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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard Bergeron, FINIE... LA GUERRE FROIDE ? (1992)
Préface de Daniel Colard, 1991


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard Bergeron, FINIE... LA GUERRE FROIDE ? Sillery, Québec : Les Éditions du Septentrion, 1992, 214 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

Préface

DANIEL COLARD,

Maître de Conférences à la Faculté
de droit de l'Université de Besançon
(Besançon, le 10 septembre 1991)


Préfacer un ouvrage peut être soit une banalité - l'auteur ne pouvant refuser sa caution -, soit une simple formalité - l'exercice relevant d'un certain rituel, entre universitaires notamment soit enfin un honneur et un plaisir, ce qui est plus rare. En ce qui concerne le dernier livre de Gérard Bergeron, universitaire canadien et québécois éminent, connu non seulement sur le continent nord-américain mais aussi dans les pays francophones européens, et d'abord en France, ces quelques pages introductives à une étude consacrée au sujet d'une actualité brûlante, la tâche du préfacier relève à l'évidence d'une mission du troisième type.

C'est en effet un « honneur » vu notre jeune âge et la qualité des travaux de ce brillant politologue, spécialiste de l'État sur le plan interne - sa structure, son fonctionnement, sa constitution - et spécialiste des États sur le plan international. La liste de ses travaux - livres, articles, essais, communications - est tout à fait impressionnante, d'où la réputation et l'autorité de notre collègue et ami. C'est ensuite un « plaisir » véritable pour deux raisons principales : d'une part, c'est à un universitaire français qu'il a proposé de jeter un pont intellectuel transatlantique entre le Canada et l'Europe, le Québec et la France, dans l'esprit même du fondateur de la Ve République qui a eu l'immense mérite de relancer la coopération entre les deux pays ; d'autre part, l'étude de la Guerre froide et plus largement des Relations internationales occupe depuis longtemps déjà nos recherches respectives. Sans être toujours d'accord sur le fond des choses -ce serait trop demander à des théoriciens et à des universitaires - nous avons pu constater qu'un large consensus, comme on dit dans les milieux spécialisés, existait entre nos deux approches conceptuelles de la Société internationale de la seconde moitié du XXe siècle, siècle de fer qui touche à son terme, à moins que nous ne soyons déjà entrés dans le troisième millénaire et le XXIe siècle, avec dix ans [10] d'avance sur le calendrier. Le consensus l'emporte sur les dissensus dans la mise en perspective du phénomène de la bipolarité ou de l'antagonisme Est-Ouest, plus connu sous l'appellation journalistique et médiatique de « Guerre froide » ou de « Système des blocs », voire de la « double hégémonie » chère au général de Gaulle dont toute la diplomatie a consisté à combattre l'« esprit de Yalta » pour effacer la division artificielle du Vieux Continent en deux camps hostiles, séparés par le fameux « Rideau de fer » courant de la Baltique à l'Adriatique.

La brutale « accélération de l'Histoire » que nous vivons et connaissons depuis la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, jusqu'au coup d'État manqué des 19-21 août 1991 en Union soviétique, posait au préfacier et à Gérard Bergeron des problèmes quasi-insolubles. L'Histoire certes ne se répète pas, mais il lui arrive de bégayer... Les soviétologues - dont la science est loin d'être exacte ! - et les experts des ex-États socialistes ou n'avaient rien prévu du tout quant à l'effondrement, l'éclatement ou l'ébranlement du monde communiste, ou bien avaient élaboré des scénarios et des prévisions qui se sont avérés totalement faux. Dans ces conditions, « que faire ? » pour reprendre le titre fameux d'un petit livre de Lénine, le père historique de la Révolution d'Octobre 1917. Août 1991 efface-t-il Octobre 1917 ? Le marxisme-léninisme, le stalino-brejnevisme, et avec eux, la « Guerre froide » entre l'Est et l'Ouest sont-ils définitivement morts ?

Prudents, l'auteur et l'éditeur n'ont pas voulu prendre de trop grands risques : on les comprend dans une conjoncture où les mutations internationales remettent tout en cause. Le monde des années 1945-1990 a beaucoup changé, celui des années 1990-1991 change en direct sous nos yeux, celui du XXIe siècle se prépare et se façonne sans que l'on ne puisse savoir si la Société internationale sera plus sûre, plus stable, plus pacifique à l'issue de ces formidables bouleversements. Nous reviendrons sur le point d'interrogation de l'étude en conclusion. D'autres chercheurs ont fait preuve de moins de circonspection en publiant il y a un an - à l'automne 90 - un ouvrage collectif dirigé par Charles-Philippe David intitulé : « La fin de la Guerre Froide : ses conséquences pour les relations internationales » (Québec, CQRI ; France, FEDN). La thèse soutenue ici est sans ambiguïté : le conflit entre les États capitalistes et socialistes a pris fin avec la chute des dictatures communistes en Europe centrale et orientale ; il importe au plus vite d'évaluer la portée de cette nouvelle donne internationale.

Le réalisme de Gérard Bergeron a failli lui donner raison en août 91 car si le putsch raté avait réussi à déstabiliser Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine, qui peut affirmer que le retour à la confrontation soviéto-américaine, [11] à la glaciation des années Brejnev, bref, à la Guerre froide était à coup sûr exclu ? Le processus de démocratisation et de libéralisation a fait échouer - avec le peuple descendu dans les rues de Moscou et de Leningrad - les putschistes et les conservateurs, les privilégiés de la Nomenklatura et les serviteurs du complexe militaro-industriel, mais l'implosion du système et l'éclatement de l'Empire intérieur ont créé une situation particulièrement instable pouvant déboucher soit sur le chaos et l'anarchie, soit sur un nouveau coup de force politico-militaire.

Voilà pour le contexte immédiat dans lequel se situe le titre de l'ouvrage qui doit être lui-même replacé dans un contexte historique beaucoup plus large.

Une trilogie pour décrypter
la « Guerre froide »

La grille de lecture et d'analyse de l'auteur repose non pas sur un seul livre mais sur trois recherches qui forment un tout, même s'il n'est pas indispensable de connaître les deux premiers ouvrages pour lire le troisième. La parution de ceux-ci s'échelonnent sur vingt ans : le premier voit le jour aux Presses de l'Université de Montréal en 1971 sous le titre « La Guerre froide inachevée » qui couvre la période allant de Yalta (1945) à l'annonce du voyage en Chine du président Nixon (1971) ; le deuxième est publié en 1986 aux éditions montréalaises du Boréal Express sous le titre « La Guerre froide recommencée »qui prend en compte la Détente des années 70 et l'avènement d'une nouvelle Guerre froide (1979-1985) ; enfin, le dernier, plus synthétique, plus théorique, plus explicatif dresse à la fois un bilan global de la période, soit 45 ans de Guerre froide, en consacrant un long développement au gorbatchevisme, et ouvre des perspectives sur des problèmes nouveaux (guerre du Golfe, montée des guerres saintes).

Ainsi, avec le recul et sur la période qui s'étale de la conférence de Yalta à l'avènement de la Perestroïka (1985) et à la Révolution russe d'août 1991, la Guerre froide a connu trois grandes phases : 1945-1971, puis 1971-1985 et 1985-1991. «  Inachevée » en 1971, elle est « recommencée » sous le règne de Leonid Brejnev et peut-être « dépassée » avec le gorbatchévisme... « Dépassée » ou « Finie », pour ne pas trahir la pensée de notre collègue canadien auquel nous avions suggéré la première appellation. « Finie » avec un point d'interrogation permet de se démarquer de l'ouvrage collectif cité plus haut.

On notera que la chronologie relative à l'URSS s'arrête au référendum sur le Traité de l'Union organisé le 17 mars 1991 et qui aurait dû être signé le 20 août, si le coup d'État n'avait pas eu lieu, ceci n'étant [12] évidemment pas sans rapport avec cela... Par conséquent, on ne s'étonnera pas de ne pas voir mentionné le dernier sommet soviéto-américain de Moscou, les 30-31 juillet 1991, au cours duquel G. Bush et M. Gorbatchev - trois semaines avant le putsch - ont signé un traité historique d'Arms control, à savoir le Traité START, premier accord entre les deux Superpuissances nucléaires réduisant d'un tiers leurs arsenaux atomiques stratégiques centraux. L'accord est à rapprocher du Traité INF sur les euromissiles de 1987 et du Traité CFE (réduction des armes conventionnelles en Europe) signé à Paris sous l'égide de la CSCE le 19 novembre 1990. Ces trois grands traités amorcent un processus de désarmement qui modifie en profondeur la nature des relations Est-Ouest. Surtout si l'on y ajoute la dissolution du pacte de Varsovie et celle du CAEM au printemps 1991.

Faute de place et pour aller à l'essentiel, insistons sur la vision centrale que Gérard Bergeron donne de la Guerre froide. pour lui, elle épouse des cycles - la « détente » succédant à la « tension » et celle-ci à celle-là et dépend largement de la course aux armements entre Washington et Moscou. Elle est naturellement dominée par la rivalité soviéto-américaine qui engendre un système international bipolaire, un « condominium », un « duopole », une « cogérance ». Enfin, ce modèle cyclique de « détente et tension » conditionné par la course à la supériorité technico-militaire se développe à l'échelle planétaire, sur des théâtres géographiques qualifiés par lui, selon leur importance, de « premiers », de « seconds » et de « tiers ». La nature des « enjeux » n'est, bien sûr, pas la même en Allemagne - à Berlin - en Corée, en Afrique ou en Asie. Mais un « théâtre tiers » peut devenir un théâtre premier ou second, ainsi que l'a démontré la Crise de Cuba en 1962.

Penser le XXe siècle

Pour expliquer la « Guerre froide », l'observateur des relations internationales est conduit en 1991 à « penser le XXe siècle ». Celui-ci commence avec la Grande Guerre de 1914-1918 et prend fin probablement avec les « trois glorieuses » de 1989 - chute du Mur de Berlin et éclatement de l'Empire externe de l'URSS - de 1990, année de l'unification de l'Allemagne, et de 1991 - guerre du Golfe, échec du putsch du 19 août, effondrement du régime communiste et éclatement de l'Empire interne. Le XXe siècle n'aura ainsi duré que 75 ans historiquement parlant, tandis que le XIXe part du Congrès de Vienne de 1815 pour s'achever en 1914.

Ce terrible XXe siècle commence avec la Révolution bolchevique de novembre 1917 - produit direct du conflit mondial de 14-18 - et se [13] clôture avec la Révolution russe démocratique d'août 1991. À la fracture 1914-1917-1918 répond la cassure symétrique de 1989-1990-1991. De 1917 à 1991, une longue période dominée par une « tragédie » (B. Eltsine), un « modèle qui ne marche pas »(M. Gorbatchev), bref le « plus grand mensonge de l'Histoire » (E. Morin), un système monstrueux : le régime communiste, le totalitarisme soviétique, le monde du Goulag décrit par A. Soljenitsyne dès le début des années 70. Au marxisme-léninisme a fait écho une autre idéologie totalitaire ; le national-socialisme et les régimes fascistes qui ont causé la Deuxième Guerre mondiale, même si celle-ci était déjà contenue dans la Première comme le germe dans l'oeuf 1945 : Yalta et Potsdam et l'émergence de deux Super-Grands qui vont se « partager le Monde » (A. Conte) en procédant à une gigantesque « tabula rasa », par suite de l'effondrement des puissances de l'Axe.

D'où la naissance de la « Guerre froide » successivement « inachevée », « recommencée », peut-être « dépassée » ou « finie »... Mais la séquence historique des années 1945-1991 est marquée aussi par la révolution nucléaire et spatiale, par la décolonisation des vieux empires coloniaux ainsi que par la montée en puissance du Tiers monde et des tiers mondes se réclamant du non-alignement, par la médiatisation des relations internationales dans un monde de plus en plus interdépendant et informatisé, enfin, par la « Perestroïka » de M. Gorbatchev et l'implosion des dictatures communistes de type soviétique.

Une analyse plus fine du gorbatchévisme montre que la Perestroïka est une Révolution qui se déroule en deux phases, de 1985 à 1991. Dans un premier temps, la Révolution part du Centre et s'effectue par en haut : il s'agit de réformer et de moderniser le système communiste pour le rendre plus performant (1985-1989). L'échec des réformes et de la Perestroïka économique prépare alors la sortie du système communiste : la Révolution part de la Périphérie de l'Empire pour revenir au Centre (1989-1991) et s'effectue par le bas, c'est-à-dire le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la sécession des Républiques de l'Union et l'intervention du peuple de Moscou et de Leningrad pour empêcher la réussite du putsch d'août 91. La Réforme a ouvert la porte à la Révolution démocratique et au printemps des peuples d'Europe centrale et orientale dès 1989. La décommunisation a pris le relais de la Perestroïka : les trois États baltes annexés par Staline en 1940 ont retrouvé leur indépendance, on déboulonne les statues et les idoles dans les grandes villes, Leningrad est redevenu Saint-Petersbourg, le parti unique est liquidé, les putschistes sont arrêtés, les structures de l'ex-URSS sont remplacées/et Lénine va bientôt quitter la Place rouge !

[14] « Tout Empire périra », comme l'a écrit dans un livre prémonitoire le grand historien français J. B. Duroselle, il y a exactement dix ans. L'Empire soviétique n'échappe pas à la règle : il a implosé et se trouve dans un état de décomposition inquiétant, la chape de plomb communiste ne bridant plus les mouvements des minorités et des nationalités à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Empire ou de l'ex-camp socialiste.

Penser la Guerre froide

C'est l'objet de la trilogie de Gérard Bergeron. Sa lecture du phénomène est précise, concise, logique. Il part des faits et de la chronologie. À tort ou à raison, il néglige l'idéologie tout en indiquant l'opposition des systèmes dans la confrontation Est-Ouest. Il n'accorde pas non plus beaucoup d'importance aux facteurs économiques, sociaux ou culturels. Incontestablement, il se rattache à l'école néo-réaliste des Relations internationales dans la lignée de H, Morgenthau, R. Aron, S. Hoffmann ou H. Kissinger. Avec les avantages et les inconvénients de cette approche des phénomènes internationaux, fondés sur des rapports de force et la primauté accordée aux acteurs étatiques. La Guerre froide est une affaire entre l'URSS et les États-Unis, le bloc de l'Est et celui de l'Ouest ; elle ne regarde pas tellement les organisations internationales - à l'exception de l'OTAN et de l'Organisation du Pacte de Varsovie - et ne s'explique pas par des facteurs infra ou supranationaux. La technique des conférences au sommet - ce que l'auteur appelle l'« enfilade des sommets pendant la non-Guerre froide » (1985-1991) -, c'est-à-dire le bon ou le mauvais usage des rencontres entre les chefs d'État des deux pays les plus puissants militairement, du monde, joue un rôle important dans le processus de rapprochement entre la patrie du socialisme et la patrie du capitalisme.

La dialectique des phases de tension et de détente crée des « fluctuations cycliques » quasi-régulières et entraîne symétriquement une « dynamique de duopole ». La durée, le facteur temps, est une donnée majeure de l'explication de la compétition soviéto-américaine. Sans oublier la révolution nucléaire, c'est-à-dire l'équilibre de la terreur entre des « adversaires » qui sont aussi des « partenaires », comme l'avait bien mis en relief Raymond Aron dans son maître-livre « Paix et Guerre entre les nations », dont la première édition remonte à1962, au moment de la crise des fusées à Cuba, et marquant une césure dans l'histoire de la Guerre froide. C'est aussi lui qui avait défini cette période par une formule courte mais très dense : « Paix impossible, guerre improbable ». Formule que l'un de ses disciples a reprise récemment pour qualifier la mutation en cours à l'Est : « Communisme impossible, démocratie improbable ». Pierre [15] Hassner pécherait-il par le « pessimisme de l'intelligence » au lieu de donner la priorité à l'« optimisme de la volonté » ?

Les controverses sur la nature de la Guerre froide, et d'abord sur son début et sa fin, sont loin d'être éteintes. Pour nous en tenir aux seules origines, trois thèses sont toujours en présence. Certains pensent avec André Fontaine que celle-ci est née avec la Révolution bolchevique de 1917 ; d'autres qu'elle naît à Yalta en 1945 ; d'autres enfin estiment que tout commence avec la doctrine Truman et le plan Marshall lancé en 1947. Gérard Bergeron opte pour la cassure de 1945.

Même diversion chez les experts sur le terme : à quelle date se termine le conflit Est-Ouest ? Pour les uns, la crise des fusées à l'automne 1962 fait basculer le monde de la Guerre froide dans la Détente ; pour d'autres, la Guerre froide rebondit ou renaît de ses cendres dans l'intervalle de la conférence d'Helsinki de 1975 et de la Perestroïka de Gorbatchev décrétée en 1985 ; pour notre auteur, on assiste à une « éphémère Paix froide » entre Helsinki (1975) que terminera l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS en 1979. Mais pour presque tous, la vraie césure dans l'évolution des rapports Est-Ouest est  l'« année-charnière 1962 ». Auparavant, c'est la confrontation permanente entre les deux camps ; après la crise cubaine, la Détente s'installe lentement et progressivement avec des hauts et des bas :/une première phase de Détente va de Cuba à Helsinki (signature de l'Acte final par les 35 États de la CSCE le 1er août 1975), puis nous assistons à des tensions dans cette période de la Détente (d'Helsinki à Kaboul) et à une crise de celle-ci (de 1979 à l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev le 11 mars 1985) ; une deuxième phase ou une relance du processus de Détente s'opère avec la Perestroïka et la Glasnost, accompagnée ou soutenue par la nouvelle diplomatie soviétique (ce que le Kremlin caractérise assez platement par l'expression de la «  nouvelle pensée »).

Pour les acteurs déterminants de la politique internationale, traduisons les deux Super-Grands, les choses sont plus simples. Les présidents Bush et Gorbatchev n'ont-ils pas proclamé solennellement « urbi et orbi » que la Guerre froide avait pris fin au sommet de Malte qui s'est tenu, les 2 et 3 décembre 1989, sur des bateaux de guerre, en pleine tempête, les éléments eux-mêmes et la Méditerranée ne semblant pas vouloir admettre la portée de l'événement... L'acte de décès a été dressé un an plus tard par les 34 États participant à la CSCE réunis en sommet à Paris pour signer un document capital : « La Charte de Paris pour une nouvelle Europe ». La Charte, signée le 21 novembre 1990, est d'une grande clarté quant aux intentions exprimées par les plus hautes autorités des États membres de la CSCE :

[16]

Nous sommes réunis à Paris à une époque de profonds changements et d'espérances historiques. L'ère de la confrontation et de la division en Europe est révolue. Nous déclarons que nos relations seront fondées désormais sur le respect et la coopération.

L'Europe se libère de l'héritage du passé. Le courage des hommes et des femmes, la puissance de la volonté des peuples et la force des idées de l'Acte final d'Helsinki ont ouvert une ère nouvelle de démocratie, de paix et d'unité en Europe.

Penser un Monde sans communisme

L'onde de choc suscitée par les bouleversements issus des années 1989-1991 au sein de l'Empire externe et interne de ce qui fut l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), seul État au monde à ne pas se définir de 1922 à 1991 par un critère géographique et à affirmer une vocation universelle et messianique, ébranle les convictions et les schémas les mieux établis. L'effondrement du communisme soviétique, pour le moment sans beaucoup de violence, traduit d'abord une victoire par K.O. technique des États-Unis sur l'URSS, du système capitaliste sur le système socialiste, des valeurs occidentales sur celles du marxisme-léninisme. La démocratie libérale et l'économie de marché ont gagné la bataille de la Guerre froide.

Francis Fukuyama dans un article célèbre (cf. Annexe A de cet ouvrage) a évoqué la « fin de l'Histoire » au sens hégélien du terme. La lutte ayant cessé faute de combattants, le consensus mondial s'organise autour du modèle politique et économique occidental. Cette vision optimiste des choses fait contrepoids à celle de P. Hassner. Quoi qu'il en soit, il faut revenir au point d'interrogation qui figure dans le titre de ce livre. On pourrait répondre, selon les convictions des uns ou des autres, par « oui » ou par « non » ou bien - plus subtilement - par « OUI, mais » ou « NON, mais »...

Officiellement, le conflit Est-Ouest est bien terminé. L'utopie a fait faillite : le monstre du communisme en tant que système est mort en août 1991, La momie bouge encore, mais il s'agit d'un cadavre... La mort du soviétisme = la fin de la Guerre froide. Le point d'interrogation ne se justifie plus guère. Objection immédiate : si le communisme meurt à l'Est, en Europe centrale et orientale, dans l'ex-URSS, il n'a pas disparu de la surface du globe. Il perdure en Asie et d'abord dans la République populaire de Chine qui rassemble le quart de l'Humanité ; il subsiste en Corée du Nord, en Indochine (Viêt-nam, Laos, Cambodge) et dans les Caraïbes, à Cuba. Une nouvelle Guerre froide peut-elle opposer ces États [17] pro-communistes, se ralliant autour du bastion chinois, aux États occidentaux ? La théorie des dominos pourrait-elle jouer en Asie ? La contagion démocratique et l'économie de marché emporteront-elles aussi ces survivants ou ces dinosaures, maintenant accrochés à un modèle totalement discrédité par l'Histoire du XXe siècle ?

Autre remarque additionnelle qui conduit à la prudence : si le soviétisme a échoué, la démocratie et la propriété privée des moyens de production sont bien loin d'avoir gagné la partie à Moscou et dans les Républiques de l'Union nouvelle. Le modèle yougoslave menace les États voisins ; la balkanisation ou, si l'on préfère, la libanisation ne constituent-elles pas de dangereux défis pour l'ensemble de l'ex-bloc soviétique ? La menace du chaos ou de désordres à l'échelle continentale ne peut être exclue. Entre l'espoir d'un monde sans communisme et la crainte d'instabilités dangereuses pour la paix, il faut apprendre à gérer l'« imprévisible », l'« incertitude » entre un système international bipolaire qui meurt sous nos yeux et un système multipolaire qui n'est pas encore né. Nous ne sommes à l'abri ni d'un nouveau coup d'État en Union soviétique ni d'une prise de pouvoir par les seuls militaires. Les convulsions et les soubresauts qui ne manqueront pas d'affecter le passage du totalitarisme communiste à un régime de démocratie libérale, en Europe d'abord, en Asie ensuite, sont susceptibles de rallumer la Guerre froide. Dans ce cas, le point d'interrogation permet de ne pas perdre la face...

Tout cela se présentant au seuil du XXIe siècle et d'un nouveau millénaire, il faut déjà envisager la structure d'une société internationale sans États communistes. Nous entrons peu à peu dans un Monde post-communiste. Ce n'est toutefois pas la fin de l'Histoire, mais plutôt celle d'une époque ; ce n'est certes pas la fin du Monde, mais d'un monde centré sur le condominium soviéto-américain, né en 1945 avec l'effondrement de l'Allemagne, de l'Italie et du Japon. Un diplomate anglais après la chute du Mur de Berlin a dit fort justement : « Nous avons enfin gagné la guerre de 1939, il nous faut maintenant gagner la guerre de 1914 ». Après avoir effacé Yalta, il reste à effacer Versailles : après la fin de la division de l'Europe, travaillons au règlement des conflits de minorités et de nationalités. Le « Nouvel ordre international », cher au président Bush qui entend bien en dessiner l'architecture principale, passe par là. Il passe aussi par l'établissement de nouveaux rapports entre les États développés et les États sous-développés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Ce point nécessiterait un autre ouvrage...

Le lecteur est invité maintenant à découvrir les cheminements de la Guerre froide si remarquablement décrits par Gérard Bergeron, dans un style dépouillé, direct mais toujours nuancé. Cette étude est à la fois un [18] point d'arrivée et un point de départ. Point d'arrivée d'une période qui s'achève, point de départ pour de nouvelles réflexions sur un monde en pleine mutation. La nouvelle donne internationale démontre une fois de plus que ce sont bien les hommes et les peuples qui font l'Histoire, mais qu'ils ne savent pas l'Histoire qu'ils font. Observation qui explique sûrement les causes de l'échec de Marx, Engels, Lénine, Staline, Khrouchtchev et Brejnev. Et par conséquent du modèle communiste et du soviétisme. Le destin de l'Humanité ne dépend d'aucun déterminisme, fût-ce celui de l'économie et du système de production.

DANIEL COLARD,

Maître de Conférences à la Faculté

de droit de l'Université de Besançon

(Besançon, le 10 septembre 1991)



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 11 octobre 2010 19:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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