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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

À nous autres. Aide-mémoire politique par le temps qui court (1986)
Coup d'envoi


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Gérard Bergeron (1922-2002), À nous autres. Aide-mémoire politique par le temps qui court. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1986, 209 pp. Collection: dossiers de document. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des oeuvres de M. Gérard Bergeron]
Coup d'envoi

D'entrée de jeu, je me libère de la seule idée que je ne réussis pas à placer dans l'une des cases du plan ébauché afin d'espérer maintenir quelque ordre d'exposition dans ce propos. À la fin des années 1970, dans un article j'avais laissé percer mon inquiétude au sujet d'un Québec post-référendaire dont une proportion importante de la population aurait dit son rejet du système politique la régissant depuis plus d'un siècle. Comment ces opposants à un régime dès lors explicitement refusé retrouveraient-ils leur assiette civique dans l'hypothèse d'un résultat négatif au soir du référendum ? Comment allaient-ils désormais vivre l'écroulement d'un beau rêve remontant d'un état de conscience aussi profond ?

Pourtant non : les dommages traumatiseront les dirigeants d'un parti et non la moitié de tout un peuple. Un grand élan avait été fracassé et la formation politique, qui avait porté le rêve évanoui, prendra six ans à seulement commencer à s'en remettre. La profonde crise d'une société en clivage d'acceptation-refus de son régime politique n'aura pas lieu. On aurait pu craindre qu'une société ainsi divisée ne s'engage dans une instabilité chronique, pour cette cause tout au moins. Depuis ce mai 1980, il se produira plutôt, à un rythme bisannuel, une enfilade d'autres « crises » spécifiques. Elles ne seront pas toutes en stricte dépendance de l'échec référendaire, mais sembleront porter, en corollaire, quelque chose de son amplitude initiale.

Une crise ne chassant pas l'autre, si je puis dire, le Québec du début des années 1980 aura à se débattre dans une série de difficultés disparates et ayant des causes multiples. Seules les crises de doctrine et de leadership du Parti québécois sortaient directement de l'échec du 20 mai 1980 : mais elles n'allaient éclater qu'après un long sursis de quatre ans et demi.

La suite des événements allait donc montrer que mon inquiétude pré-référendaire sur la durée de la division politique, qu'avait enregistrée le vote du 20 mai 1980, n'était guère fondée. Un mien ami, clerc de son état et qui l'est resté, aime proposer l'explication, presque classique, du « changement de religion », et il la résume ainsi. La plupart des croyants de la nouvelle religion de l'indépendance, malgré leur ferveur manifeste, n'y avaient adhéré qu'en surface et par l'effet momentané de la contagion de l'époque. Aussi, le vent soufflant en sens contraire, devinrent-ils en douce disponibles à d'autres valeurs non politiques ; et ils les pratiquent déjà dans l'effort même de les réinventer.

La conséquence en est une démobilisation quasi universelle envers l'Option ou le Projet et, plus largement, une dépolitisation générale qui, selon mon interlocuteur, est loin d'être un mal après la période politiquement chaude du référendum. Ce a quoi, me souvenant fort bien des jours du duplessisme aisément triomphant, je m'empresse de nuancer : pourvu que la faible sensibilisation politique actuelle n'aille pas trop loin et ne dure pas trop longtemps...

Ce jour-là du 20 mai 1980, les Québécois ont donc pris la mesure numérique de l'imprécision de leurs véritables intentions constitutionnelles. Cet hyper-sondage, résumé de tous les précédents coups de sonde depuis vingt ans et que des relevés subséquents ne modifieront guère qu'à la baisse, n'allait pas entraîner un état de conscience tragique de notre destin collectif. Les Québécois qui le vivent encore à ce degré d'intensité n'auront bientôt plus que le choix de livrer de symboliques combats électoraux ou de devoir plus carrément se mettre en retrait ; et on ne les interroge guère qu'au sujet de leur état d'âme. Pendant ce temps, la caravane continue... Vers quelle direction, comment marche-t-on désormais, quels guides se bousculent pour la diriger ?

Ce texte est un effort personnel de mise au point pour d'abord m'y retrouver. Non point que le résultat du 20 mai 1980 fût imprévisible ; mais personne n'avait vraiment songé aux conséquences possibles de l'après-référendum. L'événement lui-même fut vécu avec soulagement par les tenants du Non et avec déception, allant jusqu'à la consternation, pour les fervents du Oui indépendantiste. Entre les deux groupes, les citoyens dont le Oui stratégique était plutôt d'intention néo-fédéraliste furent longtemps habités d'une rancœur tenace. Il reste que le nombre des soulagés l'emportait sur celui des deux classes de déçus, dans l'exacte proportion des 60-40 du résultat référendaire lui-même.

À la fois professionnel et civique, mon intérêt à la politique est assez à l'abri des variations barométriques. Cette réflexion est aussi à l'intention des concitoyens toujours préoccupés par la chose publique. Comment y échapper ? Comme d'autres analystes politiques, je m'adressais, à l'occasion, aux détenteurs des pouvoirs, de gouvernement ou d'opposition, ainsi que le font plus couramment les éditorialistes. Cela cause parfois des malentendus avec les lecteurs, car, si l'on veut atteindre les gens du pouvoir, il est indiqué de le faire dans la perspective même de leur action et de ses fins ; et encore, les chances d'être entendu par eux restent fort minces. N'ayant d'existence que par les approbations variables qu'ils commandent, ils sont naturellement peu enclins à tirer profit des critiques qui leur sont, du reste, plus copieusement décernées.

Mon propos actuel ne ressortit pas, non plus, à la littérature dite « académique » ou plus correctement universitaire, où l'on vise les confrères du métier, les étudiants et les chercheurs. Je ne m'empêcherai pas d'employer le « je » familier, et le propos ira à son but au pas de course sans s'alourdir de la machinerie des longues démonstrations et des références élaborées. Je souhaiterais surtout que ces lignes rejoignent tous ceux qui éprouvent, comme l'auteur, le besoin d'établir nos coordonnées politiques actuelles le moins mal possible. Et, que l'intention de dépassionner l'argumentation n'interdise pas la vivacité de ton !

Quand on est Québécois francophone, on n'a pas le choix d'être ou de n'être pas « nationaliste » : on l'est forcément, c'est une question de survie, avant même de poursuivre ou d'espérer l'épanouissement. La discussion peut commencer sur le « comment » ou sur le « jusqu'à quel point » être nationaliste. Pour ma part, j'ai toujours pensé que l'avenir collectif pouvait être assuré en deçà de l'indépendance politique. Mais je n'ai jamais cru devoir combattre résolument le nationalisme-doctrine, ni même les états d'esprit déformants qu'il engendre. Après l'avènement du 15 novembre 1976, je n'attaquerai le projet de la souveraineté-association que pour son imprécision, bien que l'échec de l'objectif me parût exactement programmé, ce qui fera l'objet d'un développement particulier au titre B de la première partie.

En politique, l'identification de ce qui est désirable et juste, s'imposant le plus souvent d'elle-même, ne crée jamais de grande difficulté. Le difficile est la détermination du faisable dans le plus ou moins juste et, surtout, sans qu'il ne devienne injuste pour quelqu'un quelque part. L'indépendance du Québec est d'évidence du domaine du désirable et il eût été normal ou « juste » que nous y accédions après tant d'autres, bien plus mal équipés pour en mener le cours. Au plan du faisable, l'on butait dès le départ sur notre propre indétermination collective sans même prendre en considération les obstacles extérieurs qui ne manqueraient pas d'être décisifs dès lors que, de l'intérieur, une dynamique centrifuge se mettrait en marche. Ç'eût été endosser la livrée d'un prophète de malheur que de le rappeler en répétition.

J'ai préféré adopter cette position critique générale : que l'indépendance ne rate pas si elle doit avoir lieu. Elle m'apparaissait d'une attitude intellectuelle plus généreusement accueillante à l'événement en train de peut-être se produire, et sur lequel je n'avais pas plus de prise qu'aucun de mes concitoyens en particulier. Le « comment l'indépendance » s'imposait comme question majeure et non pas son « quoi », à propos duquel pourtant tout le monde débattait en se déchirant. De fait, quelle certitude objective avais-je dans ma relative assurance d'analyste ? Ou, plus platement si l'on veut, je ne refoulais pas complètement le doute de pouvoir me tromper...

Une autre de mes préoccupations fondamentales, et m'ayant lâché moins que jamais en cette occurrence référendaire, est qu'en politique le déterminant final est l'importance des oppositions, des obstacles, des contradictions : autre façon de reposer les contours du faisable en deçà des marges de l'impossible. Que voilà un curieux « intellectuel », qui semble se complaire dans l'analyse des difficultés du faisable (et ne s'interdisant de faire a ce propos la leçon aux hommes politiques, ces grands « réalistes ») plutôt que dans la promotion du désirable collectif !

Il prenait alors le risque d'être suspect des deux bords : du côté fédéraliste, en maintenant les valeurs au désirable ; du côté indépendantiste, en explorant les moyens du faisable. Cette espèce d'isolement volontaire, à un moment où il était plus emballant, et paraissait même plus sécuritaire, de rallier l'un ou l'autre des deux camps retranchés, je m'en suis expliqué à J'époque. Cette solitude consentie est moins mal comprise à l'heure actuelle. Je me sens plus dégagé pour reprendre la parole avec le sentiment de n'avoir pas eu tellement tort en laissant percer des inquiétudes, en forme de doutes, sur le déroulement des choses en train de se produire.

Enfin, je n'ai pas cru devoir référer le lecteur à des études antérieures publiées depuis 1977 (voir la liste Du même auteur au début) pour rappeler qu'en des contextes analytiques plus larges j'ai déjà traité de telle ou telle question de façon moins expéditive qu'ici. En particulier, la première partie portant sur l'après-référendum et sur ses suites n'avait pas à rediscuter J'expérience globale du Parti québécois depuis novembre 1976. Celle-ci fut l'objet de traitements élaborés d'abord comme analyse de système (dans Pratique de l'État au Québec, 1984), puis comme étude de personnalités (dans Notre miroir à deux faces : Trudeau - Lévesque, 1985). Le petit livre actuel peut être considéré comme une espèce de post-scriptum à ces deux ouvrages.


Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 12:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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