés pour appuyer une thèse ; c'est encore de la matière première permettant diverses spéculations aux Lecteurs qui peuvent bien se mettre à galoper en dautres directions... Se manifeste à cet égard l'intégrité de l'auteur. L'analyste quantitatif ne manquerait pas de matériaux à se mettre sous la dent. On peut toutefois espérer avec le professeur Bergeron qu'un tel type d'analyse ne fasse pas fi des critères d'évaluation qualitative. L'auteur accepterait volontiers que son hypothèse soit ainsi mise à l'épreuve, bien qu'il apparaisse évident que ce ne puisse être l'oeuvre d'un seul chercheur. Encore conviendrait-il de souhaiter que les chercheurs qui s'appliqueraient à ce type de vérification fassent montre d'un scepticisme aussi sain que celui de l'auteur à l'égard de ses propres modèles.

Une justification fondamentale de cette tentative de découper des unités-temps plutôt que de juxtaposer des unités-sujets, réside dans l'avantage de pouvoir suivre les processus des prises de décision. Dans le concret quotidien, les politiques sont le fait de personnes bien individualisées et pourvues de dossiers qui se gonflent toujours. On a pu n'avoir pas oublié les rapports qu'avaient entre elles la crise d'Indochine en 1954 et la controverse au sujet de l'Armée européenne, ou les crises jumelles de Suez et de Hongrie en 1956. Mais, après coup, on se rend peut-être moins compte jusqu'à quel point les hommes d'État occidentaux, mettant sur pied les structures de l'O.T.A.N. au début des années cinquante, devaient sacrifier un temps considérable de leur travail de cabinet à des affaires aussi disparates que les accès d'humeur de M. Mossadegh en Iran et la politique d'inféodation du Japon au camp allié. On nous rappelle encore que le début officiel de la querelle entre Pékin et Moscou date du fiasco du sommet de Paris de 1960. La crise des missiles soviétiques à Cuba se produisit tout juste après une série de règlements des affaires d'Algérie, de Nouvelle-Guinée et du Laos. C'est au moment le plus aigu de la crise des Caraïbes que, Chinois et Indiens étant en guerre, Nehru réclamait de l'assistance militaire à Washington. Nous pouvons encore percevoir de cette façon des changements de politique reliés à la mort de Staline ou de Dulles, ou à la retraite de Churchill ou d'Adenauer. Et, dominant tout le paysage, apparaît le développement implacable de la technologie militaire. Quand nous superposons à la chronique des événements les graphiques de l'auteur sur le développement des armes nucléaires et l'évaluation qu'il en fait de la supériorité militaire changeante entre les deux Grands, les implications en deviennent des plus instructives. Les tendances cycliques perceptibles doivent-elles être reliées à la mise en devis et en chantier des bombes à hydrogène ? C'est une hypothèse à laquelle il convient d'accorder l'attention qu'elle mérite mais ce type d'histoire décourage l'explication de quoi que ce soit par l'intervention d'un facteur unique.

Il n'est pas nécessaire de tomber d'accord sur la façon dont l'auteur tente de montrer que cette sorte d'analyse historique valait d'être tentée. Son modèle est une hypothèse et, en tant que telle, elle est convaincante. L'auteur soutient que la guerre froide a duré de l'effritement de l'alliance en 1945 jusqu'à la crise des missiles à Cuba en 1962 et qu'il semble y avoir eu des phases quinquennales de tension et de détente. Les années subséquentes à 1962 font plutôt penser à une paix froide ou àune après-guerre froide mais sans qu'on puisse relever les mêmes fluctuations cycliques - du moins on ne pourrait pas encore les détecter ; les cycles ne se reproduisent pas nécessairement selon une périodicité régulière. La période actuelle diffère de l'époque de la guerre froide en ce que les superpuissances semblent avoir accepté un type de relations entre elles et les limites qu'elles comportent, contraintes qu'elles connaissaient pendant la période de 1945-1962, mais auxquelles elles ne s'étaient pas encore résignées. La montée de la Chine introduit un troisième élément dans un système duopolistique et le tiers monde, à sa marge, commence déjà à rendre la guerre froide désuète. Ce livre n'est cependant pas une histoire de l'après-guerre ; il constitue essentiellement une tentative de saisir la guerre froide comme phénomène global. L'estimation de la paix froide et les prévisions plausibles de l'auteur pour 1985 nous intéressent comme réverbérations de la guerre froide qui a précédé - bien que ce qui nous importe encore davantage dans cette histoire de la guerre froide soit la lumière qu'elle pourrait projeter sur l'avenir. De façon analogue, le contraste avec la période de l'entre-deux-guerres (1918-1939) est révélateur parce qu'elle fut marquée par un équilibre de puissance instable, la force croissante du perturbateur et corrélativement l'affaiblissement du camp défensif, et non pas par l'application systématique du principe de l'opposition fixe.

Le facteur d'évolution cyclique permet-il la prévision ? Certes non à court terme, à cause des impondérables, l'arrivée sur la scène politique de fortes personnalités ou leur disparition, mais, à plus longue portée, on peut conjecturer avec quelque profit vers quelles directions nous nous dirigeons ou quels sont les dangers à éviter. On doit considérer la futurologie avec tout le scepticisme qu'il convient, mais pas plus ! Nous pourrions même espérer que nous sommes lancés sur la voie que le professeur Bergeron croit possible parce que, bien que son 1984 ne soit pas Utopia, il y aura suffisamment de force systémique de conservation en ce monde de demain pour éviter l'ombre de l'Apocalypse, des instabilités en juxtaposition produisant un « état de stationarité » plutôt qu'un « équilibre en stabilité ».

La foi qu'il a dans un tel système, même s'il est du type oligopolistique quadripartite qu'il voit pointer, ne dérive pas de la vision qu'il a de la guerre froide comme épisode historique mais comme la solution de remplacement à l'impossible gouvernement mondial. D'une guerre mondiale chaude à son ersatz, que fut la guerre froide, nous progresserions vers un ersatz de gouvernement mondial en sa forme primitive. C'est bien loin d'être l'idéal à prescrire mais cette progression évite la pensée totalisante qu'on retrouve dans les schémas sur papier des théoriciens du mondialisme parce qu'elle continue d'intégrer le principe d'opposition. Quel qu'ait été leur point de départ, pendant la guerre froide les superpuissances sont devenues non pas deux monopolistes mais des duopolistes. En ayant appris la leçon, le progrès est désormais possible.

Un tel visionnement de la guerre froide facilite la compréhension de sa nature spécifique. Ces dernières années nous sommes passés du cycle de l'histoire de la guerre froide àl'histoire d'une anti-guerre froide, mais ni les apologistes de la guerre froide, forts de leur bonne conscience dans les années cinquante, non plus que les révisionnistes de gauche des années soixante, les uns et les autres avec un luxe d'arguments pour appuyer leur thèse sans réussir à rendre compte de l'interaction globale, n'ont pu caractériser cette période comme il convenait *. On n'a pas à chercher la réponse dans les fondrières des approches dites « équitables ». On peut mieux l'entrevoir chez ceux qui étudient comment ce que Washington et Moscou ont fait en 1948 les a conduits à agir comme ils le firent en 1949. La leçon en devient claire jusqu'à l'absurde mais l'histoire et l'analyse de la guerre froide sont du théâtre de l'absurde. Comme le professeur Bergeron le remarque ici et là, l'ensemble des relations entre les grandes puissances, à l'enseigne d'un mélange conscient de bluff et d'hypocrisie, toute la théorie de la dissuasion par laquelle chacune s'inquiète des inquiétudes de l'autre s'expriment en un schéma ultrasimple. Toutefois, c'est très exactement cette simplicité qui comporte une meilleure chance de gestion des affaires mondiales que les schémas élaborés de faiseurs de constitution invoquant le principe de la contrainte. Dans la guerre froide nous avons été enveloppés par cette espèce d'étreinte de ses événements en succession. La meilleure thérapie ne consiste pas à repérer les « méchants » mais àdiagnostiquer des processus et, si possible, à les geler jusqu'à ce que la contraction en vienne à se relâcher. Aux diagnosticiens le professeur Bergeron fournit une excellente feuille de température.

John W. HOLMES
président de l'Institut canadien des Affaires internationales



* L'exception notable est Louis J. Halle dont la faculté d'appréciation fut sauvegardée par le choix même de son titre : The Cold War as History, New York, Harper and Row, 1967.



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 juillet 2009 9:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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