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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Louis Benoît, “Restaurer la démocratie.” (2006)
La démocratie en péril


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Louis Benoît, “Restaurer la démocratie.” (2006). Réflexion personnelle sur la situation politique actuelle, résultat d'une dérive commencée en 1970. 23 avril 2006. [Autorisation accordée par l'auteur de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales, le 9 novembre 2006.]

La démocratie en péril

Il serait bien maladroit de crier : « au loup ! » sans raisons précises, graves et concordantes. Il ne s’agit donc surtout pas de remettre ici en cause la démocratie qui demeure pour moi, selon l’expression de Churchill : « Le pire des régimes à l’exception de tous les autres », mais d’en dénoncer un usage perverti et de proposer des remèdes. 

En son temps, Tocqueville prévenait déjà son lecteur que, désormais, l’alternative politique se réduirait à choisir entre la démocratie et le despotisme. L’auteur de La démocratie en Amérique met clairement en évidence que, contrairement à l’opinion naïve, démocratie et despotisme ne sont pas antinomiques : la démocratie peut être despotique en elle-même ou conduire au despotisme. « Despotisme doux » de l’État tutélaire et providentiel dans un cas, despotisme dur dans l’autre. Le « despotisme doux » consacre la victoire du « dernier homme » nietzschéen, dont une masse considérable de citoyens souhaite l’avènement : « Fais-nous semblables à ces derniers hommes [1]» clament-ils à longueur d’émissions de télé réalité. Quant au despotisme dur dont Tocqueville avait bien prévu le surgissement, contrairement à ce qu’affirment bien des commentateurs, il l’a vu se mettre en place avec le coup d’État de décembre 1851 et l’instauration du second Empire : deux attentats perpétrés contre la démocratie, la liberté et les institutions « validés » tous les deux par le suffrage populaire du plébiscite [2]. 

Pour Tocqueville, dès 1835, le problème n’est pas celui de l’avènement de ce régime, puisqu’il est inéluctable - qu’il prenne la forme d’une monarchie constitutionnelle ou d’une République - mais celui de la nature précise qu’il prendra : « Il s’agit de savoir, si nous aurons une République agitée ou une République tranquille, une République libérale ou une République oppressive » [3], écrit-il en 1848. 

La démocratie peut être le lieu du progrès économique, social et moral, le lieu de la politique équilibrée, rationnelle où la réforme se fait par et pour le citoyen, mais elle peut également être le lieu du despotisme, de l’exploitation, du non-droit. 

Aujourd’hui, d’autres démocraties que la nôtre connaissent de graves problèmes : l’Italie, Israël, les Etats-Unis [4]… mais nous aurions tort de nous gausser de ce grand pays démocratique qui connaît des retours de balancier et une alternance de périodes où la démocratie est remise en question par les liens pervers du monde politique et des services secrets avec la mafia, par le maccarthysme, ou l’utilisation abusive du Patriot Act ; et des périodes de ressaisissement. 

Les États-Unis ont su remettre en cause la guerre du Vietnam dès la fin du conflit ; des films comme Apocalypse now et Voyage au bout de l’enfer en témoignent. Ceux de la production récente font de nouveau une virulente critique du pouvoir et de la politique suivie ; non seulement les films de Michael Moore, mais encore des films comme Good Night, and Good Luck et Syriana. De même le poids du législatif et des commissions d’enquêtes est beaucoup plus fort aux États-Unis qu’en France. Les membres du cabinet Bush ont dû, par exemple, venir se soumettre au questionnement sans concessions du Sénat concernant les circonstances qui ont conduit à l’engagement du pays dans la seconde guerre d’Irak. Aujourd’hui, l’opposition ne désespère pas de réussir à enclencher, voire à mener à terme une procédure d’impeachment. Rien de semblable en France où le Conseil Constitutionnel a rendu un arrêt interdisant d’entendre le Président à propos des multiples affaires politico-financières dans lesquelles son nom apparaît. 

La démocratie française, notre démocratie est, à mon sens, largement problématique depuis trop longtemps. Dans l’esprit de nos concitoyens, la crise actuelle annonce une rupture, dont chacun s’inquiète : « Quels fruits récolterons-nous en 2007 des semences confusionnelles de 2002 ? » Les soubresauts actuels sont, pour partie, mais pas seulement, une réplique sismique de cette l’élection faussée, partiellement volée, même si les apparences de la démocratie ont pu sembler globalement respectées. 

Contrairement à la nôtre, les démocraties nordiques se portent fort bien et donnent l’exemple d’un contrat social réussi et constituent un modèle politique dont nous serions avisés de nous inspirer ; elles sont le lieu de la discussion et du consensus. Dans ces pays, les femmes forment la moitié de la représentation nationale, le chômage est supportable et l’économie prospère ; mais ceci explique, au moins en partie, cela : les ministres doivent rendre compte de leurs moindres dépenses, y compris leurs coups de téléphone personnels. Pas question pour ces nations d’admettre que des hommes politiques puissent vivre sous les lambris dorés des palais de l’État pendant des décennies… 

Avant de proposer un certain nombre de remèdes d’inspiration et d’esprit tocquevilliens, il importe d’analyser non seulement les signes cliniques du mal français aujourd’hui mais encore les causes profondes de ce péril auquel notre démocratie est confrontée.


[1] Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, prologue 5. Le lecteur reprendra à son profit ce texte remarquable de Nietzsche qui trouve peut-être sa réalisation la plus complète dans la société médiatique qui est la nôtre, que ce soit dans la télé réalité, dans une partie au moins de la télévision sportive, mais plus encore dans les émissions à vocation sociétale ou critique et surtout dans les émissions pseudo littéraires de Guillaume Durand et de Franz Olivier Giesbert, par exemple.

[2] Rappelons que le second plébiscite qui allait présider au rétablissement de l’Empire ne vit que 250.000 « non » - soit 3% du corps électoral - s’opposer à 7.800.000 « oui ». Tocqueville - contrairement à certains de nos hommes politiques, « républicains et démocrates » ( !) qui encensent les mérites de Napoléon Ier et Napoléon III – établit que l’oncle et le neveu ont été des despotes liberticides ; le premier « a fait de nos alliés naturels nos pires ennemis » (lettre de Tocqueville à son neveu Hubert, attaché d’ambassade à Berlin, 7 février 1858), le second a renversé la République le 2 décembre 1851. Ajoutons qu’il a parachevé le travail en déclarant la guerre à la Prusse ; le conflit commencé en 1870 ne s’achèvera qu’en 1945, après deux guerres mondiales, la ruine des deux pays et de l’Europe.

[3] Préface de la douzième édition de La démocratie en Amérique, 1848.

[4] La liste n’est pas et n’a pas la prétention d’être exhaustive, d’autant plus que les démocraties d’aujourd’hui passent , ou sont passées, par des périodes de crises et que des pays redevenus démocratiques ont connu des dictatures militaires : la Grèce, l’Argentine, le Chili, par exemple !


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 novembre 2006 19:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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