Nos vedettes s'adonnent au sport ou à la politique. Les premiers n'ont pas comme vocation première de penser ; la pensée des seconds est univoque, simplificatrice, comme si l'exigence de l'action partisane réduisait l'homme à une rengaine. Pour l'intelligence du monde et de notre milieu, il faut aller voir de l'autre côté de l'action, qui n'est pas tant son contraire que son complément, ouverture à l'histoire, à tous les possibles, refus des idéologies toutes faites, fût-ce pour la bonne cause. Il n'y a pas foule. Mais vous rencontrerez à coup sûr Gérard Bergeron, dont on ne sait pas s'il en est l'archétype ou le dernier des Mohicans.

Concentrant en lui tous les ingrédients de la partisannerie (compétence de politologue, passion pour la chose publique, interventions journalistiques répétées, connaissance des hommes de pouvoir), comment a-t-il pu, dans le débat manichéen des 25 dernières années, résister à tous les rangs d'oignons qui se sont offerts à lui : l'opposition libérale de Lapalme-Lesage, l'équipe du tonnerre de la Révolution tranquille, le « French power » et les Trois Colombes, le mouvement indépendantiste qui a abouti au gouvernement Lévesque ? Et cela, après avoir invité bon nombre des têtes d'affiche de ces différentes équipes à faire le saut dans l'action ?

Poser la question, c'est déjà avoir un pied dans l'univers mental de Gérard Bergeron. Au fil des entretiens, vous découvrirez un être complexe, irréductible, foncièrement binaire : à la fois de la tour d'ivoire et de la place publique, d'ici et d'ailleurs, nationaliste et internationaliste, individualiste et communautariste, sensible et rationnel. Ce nœud de contradictions apparentes constituent son essence même, au sens philosophique comme dans son acception « énergétique ». Non seulement ses contradictions le maintiennent-elles en un équilibre toujours à refaire, tel un funambule, mais elles, seules, lui permettent d'avancer et de rechercher un progrès qui ne soit pas la négation d'un pan de la réalité ou qui se fasse à son détriment.