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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard Bergeron, Du duplessisme à Trudeau et Bourassa. 1956-1971. (1971)
Avant-propos de la première édition


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard Bergeron, Du duplessisme à Trudeau et Bourassa. 1956-1971. (Édition revue et augmentée de Du duplessisme au johnsonisme: 1956-1966.). Montréal: Les Éditions Parti-Pris, 1971, 631 pp. Collection Aspcets, no 2. Une édition numérique réalisé par par Diane Brunet, bénévole, guide, Musée La Pulperie, Chicoutimi. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

Avant-propos de la première édition

André Laurendeau



a) Pourquoi ce livre ?

Des lecteurs d'Isocrate dans Le Devoir avaient déjà suggéré à l'auteur de réunir ses articles en volume. Ces essais politiques perdaient à être débités en tranches de saucisson. En outre, leurs thèmes et leur contenu étaient plus vastes que l'occasion qui les suscitait. Mais ce que ces essais perdaient à être livrés en fragments quotidiens était peut-être amplement compensé par le fait de pouvoir toucher le large public du Devoir. Au lieu d'atteindre seulement le public restreint d'une revue d'idées, déjà installé dans son attitude anti-duplessiste et « converti à l'avance » à l'idée d'un impuissant il faut que ça change (qu'on n'avait pas encore frappé en slogan électoral), cette collaboration au Devoir fournissait l'occasion de rejoindre, aux quatre coins de la province, tous les citoyens politiquement conscients et socialement actifs, ainsi que les membres influents, à l'échelle régionale, de la « classe politique ». (Ce serait d'ailleurs une étude fascinante à mener que de rechercher les convergences et corrélations entre le public fidèle du Devoir et les citoyens qui, sur le plan local et selon des statuts très divers, exercent quelque magistère d'influence dans notre milieu.)

Plus récemment, quelques amis, déplorant la quasi-absence d'une littérature politique, au Québec, me suggérèrent que le moment était venu de réunir ces essais en recueil. J'ai regardé, avec les yeux de l'oubli partiel, ces textes, et me suis laissé convaincre à la relecture que, peut-être en effet, ces essais formaient un tout, non pas seulement en eux-mêmes, mais les uns par rapport aux autres. Une idée centrale les sous-tendait : l'urgence de commencer à se donner les moyens de quelque « révolution tranquille », qui paraissait alors si, si lointaine. Tout au moins, les textes de la première période (1956-1958) pourraient-ils présenter quelque intérêt d'histoire politique récente - toujours la moins connue, et souvent, la plus mal connue par ceux-là mêmes qui l'ont vécue. Pour mon propre compte, j'ai surmonté cette répugnance à livrer à la critique cette littérature hybride d'essais politiques, pour une part, analytiques sans prétendre à la rigueur scientifique et, pour l'autre, engagés, par les dispositions subjectives du citoyen inquiet, impatient, ou, si l'on y tient, « préjugé », inévitablement. J'ai cédé graduellement à la faiblesse de croire qu'il y aurait quelque utilité à contraster deux époques si rapprochées et pourtant si différentes. Il y avait dans les profondeurs de la « stagnation » les sources du « bouillonnement » actuel : ce qu'ignorent ou feignent d'ignorer les deux « générations » qui rompent des lances à l'heure actuelle, en un combat, peut-être inévitable mais en partie stérile, évoqué dans ma dédicace.

Enfin, l'insistance des responsables des éditions Parti Pris eut raison de mes dernières réticences. Car il va de soi que si j'avais à faire aujourd'hui l'étude de ces périodes, ce serait d'un point de vue plus intégrant ; mais il atténuerait le caractère d'ambiance particulière de ces papiers de circonstance.

*   *   *

Les séries d'articles, publiées entre juillet 1956 et avril 1958, constituent la Ière partie (la « stagnation »). La première moitié de la seconde partie (le « bouillonnement » actuel) se compose d'articles publiés entre janvier et juillet 1963. Des textes encore inédits, écrits en décembre 1966, complètent cette seconde partie en équilibrant l'ouvrage et nous situant dans la moins lointaine actualité que permet le temps de l'impression.

On m'a parfois interrogé sur la raison de cette rupture de la collaboration au Devoir pendant cinq années. André Laurendeau en fournit la raison dans sa présentation de la seconde partie (cf. I. INTERMÈDE, paragraphe c). Mais pour que le lecteur continuât d'être dans le coup, je lui livre, en la forme d'une brève chronologie, « l'enfilade d'événements-chocs “qui parlent par eux-mêmes” » en ces cinq années particulièrement chargées de notre histoire politique. Enfin, les faits politiques survenus entre l'été 1963 et la fin de 1966, étant suffisamment rapprochés de nous, il n'était nul besoin de les rappeler en séquence chronologique. En ce II. INTERMÈDE, l'auteur n'a toutefois pu taire quelque embarras de devoir « faire le point » en un moment où la situation politique est particulièrement fluide, comme conséquence du résultat électoral inattendu du 5 juin 1966.

Dans la mise en forme de ce volume, je n'ai procédé à aucun changement substantiel des textes originaux. Tout au plus, ai-je fait quelques corrections typographiques et... grammaticales, enlevé certains passages devenus anachroniques qui détourneraient de la ligne générale de l'argumentation. Il a fallu consentir, pour rendre intelligibles des détails oubliés ou qui n'ont plus l'importance qu'ils avaient, à quelques notes de bas de page, et qui sont, à cet égard, inédites. Les titres des parties et de leurs deux sections, ceux des chapitres, sont évidemment nouveaux, qui reconstituent les principes d'unité entre ces textes. Quelques interversions chronologiques ont facilité la construction de l'ensemble. Mais beaucoup de sous-titres des chapitres reproduisent les titres des articles publiés dans Le Devoir.

b) Pourquoi le pseudonyme ?

On m'a souvent interrogé sur la raison du pseudonyme d'« Isocrate ». Disons que c'est le premier nom qui me soit venu à l'esprit, sans y attacher de signification particulière. Ç'aurait pu être Xanthippe, Epaminondas ou Aristagoras, mais non Socrate, Léonidas ou Périclès, noms trop prestigieux et insuffisamment mystérieux. Un éditorial de La Réforme du 8 août 1956, quelques jours après la publication des 4 premiers articles, s'interrogeait : Qui est Isocrate ?

Sous la signature d'Isocrate, un lecteur du Devoir, observateur éclairé de notre politique, a répondu à l'appel de M. Laurendeau en lui adressant un véritable essai sur le comportement, les buts et le caractère pratique des forces d'opposition au Canada français. Sa conclusion - qui rejoint celle que nous avons publiée sous la signature du directeur de La Réforme - proclame la nécessité d'un regroupement des oppositions à l'intérieur ou dans les cadres raffermis du parti libéral provincial.

Qui est Isocrate ?

C'est la question que se posent depuis quelques jours déjà tous ceux qui s'intéressent de près à la politique provinciale.

Sera-t-on plus avancé si nous profitons de l'occasion offerte pour rappeler qu'Isocrate fut un homme politique d'Athènes qui prêcha l'union de tous les Grecs contre la Perse en ne reculant même pas devant l'alliance avec Philippe de Macédoine ?

Encore que cette alliance tourne au détriment d'Athènes et qu'Isocrate se donne la mort après la défaite de Chéronée, il paraît évident que dans l'esprit du correspondant du Devoir la comparaison demeure valable, du moins en ce qui concerne l'objet visé, et que nous devons aussi nous unir contre Darius-Duplessis.

Mais tout ceci ne répond pas à la question : Qui est Isocrate ?

Comme tout bachelier, ancien tâcheron helléniste, je me suis souvenu vaguement qu'Isocrate avait été l'adversaire malheureux de Démosthène, davantage sensibilisé au danger plus immédiat de Philippe de Macédoine ; mais, si ce nom était subsconsciemment remonté à ma mémoire, c'est, plus probablement, qu'il était considéré comme un auteur facile de versions grecques ! J'appris plus tard, au hasard d'une lecture, qu'il s'était donné la mort à l'âge de 98 ans. Tout suicide est tragique ; mais la longévité est un programme qui a tout de même ses limites !

Par la discrétion d'André Laurendeau, le secret de l'identité d'Isocrate fut rigoureusement gardé pendant plusieurs semaines. Ni Gérard Filion, directeur du Devoir, ni Paul Sauriol,  qui mettait les articles en page, ne surent pendant ce temps quel correspondant se « cachait » sous ce bizarre pseudonyme. André Laurendeau conclut sa présentation des premiers textes d'Isocrate par ces mots : « L'auteur, cette fois, a toutes les raisons de ne pas vouloir révéler son nom » (cf. paragraphe c).

Le contexte de cette présentation peut laisser entendre une crainte personnelle pour un « gagne-pain ». Puis-je préciser aujourd'hui que cette crainte n'était pas du tout personnellement ressentie ? Mais une certaine raison d'opportunité me suggérait toutefois un pseudonyme : certains membres de l'institution universitaire à laquelle j'étais attaché avaient déjà été l'objet de pressions indues de la part du premier ministre d'alors ; je ne tenais pas à ce que ces querelles, qui ne furent pas gagnées par le « boss », reprennent au sujet de ma petite personne. Il faut savoir faire l'économie de chicanes inutiles - d'autant que, la suite des articles allait le montrer, j'attaquais surtout les Libéraux pour leur opposition inefficace au duplessisme dont le caractère maléfique était en quelque sorte postulé,

Deux autres raisons, très personnelles celles-là, m'incitaient plus fortement à utiliser un pseudonyme. D'abord, je voulais parler en citoyen libre d'un régime, en principe, démocratique et qui le devenait de moins en moins. Mais comme ce citoyen était professeur de science politique, je ne voulais pas confondre cette dualité des rôles, ni, non plus, engager mon avenir scientifique par des articles de circonstance. En un mot, je me méfiais de la « première étiquette » - bonne ou mauvaise - en un milieu dont les mœurs de village de la faune dite « intellectuelle » sont le premier caractère flagrant.

Et aussi, j'ai voulu me payer le luxe d'une petite mystification personnelle. Comme ce correspondant au Devoir se trouvait à être professeur de science politique, certain tour analytique de ses papiers ne pouvait manquer d'être apparent. Qui, dans nos universités, pouvait bien être Isocrate ? On n'avait aucune piste de départ, comme plus tard, dans le cas du Frère Untel. Autour de moi, je participais pendant quelques semaines à ce petit jeu de société de deviner l'identité d'Isocrate. Je n'avais même pas à brouiller les pistes : à peu près tout le monde qui, dans nos facultés de sciences humaines, portait quelque intérêt à la politique du Québec, y passa, sauf le réel rédacteur de ces textes ! Personne ne me reconnut, pas même mes collègues immédiats. Ma « première étiquette » de soi-disant « spécialiste de politique internationale » me situait en dehors des hypothèses vraisemblables... Les idées d'Isocrate furent d'abord discutées pour elles-mêmes, en un complet in abstracto. Avouez que c'est une petite fantaisie que peu de gens qui écrivent dans le Québec se soient permise ... — rapport aux « mœurs de village » dont je viens de parler.

c) Pourquoi cette collaboration au Devoir ?

Parce qu'André Laurendeau me le demanda. Dans les circonstances suivantes : en juillet 1956, nous étions l'un et l'autre invités à participer à une émission de télévision portant sur je ne sais quelle question de politique internationale. En sortant du studio, la conversation s'engagea sur le « coup du 20 juin ». J'ai dû parler rapidement, quoique avec conviction, de mon dégoût et, beaucoup plus longuement, de mon impatience d'en sortir « en citoyen libre d'un régime, en principe démocratique, et qui le devenait de moins en moins ». Après un monologue d'autant plus passionné que je m'inquiétais de l'absence d'aucun sursaut, individuel ou collectif, de l'esprit démocratique en ce doux mois de juillet (la lettres des abbés Dion et O'Neill n'allait être rendue publique que plus tard), Laurendeau me dit : « Ces choses que vous me dites. pourquoi ne pas les écrire dans Le Devoir ? » Je répondis que, mes centres d'intérêt étant ailleurs, je ne me considérais pas un spécialiste de la politique québécoise, que d'autres devaient s'en charger, etc...

Mais les « autres » tardaient à s'en charger, justement, étaient distraits ou blasés, ou, plus simplement, pensaient à autre chose sur quelque plage ensoleillée. Trois semaines après la rencontre avec Laurendeau, « un beau matin » je fus en état de nécessité d'écrire (oui, sans blague, cela existe aussi parfois pour les écrivains politiques) un « papier ». L'après-midi même, j'écrivis le deuxième qui en appelait deux autres, qui furent rédigés le lendemain. Le tout fut envoyé au rédacteur en chef du Devoir qui chapeauta la série de la courte présentation suivante :

Nous commençons à publier aujourd'hui les réponses à notre enquête sur la politique provinciale. Comme c'était fatal, plusieurs se répètent : nous les résumerons ou n'en donnerons que des extraits.

Un fait remarquable : plus de la moitié de nos correspondants refusent de donner publiquement leur nom. Cela traduit exactement l'atmosphère morale du Québec : non point terreur, car personne ne risque sa vie, mais peur, car des gagne-pain sont en cause. Dans plusieurs cas la crainte paraît légitime. En d'autres, la prudence l'emporte nettement sur le courage et le goût du risque ne semble pas notre vice particulier.

La réponse dont nous publions aujourd'hui la première partie... est l'essai le plus fouillé qui nous soit parvenu. C'est une étude attentive des faits, de leurs causes et de leurs conséquences. L'auteur, cette fois, a toutes les raisons de ne pas vouloir révéler son nom.
André L.

Après cette première série, il y en eut bien d'autres à diverses périodes. Le résultat en est ce livre. Les textes qu'il rassemble ici n'avaient pas été conçus comme autant de chapitres d'un livre éventuel.



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 11 août 2009 9:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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