L'idéal serait de pouvoir jeter sur l'actualité politique quotidienne un regard d'historien. Diplomates et responsables de la politique étrangère, le nez sur leurs préoccupations immédiates, journalistes et commentateurs internationaux, travaillant en pièces détachées, ne développent pas d'instinct cette distanciation par rapport à l'Événement, qui est autre chose qu'un flot constant d'événements quotidiens. En deçà du recul nécessaire à l'historien de profession et au-delà du point de vue de ceux qui font ou analysent au fil des jours la politique internationale, il y a place, et peut-être utilité, pour des dossiers généraux comme celui que nous proposons dans cet ouvrage.

La plupart des ouvrages de politique internationale traitent d'une question, d'un problème ou d'une crise, avec concentration sur une période ou selon des déterminations régionales ou institutionnelles. Se donner la guerre froide comme sujet, c'est viser à retracer une trame processuelle globale remontant à au moins vingt-cinq ans en arrière. Ce livre dossier serre le plus possible l'actualité immédiate jusqu'à s'être mis à l'écoute des crépitements de téléscripteurs bavards d'informations toujours renouvelées. Il n'a pu éviter le jargon courant de la guerre froide tout en se gardant le plus possible du « sabir atlantique », non plus que de certaine terminologie propre à la théorie politique et même économique. Les étudiants en science politique et en relations internationales n'en seront pas rebutés qui, en ce domaine, ont à pratiquer des textes souvent plus ardus.

Cette série chronologique de vingt-cinq ans d'histoire internationale nous est apparue suffisamment longue pour fonder le caractère plausible d'une cyclicité des phases détente et tension de la guerre froide classique. Mais passé cette période qu'ont fermée les conséquences de la crise de Cuba en octobre 1962, l'interprétation systémique proposée aux chapitres premier et vi garde la seconde utilité analytique de présenter un référentiel contrastant pour tenter de dégager les caractères plus imprécis et fugaces de l'après-guerre froide depuis 1963. On ne peut affirmer de cette période que nous vivons, et qu'on peut appeler en une demi-antithèse une « paix froide », que ne subsistent pas diverses menaces d'une résurgence de la guerre froide des pires jours.

Cet ouvrage s'est voulu suffisamment explicite du point de vue de la narration historique pour permettre une première lecture de la guerre froide. Mais sa singularité est de proposer une relecture de ce sujet dans l'encadrement d'un modèle d'interprétation théorique. Aucun plaidoyer initial de l'auteur ne saurait conférer à cette démarche d'autre pertinence et utilité que la validité de ses résultats, appuyés par les justificatifs de méthode proposés en cours de développement. Cette interprétation systémique est assez éloignée des études courantes de politique internationale qui font une large place à la recherche des responsabilités dans leurs critiques et explications de type causal, frisant parfois l'expression polémique. Une bonne histoire événementielle, comme la monumentale chronique de la guerre froide d'André Fontaine qui nous aura été fort utile à l'instar d'une dizaine d'autres ouvrages en langue anglaise, peut servir d'appoint précieux à notre propre historique, inévitablement très bref.

Cet ouvrage est une tentative pour nous situer dans le temps ou à la verticale, et dans l'espace ou à l'horizontale, en rapport à la question engageant le destin de tous les hommes. Mais la qualité de cette intention n'en transcende certes pas les défauts et lacunes.