Le texte de Boissy d’Anglas Essai sur la vie, les écrits et les opinions de M. de Malesherbes, adressé à mes enfants, dans la présentation que nous en faisons dans cette édition, est d’une importance capitale.

Malesherbes a été un personnage remarquable, véritable Janus Bifrons, ami et protecteur des philosophes, il est le principal acteur de la réussite de l’édition de La Grande Encyclopédie. Directeur de La Librairie, en charge de la censure, il en contourne les obligations pour aider à la publication des textes des philosophes, en même temps, comme Président de la Cour des Aides, il mène un combat frontal contre ce qu’il considère comme le despotisme de Louis XV.

Deux fois ministre de Louis XVI, il entame avec Turgot, en 1774-1775, un gigantesque programme de réformes destinées à sauver le régime. Turgot renvoyé, il démissionne, mais lorsque Louis XVI est appelé devant le tribunal révolutionnaire, il demande à être son défenseur, sachant bien qu’il risquait sa tête, mais ne pensant pas qu’il entraînerait dans la mort avec lui, cinq de ses parents.

C’est la découverte de cette double nature de son bisaïeul, faite par Alexis, à seize ans, en 1821, qui provoque en lui une véritable crise existentielle et une véritable mue idéologique. Cette remise en cause idéologique, est le résultat de la découverte du second visage de son bisaïeul dans le livre de Boissy. 

Pour l’entourage d’Alexis, Malesherbes n’était que la victime émissaire des bourreaux de la Terreur. L’oncle Louis de Rosanbo qui veillait sur le culte familial rendu à Malesherbes, avait caché à son neveu que celui-ci avait d’abord été le protecteur de ceux dont les héritiers idéologiques le menèrent à l’échafaud. Le fait était pourtant connu des proches, d’Hervé de Tocqueville, père d’Alexis, Chateaubriand, mais ceux-ci n’en faisaient pas état.

L’édition que nous proposons ici établit donc, avec netteté, le passage des textes et des actes politiques de Malesherbes au livre de Boissy qui est la biographie la plus achevée du moment, et, de là, à la formation idéologique d’Alexis lui-même, autre Janus Bifrons : aristocrate par nature et au plus profond de lui-même, et démocrate par raison, ce que nos compatriotes ont tant de mal à admettre ou à comprendre.

En ce sens, le texte, tel que nous le présentons, est capital et fournit l’une des trois principales clés de lecture et de compréhensions de l’œuvre et de l’action d’Alexis de Tocqueville.

Jean-Louis Benoît