Philippe BENSIMON
Ph.D., criminologue,
Membre de l'Ordre professionnel des criminologue du Québec (OPCQ)
“Registre des armes à feu.
Un raisonnement trompeur.
Selon une logique simpliste, on postule
que c'est l'arme qui fait le meurtrier.”
In Le Devoir, Montréal, édition du 5 février 2018, page A7 idées.
Photo: Patrick Kovarik Agence France-Presse «Bandes criminelles ou crime organisé, avec ou sans registre, aucun ne serait assez stupide pour s’approvisionner chez un armurier ! Restent alors les chasseurs, les collectionneurs ou le fermier du coin et son .12 accroché au-dessus du foyer», écrit l'auteur.
Au regard de toutes ces fusillades qui, hélas, ne font que se répéter en détournant notre attention des quelques centaines de milliers de morts liées aux conflits par nations interposées ou de la faim qui enterre plus de 18 000 enfants par jour, hypocrisie oblige, rien n’empêchera le quidam de se mettre à table ce soir en regardant les mêmes bulletins de nouvelles ou de se louer la dernière version de Saw, un sac de pop-corn à la main.
Que cela soit dans une école, dans un centre commercial ou du haut d’une tour, que se cache-t-il vraiment derrière cet objet à la fois diabolisé et à la fois devenu un incontournable du monde cinématographique, où la fiction finit par faire la une de tous nos médias ? Comment un tel objet peut-il exercer autant de fascination ?
Comme dans bien des domaines, que l’on soit pour ou contre… le mieux, évidemment, serait de ne rien posséder du tout, mais en suivant cette logique on ne peut plus simpliste, retirons l’automobile de nos routes et, pendant qu’on y est, bannissons l’alcool et le tabac, lesquels tuent infiniment plus que toutes les armes à feu réunies dans le monde !
Et puis est-ce l’outil qui fait le « monstre » ou est-ce la personne qui choisit tel objet plutôt qu’un autre ? Voyons cela d’un peu plus près.
Manque de connaissances
Au Canada, plus de 7 millions d’armes à feu sont entre les mains de près de 2,3 millions de propriétaires, dont près de deux millions possédant un permis. Ouvrons ici une toute petite parenthèse derrière ce fameux registre des armes à feu d’inspiration libérale au sens philosophique et politique du terme. Bien que les armes soient enregistrées depuis 1934 au Canada, c’est durant la Seconde Guerre mondiale, et plus exactement en 1943 et non en 1995, que fut créé le registre des armes à feu, lequel interdisait et interdit toujours la possession de toute arme de poing ou automatique (par rafales). Ce pseudo-contrôle, qui n’a d’autre poids qu’un simple écran de fumée à des fins purement électoralistes, bandes criminelles ou crime organisé, avec ou sans registre, aucun ne serait assez stupide pour s’approvisionner chez un armurier ! Restent alors les chasseurs, les collectionneurs ou le fermier du coin et son .12 accroché au-dessus du foyer.
À l’instar de bien des domaines, la plupart de ceux qui brandissent de tels discours d’épouvante et pour le moins récurrents sur les armes à feu n’ont généralement pas la moindre connaissance sur la question. Et dans ce qui ressemble à un relent du cerveau reptilien, beaucoup croient aussi que ceux qui en possèdent au moins une sont dénués de jugement. Or, au regard des faits, moins d’un propriétaire d’arme à feu ayant un permis sur 100 000 autres est accusé de meurtre durant une année donnée, et ce, depuis près d’un demi-siècle. Autrement dit, les Canadiens qui ne possèdent pas d’armes à feu sont beaucoup plus enclins à commettre un homicide que ceux qui en ont une.
Derrière l’abattage médiatisé, le Canada enregistre annuellement une moyenne de 580 homicides depuis les 20 dernières années. De 1961 à 2016, sur un total de 30 510 homicides, moins du tiers était attribuable aux armes à feu. Les victimes sont la plupart du temps tuées avec un objet coupant, contondant ou à mains nues. Chiffres que l’on préfère ignorer en croyant enfin avoir trouvé les coupables et contre lesquels le registre s’avère LA solution.
Aux États-Unis, plus de 283 millions d’armes à feu circulent librement : 9 citoyens sur 10 en possèdent au moins une. Au regard des données statistiques, la moyenne étasunienne s’élève à 16 000 homicides tous moyens confondus, dont un peu plus de la moitié par armes à feu. En fonction de cette naïveté disant que « armes à feu = tueries », alors que l’histoire de l’humanité est bâtie sur l’anéantissement de populations entières bien avant l’invention des premières armes à feu, avec de tels chiffres, le nombre de fusillades devrait en toute logique grimper à quelques centaines de milliers de morts par an ! Une fusillade comme celle qui vient encore une fois de secouer les esprits, au nombre d’armes à feu en circulation d’est en ouest, il devrait y en avoir au moins une dizaine par jour !
Raisonnement réducteur
La logique « armes à feu = violence » relève d’un raisonnement extrêmement réducteur, un peu comme si c’était l’arme qui fabriquait le meurtrier alors qu’elle n’est qu’un objet au même titre qu’un marteau, une batte de baseball ou un simple couteau. De plus, aucune étude dans le monde n’a pu à ce jour démontrer en toute impartialité que les lois entourant le contrôle des armes à feu permettaient de réduire le nombre de crimes violents ni même de suicides.
Que l’individu s’interroge plutôt sur la véritable nature qui l’habite depuis la nuit des temps. Cela semble en effet extrêmement difficile à concevoir et combien terrible à entendre, alors on préfère, et de loin, évoquer telle ou telle autre pathologie. Criminologues et psychologues ont développé un véritable savoir-faire dans ce type de discours, car il est beaucoup plus facile de dire que l’individu a agi par haine (généralement la mère toujours fautive…) que de s’entendre dire qu’il a agi par plaisir. Il est totalement inconcevable de penser que l’homme de la rue puisse tuer ou faire mal par pure satisfaction ! Même rhétorique pour les armes à feu, le coupable, c’est bien elle, alors abolissons-les toutes et nous aurons enfin retrouvé la sainte paix.
Or, qui sont tous ces hommes aux valeurs souvent pro-sociales, tous ces bons pères de famille et qui, en temps de guerre, tuent, violent, pillent un peu partout dans le monde et ailleurs demain ? Des malades mentaux ? Des dépravés ? Des pervers lubriques assoiffés de sang ? Laissons cela aux romans policiers. La réalité est tout autre : de simples et petits hommes tout ce qu’il y a de plus banal peuplant nos prisons. Oui, la nature est étrange lorsqu’il s’agit de trouver un coupable et de le pendre sur la place publique.
|