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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Gérard Bergeron (1922-2002), “L’appareil judiciaire.” Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Gérard Bergeron et Vincent Lemieux, L'État du Québec en devenir, chapitre 5, pp. 147-189. Montréal: Les Éditions du Boréal Express, 1980, 413 pp. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron.]

Gérard Bergeron

L’appareil judiciaire.”

Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Gérard Bergeron et Vincent Lemieux, L'État du Québec en devenir, chapitre 5, pp. 147-189. Montréal : Les Éditions du Boréal Express, 1980, 413 pp.

Introduction
Exposés de réforme générale
Le Barreau et la magistrature
Commissions d'enquête et services policiers
Droits fondamentaux et sécurité judiciaire
Conclusion

INTRODUCTION

De l'activité juridictionnelle et de l'organisation judiciaire, il en est au Québec comme partout ailleurs : ce sont sujets dont les recherches de science politique ne s'occupent guère et sans même sentir le besoin d'une justification. Cet abandon, qui ferait penser à une exclusion du domaine propre de la science politique, se comprendrait assez bien pour l'ensemble des relations juridiques qualifiées habituellement de « privées » et ressortissant, pour leur plus grande part, au domaine du droit dit « civil ». Encore que, et c'est là un phénomène marquant en notre époque, il y ait de moins en moins de matières indiscutablement privées ou civiles, l'État ayant plutôt tendance à publiciser ou à politifier de plus en plus les relations juridiques qu'on avait traditionnellement considérées comme privées et interpersonnelles, ou purement contractuelles.

Mais la mutuelle ignorance où se tiennent les travaux spécifiquement de droit public et ceux d'une science politique à objet institutionnel (et les établissements d'enseignement et foyers de recherche correspondants) s'explique beaucoup moins bien. Ce qui est patent par ailleurs en l'un et l'autre domaine, c'est que leurs travaux généraux les plus valables présentent toujours quelque aspect incomplet, tronqué même, surtout s'ils sont faits à l'enseigne générale de l'État. On passera vite sur le fait, peut-être causal mais révélateur à coup sûr, des bornages disciplinaires que les traditions et intérêts acquis universitaires ont jalousement délimités. On peut même trouver un certain avantage à cette non-communicabilité de deux disciplines, pourtant à ce point apparentées que l'une devrait être considérée comme le verso de l'autre : n'est-ce pas ce qui permet d'ailleurs à chacune d'elle de dire le plus qu'elle peut selon son angle propre, sans avoir à recourir au visionnement particulier de l'autre.

Mais cet avantage coupe court s'il conduit à dédoubler un même État historique en deux systèmes distincts, séparés, contradictoires même en partie ou en apparence : celui du juriste publiciste et celui de l'analyste politiste. Il faut dire d'emblée et avec insistance qu'il s'agit toujours du même État, considéré de deux points de vue globaux, mais d'une globalité propre à chaque discipline proclamant chacune son caractère de généralité. C'est tout de même un fait que praticiens du droit public et adeptes de la science politique ne se connaissent guère, s'interrogent encore moins, bien qu'étant mutuellement complémentaires. Et s'ils ne tirent pas profit de cette complémentarité, ils sont bien loin de s'en faire problème. Du point de vue du politologue, l'important c'est de se rendre compte que son collègue juriste, qu'il soit constitutionnaliste, administrativiste, fiscaliste, pénaliste ou internationaliste, s'occupe autant du politique que lui-même, bien qu'avec une tendance naturelle à laisser en arrière-plan les aspects de la politique de ce politique-là.

De l'univers juridique très vaste et diffus, détachons le système judiciaire, qui en est la structure formelle et visible d'organisation et de fonctionnement. On parlera alors de la justice ou encore de la justice, avec cette déférence calculée et bénéficiaire, comme lorsque les membres de la magistrature parlent d'eux-mêmes. Oublions pour un moment toges noires ou rouges bordées d'hermine, perruques et bonnets carrés, pour retenir l'idée même de la Justice. Elle se veut, se proclame même, valeur de Société et non d'État, se tient en retrait cloisonné de celui-ci pour revendiquer, bien sûr, sa chère et nécessaire « indépendance », mais aussi pour affirmer plus subtilement une qualité de transcendance dans sa spécificité [1]. Cela ne va pas sans quelque ombrage et suspicion réciproques. Se produisent avec des pouvoirs plus séculiers des heurts éventuels, rares mais presque toujours mal absorbés par les autorités judiciaires. De telles frictions sont peu perceptibles dans l'opinion, habituellement ignorante de ce qui est souterrain dans le politique. La raison en est simple et elle est de nature, puisque, comme le rappelait un de nos criminologues, « la machine judiciaire appartient à l'ordre du politique [2] », ce qui met en cause une certaine connivence entre les deux par situation générale d'ambiguïté.

La voilà, la grande impureté. La Justice est l'aile de spécialisation non politique d'un pouvoir hautement politique : celui d'un État qui prétend assurer un protectorat général de la vie sociale et une promotion de ses valeurs et normes les plus indispensables, sinon toujours les plus hautes. Par sa tâche de correction de l'injustice et de rétablissement de la justice violée, l'appareil judiciaire joue un rôle de feedback négatif à l'intérieur des réseaux plus longs et plus complexes qui trament le fonctionnement interne de l'ensemble de l'appareil d'État. Ainsi se visualise-t-il d'abord en retrait de ces circuits combien plus denses, qui font communiquer les grands organes de gouvernement, de législation et d'administration, en même temps qu'il s'y connecte pour un rôle adjuvant de correction et de stabilisation.

Cette nécessité même de fonctionnement, sans même considérer les schèmes de valeurs des gens de robe, fait que le droit, ou la justice, ou l'appareil judiciaire, n'est que peu ou rarement facteur de novation sociale et de changement politique : le droit est par nature conservateur, toutefois moins que ne le disent ceux qui l'attaquent sous ce rapport, mais plus que n'y consentent avocats et juges. Cette proposition a son envers dont l'importance devrait être suffisante pour que politologues et sociologues ne négligent pas dans leurs investigations l'activité juridique : novation sociale et changement politique ne sont pas acquis avec certitude dans une société tant qu'ils ne sont pas d'abord proclamés juridiquement puis consacrés judiciairement en même temps qu'administrativement.

Il s'agit toutefois d'une influence d'après-coup, après que les organes des types gouvernemental et législatif en ont d'abord décidé. juges et tribunaux sont proprement organes d'exécution comme administrateurs et bureaucraties, mais d'une exécution très particulière : inductive, par cas, sans droit de saisine, de bas en haut - tous caractères opposés à l'exécution administrative. Agents judiciaires et fonctionnement juridictionnel d'ensemble sont absents d'une dynamique d'origine qui s'enclenche hors d'eux et sans eux. Ils y participent toutefois à un second degré, comme exécutants auxiliaires et interprètes de « la volonté du législateur » ; mais c'est rarement avec quelque audace, plus fréquemment avec prudence, parfois même en ronchonnant. Ils travaillent au crible, à l'opposé de l'exécution administrative qui est, elle, générale et a priori, préventive plutôt que corrective, et qui suggérerait plutôt l'image d'une gigantesque spirale en mouvement perpétuel...

Le système judiciaire québécois n'a pas été un fer de lance des mouvements nouveaux de la Révolution tranquille. Il a suivi en retard, et partiellement, comme il est d'usage en pareilles situations. Ce fut dans la seconde décennie de la période considérée que les modifications les plus importantes se sont produites. Le tournant de 1969-1971 aura amené un certain facteur d'accélération par la sortie du premier rapport de la Commission Prévost ; mais il faudra attendre quatre années après la publication de la seconde tranche du rapport pour voir paraître le Livre blanc sur la justice, sous la responsabilité du ministre Jérôme Choquette, qui est l'autre exposé d'importance sur les projets de réforme du système judiciaire.

Au début des années 1960, par-delà les premières décisions d'urgence prises en quasi-catastrophe sous Georges-Émile Lapalme, surtout au sujet de la police provinciale (« la PP »), puis les décisions d'un Claude Wagner marquées au coin d'un autoritarisme détonnant avec le libéralisme nouveau, il y avait eu, en 1965, le phénomène presque ahurissant de nouveauté du congres très « auto-critique » du Barreau québécois. L'auguste corporation s'était mise tout à coup à se regarder elle-même sans trop de complaisance, alors qu'avait commencé à s'essouffler la dynamique de la Révolution tranquille. Cette espèce d'introspection collective faisait penser à celles que s'étaient administrés divers groupes sociaux dans les années 1950.

Avec la maturation progressive du programme du Parti québécois, beaucoup d'idées nouvelles furent alors véhiculées et discutées sans qu'on puisse encore parler d'un corps de doctrine judiciaire très élaborée [3]. La réanimation de la Ligue des droits de l'homme, sur le fond d'amertume qu'avait laissé les événements d'octobre 1970, fut un foyer de discussions critiques et de défense des droits fondamentaux pendant qu'une certaine démocratisation de la justice (aide juridique, cours des petites créances) commençait à se réaliser et en attendant que la Charte des droits et libertés de la personne ne soit finalement sanctionnée le 27 juin 1975.

La concision obligée de ces notes introductives risquerait de présenter un tableau plus positif que ne le fut la situation d'ensemble. Car subsiste encore en notre société quelque chose de ce qu'un futur ministre péquiste, mais qui n'est pas à l'administration du ministère de la justice, appelait les « mythes de l'égalité des citoyens devant la loi, de l'accessibilité à la justice, de sa neutralité, et le mythe qu'on n'a rien de l'État policier [4] ». Sous des titres différents, c'est à peu près le cheminement que nous allons suivre, voyant ces mythes à l’œuvre et à l'épreuve, si l'on ose dire, dans et par une société qui a au moins autant de mérite que son système judiciaire -lequel, à l'échelle des sociétés occidentales, reste toutefois assez présentable. Car on peut tout de même parler d'une dynamique judiciaire, quoique lente, de l'État au Québec.

Exposés de réforme générale

Sous des intitulés spécifiques, il sera question de la magistrature et du Barreau, des commissions d'enquête et de la réorganisation du système policier, des droits fondamentaux et de tentatives variées d'une certaine démocratisation de la justice. Considérons d'abord des exposés généraux de politique judiciaire pour des réformes d'ensemble. En prolongement des décisions, partielles et de circonstances, des ministres Lapalme et Wagner, jusqu'à 1966, deux noms s'imposent : celui de l'ex-ministre Yves Prévost, avec les travaux de la commission d'enquête qui allait porter son nom entre 1967 et 1971 ; et celui du ministre libéral, Jérôme Choquette, sous les deux ministères Bourassa, avec le Livre blanc sur la justice rendu public en 1975 sous le titre de La justice contemporaine.

De nombreux actes de terrorisme dans les années 1960, suivis d'accusations de sédition, du procès Vallières-Gagnon, du règlement municipal de Montréal interdisant les manifestations publiques, et auxquels s'ajoutait une prolifération de grèves dans les services publics et para-publics, avaient sensibilisé l'opinion publique à la nécessité d'un renouvellement du système pénal et policier, singulièrement dépassé par toutes ces agitations nouvelles. C'est dans cette ambiance juridique trouble que travailla la Commission d'enquête sur l'administration de la justice criminelle et pénale, instituée par un arrêté en conseil du ministère Johnson en date du 24 janvier 1967 [5]. Les premières tranches de son rapport furent rendues publiques au début de 1969 sous le titre de Principes fondamentaux d'une nouvelle action sociale. Vingt-sept mois plus tard - il y avait eu, dans l'intervalle, la crise d'octobre 1970 -, la seconde tranche paraissait sous le titre de La Société face au crime.

C'est d'une « philosophie globale » de l'administration de la justice que prétendait s'inspirer la Commission Prévost en s'appliquant à trouver le nécessaire « équilibre entre le respect des droits fondamentaux de la personne et la protection du groupe » et à donner « des objectifs et une âme » à la justice pénale. Cette dernière faisait trop souvent montre « de décisions irrationnelles et subjectives, quitte à les justifier ensuite par des distinctions souvent spécieuses entre l'intérêt de l'individu et la sécurité de la société ». Le ton nouveau de cette « introduction au rapport final » causa une surprise agréable dans divers milieux progressistes du Québec.

La Commission livrait aussi d'emblée toute une série de recommandations spécifiques, réservant pour des travaux à venir l'élaboration de leur bien-fondé et la précision de leurs modalités. Elles portaient sur des questions de considération générale comme une véritable déclaration des droits de l'homme, la sécurité judiciaire pour les gens à faible revenu, l'accroissement des pouvoirs de l'ombudsman, l'emploi systématique des sciences humaines (psychologie, psychiatrie, etc.) ; ou sur des questions spécifiques comme l'humanisation du système carcéral, l'élimination du cautionnement personnel lorsqu'il n'y a pas risques de fuite ou de récidive, la réorganisation du système policier, disséminé en quelque 400 corps de police, pour les ramener à un maximum d'une dizaine de corps policiers régionaux sous le contrôle d'une unique Commission de police, etc.

La Commission Prévost attirait encore l'attention sur la nécessité de résorber la dualité de juridiction des gouvernements fédéral et québécois en matière de correction. La magistrature et le Barreau étaient aussi mis en question pour n'être pas à la hauteur des besoins nouveaux ou nouvellement ressentis [6]. En particulier était signalé l'écart qu'on trouve fréquemment entre les pratiques et convictions sociales et le texte écrit qui, souvent les contredisant formellement, en devient inapplicable.

Mais les recommandations les plus hardies, au nombre de cinquante-six, portaient sans doute sur l'établissement d'un « régime de sécurité judiciaire universel, gratuit, autonome », ayant une autonomie complète sauf en ce qui regarde le budget et sur l'adoption de « la formule du procureur permanent du citoyen ». Enfin devait être établi un Conseil consultatif de l'administration de la justice qui, entre autres responsabilités, aurait celle de proposer au Cabinet une liste de trois candidats à la fonction d'importance toute capitale de directeur général du service de sécurité judiciaire. De même que sous le gouvernement Lesage, les travaux de la Commission Parent avaient pavé la voie à la démocratisation de l'enseignement, ainsi sous le gouvernement Johnson la première tranche du rapport de la Commission Prévost proclamait le droit fondamental à la sécurité juridique des citoyens, quel que soit leur degré de fortune. Car, comme le soulignait en interview l'un des commissaires, M. Laurent Laplante : « Dans notre système judiciaire, la poursuite est gratuite depuis 100 ans. Il est temps que la défense le soit aussi pour renverser le balancier de cette justice qui a les yeux bandés [7]. » Le système actuel de l'aide juridique est bien en deçà de ce beau rêve généreux [8].

La déposition du dernier tome du rapport de la Commission Prévost, La Société face au crime, deux ans plus tard en mars 1971, se fit « à la sauvette », selon l'observation d'un journaliste de la Tribune de la presse [9], bien que le travail de la Commission ait été loué par le nouveau ministre de la justice, M. Jérôme Choquette, promettant de donner suite à plusieurs de ses recommandations. Ce volume, sous-titré Omnibus, colligeait en ses mille pages les analyses, conclusions et recommandations qui, jusque-là inachevées, n'avaient pas trouvé place dans les volumes précédents. La Commission proposait l'institution d'organismes nouveaux pour l'étude et l'application d'un programme planifié en matière de justice pénale : une commission permanente d'enquête et de révision des lois pénales, un institut de recherche et de planification, une académie des juges du Québec [10], et une transformation du conseil consultatif de l'administration de la justice en conseil de la justice du Québec.

La société face au crime dénonçait le procès politique comme « une inanité et un danger » en soutenant que « le tribunal politique revêt toujours un caractère inquisitorial et ce danger constitue, pour la société, un risque infiniment plus grand que celui auquel font face ceux de nos criminels politiques qui sont traités comme des criminels de droit commun ». Le rapport voyait dans l'outrage au tribunal une disposition « odieuse », le magistrat étant juge dans sa propre cause. Il insistait aussi pour que la présomption d'innocence de l'accusé soit généralisée selon l'inspiration du droit « criminel » britannique. La Commission revenait sur la nécessité de regrouper les forces de police du Québec si l'on espérait pouvoir compter sur « une police efficace et d'allure professionnelle ». Elle prônait encore l'indépendance du Barreau et de « sa liberté à l'abri des interventions gouvernementales inutiles » pour une meilleure garantie de la protection de ces citoyens et pour faire « obstacle au procès politique ». Mais d'autre part, elle soutenait qu'« il n'est pas normal que le Barreau constitue un État dans l'État et il peut s'attendre à perdre certains de ces privilèges s'il ne répond pas de façon précise aux questions qui lui sont posées ».

Le plus notable dans ce rapport était sans doute l'insistance que la Commission mettait sur l'établissement d'un plan quinquennal pour permettre l'exécution progressive d'un programme d'amélioration et de réforme de l'administration de la justice pénale au Québec à l'aide des nouveaux organismes proposés : le Conseil de la justice, la Commission permanente d'enquête et de révision des lois, l'Institut de recherches et de planification. « Dès 1980, concluait en 1971 le président de la Commission, si nous sommes prêts à opérer, les réformes nécessaires, le Québec sera dans une meilleure situation qu'il l'est aujourd'hui pour lutter efficacement contre le crime [11]. » Nous sommes en 1980.

Plus que ses prédécesseurs à l'administration de la justice, MM. Lapalme et Wagner, MM. Bertrand et Paul, M. Choquette fit montre d'une préoccupation d'entretenir avec la presse et l'opinion en général un dialogue suivi. Une quinzaine de jours après la prise du pouvoir par le Parti libéral, en avril 1970, il disait en interview : « je souhaite que les citoyens voient en moi quelqu'un qui peut écouter et comprendre » tout en s'en prenant à la « tristesse » et même à l'atmosphère « morbide » entourant l'administration de la justice au Québec. Il se déclarait favorable à des initiatives qui allaient sous peu se concrétiser au moins partiellement : le principe des « tribunaux d'équité » en matière civile (petites créances), d'une charte de déclaration des droits (droits et libertés de la personne), d'un régime universel et étatique de « sécurité judiciaire » (aide juridique). Il décrivait le rôle d'un ministre de la justice comme étant celui d'un conseiller juridique du gouvernement et de l'Assemblée nationale dont l'exigence première est celle de « l'objectivité [12] ». Voilà pour l'esprit nouveau qu'il prétendait instaurer à l'austère ministère de la justice.

Quant aux mesures novatrices, elles allaient s'appliquer d'abord à un regroupement des services du ministère sous un même toit, dispersés qu'ils étaient en quelque treize locaux distincts du Québec métropolitain, puis sur une plus exacte répartition de tâches avec le département du Solliciteur général en attendant de voir s'il n'y avait pas lieu de se doter d'un véritable ministère de l'Intérieur comme dans plusieurs administrations étrangères. La carte d'identité obligatoire pour les citoyens, dont on avait beaucoup débattu à l'occasion des événements d'octobre 1970, faisait l'objet d'une étude intensive. Mais ce fut la réorganisation de l'ensemble des forces policières qui s'imposait en priorité [13], sans qu'il soit mis une sourdine au noble projet d'une déclaration des droits de la personne à introduire dans une éventuelle constitution interne du Québec, pour laquelle, selon un bel euphémisme, les Québécois ne sont « pas murs actuellement [14]. »

Ce ne sera donc qu'en mai 1975 que le ministre de la Justice du second ministère Bourassa publiera la pièce maîtresse de sa pensée judiciaire en la forme d'un Livre blanc sous le titre ambitieusement générique de La justice contemporaine. On mesurera à la fois le foisonnement de réformes pertinentes et leurs limites en se rapportant à la programmation plus exigeante de la Commission Prévost et à quelques critiques plutôt négatives dont nous ferons état par la suite.

Le regroupement en une Cour du Québec des tribunaux existants, à l'exception de la Cour d'appel et de la Cour supérieure, constituait la proposition structurelle la plus importante. La Cour du Québec aurait quatre divisions : les sections criminelle, civile, administrative, de la famille et de la jeunesse. Un autre bloc de recommandations concernant la magistrature comportait un intérêt presque égal : création d'un Conseil de la magistrature qui participerait à la nomination des juges et élaborerait un code de déontologie ; institution d'un Comité de contrôle pour régir la conduite des magistrats et d'un Centre permanent de perfectionnement des juges, reprise, avec le titre pompeux en moins, de l'idée de l'Académie des juges qu'avait lancée la Commission Prévost ; abolition des vacances judiciaires durant la période estivale et allongement des heures d'audience ; remise en question par le gouvernement du Québec du partage des juridictions entre les provinces et le fédéral dans le domaine de l'administration de la justice ; redécoupage des districts judiciaires ; renforcement des pouvoirs administratifs du juge en chef et des présidents de section ; etc.

L'idée d'une révision légale continue trouvait sa consécration dans la création d'une Commission permanente de réforme du droit. D'autres recommandations visaient à satisfaire des besoins sociaux exprimés depuis longtemps : création d'une Commission de protection de la jeunesse rattachée au ministère de la justice et dont les membres seraient nommés conjointement par les ministres de la justice et des Affaires sociales ; création d'un service de conseillers en gestion budgétaire pour aider les personnes qui recourent à la loi des dépôts volontaires ou à la loi de faillite. L'aide juridique devenait accessible aux associations sans but lucratif de même qu'une aide financière était offerte aux organismes bénévoles s'occupant de participation communautaire et de réinsertion sociale des détenus. La Cour supérieure pourrait bénéficier d'un service de consultations familiales et d'un service d'enquêtes sociales tandis que la Cour du Québec (section de la famille et de la jeunesse) aurait à sa disposition un service médical et psychiatrique.

Signalons enfin, parmi un grand nombre de dispositions ponctuelles, la réforme des lois en matière d'injonction, d'outrage au tribunal et d'applications des lois statutaires relatives au monde du travail ; l'indemnisation des victimes d'erreurs judiciaires ; l'adoption d'une loi sur la protection de la vie privée, en vue de régulariser les banques de données et les fichiers personnels ; des mesures visant à raccourcir les délais judiciaires ; l'adoption d'un règlement uniforme de circulation à travers tout le Québec ; l'abolition du jury dans les procès en matière civile ; la réforme complète du système des coroners et des commissaires aux incendies qui deviendront permanents. Il faut sans doute faire un sort particulier à la protection des sources d'information du journaliste mais sous la réserve importante que cette protection n'affecte pas l'issue d'un procès ou les intérêts de la justice, ce qui, selon les professionnels de la presse, équivalait presque à l'annuler.

Il y avait de tout, un peu pour tout le monde. Du point de vue politique était spécialement important le nouveau mode de nomination des juges avec la participation du Conseil de la magistrature examinant préalablement les candidatures, bien que la nomination elle-même « ne saurait être déléguée par le gouvernement à un organisme qui n'a pas de responsabilité parlementaire ou démocratique ». Selon l'interprétation du ministre de la justice, « cette réforme majeure aura pour effet de faire disparaître toute connotation partisane dans la nomination des juges [15] ». Les injonctions, dont 40% sont intentées à l'occasion de grèves, ne devraient plus relever des cours ordinaires mais faire l'objet d'un recours plus spécialisé et adapté relevant du tribunal du travail. Dans la même ligne de pensée, les cas de violation d'une injonction devraient être prévus à ce titre et n'être plus considérés comme un outrage au tribunal. Mais, par ailleurs, le retrait des plaintes au terme de négociations de travail devrait être rendu plus difficile car « la paix publique ne saurait être rendue négociable ». Une des grandes décisions, mais à la négative, du Livre blanc était probablement l'abandon de l'idée d'un ministère de la police dont le Livre blanc de 1971 sur cette question avait fait la proposition étonnante [16].

La Justice contemporaine fut accueillie diversement. On critiqua la structurite générale qui sous-tendait la plupart des réformes du Livre blanc. Il pouvait d'autre part faire état de toute une série de blocages constitutionnels [17] car, comme le reconnaissait le ministre lui-même, « dans le cadre actuel de l'AANB tout projet de réforme par les pouvoirs publics québécois du réseau de leurs tribunaux judiciaires ne peut avoir qu'une portée limitée » (en matière d'injonction, de tribunal de la famille, etc.). Le programme proposé des 187 recommandations devait s'étaler sur cinq ans ; un an et demi plus tard, le gouvernement Bourassa était renversé.

L'opération « dépolitisation » de la justice avait été assez bien réussie, mais beaucoup moins celle de sa « socialisation » ou de son accès plus facile pour les petites gens, ce qui n'avait pas constitué une idée prioritaire au grand désappointement de beaucoup de groupes sociaux : « Comme si la justice après s'être rapprochée du citoyen avait décidé de le bouder. Comme si le gouvernement avait épuisé, déjà, les ressources de la social-démocratie [18]. » La philosophie conservatrice du Livre blanc s'étalait en un long avant-propos autour du thème du couple ordre-justice et se retrouvait tout au long des recommandations, formant plutôt un puzzle de pièces détachées dont le paysage d'ensemble se dessinait mal. Un corps de pensée plus généralement constructiviste et tournée vers l'avenir ne s'y trouvait pas, comme l'avait mieux réussi en matière de justice pénale le rapport de la Commission Prévost quelques années auparavant. Une étude faite par trois criminologues concluait que le Livre blanc manquait « de souffle, d'audace, de créativité et d'imagination » et qu'il eut dû être « daté de 1960 au lieu de 1975 [19] ».

Pourtant le bilan général de l'administration de la justice sous le régime Bourassa, sous la houlette de son ministre de la justice, était loin d'être seulement négatif. La réorganisation structurelle des tribunaux, l'instauration du Conseil de la magistrature avec ses responsabilités nouvelles en matière de nomination des juges et de discipline corporative répondaient à des besoins ressentis depuis longtemps. Mais pour des raisons de limites constitutionnelles, les juridictions supérieures, la Cour d'appel et la Cour supérieure, n'avaient guère été affectées. Toutefois, « au plan des réalisations du ministère (...) il faut rendre à Choquette ce qui est à Choquette, concluaient des critiques à la dent dure : les cours des petites créances, l'aide juridique, la loi d'indemnisation des victimes d'actes criminels et l'institution du protecteur du citoyen, feront passer M. Choquette à la postérité beaucoup plus que ses livres blancs (sur la police et sur la justice) et viendront contrebalancer en partie l'image que l'histoire tracera du gouvernement et du ministre de la justice qui étaient en poste lors de la crise d'octobre [20] ». Au total, par suite d'un ensemble de problèmes cumulatifs dans les années 1960, et dont l'octobre 1970 avait été la crise-charnière en matière de justice pénale, les années du gouvernement Bourassa furent marquées d'une réflexion critique assez intense et d'un train de réformes ponctuelles non négligeables.

Le Barreau et la magistrature

Mystérieux pour le commun des mortels, l'univers juridique devient carrément mystifiant pour la plus grande partie des justiciables. Grosse machine dont les règles d'agencement sont mal connues, elle ne se présente pas selon un « mode d'emploi » aisé. Les magiciens qui la font fonctionner semblent n'utiliser que des rites symboliques et une langue ésotérique qui font, précisément, taire en impuissance ceux qui ne savent pas... Il peut se produire toutefois que les gens de robe eux-mêmes entrouvrent les portes du cénacle corporatiste et se livrent publiquement à une certaine introspection réflexive sur ce qui n'est finalement qu'un métier parmi d'autres.

C'est arrivé lors du congrès-vérité, autocritique, du Barreau du Québec au mois de mai 1965. Le terrain avait été bien préparé par l'envoi d'un questionnaire élaboré en novembre 1964 portant sur les différents aspects de la profession juridique, de ses modes actuels ou désirables de formation et même de son éventuelle syndicalisation au moins partielle. Le taux de participation avait atteint 19,3%, ce qui est un assez bon résultat pour une enquête du genre [21]. En envoyant ce questionnaire à ses collègues, M. jules Deschênes, déjà fort actif à ce niveau du Barreau comme président du comité de restructuration de la profession, insistait sur la nécessité que la profession entreprenne sa propre oeuvre de rénovation avant que l'État ne s'en charge lui-même sous la pression populaire. Il s'agissait, selon le discours-thème du bâtonnier du Québec, M. Yves Prévost, de répondre à la question : « Pouvons-nous dans le Québec continuer à pratiquer notre profession à l'intérieur des cadres traditionnels tels qu'ils ont été établis au milieu du siècle dernier ? Si l'on en juge par les réponses au questionnaire, il semble bien que les grandes lignes de ces cadres conviennent à peu près à tous [22]. »

Cette interrogation et la réponse fournie indiquaient le chemin qui restait à faire sur des points aussi cruciaux que le recrutement à la noble profession - via d'autres diplômes que le baccalauréat des collèges classiques ou non ; que la formation terminale - via des écoles spécialisées autres que les facultés de droit traditionnelles ; que les sanctions disciplinaires - à publiciser au moins dans l'ensemble du réseau judiciaire ; que la syndicalisation libre dans une profession spécialement jalouse de son autonomie - alors que 30% de ses membres étaient devenus salariés ; etc. Des problèmes plus globaux se posaient au Barreau qui se mettait à en discuter ouvertement dans un congrès où la presse accordait une « couverture » inédite. S'élevèrent des discussions : premièrement à la base, celle de l'assistance judiciaire et du rapport avec les justiciables pécuniairement moins favorisés ; aussi, au sommet, celle des rapports de cette corporation, sortie tout droit du milieu du siècle précédent et presque inchangée, avec un État de plus en plus envahissant dans le champ de la vie sociale et des relations contractuelles tenues pour être jusque-là privées ; enfin, au milieu, au sein de la profession elle-même, éparpillée en autant d'organisations que de districts judiciaires, et qu'il fallait unifier.

Tout cela peut sembler au début des années 1980 comme de bien faibles progrès sociaux qu'il conviendrait certes de ne pas exagérer ! Mais en rapport à la situation prévalente et qui avait persisté depuis un siècle, ce réveil du corps des avocats au milieu de la décennie 1960 était un phénomène considérable : il s'appliquait à prendre le pas de la Révolution tranquille avant que celle-ci ne s'arrêtât. Et cela grâce à des animateurs fort actifs, et qui allaient encore plus s'imposer en d'autres qualités sous peu, un Jules Deschênes, un Yves Prévost. De ce dernier, nouvellement élu bâtonnier de la province de Québec, extrayons ces passages de son discours-programme, plaidant pour « une philosophie du droit » : « ... je voudrais que notre droit soit en quelque sorte motivé par les idées philosophiques que nous croyons justes » ; et « je ne veux pas accabler le barreau d'une responsabilité qui n'est pas la sienne, mais je me demande s'il ne pourrait pas ouvrir la voie au dialogue (...), contribuer au moins techniquement à la fondation d'un institut d'études juridiques qui grouperait des juristes, des philosophes, des sociologues, des économistes et des politologues (sic). Cet institut pourrait diriger un centre de sciences politiques et économiques et un centre de sciences juridiques [23]. »

Cet éveil et ces premières tentatives de renouvellement ont été davantage le fait de quelques membres du Barreau que de celui-ci comme corps constitué ; mais ils contrastent avec le peu de dynamisme gouvernemental à la même époque sous un ministre de la justice ennuyé dans l'exécution d'un pensum [24], puis sous son successeur que son tempérament et les circonstances de son entrée en politique [25] allaient faire concentrer son attention sur les responsabilités policières. Ce dernier d'ailleurs s'en prenait à « une poignée dévastatrice d'indésirables [26] » au sein du Barreau ; mais les mots les plus forts allaient à l'encontre de ces théories échevelées qui n'ont d'autre visée « que de substituer le désordre et la confusion là où existent l'ordre et la justice [27] ». Le bâtonnier Prévost, pour sa part, devant la solennelle assemblée des juges à l'occasion de la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire 1965-66, revenait sur ses propos du printemps précédent : « Le malaise qui existe actuellement au sein du Barreau de la province vient du fait que celui-ci essaie de faire face à des difficultés de la seconde partie du vingtième siècle avec des institutions qui sont nées au milieu du siècle dernier, et qui depuis n'ont guère subi de transformations substantielles [28]. » L'ex-ministre de l'Éducation et ex-bâtonnier, devenu juge lui-même, allait présider la Commission portant son nom dont il a été fait état des principales recommandations plus haut.

En 1966, le Barreau du Québec commanditait une vaste enquête en deux parties (questionnaire à ses membres, enquête sur l'image de la profession dans le public). Le rapport, intitulé Les Avocats du Québec : étude socio-économique, fut déposé au Conseil général du Barreau en août 1968 et rendu public en avril 1969. Deux traits en ressortent : d'abord ce que le bâtonnier d'alors, Louis-Philippe de Grandpré, appelait « la propension évidente de la profession à pratiquer l'auto-critique » ; ensuite, l'image peu flatteuse que le public se fait de ses membres qui semblent « former un groupe social passablement homogène, à tendance conservatrice et qui se recrute plutôt dans la classe sociale la plus favorisée [29] ». Ni dans l'échelle de l'utilité sociale, ni dans celle du prestige professionnel, les avocats ne figurent bien haut : ils sont loin des médecins et professeurs, à égalité avec les notaires et en avant des architectes. On les soupçonne d'entrer dans la carrière pour faire beaucoup d'argent ou pour se lancer dans la politique - motifs aussi impurs l'un que l'autre. Les anglophones, les Montréalais (parmi lesquels se trouvent la plupart des précédents) et les personnes d'un certain âge recourent plus souvent aux services d'un avocat que les gens des classes moins favorisées : d'ailleurs, leurs honoraires sont considérés trop élevés dans une proportion d'un client sur deux. Ces résultats sont assez constants avec ceux de plusieurs sondages et d'enquêtes approfondies faits depuis.

C'est au tournant des années 1970 qu'on assistera à quelques échanges vifs entre avocats et hommes publics, libéraux ou péquistes. À M. René Lévesque, qui avait fait de sévères critiques aux avocats sur leur manque de sens social, M. Claude Gagnon, alors bâtonnier, lui fit une verte réplique en l'accusant de répéter « des rengaines qui ont peut-être intéressé les historiens et les sociologues il y a 25 ans ». Et d'énumérer une série de réformes prônées depuis longtemps par le Barreau et que le chef ou le programme du Parti québécois n'avaient fait que reprendre à leur compte : collaboration avec l'Office de révision du code civil ; suggestion de la création d'une Commission permanente de révision des lois ; améliorations à apporter en justice pénale et dans le système carcéral ; recommandations de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, etc. Mais le désaccord était total avec le chef du Parti québécois sur le système « étatique » d'assistance judiciaire, dispensé par des fonctionnaires. Le barreau assurait depuis une quinzaine d'années son propre service d'assistance judiciaire que l'État avait été amené, du reste, à subventionner de plus en plus. « Le Barreau a pris position et continue de le faire sur bien d'autres questions d'intérêt public, telles l'utilisation des tables d'écoute, la codification des règles des régies et commissions, l'uniformisation de leurs règles de procédure, la création d'un tribunal administratif [30]. »

Deviendront autrement plus corsés les rapports entre le Barreau et le ministère de la Justice. C'était au printemps 1972, à l'époque de la discussion des très importants projets de lois sur le Code des professions et l'aide juridique gouvernementale ainsi que de la nouvelle loi des petites créances qui venait d'être adoptée l'année précédente. La première question mettait en cause la nature même du Barreau et ses intérêts corporatifs traditionnels. Les deux autres avaient rapport à des gagne-pain diminués et moins assurés. Au sujet de ces trois questions éclatait le classique conflit des générations, les jeunes avocats s'ouvrant plus naturellement aux nouveaux courants sociaux. Dans un débat de son congrès annuel, « qui a frôlé le dramatique à plusieurs reprises [31] », les membres du Barreau se trouvaient divisés entre eux sur la question de la syndicalisation (à trancher par voie de référendum), sur l'aide juridique (selon trois conceptions pro, anti-gouvernementales ou attentiste), sur la représentativité du Conseil général de l'ordre dans les négociations en cours avec les autorités gouvernementales. Un observateur judicieux des choses juridiques, devenu éditorialiste au Devoir, concluait : « Presque tous les média prévoyaient le déclenchement d'une guerre à finir entre le Ministère de la justice et le Barreau. La surprise aura été que le Barreau se scinde d'une façon aussi parfaite et n'oppose au programme de M. Choquette qu'une moitié de ses effectifs. Cela change tout. En effet, le lobby des avocats, qu'on croyait d'ailleurs monolithique et tout-puissant, ne peut plus faire croire a personne qu'il représente la totalité de la profession la veuve et l'orphelin avaient le sourire aux lèvres [32]. »

Au début du congrès, le bâtonnier, M. Yvon jasmin, avait fait une charge en règle contre le gouvernement au nom du principe de la séparation des pouvoirs : « Non satisfait de dépouiller le pouvoir législatif de ses fonctions propres et de refuser au judiciaire sa régie autonome, voilà que le pouvoir exécutif veut, sous le couvert de la protection du public et sous le prétexte de la standardisation, contrôler indirectement et paralyser les activités de notre corporation professionnelle (...) On peut se demander bien simplement : Qui sera la prochaine victime ? Le monde des affaires ? On peut également se demander si nous ne sommes pas à mettre en place les mécanismes voulus pour favoriser au Québec l'avènement d'un régime que je me vois forcé de qualifier de dictatorial [33]. » Le ministre de la Justice, piqué au vif, ne put s'empêcher de crier aux faussetés. Un mois plus tard, à la Commission parlementaire sur la justice, il répondit au représentant du Barreau, M. jean Moisan, en revendiquant les privilèges des élus dans l'organisation de l'aide juridique et de la nomination de ses principaux responsables : « Vous ne trouvez pas que vous en demandez beaucoup ? Après tout, que ce soit le Barreau qui impose au gouvernement le président et le vice-président qui sont les deux seules personnes permanentes de cet organisme, je trouve que c'est franchement dépasser la mesure [34]. » Au nom de leur parti respectif, MM. Rémi Paul et Robert Burns appuyèrent en l'occurrence le ministre de la justice.

Il est des échanges de propos qu'il convient de ne pas résumer pour leur laisser toute leur portée et leur saveur. Terminons par une citation du juge Robert Cliche, juge en chef adjoint de la Cour provinciale. L'occasion : le congrès du cent vingt-cinquième anniversaire du Barreau du Québec, en mai 1974, auquel avaient tenu à participer trois juges de la Cour suprême, le juge en chef, Bora Laskin, et Louis-Philippe Pigeon et Philippe de Grandpré. Le propos du juge Cliche : « Le Barreau me fait penser à cette vieille cocotte qui, voyant ses traits se faner graduellement devant son miroir, cessa de se regarder, croyant ainsi mettre fin à des signes de vieillissement précoce [35]. » Mais la « vieille cocotte » ne manquait pas de jeunes prétendants. On dénombrait 7500 avocats au Québec en 1975, soit presqu'un triplement en l'espace de dix ans ; avec une population sensiblement égale, la Suède assurait sa vie juridique avec cinq fois moins de disciples de Thémis.

*  *  *

Surplombant les tumultes du prétoire et avec la mission même de les trancher, ayant sans cesse revendiqué une position privilégiée et relativement isolée des autres pouvoirs, la magistrature a toujours tendance à réagir sur le tard et plutôt faiblement à la critique sociale. Dignité, sinon noblesse, exige... En outre, la magistrature, striée à l'horizontale et à la verticale en plusieurs juridictions autant rivales que complémentaires, ne présente pas une unité organique comparable à celle du Barreau par exemple. Elle peut se réunir en assemblée de juges, faire montre d'un esprit de caste, mais elle ne peut exprimer la volonté collective d'un corps constitué. Elle est un état ou une spécialité, qu'on peut considérer comme un achèvement dans la profession, mais elle-même n'est pas une profession, ni une association ou corporation.

Si la magistrature n'a pas de voix ou ne peut parler d'une seule voix, des voix parmi les magistrats se font entendre parfois. Et, singulièrement ces récentes années, celle d'un Robert Cliche ou d'un jules Deschênes. L'activité politique du premier et son rôle à la tête de la commission d'enquête qui portait son nom [36] en ont fait une figure bien connue du grand public. Le second fut remarqué dans la profession juridique et les milieux judiciaires lors de son accession à la magistrature comme juge en chef de la Cour d'appel du Québec en 1972. Un an et demi plus tard, les autorités fédérales le nommaient juge en chef de la Cour supérieure du Québec. Depuis lors ses jugements, marqués au coin de l'acuité et de la rapidité, sont attendus comme des espèces d'« événements politiques », surtout lorsqu'ils portent sur des questions d'une aussi chaude actualité que la sentence d'emprisonnement imposée aux trois chefs syndicaux lors de la crise du printemps 1972 jusqu'à, plus récemment, la constitutionnalité de certaines parties de la loi 101.

Jules Deschênes aime affirmer que la justice « est administrée pour les hommes et non pour les lois » ; il s'ensuit que « si les juges sont les serviteurs de la loi, cela ne veut pas dire qu'ils en sont les esclaves, nuance ! » En outre, s'il est naturel que « dans une société tranquille où il ne se passe rien, les tribunaux se concentrent sur des litiges de nature privée », quand « la société devient plus agitée » au contraire, il faut s'attendre à ce que se manifestent « des groupes qui semblent avoir des intérêts en cause et qui cherchent les moyens de les faire valoir, les protéger et les faire sanctionner [37] ». Posant la question « le droit vit-il à l'heure de la société ? », le juge Deschênes répondait à l'affirmative : « La thèse que je voudrais défendre, c'est que le reproche de conservatisme que l'on adresse au monde juridique est généralement mal fondé. Le législateur se montre de plus en plus conscient des besoins de la société et lorsqu'il n'y répond pas avec suffisamment de célérité les tribunaux, souvent sous l'aiguillon de la doctrine, se chargent par une interprétation agressive et progressiste de mettre le droit au diapason de la société dans laquelle ils oeuvrent. » Et de se livrer ensuite à une série d'exemples concrets et récents en matière de législation, doctrine et jurisprudence, « les trois piliers sur lesquels j'aimerais fonder le raisonnement [38] ».

La question type de l'immixtion contestable du judiciaire et de la politique est celle de l'utilisation de l'injonction dans le règlement des conflits de travail. La décision du juge Deschênes en date du 16 septembre 1974 concernant les requêtes d'injonction par la CTCUM à l'encontre du syndicat des transports (CSN) de Montréal a été à cet égard historique. En bref, cette décision affirmait que ce n'est pas au système judiciaire de suppléer aux carences du système politique en ces matières. Si, « dans le domaine privé, d'une part, on assiste depuis peu à une sorte d'explosion du recours à l'injonction qui semble en passe de devenir une procédure ordinaire, ou du moins que l'on considère comme telle », on voit d'autre part des situations sociales où « un groupe de salariés décide, comme en l'espèce, de prendre la loi entre ses propres mains et de violer son contrat collectif de travail ». Et c'est alors que la scène est prête « pour le déroulement d'un scénario bien connu : l'employeur demande à notre Cour, qui ne peut la refuser dans le cours normal des choses, l'émission d'une injonction défendant la grève et ordonnant le retour au travail ».

Mais quand « des groupes entiers ont compris qu'ils pourraient, par une simple résistance passive, enrayer le mécanisme judiciaire et rendre impossible le gouvernement politique », nous entrons ainsi « dans l'ère de la désobéissance civile ». Il y a d'autres façons de régler « ce genre de conflit socio-économique, même s'il se traduit au départ par une violation de la loi ». Citons encore cette admonestation finale aux autorités gouvernementales : « Cet effort d'imagination, cette adaptation nécessaire aux réalités de notre temps, c'est d'abord le pouvoir politique qui doit s'y astreindre. Il n'a pas le droit de laisser le pouvoir judiciaire être saisi de ces conflits sociaux dans le cadre insatisfaisant de nos lois actuelles. Il n'a pas le droit de se décharger sur le pouvoir judiciaire de son obligation politique et d'abandonner la solution de ces conflits à la seule arme extrême de l'outrage au tribunal (...) D'ici à ce que l'autorité politique trouve des remèdes appropriés à la solution de ces conflits sociaux, je suis d'opinion que la Cour supérieure ne doit pas prêter son autorité à l'écrasement d'une masse de citoyens par l'amende et la prison (...), ne doit pas collaborer à un geste voué d'avance à l'échec et impropre à résoudre un conflit qui relève maintenant, depuis un certain temps, de l'autorité politique [39]. »

Ce texte, qui aurait pu être écrit de la meilleure encre d'un éditorialiste énergique, fut généralement approuvé par la presse, louangé même par des milieux syndicaux pendant que les cercles gouvernementaux et patronaux trouvèrent plus opportun de se tenir cois. Une critique universitaire, sociologique et juridique, se fit par ailleurs plus exigeante. Jacques Dofny crut utile d'interroger le juge sur la « philosophie » et la « sociologie » à la base de ses « réflexions sur l'état de la société », qui ont « souvent l'allure de jugement ». Ces considérants dont nous n'avons pu faire état lors des citations du jugement déjà suffisamment longues, le sociologue les reprend en interrogations qu'il adresse au juge : ils portaient sur les (présumés) rejets de l'autorité et de l'amoralisme généralisé, ainsi que sur la politisation des masses (non présentée par le juge comme un progrès social). La critique d'un groupe de quatre juristes de l'UQAM s'est faite plus corrosive en s'en prenant non à la décision du juge qui leur « apparaît purement opportuniste », mais au « discours social et politique qui s'en dégage ». Et « l'acquis principal de cette bataille judiciaire pour le mouvement des travailleurs, c'est probablement d'avoir amené le pouvoir judiciaire sur ce terrain, en exacerbant les contradictions du système et en acculant les tribunaux dans une impasse d'où ils ne pouvaient sortir qu'en se compromettant sur le plan socio-politique (...) Que le juge Deschênes se refuse à jouer le rôle de matraqueur des ouvriers, on le comprend. Mais on ne peut lui pardonner de souhaiter implicitement que d'autres jouent ce rôle [40]. » Les juges ne répondent pas aux commentaires portés sur leur jugement. Le juge Deschênes resta silencieux. Le gouvernement Bourassa n'avait lui-même pas réagi au jugement du juge Deschênes, ce qui ne prouvait pas que l'avertissement n'avait pas été entendu [41].

La question plus générale des rapports entre le pouvoir gouvernemental et le pouvoir judiciaire, spécialement au sujet du mode de nomination des juges, rebondit de temps en temps dans les débats publics portant sur des questions institutionnelles. On ne s'étonnera pas qu'un des intervenants autorisés soit le juge jules Deschênes ! En une circonstance très « académique » au sens exact du terme [42], il s'en est ouvert à ce propos pour conclure à la supériorité de notre système canadien sur les modes de carrière à la française ou d'élection à l'américaine. Reste toutefois le reproche, qu'on fait classiquement, d'un risque de partisanerie dans notre mode de nomination des juges. D'abord ce reproche a beaucoup moins de fondement qu'il ne semble ou qu'il n'en avait naguère. S'appuyant sur les travaux de Guy Bouthillier, un rarissime politologue québécois à porter intérêt au phénomène judiciaire, le juge en chef de la Cour supérieure fait observer une tendance décroissante à nommer des juges ayant un clair passé politique [43], tant et si bien qu'à la Cour supérieure tout au moins, « la proportion des hommes politiques est tombée à 4% ». Il opinait encore qu'il n'était pas nécessaire d'établir une école de la magistrature pour les futurs juges qui sont « une élite de diplômés, dans la force de l'âge, forts d'une expérience substantielle de l'exercice de la profession juridique et habitués des tribunaux ». Une certaine initiation immédiate et diverses formules de discussion et de recyclage y pourvoient suffisamment [44].

De façon générale, aussi bien les membres du Barreau que les magistrats de diverses instances estiment que notre système, tout en étant le meilleur, est susceptible de beaucoup d'améliorations sous la forme de meilleures consultations entre les divers corps intéressés, et de choix mieux orientés à partir d'une liste [45], ou encore sous la forme d'une préparation plus adéquate dans l'immédiat de la nomination ainsi que l'avait proposé la Commission Prévost. Un récent bâtonnier du Québec, M. Viateur Bergeron, attirait l'attention sur la distinction très nette à établir entre les tribunaux ordinaires et les nombreuses régies ou commissions qui, dans leur champ propre, détiennent des pouvoirs juridiques très étendus, le plus souvent sans appel, comme la Commission des affaires sociales, la Commission des accidents du travail, la Commission des transports, la Commission des loyers, la Régie de l'assurance-automobile, etc. « Si l'on veut créer des régies et faire en sorte qu'une grande partie de la justice soit rendue par des régisseurs au lieu des juges, disait le bâtonnier, il faut appliquer aux uns et aux autres les mêmes critères ; il faut les assujettir aux mêmes exigences quant à leur nomination et il faut assurer leur contrôle de la même façon et non pas par l'éventualité d'un non-renouvellement de mandat. » Ce point soulève la très intéressante question théorique de l'immixtion des fonctionnements administratif et juridictionnel que nous avons nous-même étudiée dans un contexte plus large [46]. On rappellera seulement comment, devant ces organismes ou régies, l'individu peut se trouver à découvert sans la protection d'un avocat pour sa défense. Selon le bâtonnier Bergeron, il trouve devant lui des fonctionnaires « sans doute animés de bons sentiments, mais mal préparés pour remplir leur fonction et qui, avec les meilleures intentions, finissent en jouant tous les rôles, juge, avocat de la demande et avocat de la défense, par empêcher que la justice soit finalement rendue ». Il proposait finalement une constituante ou des états-généraux de la justice ou une table ronde d'où « pourraient sortir des propositions d'amendements à nos lois et au régime que nous connaissons et qui semble, malheureusement, se développer en dehors de ceux qui y sont intéressés [47] ». Mais l'idée de cette contre-offensive professionnelle des praticiens de la justice dans le champ des organismes administratifs autonomes ne semble pas avoir eu de suite.

À l'occasion de leurs différentes agapes, des gens de robe invitent des observateurs de l'extérieur à venir les rencontrer pour leur exposer leurs réflexions sur le fonctionnement de la justice et l'organisation de la magistrature elle-même : ainsi, ces dernières années, un Claude Ryan, un Léon Dion. Le thème qui fait recette est évidemment celui du moyen de contenir l'expansionnisme du gouvernement ou du « pouvoir exécutif » se prolongeant en administration envahissante [48]. Mais il arrive aussi que des gens qui occupent des rôles clefs dans l'appareil judiciaire se font servir des « vérités assez sèches », comme ce fut le cas pour les procureurs de la Couronne au début de novembre 1970 - en pleine crise de cet automne-là - par M. Claude Ryan. Les procureurs de la Couronne - ou substituts du procureur-général, selon l'autre formule courante à l'élégance non moins discutable - tenaient alors le premier colloque de leur association. Certains firent état de menaces qu'ils recevaient fréquemment à l'époque, ce qui ne simplifiait pas leur tâche. L'heure était à la sérénité difficile.

Le directeur du Devoir avait écrit en janvier 1970, à l'issue du procès de Pierre Vallières, un article estimé dur, qui enjoignait le gouvernement à choisir des juges et des procureurs de la Couronne avec une plus grande culture historique et politique pour être à même de comprendre mieux les motifs idéologiques qui peuvent animer certains inculpés. À ce colloque la discussion devint assez vive sur ces thèmes, au point qu'on proposa, à la suggestion du journaliste, de la prolonger plutôt en rencontre privée. C'est toute la question des procès politiques, par suite d'actes de terrorisme et de ses rapports avec les droits fondamentaux de l'homme, qui se trouvait posée en une ambiance spécialement dramatique. Aussi une partie des débats se déroulèrent-ils à huis clos pour disposer de questions aussi graves que les accusations de conspiration pour sédition sous l'empire de la Loi des mesures de guerre. Le directeur du Devoir put tout de même expliciter les huit « attentes » majeures que la population est en droit d'attendre d'un procureur de la Couronne. L'ensemble constitue une espèce de code de préparation professionnelle et de déontologie pour faire face à des agitations politiques nouvelles, à l'intelligence desquelles la culture juridique traditionnelle ne prépare pas spécialement. D'autre part, le procureur de la Couronne est aussi en droit de voir son statut et ses fonctions mieux définis, ce qu'il conviendrait de négocier plutôt que de se les voir imposés « d'en haut » par les pouvoirs gouvernementaux [49].

L'arrivée au pouvoir du Parti québécois allait soulever des appréhensions chez beaucoup de juges et d'avocats. Le bâtonnier du Barreau du Québec, M André Brossard, s'en était fait l'écho lors de son discours d'adieu au mois de mai 1977. Après avoir rappelé la tradition d'apolitisme du Barreau, qui doit continuer, il se demandait : « Que s'est-il donc passé le 15 novembre dernier ? Beaucoup plus qu'un simple changement de gouvernement. C'est une modification profonde de l'échiquier politique qui a vu accéder au pouvoir un nouveau gouvernement, qui a une philosophie sociale bien déterminée, qui s'appuie sur un programme d'action politique précis et sur des engagements électoraux formels, et qui vise, surtout, un objectif fondamental qui, a ses yeux, doit être le moteur premier de ses décisions et de ses actions », ce qui entraîne une modification substantielle des « règles traditionnelles du jeu politique auxquelles nous étions habitués ». Cette préoccupation nouvelle s'ajoutait aux problèmes spécifiques dont étaient déjà conscients les avocats : une « surpopulation » dans la profession ; envahissement de leur champ d'activité par d'autres professionnels : notaires, comptables, évaluateurs professionnels, conseillers en relations industrielles, pendant que « d'autres champs de pratique menacent de vous être retirés ou sont grugés par des directives administratives » (aide juridique, petites créances, assurance-automobile). D'autre part, « deux dangers internes » menacent la profession : « une division de nos forces au sein d'organismes multipliés mais visant des fins identiques » ; « l'autre danger, peut-être relié au contexte du 15 novembre, provient d'une certaine politisation de nos effectifs, normale dans une société démocratique (...), mais dangereuse, lorsqu'elle risque de mettre en péril la viabilité et l'existence du Barreau [50]. »

Par suite de l'adoption de la loi 40 instituant enfin le Conseil de la magistrature en juin 1978, un malaise analogue se fit sentir chez les juges du Québec. À l'ouverture de l'année judiciaire en septembre 1978 le conférencier invité, M. Léon Dion, affirmait que « le gouvernement du Québec tient la magistrature dans une dépendance administrative de plus en plus exaspérante (...) Par suite de la nouvelle conception de la législation, le judiciaire est pris en charge par l'administration. Il s'érode, s'étiole, s'émiette, se dépouille de sa juridiction traditionnelle au profit d'un nouveau pouvoir tentaculaire et despotique. Plus fondamentalement encore que la politisation du pouvoir judiciaire ou que la judiciarisation du pouvoir politique (...) ce processus entraîne la déjudiciarisation de la justice (...) En outre, il prive les justiciables de leur droit de recours aux tribunaux de droit commun et souvent de tout droit d'appel... » Mal payés en comparaison de leurs homologues nommés par les autorités fédérales, les juges du Québec n'ont pas de plan de carrière avec programme de perfectionnement, de recyclage et d'années sabbatiques. « Tout se passe comme si le gouvernement du Québec prenait plaisir à humilier ses propres juges. Il ne devrait pas y avoir au Québec de petits et autres juges... » Le conférencier détaillait par la suite les « cinq voies principales de redressement [51] ».

Le colloque de la Conférence des juges du Québec, tenu deux mois plus tard à l'enseigne paradoxale de « l'inexistence du pouvoir judiciaire », fut l'occasion pour quelques juges d'exprimer leur ressentiment au grand jour car, pour la première fois, ce colloque était « ouvert » au public et aux journalistes. En particulier, les magistrats en avaient contre le nouveau régime de retraite imposé par la loi 40, exigeant une contribution monétaire et « gelant » l'ancien système, forçant ainsi les juges à racheter les années antérieures au taux du salaire actuel. « jamais un syndicat n'aurait accepté une pareille spoliation [52] », disait le juge Guy Guérin de la Cour des sessions de la paix et chancelier de l'Université de Montréal, qui interrogeait ainsi le gouvernement : « Qu'est-ce que nous sommes pour vous ? Que voulez-vous que l'on devienne ? Des juges ou des fonctionnaires [53] ? » Ce fut la note dominante bien qu'il fut question de bien d'autres sujets moins prosaïques à ce colloque auquel participèrent des invités de l'extérieur, MM. Camil Samson, Fabien Roy, Serge Fontaine et Claude Ryan au nom de leur parti respectif [54], M. Alfred Rouleau et les professeurs Léon Dion et Patrice Garant.

Le nouveau chef du Parti libéral avait plutôt tendance à excuser son parti d'avoir voté en faveur de la loi 40 en troisième lecture, tout en faisant ressortir quelques bons côtés et suggérant aux juges de mener leur cause par la voie de la recherche, de discussions publiques et d'une action positive sur l'opinion qui doit avant tout être informée. Les deux universitaires exprimèrent des points de vue opposés. Lorsque M. Patrice Garant déclara que « l'actuel gouvernement du Québec est le premier à avoir mis sur pied des mécanismes de nomination des juges qui offrent à la collectivité de véritables garanties d'objectivité », le journaliste de La Presse, qui rapportait ces propos, précisa : « ... on entendit dans la salle des murmures exprimant les plus grands doutes. » Quand M. Léon Dion enjoignit les magistrats à se comporter en « groupe d'intérêts » et même, « si ce n'est pas assez fort, il faudra vous syndiquer », le même reporter ajouta encore : « ... sans que cette ultime suggestion ne recueille quelque applaudissement [55]. » Cette continence n'infirmait pas l'assentiment sur les autres affirmations de M. Dion selon lesquelles il y a « un danger présent de subversion du judiciaire par l'exécutif [56] », et, qu'en bref, « les juges sont malheureux [57] ». L'on ne saurait parler de mutuel « préjugé favorable » entre le gouvernement du Parti québécois et la magistrature.

Commissions d'enquête et services policiers

On a hésité à traiter des commissions d'enquête sous l'intitulé précédent de la « magistrature ». Comme compromis on en traitera en conjugaison avec le très vaste domaine de la police, leur raison d'être se trouvant, pour ainsi dire, à cheval entre les activités judiciaires et policières. Peuvent être considérées comme typiques la Commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale dans la construction (dite Commission Cliche, du nom de son président, le juge Robert Cliche) et la Commission d'enquête sur le crime organisé (dite Commission de la CECO). Sont dans une classe spéciale les enquêtes parallèles aux niveaux fédéral-canadien et provincial-québécois, et en quelque sorte complémentaires et rivales, les Commissions McDonald et Keable sur les agissements de la Gendarmerie royale du Canada, respectivement sur les territoires canadien et québécois.

Depuis l'enquête présidée par le sénateur Kefauver sur le crime organisé aux États-Unis, dans les années 1950, la chasse publique au crime est un spectacle d'une haute densité dramatique et à forte participation populaire, surtout s'il se fait devant les caméras de télévision. L'emprise de chefs et réseaux de la pègre sur certaines activités syndicales est un phénomène assez fréquent qui déborde à la fois les réglementations publiques elles-mêmes et les organisations syndicales normales. La situation syndicale dans l'industrie de la construction, spécialement dans les chantiers de la Baie James, était un cas notoire de tels abus. Pour y voir clair et afin de pouvoir agir en conséquence, le gouvernement de Robert Bourassa institua en 1974 la Commission sur la liberté syndicale dans la construction. Elle était présidée par le juge Robert Cliche, juge en chef adjoint de la Cour provinciale et ancien leader du parti NPD-Québec ; les deux autres membres étaient M. Bryan Mulroney, avocat et futur candidat au leadership du Parti conservateur fédéral en 1976, ainsi que M. Guy Chevrette, ancien vice-président de la CEQ et futur député péquiste en 1976. La Commission produisit un volumineux rapport suivi de nombreuses recommandations. Le tout s'accomplit en moins d'un an, ce qui constituait un résultat d'une célérité particulière.

La nature et le mandat d'une telle commission étaient généraux, au moins mixtes sinon imprécis : « Il ne faut pas mêler l'ordre des pouvoirs », déclarait le président après que la Commission eût achevé son rôle. « Notre Commission était une forme de tribunal quasi judiciaire (et vers la fin surtout, on a peut-être été très judiciaire dans la façon de percevoir les choses). Le judiciaire s'est prononcé. Il appartient maintenant à l'exécutif (gouvernement) de proposer des solutions qu'il pense devoir proposer et il appartient au législatif (Parlement) de les débattre [58]. » On s'abstiendra d'évoquer les réactions fort diverses dans le public, qui sont allées de l'opinion d'un acte nécessaire d'assainissement syndical qui avait trop tardé à celle d'une vaste manœuvre anti-syndicale. De façon plus restreinte, on observera que, sur le plan judiciaire, le rapport de la Commission, après avoir colligé les pièces d'un dossier accablant, ne recommandait pas l'emprisonnement au terme de ce qui paraissait plutôt être un assez terrible réquisitoire qu'une étude en profondeur.

Un point fondamental de droit mérite d'être relevé au sujet du principe de présomption d'innocence. Il se trouvait inversé en celui de présomption de culpabilité « dont la commission voudrait charger ceux qui semblent responsables d'un arrêt de travail illégal. On s'approche là d'une sorte de loi anti-casseurs, poursuivait M. Laurent Laplante, et ceci surprend fort de la part d'une commission par ailleurs passablement libérale. On ne trouve d'ailleurs pas de présomption comparable dans le cas d'employeurs responsables d'un lock out [59]. » C'est encore l'avis de M. jean Boivin qui y voyait « la seule recommandation dangereuse à long terme (...) (mais) cette mesure doit être interprétée dans le contexte global du rapport qui suggère de la limiter pour le seul temps où les mises en tutelle seront en vigueur [60] ». Cette recommandation fut encore attaquée par plusieurs dirigeants syndicaux ainsi que par la Ligue des droits de l'homme. Réponse du président de la Commission : « La présomption ne change rien. Le fardeau de la preuve oui, mais cela ne présume pas de la culpabilité. C'est une présomption quant à la preuve. Nuance importante (...) On a jugé que c'était bon. On l'a décidé à l'unanimité. » Pourquoi cette mesure ? « En s'appuyant sur les malaises qui existaient dans l'industrie de la construction (...) (et sur) la difficulté d'établir des preuves face à ce qu'on avait vécu des mois et des mois. Les réticences des témoins à parler (...) parce qu'ils ont peur de se faire casser les jambes, c'est ce qui les force à commettre des parjures ou à se taire. Il n'y a rien de répugnant là-dedans, ce n'est pas antidémocratique [61]. »

Cette présomption de culpabilité quant à la preuve nous est apparue un point plus important à relever que la hâte que montra le gouvernement, qui avait établi la Commission, à s'exonérer d'une situation où quelques-uns de ses membres et de ses administrateurs avaient été impliqués. Quant à l'opposition officielle, le Parti québécois prit une position nuancée et circonstanciée sur le rapport, approuvant l'essentiel des recommandations avec quelques réserves sur les structures proposées. Et tout en se disant « favorable à la mise en tutelle temporaire des quatre syndicats mentionnés par la Commission Cliche, afin d'y rétablir la démocratie, le Parti québécois s'oppose à ce que cette tutelle soit gouvernementale [62] ».

La Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO), instituée en 1972 par un mandat d'enquête confié à la Commission de police du Québec, est devenue à certains moments un spectacle de grande popularité à notre télévision, au point, selon la Ligue des droits de l'homme, de s'assimiler à un « tribunal des media [63] » : la saga de « la viande avariée », le numéro à la Godfather des chefs des maffias montréalaises, italienne et canadienne-française, soutenaient l'intérêt du public avec la représentation d'une réalité au moins égale à la fiction. L'ex-procureur de la Commission Cliche et aujourd'hui juge, M. Jean Dutil, en devenant président de la CECO en 1975 avait du reste insisté sur la nécessité d'impliquer le public. Il précisait en outre que ce n'était pas des « accusés » mais des « témoins » qui comparaissaient devant la Commission. « D'ailleurs, il ne s'agit pas d'un procès et notre Commission ne peut condamner personne, sauf pour outrage. »Bien que la Commission appliquait « la prescription de présentation de la preuve à huis clos, avant la présentation en public [64] », le public de la télévision se trouvait à assister à des défilés de fort étranges « témoins »... Si ce n'avait été de courageuses représentations de la Ligue des droits de l'homme [65], l'opinion publique n'aurait guère été dérangée dans son approbation instinctive à la lutte la plus ferme possible au crime organisé qui, lui, n'est pas très « regardant » quant à ses procédures d'action.

La CECO dont le mandat a été renouvelé jusqu'au 30 septembre 1980 a, avec les années, quelque peu affiné ses méthodes de travail dans un esprit de plus grande discrétion. Mais il n'en demeure pas moins que les modes de travail de ce type de commission s'apparentent aux procédés ambigus de la « justice parallèle ». Dans des circonstances exceptionnelles, il est souvent requis de recourir à des moyens exceptionnels. Par ses moyens propres la CECO a pu pénétrer plus efficacement des milieux hors d'atteinte de la police en brisant des réseaux et gangs et en libérant plusieurs citoyens de chantage et de craintes insoutenables. Mais ses moyens d'investigation et d'interrogatoire faisaient que beaucoup de « témoins » étaient présentés comme des « suspects », sinon comme des accuses, présumés coupables car le doute semblait jouer contre eux. Un mémoire de la Ligue des droits de l'homme, présenté au ministre de la justice en novembre 1978, soutenait même que « la CECO agit comme s'il existait au Québec un crime (qui n'est pas prévu au Code criminel) d'appartenance à des groupes reliés par cette commission à la pègre ou au crime organisé, c'est-à-dire, un délit par association... » La CECO « fait trop souvent fi du principe que non seulement justice doit être rendue, mais qu'elle doit aussi apparaître rendue. Elle ignore ce principe dans le traitement de ses témoins -accuses -coupables (...) Elle le fait en leur collant toutes sortes d'étiquettes injurieuses et en ne leur reconnaissant aucun droit à la dignité ou à l'honneur [66]. »

Un moyen d'exception qui dure pendant huit ans n'a plus un mandat ad hoc et marginal. Il doit pouvoir finir par s'intégrer organiquement au système judiciaire normal, quitte à pouvoir compter sur une escouade policière plus spécialisée et aguerrie pour lutter contre le crime hautement organisé. Pour beaucoup de gens, en effet, la justice - la bonne, l'efficace, la vraie, en un mot - c'est celle dont ils voient la puissance correctrice, pour ne pas dire vindicative, se manifester spectaculairement sur les écrans de télévision ou à pleines pages illustrées des journaux [67].

*  *  *

« Le Canada a perdu à tout jamais son innocence [68] », déclarait le ministre fédéral de la Justice, John Turner, en appuyant la « loi prévoyant des pouvoirs d'urgence provisoire pour le maintien de l'ordre public au Canada » (dite « loi Turner »), destinée à remplacer la « loi des mesures de guerre » proclamée le 16 octobre 1970 à l'occasion des événements que l'on sait. Après six mois d'application de la loi Turner, le premier ministre du Québec déclarait que le premier ministre du Canada faisait « preuve de mollesse, d'illogisme et d'inconséquence [69] » en ne reconduisant pas la loi Turner. À quoi M. Trudeau répliqua qu'on retournerait à la loi des mesures de guerre si nécessaire. Mais « l'âge de l'innocence » canadienne avait déjà commencé à s'évanouir dès avant la crise d'octobre.

Le gouvernement central avait institué à la fin des années 1960 une Commission royale d'enquête sur la sécurité nationale, dite Commission Mackenzie [70] qui avait produit son rapport en juin 1969. Entre autres recommandations de la Commission, retenons la principale, proposant la création d'un organisme non politique qui assumerait les fonctions d'un service de sécurité indépendant de la RCMP/GRC. Le service de sécurité serait sous la responsabilité d'un ministre désigné à cet effet mais il devrait également avoir la prérogative de s'adresser directement au premier ministre, tout en étant « dans une certaine mesure indépendant du gouvernement au pouvoir ». Cette recommandation fut rejetée par le gouvernement Trudeau préférant pour les questions de sécurité continuer de « faire appel à la Gendarmerie royale, moyennant quelques modifications dans ses structure [71] ». Des journaux titrèrent en grandes manchettes que c'était un refus à une CIA canadienne [72].

Et il y eut l'octobre 1970 au Québec...

Depuis lors, la GRC est devenue un sujet de discussions et de critiques, de scandales et d'accusations - et d'enquêtes ! Les différents solliciteurs généraux du Canada, MM. McIlraith, Goyer, Allmand, Fox, se virent, à des titres divers, mis en cause par des activités présumément illégales de la GRC Des groupes spéciaux de sécurité furent institués pour conseiller le premier ministre du Canada. Mais, comme on l'apprendra plus tard, la GRC apparaîtra assez peu « sécuritaire » dans ses responsabilités de sécurité. Le journaliste Kirty McKinsey de la Presse canadienne écrira au début de 1980 : « Plus de dix ans après qu'une commission royale eut déclaré dans son rapport que tout service de sécurité devrait inévitablement enfreindre la loi, le gouvernement continue de débattre la question, à savoir jusqu'où peut aller la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour protéger la sécurité nationale [73]. » Le point de vue prévalant dans les services de sécurité fut que c'est la loi qui devrait être changée pour que ces opérations illégales ne le soient plus [74]...

La question de la sécurité allait prendre encore plus d'acuité avec l'arrivée au pouvoir à Québec d'un parti démocratique mais aussi sécessionniste. Deux commissions, l'une québécoise, la Commission Keable, et l'autre fédérale, la Commission McDonald, allaient être établies pour faire enquête sur les comportements des membres de la GRC et sur les directives de ses officiers. Ces trois dernières années, les travaux de ces commissions alimentèrent l'actualité journalistique avec des révélations aussi sensationnelles les unes que les autres, aussi bien du côté des policiers que de leurs responsables politiques. Parmi les rebondissements les plus inattendus, on relèvera cette espèce de revendication rétroactive de certains ministres au « droit de ne pas savoir » les actions concrètes des autorités policières, n'ayant donc pas eu à décider a priori de leur légalité.

Tout cela qui n'est certes pas facile à démêler, même au plan de la simple narration de ce qui a percé dans le public. La Commission Keable, chargée d'enquêter sur les activités de la GRC sur le sol québécois, a vu sa constitutionnalité attaquée plusieurs fois devant les tribunaux et ses travaux, souvent enrayés, puis relancés par des décisions judiciaires. Présidée par un avocat et non un juge, elle avait été instituée d'abord pour enquêter sur un seul fait : la perquisition illégale par des membres de la Gendarmerie dans les locaux de l'Agence de presse libre du Québec en 1972. Ce fut sous la pression des partis d'opposition que le gouvernement central s'était finalement résigné à instituer sa propre commission, royale, au mandat beaucoup plus large, et présidée par le juge David McDonald, assisté des avocats Rickerd et Gilbert.

Les travaux des deux commissions n'étant pas terminés, de nouveaux épisodes de la guérilla judiciaire étant toujours susceptibles de se produire, nous devons, surtout dans le cadre d'un développement incident, couper court à ces questions éminemment complexes et assez troubles de leur nature. Non sans avoir, toutefois, rappelé quelques interrogations fondamentales. D'abord celle de la sécurité-légalité qui est posée depuis la fin de l'ère de « l'innocence » ; celle de la sécession par des moyens démocratiques (toute la question du security risk des péquistes à l'emploi de l'administration fédérale) ; enfin, tout ce cafouillage policier-administratif-judiciaire-constitutionnel à deux niveaux fédératifs de gouvernement, qui est l'objet de libres débats publics et parlementaires, de contestations judiciaires et de commissions officielles d'enquête en chevauchements compétitifs, peut-il servir en même temps à l'exercice de droits fondamentaux des individus et à l'expression de libertés collectives ? Ultimement, ce sont les aspects contradictoires, de dogme incontestable ou d'objet contesté, de notions premières comme celles de « sécurité nationale » et d'« intégrité nationale » qui sont mis en cause.

Par une bizarre ironie, c'est par un appel à un ancien commissaire de la GRC que le premier gouvernement de la Révolution tranquille commença la réorganisation de la Police provinciale du Québec. Il y a vingt ans, les Mounties avaient meilleure renommée qu'aujourd'hui et les temps étaient aussi moins troublés. C'est la « PP » qui, sous le régime duplessiste, avait plutôt mauvaise réputation. Elle était toute de carences : en effectifs, en compétence, en discipline, en coordination, en réputation d'intégrité. Ce qui existait était à refaire ; la police au Québec était surtout à faire. Voici la situation que trouva M. Josaphat Brunet, ancien commissaire de la GRC lorsqu'il en assuma la direction en août 1960 : « Le prestige était à zéro ; police gouvernementale à la fois vouée et soumise à l'action politique, la PP du Québec n'était prise au sérieux par aucune autre organisation policière au monde (...) Le procureur général de l'époque, M. Lapalme n'était pas des plus intéressés [75], et puis ça manquait d'organisation au ministère. je ne veux faire le procès de personne, mais la police provinciale dépendait du département du procureur général, et si vous faites un rapport de cause à effet avec l'état de la PP à mon arrivée [76]... ». Avant de parler de réorganisation ou de restructuration, il fallut procéder à des congédiements [77], à l'établissement de normes de sélection et de conduite, à l'embauche de « gens qui s'y connaissaient » qui provenaient, non pas par hasard, des services de la RCMP [78]. Ce n'est qu'au début de 1963 que put commencer une véritable réorganisation générale de la PP selon un plan de développement de cinq ans.

Et il y aura « le samedi de la matraque »...

Ce samedi, 10 octobre 1964, de la visite de la reine à Québec sera une étape marquante et d'accélération dans l'organisation des services policiers au Québec, d'autant qu'un nouveau procureur-général venait d'être nommé la semaine précédente, M. Claude Wagner. On n'épiloguera pas sur la date fameuse et ses deux grandes interprétations nullement incompatibles : le plus grand mythe créé par les media au Québec, selon le ministre responsable qui venait d'entrer en fonction ; et un bluff gigantesque et réussi pour internationaliser la cause de l'indépendance du Québec, selon M. Pierre Bourgault, président du RIN de l'époque. L'opposition de l'Union nationale réclamait une enquête publique sur le comportement de la police, s'appuyant sur des éditoriaux de M. Claude Ryan, qui reprochait au procureur général de confondre « le champ de la légalité avec celui de ses convictions générales ». Et le chef de l’Union nationale de s'en prendre au rapport du procureur-général à la télévision « sur un ton qui ne souffre pas la moindre réplique, comme s'il tenait absolument à ce que tout le monde sache quel jugement il rendrait, lui, s'il était le tribunal d'appel [79] ». Il n'y aura pas d'étude impartiale et à ciel ouvert sur la question. Le premier ministre tranchait avec impatience : « Oublions le passé pour ne penser qu'à l'avenir ».

« L'avenir » allait être fait de la prolifération d'actes de terrorisme, de la rocambolesque histoire du « camion blindé » qui ne servira jamais et encombrera beaucoup, de la mise à pied du sergent Arthur Vachon, président de l'Association des policiers provinciaux, pour ses idées de gauche, etc. Aux nombreuses accusations venant d'horizons multiples, principalement de la CSN, de vouloir instaurer un État policier, le ministre de la Justice répliquait par la défense et l'illustration d'un « État protégé » qui s'impose « lorsque les forces de l'ordre savent réprimer d'une main forte les manifestations qui infailliblement mènent à des désordres orchestrés d'avance par des anarchistes à la cervelle d'oiseau, qui se servent trop souvent hélas des jeunes gens bien intentionnés. État protégé lorsque ceux qui sont chargés de l'ordre savent faire entendre à ces bouffons dangereux qui n'ont de l'idéologie séparatiste que le désir de la violence, le seul langage qu'ils comprennent. État protégé lorsque des écrivailleurs sans scrupules qui s'occupent beaucoup moins de la cité juste et beaucoup plus de la cité libre, sont traduits devant les tribunaux pour justifier leurs tentatives d'assassinat par la plume, etc. [80] » Ce texte et d'autres presque autant véhéments constituaient un des revers d'une Révolution tranquille s'achevant et peut-être commençant à se contredire.

On rappellera que cette idéologie du law and order trouvait de profondes résonances dans l'opinion et un appui ferme dans certains journaux [81]. Derrière cette effervescence se profilait la question du droit aux manifestations publiques dont la réglementation allait constituer un problème aigu dans les années à venir. Comme le déclarait le chef de l'opposition officielle, M. Daniel Johnson : « Plus se répand le goût de la violence et de l'illégalité, plus il devient urgent de mieux définir les droits fondamentaux de la personne humaine et de consolider du même coup le règne de la loi [82]. » Surtout après la démission du directeur de la Sûreté provinciale, M. Josaphat Brunet [83], le ministre de la Justice semblait avoir revêtu l'uniforme du policier-chef au Québec, trouvant encore utile de s'informer à Paris, des méthodes de la police française et d'établir une espèce d'Interpol au Canada.

Les années de l'Union Nationale au pouvoir n'allaient pas être plus calmes, ni plus aisée la tâche du ministre de la justice M. Rémi Paul, devant la multiplication des manifestations publiques et des actes de terrorisme. À la fin août 1969, le ministre énonça une politique en « dix points » pour enrayer la dernière vague de terrorisme : patrouille spéciale ; nouvelle brigade anti-terroriste ; surveillance des édifices publics ; appel aux media pour plus de sobriété dans la « nouvelle terroriste » ; prime à la dénonciation ; collaboration du public ; éventualité d'une loi cadre pour permettre aux municipalités de réglementer « le droit de réunion publique extérieure » ; contrôles divers sur la distribution et la manipulation de la dynamite ; étude plus poussée des dossiers d'immigrants ; appel à la coordination de tous les corps policiers du Québec. Le justificatif d'une telle politique était exprimé en un langage d'une violence inouïe : les terroristes étaient présentés comme des « invertébrés rampants... », des « êtres rampants qui n'ont pas le courage et l'honneur de signer leurs entreprises révolutionnaires... », qui « iraient jusqu'à vendre leur mère pour se procurer les munitions... », qui « n'osent même plus sortir de leurs caves malsaines qui puent la vermine... » et qui ne sont enfin qu'une « poignée de malades qui veulent semer la haine au Québec ». En bref, « le terroriste humain n'est même pas un être humain [84] ».

M. Claude Ryan trouva ces propos « folichons » et affirma : « Le terroriste demeure, M. Paul, un être humain [85]. » L'ancien ministre de la justice, M. Wagner, trouva que ces mesures arrivaient trop tard après une « inaction de trois ans qui a permis aux terroristes de s'organiser [86] ». Le premier ministre, M. Jean-Jacques Bertrand, déclarait pour sa part « que ceux qui rêvent du « Grand soir » aillent vivre ailleurs ». Quant au ministre de la justice, il était sans ferme propos de ne pas recommencer : « Si c'était à refaire, j'emploierais encore le même langage, dans les mêmes conditions, sur le même sujet [87]. » C'est ainsi qu'on luttait contre une certaine inquiétude populaire à un an de ce qui allait être connu comme « la crise d'octobre ». Mais l'événement policier du siècle allait se produire plus tôt, en l'octobre qui venait sous peu.

Car il y eut la grève des policiers à Montréal le 7 octobre 1969...

Ce fut tout un « grand soir » ! La page qui suit n'ouvre pas un roman d'anticipation ou de science fiction ; elle est du reporter de La Presse : « Pendant 16 heures et demie hier, les policiers ont fait la grève. La réaction de la population montréalaise a pris l'allure d'un crescendo : hier matin, on s'est contenté de stationner aux endroits interdits, hier après-midi, les hold-ups se sont multipliés et hier soir un policier a été tué. La journée du 7 octobre s'est terminée dans l'anarchie. Rue Sainte-Catherine, boulevard Dorchester, des centaines de vitrines ont été pillées. Une soixantaine de blessés, dont un grave (un policier provincial) ont été hospitalisés. Il y a eu quarante arrestations. Les policiers de Montréal, qui avaient passé la journée au Centre Paul-Sauvé ont repris le travail à 0 h 30, sous la menace de sanctions contenues dans une loi d'exception et d'urgence adoptée tard par le gouvernement québécois. Les pompiers, qui avaient également débrayé hier matin étaient à leur poste cette nuit. Ce matin la situation était sous contrôle, mais on se demandait encore quelle serait la réaction des policiers et des pompiers qui sont retournés au travail contre leur gré. Dans la soirée d'hier, l'énervement a atteint son paroxysme lorsque le ministre de la justice, M. Rémi Paul, a demandé l'aide de l'armée canadienne pour renforcer les effectifs plus qu'insuffisants de la police provinciale. Un peu après minuit, un bataillon du 22e Régiment de Valcartier arrivait à Montréal et se plaçait sous les ordres de la PP [88] ».

La moralité de cette histoire est dans sa narration même. Elle confirmait que la police est autant le début que la fin de la sagesse civique. A contrario, elle montrait comment, sans grève de policiers, une grève générale ne peut déclencher un début d'insurrection. Elle prouvait jusqu'à la frénésie contagieuse le caractère indispensable des policiers : à défaut d'eux, ce sont les militaires ! Elle illustrait encore que tout groupe humain, organisé en syndicat, peut se comporter en syndicat, justement : des cris « Drapeau au poteau ! » se firent entendre au Centre Paul-Sauvé. Tandis que le premier ministre Bertrand disait espérer « qu'il ne s'agit là que d'un égarement passager », le chef du Parti québécois, M. René Lévesque, voyait chez certains dirigeants syndicaux « une immaturité incommensurable qui les mène, avec une fréquence croissante, à des sommets de plus en plus vertigineux d'irresponsabilité [89] ».

Certes une telle exaspération ne pouvait être un fruit spontané : les policiers se disaient « écœurés » des injustices qu'ils subissaient depuis une dizaine d'années : « C'est la parité de salaire avec Toronto ou rien ! » disait le président du syndicat des policiers de Montréal, M. Guy Marcil. Un sondage effectué à Toronto aussi bien qu'à Montréal montrait qu'à part les vandales, les auteurs de hold-up et les émeutiers, les groupes qui étaient les plus à blâmer étaient les policiers et leurs représentants syndicaux, davantage que les administrateurs de Montréal ou que le gouvernement du Québec.

En cet automne agité de 1969, bien d'autres groupes de protestation que le syndicat montréalais des « responsables du maintien de l'ordre » s'étaient manifestés. Sans qu'il n'y ait d'autre lien que paradoxal avec la grève des policiers du 7 octobre, le comité exécutif de la ville de Montréal rendait publique une réglementation visant à interdire des manifestations « lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire que la tenue d'assemblées, de défilés ou d'attroupements causera du tumulte, mettra en danger la sécurité, la paix ou l'ordre public » (art. 5 du règlement). Ce règlement soulèvera de vives protestations dont la célèbre manifestation, pour protester contre l'interdiction de manifester, de 150 femmes qui s'étaient enchaînées les unes les autres le 28 novembre 1969. Une déclaration d'un groupe d'universitaires [90] proposait plutôt de réglementer cette liberté par des mesures concrètes de bonne prudence que de la supprimer. Un opposant assez inattendu à cette mesure, le premier ministre du Canada lui-même, laissait aussi entendre qu'il désapprouvait cette réglementation de l'administration Drapeau-Saulnier et confirmait que le ministre fédéral de la justice en étudierait la légalité constitutionnelle [91]. Déjà une montréalaise, Madame Claire Dupont, en contestait la constitutionnalité en Cour supérieure du Québec. Ce sera le début d'une interminable guérilla judiciaire. Au printemps 1970, la Cour du bien-être social déclarait le fameux règlement ultra vires et inconstitutionnel. Quelques mois plus tard, la Cour supérieure abondait dans le même sens. Mais cette décision allait être renversée, en octobre 1974, par un jugement contraire de la Cour d'appel. L'affaire n'allait se terminer qu'en janvier 1978 - en Cour suprême du Canada dont six juges sur neuf maintenaient que la ville de Montréal n'avait pas outrepassé ses pouvoirs en promulguant une telle réglementation, qui, en particulier, n'allait pas à l'encontre de. la Déclaration canadienne des droits non applicables aux lois provinciales et aux réglementations municipales. La Ligue des droits de l'homme, comme instance « morale » ultime, portait à l'attention du premier ministre du Québec une forte protestation dont voici le passage clé : « Ce règlement, foncièrement anti-démocratique, assujettit les citoyens de Montréal à un régime (toute proportions gardées) semblable à celui de la Loi des mesures de guerre : en cas de désordre appréhendé - par le chef de police et le chef du contentieux - les Montréalais sont privés de l'exercice d'un droit aussi fondamental que de se réunir, manifester ou défiler, même de façon paisible, dans les rues ou dans les parcs publics (...) C'est ériger Montréal en petit État policier et ce à l'intérieur d'un Québec qui se veut et doit être libre et démocratique [92]. »

Un des premiers actes publics que posa le ministre de la justice du nouveau cabinet Bourassa, M. Jérome Choquette, portait justement sur une série de mesures pour lutter contre le terrorisme dans l'esprit des « dix points), de son prédécesseur à cette responsabilité [93]. À l'automne de cette année-là, le 1er octobre 1970, c'était moins d'une semaine avant l'enlèvement du diplomate Richard Cross, le Conseil consultatif de la justice soumettait un rapport au ministre dans lequel étaient passées en revue et analysées les causes profondes de la « violence collective » au Québec, chez les contestataires des Cégeps, dans certains groupes de syndiqués, chez les terroristes du FLQ, etc. C'est l'aspect analyse de situation du rapport qui en faisait principalement la valeur - et le rend encore intéressant à lire aujourd'hui - plus que les prescriptions générales et les propositions de mesures concrètes en vue de moderniser les techniques et services de police dont la règle première ne devait plus être l'efficacité immédiate de la répression classique, du reste bien impuissante devant les effervescences nouvelles.

Une quinzaine de mois après la prise du pouvoir, à la fin juillet 1971, le ministre de la justice rendait public son Livre blanc sur la police et la sécurité des citoyens. Compte tenu de la dispersion invraisemblable des ressources policières au Québec (quelque 270 corps de police municipaux permanents, plus de 200 municipalités embauchant des policiers à temps partiel), la tentation était grande de procéder à une unification rigide d'en haut et à un accroissement des pouvoirs policiers. L'homme avait projeté une forte image de law and order dans les semaines d'absurdité de la crise de l'automne 1970. Mais l'économie générale du Livre blanc était plutôt marquée par un certain libéralisme quelque peu inattendu et une bonne dose de réalisme financier et organisationnel.

Il proposait l'application de trois principes : distinction nette des rôles ministériels de gardien de la justice de celui de responsable des services de sécurité ; regroupement des forces policières en unités régionales coiffées de conseils de sécurité ; renforcement de la responsabilité de la Commission de police pour la lutte contre le crime organisé.

C'est le troisième principe qui aura le plus d'avenir, si l'on peut dire, avec les commissions Cliche et de la CECO Le premier principe devait logiquement conduire à l'établissement d'un « ministre des affaires de la police [94] » correspondant aux responsabilités du Home Secretary en Grande-Bretagne ou du ministre de l'Intérieur en France. Quant à l'application du deuxième principe, il connaîtra les avatars imprévus des communautés urbaines ou municipales et des conseils de sécurité publique eux-mêmes. En ce qui concerne les sujets particulièrement « chauds » de la carte d'identité obligatoire, des tables d'écoute et de l'espionnage électronique, le Livre blanc se contentait d'exposer prudemment les différents points de vue sans prendre parti. Enfin, le droit de grève « même symbolique [95] » était interdit - contrairement à la position de la Commission Prévost - pour tous les policiers, qu'ils soient membres de la Sûreté du Québec ou des corps policiers régionaux et locaux, afin de ne pas « diminuer leur autorité et leur crédibilité auprès de la société ».

Telles étaient les grandes lignes du Livre blanc sur la police dont le ministre-patron disait en avant-propos que « notre action s'inspire d'un optimisme raisonnable à l'égard de la société et des hommes. Nous ne voulons ni d'une vision laxiste, ni d'une conception figée et stérile. » Pour comprendre la portée et les limites de ce texte il conviendra de se reporter à ce qui a été dit plus haut, au sous-titre des exposés généraux ouvrant ce chapitre, au sujet des recommandations de la Commission Prévost en 1969-1971 et du Livre blanc sur l'administration de la Justice de 1975, ainsi qu'à la présentation qui vient d'être faite des Commissions Cliche et de la CECO.

*  *  *

De même pour la situation d'après novembre 1976, on peut se référer à ce qui vient d'être dit des enquêtes parallèles et chevauchantes des Commissions Keable et McDonald. Il conviendrait peut-être d'ajouter qu'elles ne sont pas qu'un cas parmi tellement d'autres du contentieux constitutionnel entre Québec et Ottawa. La mise en question de la constitutionnalité de la première relèverait, en plus grande profondeur, d'un souci de réaffirmer le principe de légitimation de l'État central.

Un des premiers projets de loi mis de côté par le gouvernement péquiste fut celui qu'avait présenté le solliciteur général, M. Fernand Lalonde, le 29 juin 1976, portant amendement des lois de police et des commissions d'enquête. Deux clauses avaient spécialement été l'objet d'attaques par la Ligue des droits de l'homme et par le Parti québécois : celle qui permettait au Conseil des ministres de décréter une enquête « lorsqu'il a des raisons de croire que dans la lutte contre le terrorisme et la subversion, il est de l'intérêt public de tenir une telle enquête » ; et cette autre permettant à un enquêteur policier de s'introduire dans la demeure d'un citoyen « s'il a des motifs raisonnables de craindre qu'un objet qui puisse être utile à une enquête disparaisse ou ne soit détruit ». Il y eut aussi démantèlement annoncé du service, établi sous le gouvernement précédent, du Centre d'analyse et de documentations (CAD) dont on n'a jamais su s'il était principalement un simple service de coupures de presse ou effectivement une « mini CIA québécoise » avec ses informations fichées sur 30 000 citoyens et 6 000 ou 7 000 groupes du Québec ; ou si le Centre ne comprenait guère que des « mémérages » rassemblés d'une façon « terriblement amateur [96] » selon les mots du premier ministre Lévesque lui-même ; ou encore si le CAD n'a pas été versé tel quel, transformé ou allégé, à la Direction générale de la Sécurité publique du ministère de la justice (DGSP). Nous n'avons aucune information particulière sur cette affaire, pas nécessairement sinistre mais assez certainement ténébreuse ; l'impression resta qu'il y avait là certainement quelque chose... Alors qu'un journaliste concluait : « ... à l'heure où le Québec se lance dans l'intelligence, qu'il le fasse au moins avec (...) intelligence [97] ! », un autre rappelait que « la police secrète, dans tous les pays, travaille d'abord pour elle-même, ensuite seulement pour son maître officiel » et constatait qu'« à cet égard, M. Lévesque n'est pas en meilleure posture qu'un autre vieil ami des libertés démocratiques, M. P.E. Trudeau [98] ».

Nous n'avons certes pas l'intention d'accumuler les signes ou incidents qui percent épisodiquement dans la presse, indiquant une certaine présence policière spéciale dans le Québec d'après novembre 1976. C'est le contraire qui serait inconcevable. Un jour, à la façon d'un fait divers anodin : c'est la Sûreté du Québec qui se fait remettre tous les mémoires déposés à la Commission parlementaire chargée de l'étude du projet de loi no 1 sur la langue française (future loi 101) ; mais l'opposition libérale soulève la question de savoir s'il ne s'agit pas là d'une mesure d'intimidation auprès des citoyens et groupes qui projetteraient de comparaître devant une commission parlementaire [99]. Un autre jour, un grand quotidien titre en grandes manchettes rouges à pleine largeur de la une : « Tramé après le 15 novembre complot contre Lévesque. » Une équipe de trois journalistes y raconte un complot ourdi par des individus à la solde de multinationales et des agents de la CIA pour « déstabiliser » l'économie du Québec et même pour éliminer les ministres Lévesque, Parizeau et Bédard [100]. Une telle publicité pour une nouvelle de cette importance forçait le ministre de la justice à déclarer qu'après « enquête approfondie » et « vérification minutieuse », les faits révélés par le journal « se sont avérés sans fondement sérieux et le dossier est maintenant considéré comme clos depuis le 23 mars dernier [101] ». Ainsi mourra l'affaire du présumé complot.

En décembre 1977, le ministre de la justice confirme que des agents de la Sûreté du Québec avaient effectué des perquisitions légales aux bureaux du Parti libéral et de l'Union nationale dans le cadre d'une enquête menée depuis plus de deux ans à partir d'un rapport confidentiel de la CECO autour du mode de désignation des fournisseurs de la Société des alcools. Cette affaire sera facilement élucidée par le ministre de la justice à la satisfaction de M. Raymond Garneau qui s'y trouvait impliqué comme responsable de la Société des alcools à titre d'ancien ministre des Finances.

Terminons ces quelques illustrations de l'ambiance de nervosité policière au Québec par la protestation d'un groupe de douze professeurs du département des sciences juridiques de l'UQAM au sujet du projet de loi no 94 déposé, à la fin de 1978, par le gouvernement à l'Assemblée nationale sous le titre Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistres. Selon ces professeurs, cette loi rappellerait la loi fédérale des mesures de guerre en donnant au mot « sinistre » une acceptation beaucoup trop large, en conférant aux autorités des pouvoirs exorbitants, sans contrôle judiciaire ni recours pour les personnes lésées et, finalement, en n'offrant « aucune garantie quant au maintien des libertés démocratiques individuelles et collectives [102] ».

En toute époque de tensions sociales ou politiques, les rapports gouvernement-justice-police ne sont pas faciles, pour ne pas dire aisément « avouables » de part et d'autre. Plus particulièrement, l'administration des services policiers par un gouvernement foncièrement démocratique, mais clairement sécessionniste, s'insère dans une dynamique politique générale qui l'enveloppe mais qu'elle ne peut guère protéger, non plus, sans quelque ambiguïté de situations. C'est le temps de regarder du côté des droits fondamentaux.

Droits fondamentaux et sécurité judiciaire

Rien n'apparaît plus vain et, en même temps, plus indispensable que la reconnaissance des droits fondamentaux de l'homme ou, comme l'on dit de préférence depuis peu au Québec de « la personne [103] ». « Plus vain » : par la faible effectivité de cette reconnaissance dans les conduites juridiques réelles et les contestations judiciaires courantes, par la violation générale, ou même coutumière, de ces droits sans que les victimes ou leurs défenseurs ne songent même à les invoquer pour leur protection. Mais aussi « plus indispensable » : la reconnaissance solennelle, dans une déclaration ou un préambule constitutionnel, des droits naturels et des libertés fondamentales peut être considérée comme un indice de civilisation qui, transcendant la série indéfinie de droits positifs explicites, pourrait éventuellement être invoquée contre eux en leurs aspects injustes et abusifs. On sait bien que les choses en la quotidienneté du commerce juridique ne se déroulent pas ainsi. Tout se passe comme si la hauteur du niveau où ces droits et libertés sont proclamés (quand ils le sont) établissait une espèce d'éloignement de la pratique procédurale et de l'accumulation jurisprudentielle. Dans l'ensemble du paysage des systèmes juridiques, les droits fondamentaux occupent la partie céleste : ils surplombent mais n'éclairent que d'assez loin. On les présente d'habitude comme les premières protections ou garanties des individus en situation d'atomisation sociale, mais ils sont encore autant d'amorces pour des progrès sociaux spécifiques à promouvoir : c'est peut-être là leur première et plus importante utilité sociale, mais qu'on ne voit guère à travers des cheminements sociaux évolutifs souterrains et toujours lents. [104]

Au Canada et au Québec, nous avons pris le pas international en cette matière, sans audace particulière comme sans retard scandaleux. Nous aurions pu faire mieux sans doute comme héritiers des traditions de la Magna carta et de l'Habeas corpus et comme lecteurs naturels, en leur langue d'origine, des premiers Bill of Rights et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Chaque année, nous sommes ponctuels à la célébration de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. La mesure politique dont l'ancien premier ministre John Diefenbaker était le plus fier à juste titre est la Déclaration canadienne des droits de 1960. Après vingt ans, elle ne semble pas avoir dépassé ses limites d'origine : elle n'est applicable qu'aux législations fédérales à l'exclusion des législations provinciales et des réglementations municipales ; comme « déclaration », elle n'a guère d'autre valeur que celle d'une règle d'interprétation et de mise en garde auprès des législateurs canadiens, sans véritablement restreindre le pouvoir législatif du Parlement ; comme loi ordinaire, elle ne bénéficie d'aucune protection constitutionnelle et la Cour suprême du Canada ne l'interprète pas selon un mode maximaliste 104. Il est très rare que les travaux importants de la Commission canadienne des droits de l'homme, sous la présidence du commissaire Gordon Fairweather, défraient l'actualité journalistique. On n'en entend guère parler qu'à l'occasion de discussions en matière de discrimination de sexe ou de couleur.

Au Québec, d'où étaient nées les « causes célèbres » de la loi du cadenas et des témoins de Jéhova à l'époque duplessiste, la question des droits fondamentaux se présentait comme une partie du contentieux constitutionnel. Après quelques autres provinces qui s'étaient déjà données des Bill of Rights, l'Assemblée nationale a adopté une Charte des droits et libertés de la personne qui a été sanctionnée le 27 juin 1975. Ce résultat avait été longuement préparé dans les esprits durant les années 1960 par des membres de l'opposition officielle, d'abord unioniste puis libérale, par des représentations de divers mouvements sociaux dont les syndicats ouvriers principalement, mais surtout par ce chien de garde très vigilant qu'est encore la Ligue des droits de l'homme, qui fut de tous les combats de circonstance et qui a joué ce qu'on pourrait appeler un rôle d'anticipation impérative tout à fait remarquable. Un autre facteur très important a été la longue série de discussions pour une réforme constitutionnelle depuis 1967. Divers projets officiels et privés ont fait, pour ainsi dire, la promotion d'une déclaration de droits fondamentaux (avec insistance particulière sur les droits linguistiques) à « enchâsser » dans le texte constitutionnel de la conférence constitutionnelle fédérale-provinciale de 1968 jusqu'à la proposition de la Commission constitutionnelle du PLQ en 1980, en passant par les propositions Le temps d'agir du gouvernement Trudeau et le rapport de la Commission Pépin-Robarts. L'heure est à l'enchâssement des droits fondamentaux dans une éventuelle nouvelle constitution canadienne, ce qui permet de pointer les lieux de résistance...

La Commission Prévost avait plaidé pour une « véritable » déclaration des droits pour le Québec. En octobre 1974, le ministre de la Justice, M. Jérome Choquette, rendait public son projet de Charte des droits de l'homme (projet de loi no 50). Elle comprenait un répertoire à peu près complet des droits fondamentaux groupés sous les quatre titres de droits civils, politiques, judiciaires et économiques et sociaux. Elle instituait encore une Commission des droits de la personne, dotée d'un large pouvoir d'initiative et d'enquête assez analogue, tout au moins en matière de discrimination, à celui qu'ont des commissions royales d'enquête. En cas de différend, la Commission agit d'abord comme conciliatrice, puis remet son rapport aux parties en exigeant que cesse la discrimination et enfin, en cas d'échec, elle peut demander une injonction à la Cour supérieure tout en rapportant le dossier du cas au procureur-général. Les sanctions peuvent s'appliquer aussi bien à des « dommages exemplaires » qu'à des « dommages réels ». Sont justiciables, avec tous les citoyens, et organismes privés, les corps publics et les fonctionnaires. L'application de la charte est évidemment restreinte aux matières relevant de la compétence législative du Québec qui reste très large (droit civil, éducation, travail, logement, etc.) et ne change donc rien à l'actuelle répartition des pouvoirs entre l'État central et le Québec. Le point faible de cette belle armature est que la charte, comme ensemble de dispositions générales, n'a pas de préséance sur les autres lois et ne prévaut qu'en cas d'ambiguïtés ou de silences législatifs. Sa solennité provient du caractère fondamental des matières qu'elle soulève, groupées à l'enseigne d'une « Charte ».

Le projet fut amplement discuté dans l'opinion et en commission parlementaire : divers groupes professionnels (ouvriers et patronaux), de femmes, de journalistes, de travailleurs sociaux y trouvèrent des lacunes et des imprécisions, firent des réserves et des propositions spécifiques. Mais une certaine opinion générale prévalut sur les grands mérites du projet qui, à l'échelle de ce qui se faisait ailleurs au Canada, prenait figure d'avant-garde : la Commission qu'elle créait relevant plutôt de l'Assemblée nationale et de son président que de l'administration de la justice et de son ministre ; le texte étant d'une bonne langue claire et susceptible de servir d'instrument utile à la pédagogie et à l'animation sociale ; les sanctions pour « dommages exemplaires » étant spécialement louées ; etc. Le chef d'opposition, M. Jacques-Yvan Morin, tout en promettant l'appui du Parti québécois, critiqua principalement la non-préséance de la charte sur les autres lois [105], le fait que les droits économiques et sociaux n'avaient pas d'autre valeur que dans la mesure des lois existantes, un texte qui « constitue un pas dans la bonne direction, (mais qui) n'en demeure pas moins un document à portée fort limitée [106] ». La Ligue des droits de l'homme fit la critique frontale suivante : « Il ne nous paraît pas y avoir de raison qui puisse justifier le législateur de ne pas s'engager face à l'avenir, de telle sorte que la législation future doive être conforme aux normes et aux principes fixés dans la Charte [107]. » Autre critique, opportunément percutante, celle du Réseau d'action et d'information pour les femmes (RAIF), qui s'érigea contre une charte « conçue par et pour des hommes », qui « est une insulte aux femmes qui s'indignent du fait qu'on ait ignoré totalement les droits les plus élémentaires des femmes [108] ». À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), qui insistait pour que le droit à l'information soit explicitement reconnu, le ministre-parrain du projet soutenait que ce droit n'ajouterait rien à la liberté d'opinion et d'expression déjà reconnue dans la Charte [109].

« Les droits et libertés de la personne, c'est la justice dans l'immédiat, et l'espoir pour demain », a déjà écrit le président de la Commission des droits de la personne, M. René Hurtubise, qui avait déjà déclaré par ailleurs que la charte est « fonctionnelle, dynamique et perfectible [110] ». L'espoir et la perfectibilité recouvrent les imperfections et silences d'un texte qui, compte tenu de l'ensemble des circonstances où il a été débattu et approuve, ne pouvait guère aller plus loin. Qu'on songe seulement aux limites constitutionnelles dans un système où le droit pénal relève d'une autre autorité gouvernementale. M. Laurent Laplante commentait à ce propos : « S'il fallait emboîter le pas à la Ligue des droits de l'homme, ce n'est pas uniquement à la rédaction d'une charte qu'on aboutirait, mais bien à la mise en place d'une nouvelle constitution canadienne et l'adoption d'un mode de gouvernement passablement différent [111]. » Toutefois, sans fortes pressions de l'opinion, la tentation reste grande de faire une interprétation et une application très modérées de ce que permet la charte avec son contenu limitatif actuel.

On notera en particulier la faiblesse et le caractère succinct des seuls droits politiques qui constituent le chapitre II : « Toute personne a droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale pour le redressement de ses griefs » (art 21) ; « toute personne légalement habilitée et qualifiée a droit de se porter candidat lors d'une élection et a droit d'y voter » (art. 22). Il est d'autres droits politiques, non seulement concevables, mais applicables et déjà appliqués, et susceptibles d'être rappelés. Il est encore des principes consacrés dans la charte qui pourraient servir, moyennant recours et jurisprudence appropriés, de défense contre des abus envers lesquels nous sommes en train de nous habituer. Ainsi, le principe que « toute personne a droit au respect de sa vie privée » pourrait être invoqué contre l'écoute électronique, les perquisitions sauvages, etc. ; ainsi, le principe que « toute personne détenue (...) a droit d'être soumise a un régime distinct approprié à son sexe, son âge et sa condition physique ou mentale », pourrait l'être par les mineurs qu'on emprisonne avec les adultes, ou par les malades mentaux détenus dans les prisons communes, etc.

Demandant récemment à un membre du Barreau de Montréal ce qu'il pensait de la Charte, il nous fut répondu que, dans sa pratique, il n'avait pas l'occasion de se rendre compte qu'elle existait... En certaines occurrences, la Commission des droits de la personne rend des avis importants sur des questions très chaudes de l'actualité : par exemple, sur la liberté linguistique à l'occasion des projets de loi 22, puis no 1 (qui deviendra 101), sur la liberté religieuse à l'occasion du litige entourant la déconfessionnalisation de l'école Notre-Dame des Neiges de Montréal. Au sujet des avis de fond, il y aurait un avenir très important pour la Commission en accomplissant des fonctions qui, par analogie, sont remplies plus largement ailleurs par des organismes du type conseils d'État ou conseils constitutionnels. Au total, la charte des droits et libertés de la personne et la Commission des droits de la personne, qui est à son service, sont plus importantes par leurs promesses d'avenir que par leur être présent - à condition qu'on veuille bien s'aviser en divers milieux que « cela » est fait pour servir et se développer. Il est bien illusoire d'espérer qu'un jour la plus complète et la plus précise des chartes ou déclaration de droits, fût-elle enchâssée dans une nouvelle constitution devenue effective, puisse une fois pour toutes garantir la sécurité et l'épanouissement des citoyens, surtout de ceux qui sont socialement et économiquement faibles. La charte, telle qu'elle est applicable depuis 1975, présente presque autant d'amorces ou de points d'ancrage qu'elle contient d'articles pour des protections mieux fondées et virtuellement plus efficaces. La Commission, telle qu'elle est constituée, peut servir de tremplin dans cette direction. Mais ce n'est pas affaire que d'éventuels constituants, des législateurs actuels ou de leaders de partis ; c'est surtout affaire des justiciables et de ceux qui parlent juridiquement en leur nom, les procureurs, qu'on appelle à la ville « les avocats ».

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L'institution de l'ombudsman procède d'une toute autre inspiration. Son histoire est aussi ancienne que celle de la Suède moderne (1809). Le Danemark, la Norvège, la Finlande suivront plus tard et, enfin, la Nouvelle-Zélande où l'appellation perdra le « d » final. La fonction convenait particulièrement bien à des pays de petite taille démographique comme les pays scandinaves et le dominion des antipodes. Mais plus tard des pays aussi populeux que l'Angleterre et l'Allemagne fédérale adapteront l'institution à leurs besoins spécifiques. Quand le Québec en 1969, se donnera un ombudsman sous le nom de « Protecteur du citoyen », deux autres provinces, l'Alberta et le Nouveau-Brunswick, l'auront déjà précédé.

On en parlait déjà au Québec en pleine Révolution tranquille. Le professeur Donald C. Rowat de Carleton, dont c'était la spécialité, en avait propagé l'idée dès 1961 dans divers articles. Dans son sillage, des juristes québécois, un Jean-Charles Bonenfant [112], un Claude-Armand Sheppard [113], attiraient l'attention sur cette institution originale qui pourrait rendre d'utiles services au Québec comme c'était déjà le cas dans des sociétés politiques comparables. La visite, en 1964, de l'ombudsman néo-zélandais, Sir Guy Powles, comme invité du Barreau canadien, permit aux juristes canadiens de se familiariser avec les diverses modalités de la fonction. Assez curieusement, c'est à Ottawa, spécialement lors du passage de M. Guy Favreau à l'administration du ministère de la Justice, que l'idée semble avoir d'abord fait son chemin [114] et qu'elle aurait pu se concrétiser en 1968, année consacrée aux droits civiques par les Nations Unies. Mais c'est l'Alberta qui ouvrira la marche en se dotant d'un ombudsman en 1967. Le Canada, disaient les adversaires du projet, requerrait au moins autant d'ombudsmen que le nombre de grandes régions, pour ne pas parler de l'administration interne de chaque province. D'ailleurs, ajoutaient-ils, il ne manque pas de divers recours judiciaires et administratifs dans notre système sans qu'il faille instituer celui d'un « commissaire aux plaintes » ou d'un « commissaire parlementaire » comme on disait alors.

Au Québec, c'est l'Union nationale, alors dans l'opposition, qui propagea l'idée [115] et qui, au pouvoir sous le gouvernement de M. Jean-Jacques Bertrand, légiféra à cet effet en faisant adopter la loi du Protecteur du citoyen le 14 novembre 1968. Selon le premier titulaire du poste, M. Louis Marceau, ancien doyen de la Faculté de droit de Laval, « le protecteur du citoyen est un fondé de pouvoir de l'Assemblée nationale chargé de recevoir les plaintes du public à l'égard de l'administration gouvernementale, de faire enquête à leur sujet et de faire au besoin aux autorités concernées, sous forme de recommandations ou de rapports, les représentations qu'il juge appropriées [116] ». Cette définition montre la polyvalence du poste : il est un éventuel redresseur des torts que subissent les administrés-justiciables dans leurs rapports avec les services de l'État ; mais son poste relève de la plus haute autorité, celle de l'Assemblée nationale. Il faut encore insister sur le haut degré de personnalisation du poste : c'est à une personne, qui est un « protecteur », auquel on réfère et non à un service ou à un bureau. Dans la première année, 62% des plaintes n'étaient pas justifiées et furent rejetées, proportion comparable de rejets à ce qui se passe ailleurs. Le Protecteur n'a pas de pouvoir exécutoire : il n'est ni juge, ni administrateur, ni policier. C'est un enquêteur qui fait suivre à qui de droit son rapport en suggérant les mesures appropriées : son rôle est de communication, et de recommandation, mais aussi, ultimement, de persuasion.

La publicité qui est donnée à ses rapports annuels rappelle à la population l'ouverture et la diversité des services qu'il peut lui rendre avec célérité, ce qui n'est pas négligeable. En des occurrences particulières comme lors de l'octobre 1970, il put apparaître comme un « ange de miséricorde [117] » dans une situation confuse et dramatique, complétant ainsi ce qu'un groupe bénévole de la Ligue des droits de l'homme accomplissait pour son propre compte en visitant les prisonniers politiques. La neutralité de la fonction assure d'habitude au protecteur la collaboration attendue des services. Il né semble pas susciter la méfiance des magistrats ou des administrateurs bien qu'il ait eu le sentiment d'« agacer » parfois [118]. L'opinion, telle qu'elle s'exprime en éditoriaux de journaux ou par des porte-parole d'associations, lui est généralement favorable. Ainsi, ses recommandations au ministère québécois de la justice, au sujet des citoyens lésés par l'application des mesures de guerre, lui valurent l'éloge suivant du directeur du Devoir : « Parce qu'il a très bien fait son travail dans les cas individuels issus de la crise d'octobre, parce qu'il n'a pas craint de porter le débat au niveau des valeurs les plus élevées de notre société, M. Marceau a grandi la fonction de protecteur du citoyen et fait naître l'espoir que se dissiperont bientôt, au moins en partie, certains des plus amers souvenirs de la crise d'octobre [119]. »

Le rapport direct de l'ombudsman aux administrateurs via les plaintes des administrés tend à faire oublier le rôle de recommandation générale qu'il peut jouer auprès des gouvernants et législateurs. Reconnaissant n'être pas un « expert en administration » et ne connaître « d'autres administrés que ceux qui croient avoir raison de s'en plaindre », il souhaitait dès ses premiers rapports annuels en faire « une sorte de document de travail à l'usage de l'Assemblée ». Nul n'est mieux placé pour constater dans le vif du vécu les défauts bien connus des administrations publiques : « ... la lenteur de leur rythme d'action et les délais souvent excessifs qui en résultent pour les administrés. Les causes en sont multiples et plusieurs, il me semble, tiennent du système beaucoup plus que des administrateurs eux-mêmes. je me suis, par exemple, bien des fois demandé si la multiplicité des contrôles superposés que tant de décisions supposent est vraiment inévitable. On a l'impression parfois que la seule préoccupation des auteurs du système fut d'éviter à tout prix les erreurs, quelles qu'en soient les conséquences sur le plan de l'efficacité [120]. » Le joli cercle vicieux bureaucratique..., que l'ombudsman, de ministère en ministère, était amené à détecter !

La nature du poste, par son isolement et sa distance des rouages administratifs et parlementaires, permet difficilement à son titulaire d'exercer le magistère d'influence qui conviendrait. Il y aurait lieu d'établir d'autres canalisations que le dépôt de ses rapports annuels à l'Assemblée nationale et de l'écho qu'ils reçoivent pendant quelques jours dans la presse, sections des éditoriaux et des documents. En Grande-Bretagne, une commission parlementaire procède à l'étude du rapport annuel et en discute en présence de l'ombudsman. Le Protecteur du peuple pourrait aussi s'attendre à ce que les avis qu'il adresse reçoivent quelque feedback ; il pourrait aussi soumettre des mémoires spéciaux sur des questions particulières. En Suède, l'ombudsman tient au courant les journalistes accrédités du courrier qu'il reçoit ou envoie, à l'intérieur des limites du secret confidentiel, ce qui est parfaitement concevable et praticable. Le cinquième rapport déposé en 1974 contenait d'utiles suggestions pour faire coexister en complémentarité les recours juridictionnels et l'appel à l'ombudsman. L'enquête par questionnaire, à laquelle s'est livrée M. Alain Baccigalupo auprès de 58 parlementaires, a montré la haute estime en laquelle ils tiennent l'homme et sa fonction en même temps qu'une connaissance très relative de l'institution et de son fonctionnement. Le politologue recommandait, pour « resserrer les liens Ombudsman-Parlement », la création d'un comité parlementaire spécialisé qui serait un lien organique naturel [121]. « Le protecteur du citoyen n'est ni un parlementaire, ni un ministre, ni un juge mais tout simplement un citoyen », disait le premier titulaire, M. Louis Marceau [122]. Mais ce citoyen-là peut parler au nom de beaucoup de citoyens qui ne peuvent avoir d'autres voix.

Il est notable qu'il n'y ait eu qu'une seule « affaire » entraînant une contestation parlementaire du rôle de l'ombudsman québécois [123]. Le poste est périlleux, à tous égards et envers tout le monde. Spécialement au sujet de l'administration. En quittant ses fonctions après six ans, M. Louis Marceau déclarait : « Si mon successeur se présentait comme un adversaire de l'administration, il ne survivrait pas un an [124]. » Les recommandations de l'ombudsman ont mis en cause tous les ministères mais plus fréquemment ceux qui permettent une zone large de contact avec les administrés : les ministères de l'Éducation, des Transports, des Affaires sociales et la Commission des accidents du travail. L'utilité sociale est certaine : des systèmes d'ombudsman à travers le monde, notre Protecteur du citoyen est peut-être celui qui, proportionnellement à la population, reçoit le plus grand nombre de demandes et plaintes. Des sinistrés (Saint-Jean-Vianney), des expropriés (Forillon, divers cas d'expropriation du ministère des Transports), des subventionnés (prêts et bourses d'étudiants) ont pu obtenir, grâce à lui, une meilleure justice administrative. En un cas, en particulier, celui de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, son influence semble avoir été capitale pour l'adoption de la loi.

Ces dernières années, on a pu parler d'une mise en veilleuse de la fonction : insuffisance des budgets et des effectifs du bureau dont le nombre a été fixé en 1972. L'actuel Protecteur du citoyen, Mad. Luce Patenaude, écrivait en 1979 dans le huitième rapport annuel : « Bref, le bureau du Protecteur du citoyen répond à la demande actuelle parce que son rôle est mal connu et que le personnel met les bouchées doubles. Le maintien prolongé de cette situation trahirait le but premier de l'institution qui est de servir tous les citoyens [125]. » L'État, qui ne sait pas toujours très bien administrer ses budgets, se fait parfois de l'économie une notion parcimonieuse. Il se donne bonne conscience en maintenant, mais sans permettre leur développement naturel, certains organismes au fonctionnement peu coûteux qui « font bien dans le décor » et dont il ne voudrait pas assumer l'odieux de les faire disparaître. L'habitude est prise au Québec, comme dans une quarantaine d'autres systèmes politiques : les citoyens ont besoin d'un protecteur.

Comme pour tous les biens de société, la justice est d'un accès plus aisé aux riches. et ils peuvent aussi se permettre d'attendre. C'était à l'honneur de la Commission Prévost d'avoir placé, au tout premier rang de ses recommandations, celle de la constitution d'un service judiciaire global garantissant aux citoyens l'information juridique et sa pleine défense devant les tribunaux. À la sécurité sociale s'ajouterait la sécurité judiciaire : de medicare on passait à judicare comme on dit en Ontario. La loi 10 de l'aide judiciaire de 1972 sera restée en deçà des cinquante-six recommandations détaillées dans le rapport de la Commission Prévost de 1969 au titre d'un régime québécois de sécurité judiciaire. Après avoir vu ce qu'il est advenu du Protecteur du citoyen, depuis 1969, qu'en est-il de ce que les commissaires appelaient cette année-là la « formule du procureur permanent du citoyen, c'est-à-dire la formule de l'avocat rémunéré à plein temps par des fonds publics pour agir en faveur des justiciables économiquement faibles ? » Pour rendre compte de cette mesure relative de démocratisation judiciaire, il faut jeter un coup d’œil sur l'embryon de système qui existait avant 1972.

Le Barreau avait déjà établi de sa propre initiative une forme d'assistance judiciaire grâce à laquelle tout citoyen qui en faisait la demande pouvait, après une enquête sommaire sur ses moyens pécuniaires, obtenir gratuitement les services d'un avocat. À Montréal, un avocat était affecté à plein temps et à Québec, à temps partiel, pour recevoir et étudier les demandes d'assistance afin de les distribuer aux avocats dont ce devait être un point d'honneur d'y donner suite. Le Barreau avait également établi un fonds d'indemnité pour pourvoir au remboursement de clients victimes de détournements ou de conduites frauduleuses par un avocat dans l'exercice de sa profession. Le civisme de la digne profession était sauf : elle soutenait, par ses moyens privés, une première « assistance » judiciaire comme les communautés religieuses avaient supporté pendant fort longtemps les premières formes d'« assistance » sociale. C'était dans l'air de la Révolution tranquille qu'il faudrait faire plus et mieux par voie d'institutionnalisation publique. L'étatisation complète de l'aide à établir soulevait « de graves dangers » et constituerait « une erreur » selon le doyen de la Faculté de droit de Laval et futur juge à la Cour suprême, M. Yves Pratte, qui précisait : « Ceux qui ont le plus besoin des services de l'avocat sont généralement ceux qui ont les moyens d'en payer le coût, ceux qui font de l'argent, les compagnies par exemple. Ce serait une erreur grave que d'en répartir le coût à l'ensemble des justiciables de la province. De même, une gratuité totale, assujettirait l'avocat au contrôle de l'État, menaçant ainsi gravement la protection de l'individu [126]. » Cette opinion était assez généralement prévalente au milieu des années 1960.

Six ans plus tard, au moment de l'étude du projet de l'aide juridique, le syndicat des avocats du Bureau d'assistance judiciaire du Barreau de Montréal proposait des mesures excédant le « dépannage » et devant comprendre des services d'information et de conseil à assumer par des spécialistes permanents, des « avocats sociaux ». À cette époque, le ministre de la justice déplorait que les grandes centrales syndicales n'aient pas déposé de mémoires à la Commission parlementaire de la justice - sans doute fort accaparées par les rudes batailles du Front commun en ce printemps 1972. Entre les conceptions maximaliste et minimaliste de la responsabilité étatique en la matière, le gouvernement optera pour une formule mixte excluant la « castonguette » universelle des avocats. Ce système consacrait le principe du libre choix entre un avocat salarié permanent de l'aide juridique et un avocat « payé à l'acte » de la pratique privée.

La clientèle admissible a montré dès les premières années une tendance à recourir aux avocats salariés plutôt qu'à ceux de la pratique privée ; mais ceux-ci, naturellement drainaient un plus fort pourcentage du budget de l'aide privée que la proportion des clients qui s'adressaient à eux. Une certaine guérilla judiciaire éclata à la fin de 1975, marquée par le congédiement de six avocats permanents de Québec, etc. Coupons court dans une affaire compliquée en invoquant le témoignage essentiel du juge Robert Sauvé, président de la Commission des services juridiques du Québec : « Malheureusement, les avocats privés ne s'intéressent pas à tous les genres de cause. Ça c'est inquiétant. On les retrouve surtout au droit criminel ou en droit matrimonial. Là où c'est le plus payant... et le moins achalant (sic). On ne trouve pas ces avocats dans la « protection sociale ». C'est un secteur du droit pas payant, et où le client est « tannant », inquiet. Par exemple, les annulations de bail pour les locataires. Le secteur jeunesse. À ce seul secteur nous avons maintenant 9 avocats à plein temps. » Avec les années, et après quelques turbulences au sein de la profession, la formule mixte de l'aide juridique finit par être assez généralement acceptée par les praticiens « parce que les avocats ont aussi intérêt à ce que vive l'aide juridique [127] ». Une virtuelle clientèle dans une population admissible de plus de deux millions et demi de personnes n'est pas peu...

Le régime a manifesté diverses faiblesses, des trous à combler ; le budget reste insuffisant. Le succès d'initiatives populaires, comme les cliniques juridiques et les centres communautaires juridiques, est lié à la disponibilité d'animateurs efficaces. Mais elles ont contribué à rendre la justice plus proche, réelle et finalement, à la revaloriser, en en montrant les limites à même sa plus large accessibilité. Des justiciables défavorisés hésitent toutefois à recourir à l'aide juridique de crainte que, se voyant déboutés, ils aient à assumer les frais judiciaires. D'autres qui, grâce à ses services d'information, apprennent à retirer le maximum de prestations sociales peuvent s'interdire de « revendiquer un droit plus fondamental au travail [128] ». L'influence sur ce qu'on pourrait appeler la « sensibilité sociale » d'une nouvelle classe d'avocats doit être également notée, sans que la qualité technique de leur travail n'en devienne pour autant diminuée. « Le dossier des permanents de l'Aide juridique est incontestablement très beau et il en ressort, sans la moindre équivoque, que la qualité des services qu'ils ont donnés est exceptionnelle [129]. » Depuis novembre 1976, dans un domaine analogue, le projet de l'assurance-automobile est la principale pièce [130] du gouvernement péquiste et, à la satisfaction d'un bâtonnier du Québec [131], il ne s'est pas appliqué à modifier substantiellement le régime de l'aide juridique selon les termes du programme de ce parti.

La loi favorisant l'accès à la justice, dite aussi « des petites créances », est l'autre fleuron dont aimait s'enorgueillir le régime « social-démocrate » de M. Robert Bourassa. Avec raison. La lourdeur de l'appareil judiciaire décourageait souvent de petits créanciers ; ou encore les « lettres d'avocat » sortaient selon un rythme industriel de certaines officines depuis toujours et, encore davantage, à l'époque d'apothéose de la carte de crédit. Contre cette forme de justice directe et peu coûteuse qu'allait instituer la Cour des petites créances ne manquaient pas les objections et les prophéties de malheur. La réalité les contredit presque toutes. « Ce mode sommaire et expéditif de rendre la justice, selon le juge Robert Cliche, a été très bien reçu par le public, à l'exception de certains hommes d'affaires qui s'en remettaient toujours aux avocats pour percevoir leurs comptes ou leurs honoraires (...) Les justiciables (...) ont merveilleusement collaboré à l'application de la loi. » Le juge en chef de la Cour provinciale, Allan B. Gold, se faisait encore plus affirmatif. « C'est la modestie qui m'empêche de dire que c'est un Succès fou [132]. »

Les critiques d'avocats, attendues et qui se produisirent, se calmèrent assez tôt. Comme celles de juges qui craignaient de se voir dévalorisés de pratiquer la justice à ce niveau. Quelques-uns d'entre eux avoueront même que ce retour aux sources de l'équité dans un « bain de peuple », sinon « de foule », leur fut rafraîchissant. Mais la somme de travail exigée par les sessions itinérantes serait une critique qui tendrait à se perpétuer... On ne bouscule pas impunément les rites, le tempo et même les grands principes de la plus ancienne des technocraties. Le bâtonnier André Brossard soutint que « l'augmentation de la juridiction de cette Cour nous paraîtrait être une violation du principe reconnu tant par la Déclaration canadienne des droits de l'homme que par la Charte des droits et libertés de la personne, à savoir, le droit fondamental de tout citoyen d'être représenté par avocat devant tout tribunal de quelque juridiction qu'il soit [133] », ce qui peut s'appeler un réflexe noblement corporatif. Le Livre blanc, La Justice contemporaine, lancé en 1975 quelques années après l'adoption de la loi des petites créances, se gardait bien d'augmenter le plafond du montant fixé d'abord à $300 pour l'élever jusqu'à $1000, selon des « bruits (qui) se font jour périodiquement, » car « la procédure adaptée au jugement des petites réclamations n'est pas adaptée au jugement des causes plus importantes. Pour assurer l'économie de la justice en matière de petites causes, il a fallu réduire les exigences de la procédure. Ceci ne va pas sans risque [134]. »

En attendant, les petites créances, non indexées, traînent sur l'inflation et l'accessibilité à cette cour populaire se contracte d'autant. Il en est de la loi des petites créances comme de celles de l'aide juridique, ou encore de l'institution du Protecteur du citoyen, l'État subit la tentation de s'asseoir sur ses lauriers en ne corrigeant pas les faiblesses que la pratique a manifestées ou en n'adaptant pas leurs dispositions pour faire face aux besoins qui ne tendent pas à diminuer. Il est de l'essence de la « social-démocratie » de ne pas se contenter que d'atténuer les injustices les plus flagrantes.

CONCLUSION

Nous avons voulu ce chapitre comme une espèce de chronique politique de voyage à travers le domaine de la justice québécoise des deux dernières décennies. Son aspect de long reportage avait peu en commun avec les travaux de spécialité en ce domaine. Nous n'avons pas analysé ce domaine de l'intérieur, mais l'avons observé aux points où il confine avec l'activité politique et les situations sociales changeantes. Nous avons donné la parole le plus souvent possible aux agents juridiques : ministres de la justice, juges, avocats, surtout lorsque leurs actes et déclarations devenaient matière à nouvelle politique. Aussi, sauf pour les textes officiels, les journalistes devenaient-ils souvent nos premiers informateurs. Faits relevés et commentaires à leur sujet furent groupés sous quatre thèmes généraux de notre intérêt politique au domaine judiciaire.

On aura pu vérifier à la trace que la Révolution tranquille de la justice québécoise s'est plutôt effectuée au tournant de la seconde décennie que dans les premières années de la première. Des noms de principaux intervenants se détachent : le bâtonnier et futur juge Prévost, le ministre Choquette, les juges Deschênes et Cliche. Des ministres, responsables de deux ministères, n'accordèrent pas la priorité à celui de la justice : les ministres Lapalme et Bertrand. D'autres, par le fait de circonstances et peut-être par instinct, s'appliquèrent surtout à l'administration de la police : les ministres Wagner et Paul. Il y eut aussi des agents collectifs : le Barreau, la magistrature qui sera formée en conseil et la Ligue des droits de l'homme dont nous aurons trop peu parlé comme conscience juridique, animatrice, collective, censeur des abus et « chien de garde » en toutes circonstances. Enfin, l'objet-sujet fut tout au long la collectivité québécoise elle-même.

Ce développement devait trouver place ici, non pas seulement pour les raisons générales indiquées en introduction de chapitre, mais ne serait-ce que pour illustrer le fait que l'univers de la justice, dans une dynamique socio-politique d'ensemble, fonctionne autrement que comme une espèce de grand métronome bien réglé, impeccable, « sans problèmes » ou « hors du coup ». Le juridique, partie du politique, n'est jamais neutre ou innocent du point de vue de la politique. La justice est toujours révélatrice de plus que d'elle-même. Et les retards qui lui semblent propres ne lui sont pas non plus exclusifs.

Gérard BERGERON

École nationale d'administration publique.



[1] Le sociologue Fernand Tönnies parlait de la justice comme de « la raison sociale pure dans son potentiel le plus élevé » (Communauté et société, Paris, 1944, p. 219).

[2] André Normandeau, Le jour, 24 mai 1975.

[3] Voir le programme officiel du parti, édition 1975.

[4] Guy Tardif, Le Jour, les 26 et 27 février 1976.

[5] Composé du bâtonnier du Québec Yves Prévost, Harry Gould de Montréal, Laurent Laplante de Québec, Guy Merrill Desaulniers et de Paul Martineau. M. Desaulniers allait sous peu être nommé juge à la Cour supérieure en 1967 ; M. Martineau, ancien ministre du cabinet Diefenbaker, allait démissionner peu avant les élections fédérales de 1968. Les travaux de la Commission auront donc été poursuivis sous la responsabilité des trois premiers.

[6] « ... réactions émotives... » des policiers, avocats, procureurs de la Couronne et juges ; « ... droit fondamental à la liberté [...] bafoué par suite des insuffisances de la procédure » ; « ... plusieurs procureurs de la Couronne se conduisent trop souvent en adversaires acharnés de l'accusé…

[7] Le Soleil, 24 avril 1969.

[8] Voir plus loin dans la section « Droits fondamentaux et sécurité judiciaire.»

[9] « ... un volume de plus de 1000 pages est publié en catimini, sans avis, en fin de journée, sans commentaires ou communiqués. L'on aurait voulu qu'il passe sous silence que l'on n'aurait pas fait autrement. » (Gilles Lesage, Le Devoir, 18 mars 1971).

[10] « J'irais volontiers m'inscrire à l'Académie si elle existait », disait le président de la Commission (Le Soleil, 22 mars 1971).

[11] Le Soleil, 22 mars 1971.

[12] Le Devoir, 14 mai 1970. Sur les mesures annoncées, voir la section « Droits fondamentaux et sécurité judiciaire ».

[13] Voir la section « Commissions d'enquête et services policiers », pour le Livre blanc sur la police et la sécurité du citoyen.

[14] Le Soleil, 26 février 1971.

[15] Le Devoir, 30 avril 1975.

[16] Voir la section « Commissions d'enquête et services policiers ».

[17] Le Québec étant l'unique province avec l'Ontario à avoir un système de police propre, M. Choquette avait fait aussi vainement campagne pour toucher une compensation financière équivalente des autorités fédérales.

[18] Ghislaine Rheault, Le Soleil, 3 mai 1975.

[19] André Normandeau, José M. Rico et Guy Tardif, La Presse, 29 mai 1975.

[20] Les mêmes auteurs qu'à la note précédente, Le Devoir, 24 mai 1975.

[21] Discours-thème de Me Yves Prévost, c.r., bâtonnier du Barreau de Québec, au douzième congrès du Barreau de la province de Québec, Revue du Barreau de la province de Québec, 25 :6, juin 1965, p. 296.

[22] Ibid., p. 301.

[23] Ibid., pp. 325, 327, 328.

[24] « Je voulais rester simple député en attendant la création du ministère des Affaires culturelles, mais je finis quand même dans la peau d'un ministre de la justice avant la lettre, le premier poste en importance après celui du premier ministre, mais le dernier que j'aurais désiré et que je dus supporter pendant trois ans, hélas ! » (Georges-Émile Lapalme, Le vent de l'oubli, Montréal, 1970, p. 293.)

[25] Une semaine avant le « samedi de la matraque », octobre 1964.

[26] Le Soleil, 11 octobre 1965.

[27] Il disait encore : « On en a assez de beaux esprits aux élucubrations microbolantes [sic], mais incapables de franchir le pont-levis qui relie les châteaux [...] à la terre ferme de la réalité. On en a assez de ces marchands d'illusions qui prennent leurs rêves pour des réalisations. » (Le Soleil, 21 juin 1965.)

[28] Le Soleil, 10 septembre 1965.

[29] Le Devoir, 10 avril 1969.

[30] Le Devoir, 7 mars 1970.

[31] François Barbeau, Le Devoir, 11 avril 1972.

[32] Laurent Laplante, ancien membre de la Commission Prévost, Le Devoir, 11 avril 1972.

[33] Le Devoir, 10 avril 1972.

[34] Le Soleil, 11 mai 1972.

[35] Le Soleil, 11 mai 1974.

[36] Voir la section « Commissions d'enquête et services policiers ».

[37] Interview au Soleil, 8 octobre 1974.

[38] Au colloque du centenaire de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, Le Devoir, 17 novembre 1978.

[39] Le Devoir, 17 septembre 1974.

[40] Pierre Mackay, Georges A. Lebel, Pierre Laperrière et Robert D. Bureau, Le Devoir, 20 septembre 1974.

[41] Dominique Clift concluait un article intitulé « A revolt in the courts » : « It is impossible to escape the conclusion that the Superior Court under Justice Deschênes is pitting itself against the national assembly and the executive branch of the government as well !) (The Montreal Star, 18 septembre 1974.) Pour une plus récente sortie du juge Deschênes devant la Chambre de commerce française du Canada, le 23 janvier 1980, voir le texte intégral de sa causerie dans Le Devoir du 1er février 1980. Au sujet des vives réactions d'« au moins trois membres du gouvernement » aux jugements relatifs à la Société Asbestos et à la constitutionnalité de la loi 10 1, le juge Deschênes demande : « De quoi s'agit-il donc ? d'une provocation en duel ? d'une déclaration de guerre ? d'une invasion territoriale ? d'un blocus commercial ? - mais non ; c'est la justice que le pouvoir civil travestit de la sorte. »

[42] Devant l'Académie des lettres et sciences humaines de la Société royale du Canada, réunie à Montréal le 2 décembre 1977. Texte reproduit dans Le Devoir, les 16, 17 et 18 janvier 1978.

[43] Ainsi, si le nombre des juges de la Cour supérieure ayant un passé politique s'élevait à 57%, ce chiffre était tombé à 12% pour la période de 1962 à 1974 (Guy Bouthillier, « Profil du juge de la Cour supérieure du Québec », Revue du Barreau canadien / Canadian Bar Review, septembre 1977).

[44] Le Devoir, 18 janvier 1978.

[45] Selon le juge Antoine Rivard de la Cour d'appel, au congrès des affaires juridiques de PUniversité Laval, octobre 1964 (Le Soleil, 2 novembre 1964).

[46] Fonctionnement de l'État, Paris, Armand Colin, 1965 : paragraphes 113-119, pp. 322-336. Sur le cas québécois, voir André Gélinas, Les organismes autonomes et centraux de l'administration québécoise, Montréal, 1975.

[47] Le Devoir, 2 juin 1978.

[48] Conférence de Claude Ryan, « Le pouvoir judiciaire dans le Québec d'aujourd'hui » à la rentrée des tribunaux, Le Devoir, 14 septembre 1977.

[49] La Presse, 9 novembre 1970.

[50] Le Devoir, 16 mai 1977.

[51] La Presse, 4 novembre 1978.

[52] Ibid.

[53] Le Soleil, 10 novembre 1978.

[54] M. Pierre Marois s'étant désisté à la dernière minute.

[55] Daniel L'Heureux, La Presse, 4 novembre 1978.

[56] La Presse, 6 novembre 1978. Dans deux articles du Tic / Tac, journal des professeurs de l'Université Laval (décembre 1978, janvier-février 1979), M. Patrice Garant a pris le contre-pied de cette thèse.

[57] La Presse, 6 novembre 1978.

[58] Le Soleil, 28 mai 1975.

[59] Le Jour, 7 mai 1975.

[60] Le Soleil, 16 mai 1975.

[61] Le Soleil, 28 mai 1975.

[62] Le Devoir, 15 mai 1975.

[63] Le Soleil, 21 mai 1975.

[64] Le jour, 21 mai 1975.

[65] Au congrès du Barreau en mai 1975 ; au ministère de la justice en novembre 1978.

[66] Le Devoir, 21 novembre 1978.

[67] Il y a quelques années, lors d'un cours d'introduction à la science politique, que nous professions en première année d'un enseignement de premier cycle à Laval, nous avions demandé aux étudiants des exemples concrets, empruntés à la vie politique de tous les jours, de l'exercice de telle ou telle « fonction » politique. L'exemple le plus souvent cité (selon une proportion de quatre fois sur cinq) de l'application typique de la fonction juridictionnelle fut les travaux de la Commission Cliche.

[68] Le Soleil, 5 novembre 1970.

[69] Le Devoir, 30 avril 1971.

[70] Selon le nom de son président, Maxwell W. Mackenzie, avocat de Montréal ; les deux autres commissaires étaient M. James Coldwell, ancien chef national du parti CCF et M. Yves Pratte, alors président d'Air Canada.

[71] Le Soleil, 26 juin 1969.

[72] Comme La Presse du 27 juin 1969 titrant en deux lignes, sur quatre colonnes à la une : « Trudeau dit NON à la CIA canadienne ».

[73] Le Devoir, 5 janvier 1980.

[74] Ce point fut encore récemment réaffirmé devant la Commission McDonald par M. Robin Bourne, conseiller spécial en matière de sécurité de quatre solliciteurs généraux : « I believe in the rule of law. It's a principle that has guided civilization for many years [...] (but] there might be occasions where the security service, in order to do what it's expected to do, may have to break the law. » (The Gazette, 29 novembre 1979.)

[75] Voir note 24.

[76] Citation dans l'article de Gilles Constantineau, « La PP de Duplessis à Wagner », Le Magazine Maclean, mars 1966.

[77] « Plusieurs centaines, pour action politique, vol, concussion, incompétence. » (lbid.)

[78] « ... mais où voulez-vous les trouver ? »

[79] La Presse, 27 janvier 1965.

[80] Le Devoir, 8 janvier 1965. La Presse du même jour citait la tirade au complet, que nous avons abrégée, et truffait de parenthèses sur les approbations que ces paroles suscitaient sur l'auditoire (l'Association des chefs de police et pompiers de la province de Québec en congrès annuel à Saint-Hyacinthe). En particulier, l'allusion à Cité libre (la revue) avait été faite avec le sourire de M. Wagner et comprise par ses auditeurs de ce mois de juillet 1965.

[81] Ne rappelons que deux éditoriaux : celui du Soleil du 9 juillet 1965 : « C'est devenu une espèce de conformisme dans nos cercles « intellectuels » bien-pensants (où il faut obligatoirement penser et pencher à « gauche », c'est un opium nécessaire !) que de répéter le même refrain antiwagnérien, sorte de mot de passe de la secte. » Et celui de Lorenzo Paré dans L'Action du 10 juillet 1965 : « La révolte automatique contre toute autorité est un réflexe de puérilité. Quand l'aveuglement infantile atteint ceux que leurs fonctions désignent comme guides de l'opinion publique, un peuple n'est pas loin de l'anarchie. »

[82] Le Soleil, 6 juillet 1965.

[83] « Les raisons de mon départ ? Frustration profonde et désaccord avec mon ministre. » (La Presse, 15 octobre 1965.) Le lendemain, réponse de M. Wagner : « Le ministre de la justice nie formellement qu'il y ait eu la moindre intrusion ou la moindre tentative d'intrusion de nature politique dans l'administration de la Sûreté provinciale... » (Devoir, 16 octobre 1965.)

[84] Le Devoir, 23 août 1969.

[85] Le Devoir, 25 août 1969.

[86] La Presse, 23 août 1969.

[87] La Presse, 28 août 1969.

[88] Le 8 octobre 1969. Cette grève des policiers et pompiers n'était pas une première. Il y avait eu une grève identique à Montréal en 1943 portant sur la reconnaissance syndicale et le droit d'association. La Ville de Montréal, alors sous tutelle de la Commission municipale du Québec, avait refusé d'exécuter une sentence arbitrale reconnaissant l'une et l'autre. Le gouvernement du premier ministre Godbout força l'exécution de la sentence. La « nuit de la grève » avait été marquée par quelques incendies dont un grave et une vingtaine de méfaits, mais sans commune mesure avec la nuit tumultueuse du 7-8 octobre 1969.

[89] La Presse, 8 octobre 1969.

[90] MM. Pierre Dansereau, Vianney Décarie, Brian Grosman, Noel Lyon, Michael Oliver, Charles Taylor.

[91] La Presse, 15 novembre 1969.

[92] Sous la signature de M. Normand Caron, président, Le Devoir, 8 mars 1978.

[93] Répétant la promesse d'une prime de $50 000 à qui pourrait fournir des informations conduisant à l'arrestation de responsables d'attentats terroristes (Le Devoir, 7 juin 1970). Au nom du Mouvement pour la défense des prisonniers politiques, M. Gaston Miron déclarait dans une conférence de presse : « Il convient d'alerter le public qu'on est en train d'installer ici un système de délation et de créer un nouvel héros populaire : le mouchard. » (Le Soleil, 30 juin 1970.)

[94] La première des 98 propositions recommandait : « Qu'un ministre réponde de l'ensemble de l'action et de l'administration de la police au Québec devant l'Assemblée nationale dans les limites des pouvoirs et attributions qui lui sont reconnus par la loi. »

[95] Ce qui n'allait pas empêcher deux mois plus tard, à la fin de septembre, des arrêts de travail portant sur une question de temps supplémentaire. Mais ce n'était que l'occasion-prétexte d'un malaise plus profond. Laurent Laplante commentait : « Aujourd'hui, il s'agit de savoir qui gouverne la Sûreté du Québec : la direction ou le syndicat. N'importe quel prétexte fera l'affaire, pour peu qu'il permette l'affrontement. » (Le Devoir, 28 septembre 1971.)

[96] Le Soleil, 24 novembre 1977 et Le Devoir, 24 novembre 1977.

[97] Gilles Lesage, Le Soleil, 31 mars 1977.

[98] Jean-Claude Leclerc, Le Devoir, 29 mars 1977.

[99] Le Devoir, 14 juillet 1977.

[100] Le Soleil, 26 août 1977.

[101] Le Devoir, 27 août 1977. Un responsable des affaires publiques de la CIA déclara que « la nouvelle n'a absolument aucun fondement » (Le Soleil, 27 août 1977).

[102] Le Devoir, 13 décembre 1978.

[103] À notre connaissance, cette substitution des droits de l'homme pour les droits de la personne n'est faite qu'au Québec. Elle est l'effet d'une volonté réfléchie si l'on se réfère au mémoire de la Ligue des droits de l'homme à la Commission parlementaire de la justice à l'Assemblée nationale sur le projet de loi 50 (loi sur les droits et libertés de la personne). Sous l'intitulé L'être social homme-femme, il y est dit : « Il convient d'insister sur la place primordiale qu'il faut réserver dans le domaine des droits de l'homme à ce qu'on appelle l'égalité entre l'homme et la femme [...] Dans le langage des droits de l'homme, au moins, ce n'est pas le terme homme qui devrait exprimer l'être humain en tant qu'universel, mais bien « la personne », dont le devenir humain est fondamentalement lié à l'action conjointe et complémentaire de l'homme et de la femme. » (p. 13)

[104] « En Cour suprême, la primauté de la Déclaration sur la législation fédérale intervient une seule fois dans l'arrêt Drybones. jusqu'à celui-ci, d'ailleurs, en aucun cas la Cour suprême ne donna effet à la Déclaration ; l'après-Drybones, néanmoins, fut en comparaison plus heureux, puisque ce tribunal accueillit cinq fois des recours fondés sur la Déclaration des droits, mais sans déclarer aucune loi inopérante. » (Bernard Grenier, La Déclaration canadienne des droits : une loi bien ordinaire ?, Québec, 1979, p. 145.)

[105] « En effet, en lisant ce projet, devenu loi, personne ne connaîtra avec certitude l'étendue de ses droits parce qu'il faudra toujours se référer aux autres lois pour voir s'il ne s'y trouverait point quelque restriction ou même quelque disposition en sens contraire. »

[106] Le Devoir, 15 novembre 1974.

[107] Le Jour, 23 janvier 1975.

[108] La Presse, 23 janvier 1975.

[109] Le Devoir, 2 novembre 1976.

[110] Cité par Lysiane Gagnon, La Presse, 27 avril 1976.

[111] Le jour, 22 janvier 1975.

[112] L'Action, 30 mai 1963 et 20 février 1964.

[113] Le Devoir, 30 octobre 1964, 2 et 3 novembre 1969.

[114] « ... une solution admirable mais partielle », disait M. Guy Favreau.

[115] À l'occasion de l'affaire dite des « faux certificats », sur laquelle M. André Lagarde, mis en cause, avait écrit un livre. M. Daniel Johnson reprendra l'idée dans la suite,

[116] Extrait de son premier rapport annuel, Le Devoir, 18 juin 1970.

[117] Titre d'un article du Montreal Star du 4 novembre 1970 : « Angel of mercy ».

[118] Expression employée lors d'une interview du journaliste Gilbert Athot du Soleil, 11 juillet 1972.

[119] Le Devoir, 13 mars 1971.

[120] Extrait du deuxième rapport annuel, Le Devoir, 8 juillet 1971.

[121] Articles du Soleil, les 7-8-9 mai et 11 juillet 1974.

[122] Le Soleil, 11 juillet 1975.

[123] L'affaire des Investissements Seigle Inc. Voir à ce propos les articles de MM. Alain Baccigalupo et Claude Ryan dans Le Devoir du 9 octobre 1975 et le point de vue du Parti québécois par M. Marcel Léger dans La Presse du 11 octobre 1975.

[124] La Presse, 27 décembre 1975.

[125] Page 7 du Rapport.

[126] Le Soleil, 31 octobre 1964.

[127] Le Soleil, 24 janvier 1976.

[128] Selon M. Guy Tardif, Le Jour, 26 février 1976.

[129] Opinion du journaliste Conrad Bernier, La Presse, 19 juin 1975.

[130] Ce régime qui commence mériterait un développement spécial.

[131] M. André Brossard, Le Devoir, 16 mai 1977.

[132] Les témoignages des juges Cliche et Gold étaient rapportés par Conrad Bernier, La Presse, 19 juin 1975.

[133] Même référence qu'à la note 131.

[134] Page 230 du Livre blanc.



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 11 mars 2009 6:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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