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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean Benoist, “Du social au biologique: étude de quelques interactions”. Un article publié dans la revue L'HOMME, vol. 6, no 1, 1966, pp. 5-26. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 17 juillet 2007 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

 Jean Benoist 

Du social au biologique : étude de quelques interactions”. 

Un article publié dans la revue L'HOMME, vol. 6, no 1, 1966, pp. 5-26. 

Introduction
 
I. ENDOGAMIE ET MICROÉVOLUTION. LE CAS DE SAINT‑BARTHÉLEMY
 
1˚ Évolution historique de l'isolat.
2° Analyse de Saint-Barthélemy.
 
Les unités sociales : quartiers et paroisses.
Normes et comportements réels.
 
3° Les caractéristiques physiques et leurs transformations.
 
II. STRUCTURES GÉNÉTIQUES, STRUCTURES SOCIALES ET DYNAMIQUE ÉVOLUTIVE
 
La dynamique du métissage.
 
Bibliographie
 
Tableau 1Endogamie des Blancs de Saint-Barthélemy.
Tableau 2Lieu de naissance des conjoints, et endogamie des paroisses.
Tableau 3Endogamie de trois quartiers ruraux.
 
Carte. St-Barthélemy - Endogamie

 

Introduction

 

Après avoir espéré trouver dans la nature les racines des particularités de la culture, ethnologues et biologistes se sont séparés sur un échec ; depuis, on se salue d'un côté à l'autre d'une barrière et le terme « anthropologie » demeure, à travers ses fluctuations sémantiques, le seul cadre de cohabitation de gens qui n'ont plus rien à se dire, qui pressentent parfois que leur dialogue serait dans l'ordre des choses mais qui se taisent, faute de trouver à l'alimenter. 

La question peut se poser toutefois de relations autres que la recherche périmée de causes biologiques aux variations culturelles. À mesure que les sciences sociales progressent, leurs travaux deviennent utilisables par d'autres disciplines. L'analyse des faits culturels et des systèmes sociaux fait apparaître certaines forces que le naturaliste tenait jusqu'alors pour négligeables ou incontrôlables. Il peut les introduire parmi les variables de sa recherche et dans son appareil explicatif, et une part de son attention se tourne vers la mise en évidence des voies qui permettent à ces faits de jouer sur ce qu'il étudie. Renversant en quelque sorte la problématique initiale, c'est lui qui pose des questions aux ethnologues. 

Les paléontologistes se sont engagés les premiers sur ce chemin ; toute définition de l'homme basée sur des critères purement anatomiques est insuffisante. Pour déceler l'apparition de la lignée humaine on doit faire appel à des faits d'ordre fonctionnel traduits par des comportements techniques ; il faut également s'appuyer sur les données archéologiques pour suivre le cheminement de l'hominisation, à travers l'enfilade des relations par lesquelles le milieu modèle l'homme. À l'aube de l'humanité, le biologique et le culturel s'épaulant, la genèse et la spécificité de l'homme en tant qu'espèce sont commandées par les activités de l'homme social. Mais cette représentation ne traduit‑elle pas une démarche évolutive plus générale de l'espèce, et ces mécanismes n'ont‑ils pas certaines chances de se poursuivre chez l'homme contemporain ? 

L'évolution est justement devenue le concept central de l'anthropologie physique moderne. Les races humaines que nous connaissons apparaissent de plus en plus comme les stades contemporains d'une transformation continue, comme des épisodes au sein d'une série. La question principale n'est plus d'inventorier les caractéristiques des groupements raciaux, mais d'analyser la raciation et ses modalités. Ce passage à un nouveau point de vue enlève aux traits physiques et aux particularités des races leur position privilégiée ils deviennent de simples indicateurs des mécanismes évolutifs qui entraînent les populations. Ils sont les signes, au niveau biologique, des forces qui manipulent le patrimoine héréditaire des groupes et qui orientent leur diversité. L'intérêt de l'anthropologie physique se concentre sur ces forces et, dans la mesure où elles dépassent le cadre de la biologie, c'est l'objet lui-même de la discipline qui va quitter ce cadre. 

Faisant partie du monde biologique, l'homme en subit certes les lois, que rien ne peut modifier. Les mécanismes de l'évolution sont cependant extrêmement divers. Ils orientent les transformations de l'espèce en affectant de chances inégales les diverses possibilités ouvertes par ces lois, et ils le font en insérant dans la dynamique évolutive des facteurs non biologiques qui se situent à tous les niveaux d'intégration des populations humaines. Les facteurs sociaux ne peuvent toutefois avoir prise qu'en certains points de la suite de réactions qui canalise l'évolution, plus précisément sur la chaîne des relations de l'espèce avec son milieu. Toute transformation évolutive résulte en effet d'une série de réponses de la matière vivante au milieu qui l'héberge. Ce n'est qu'au sein de ce dialogue que peuvent apparaître ces caractéristiques propres à notre espèce que sont les actions de l'homme sur lui-même ; elles ne peuvent pour le moment toucher aux lois qui dictent ses « réponses », mais elles sont en mesure de susciter d'autres questions » les productions de l'homme et les rapports organisés entre les hommes se combinent en un environnement culturel qui remanie l'ajustement des traits phénotypiques au milieu naturel. L'interposition de ce nouvel environnement infléchit les processus de sélection ou de dérive qui guident l'évolution biologique les pressions sélectives antérieures se relâchent, les conditions géographiques perdent de leur importance, la survie dépend de moins en moins des réponses biologiques à brève ou à longue portée ; à mesure que les sociétés disloquent l'enchaînement direct homme‑nature, elles prennent à leur compte une part des influences exercées chez les autres espèces par le milieu naturel. 

Ainsi voit-on converger, dans l'analyse de la dynamique des populations, les préoccupations biologiques et sociologiques de l'anthropologie et s'affermir le terrain de leur collaboration. Mais, cette fois, l'ordre des causalités est inversé et les phénomènes biologiques dépendent étroitement des faits sociaux auxquels ils s'intègrent si profondément qu'il ne semble pas que nous soyons en présence de niveaux fondamentalement différents. Les différences ne portent que sur les techniques d'approche d'une zone‑carrefour dont l'étude ravive l'unité et la spécificité de la science anthropologique. 

La collaboration des ethnologues et des biologistes dans ce domaine s'est déjà imposée à plusieurs reprises. Percevant que les uns ou les autres, isolés, décriront les éléments du système mais n'arriveront pas à restituer son fonctionnement, divers auteurs ont travaillé dans cette direction (Wright, 1938 ; Coon, 1950 ; Hulse, 1955 ; Spuhler, 1959). Toutefois l'idée et les méthodes d'étude d'un thème commun sont en général plus nets dans l'esprit des généticiens - car elles répondent pour eux à un besoin immédiat - que dans celui des ethnologues. Encore doit-on noter que ce n'est qu'au cours des dix dernières années que l'on est passé à une confrontation sur le terrain des connaissances génétiques théoriques avec les faits qui se déroulent dans les sociétés humaines. 

Mais à quelle part de la biologie s'appliquent ces remarques ? Il serait absurde de penser que l'ensemble des sujets dont traite l'anthropologie physique puisse se situer dans cette perspective. Il existe un donné biologique préalable au jeu des activités humaines, que celles‑ci n'ont guère le pouvoir d'atteindre. Cet étage des caractéristiques générales de l'espèce forme cependant le soubassement de celui des fluctuations microévolutives, c'est-à-dire de cet ensemble de changements qui permettent aux différences microraciales et régionales de se constituer. Ces variations, de faible amplitude, instables, généralement non adaptatives, différencient des groupes locaux, des strates sociales, des populations isolées ; elles se révèlent à l'examen de quelques caractères (groupes sanguins, pigmentation, caractéristiques génétiques ou morphologiques d'importance secondaire, mutations pathologiques), et n'apparaissent pas pour d'autres. Toutefois, s'additionnant de proche en proche à l'échelle d'un continent, elles construisent ce que nous percevons comme la diversité des races. Peut-être même est‑ce à travers elles que circule le courant macroévolutif, et ce que nous pouvons observer directement à une échelle restreinte nous apporte sans doute la clé de ce qui se passe au cours de périodes bien plus amples qui voient se dérouler des transformations beaucoup plus considérables. 

La distinction de ces deux étages des caractéristiques biologiques met en évidence leurs relations fort différentes avec les activités humaines ; des oppositions et des regroupements nouveaux émergent face à la traditionnelle dichotomie du biologique et du social. Les faits zoologiques généraux posent les exigences fondamentales de l'espèce et conditionnent ainsi les traits psychologiques et sans doute sociaux universels : les différences culturelles entre les Australopithèques et l'Homo sapiens s'expliquent d'abord par des différences anatomiques. Mais dès qu'on aborde les modalités de satisfaction des exigences de base, au sein d'un groupe qui ne recèle pas de variantes anatomiques de cette ampleur, ce sont les variations culturelles qui prennent le premier rang. Leur orientation dépend de faits de civilisation, et le point de départ de cet article fut justement le rappel du constat qu'à ce niveau elle ne dépend pas d'autre chose. On a vu toutefois que dès lors qu'il s'agit de faits d'évolution, les variations qui se produisent dans un domaine ont de fortes chances de se répercuter ailleurs, si bien que des différences initialement socio-culturelles peuvent amorcer des divergences biologiques. Aussi est‑on amené à concevoir que l'opposition fondamentale se situe entre ce qui est général à l'espèce et qui relève du biologiste, et ce qui, culturel ou biologique, se rattache à ses variations et relève des sciences sociales. 

Les travaux qui vont être présentés ici à partir de deux séries d'études effectuées sur le terrain portent sur ces faits de variation et soulignent combien toute distinction, tant dans l'analyse que dans l'explication, entre le champ des faits biologiques et celui des faits sociaux, nous aurait contraint à demeurer arbitrairement fragmentaire. 

 

I. ENDOGAMIE ET MICROÉVOLUTION

 

C'est au sein de petites unités de population, hautement endogames et isolées pendant de longues périodes, que les facteurs évolutifs se conjuguent de la façon la plus claire. Dans les grandes populations les transformations se recoupent en courants inextricables et il est souvent difficile de les distinguer sous l'apparente stabilité moyenne du groupe. Si celui-ci est restreint, leur concordance entraîne plus aisément une divergence évolutive globale. 

De plus, certains facteurs génétiques ou statistiques accélèrent la microévolution dans les petites populations : les fluctuations au hasard peuvent plus rapidement faire franchir au patrimoine héréditaire des étapes irréversibles ; la consanguinité joue en faveur de certains génotypes et propose à la sélection des combinaisons différentes de celles que la même composition moyenne déterminerait dans des populations plus vastes ; le saut d'une constellation génique à une autre est plus facile. Aussi la comparaison d'un petit groupe humain avec sa population d'origine a‑t‑elle paru l'une des meilleures voies vers l'analyse quantitative de la microévolution. 

À ces raisons d'ordre génétique s'en ajoute une autre la définition précise que les travaux des démographes donnent de l'unité de population qu'est l'isolat, tout au moins dans la construction du modèle dont certaines sociétés humaines réalisent des variantes. La quantification de diverses caractéristiques (dimension, immigration, population efficace, consanguinité) dans les populations réelles permet des confrontations avec les modèles, et, les propriétés de ceux‑ci face aux forces évolutives étant connues, il devient possible de jauger l'influence de ces forces dans une population réelle. Aussi, à côté des travaux théoriques (Wright, 1932, 1938, 1940 ; Sutter et Tabah, 1951 ; Sutter, 1962) se sont développées des études de populations réelles (Neel et al., 1949 ; Kluckhohn et Griffith, 1950 ; Glass et al., 1952 ; Spuhler et Kluckhohn 1953 ; Glass, 1954 ; Kluckhohn, 1956 ; Oliver et Howells, 1957 ; Salzano, 1961, 1962 ; Gessain, 1963). Dans leur recherche de la plus petite unité de population formée d'individus dont le patrimoine héréditaire évolue en commun, tous ces travaux montrent combien les déterminismes géographiques et naturels jouent peu, à l'opposé de ce qui se passe en zoologie. Il existe certes une insertion géographique de ces populations, une implantation des groupes endogames sur un territoire, mais les frontières réelles du groupe tiennent à des prescriptions et à des proscriptions d'alliances d'origine sociologique. Les facteurs de définition d'une communauté humaine sont avant tout culturels, alors que ceux du groupe animal sont avant tout naturels. L'implantation apparaît plutôt comme l'inscription d'une réalité sociale dans un espace géographique, que comme sa détermination par les particularités d'un terrain. Cette primauté de l'espace social se répercute immédiatement sur la circulation des gènes les distances entre individus, les barrières qui enferment des sous‑groupes, le taux des échanges entre ces derniers en dépendent étroitement. Si les propriétés des groupes vérifiées sur l'animal ou décrites en génétique théorique des populations demeurent valables chez l'homme, c'est au prix du transfert du cadre spatial naturel (barrières géographiques et physiologiques) au milieu social : le patrimoine héréditaire des groupes humains entretient donc avec les structures sociales qui touchent aux alliances, des rapports homologues à ceux des groupes animaux avec les facteurs naturels qui dictent leur fragmentation ou les rassemblent dans certaines zones. Les barrières naturelles elles-mêmes, qui existent évidemment dans la distribution des populations humaines, sont bien plus souvent le résultat de faits historiques que du hasard de quelque migration ou de quelque cataclysme. 

Mais il existe une autre différence fondamentale entre les petits groupes humains d'une part et les modèles théoriques ou les populations animales expérimentales d'autre part le schéma des alliances au hasard, sur lequel se basent les calculs de probabilité qui permettent de prévoir l'évolution d'un petit groupe à l'intérieur de ses barrières, n'est pas applicable à l'homme. Il suppose une absence totale de structuration des échanges géniques tout à fait contraire à ce que les ethnologues ont toujours observé. Nettement inadéquat pour les petites sociétés traditionnelles, le schéma de la panmixie ne doit pas non plus être utilisé sans précaution dans les grandes sociétés, et cela incite à la prudence à l'égard de travaux qui partent du cadre théorique pour analyser des populations dont on ne connaît pas les structures réelles. En d'autres termes, les règles sociales peuvent, au sein d'un même isolat, faire varier la consanguinité dans de telles proportions qu'on ne peut compter sur l'analyse de celle‑ci pour indiquer la dimension des populations endogames ; il faut au contraire partir de l'examen des règles sociales pour interpréter les variations de la consanguinité. Introduisant des inégalités de probabilité dans les alliances, les règles sociales entraînent une structuration plus ou moins rigide de la société, qui se reflétera dans la structure génétique du groupe. 

Ainsi les petites populations, qui sont des objets privilégiés dans la mise en relief des mécanismes évolutifs, sont‑elles régies, tant dans la détermination de leurs limites que dans l'agencement interne des redistributions génétiques qui se font de génération en génération, par les règles sociales canalisant le choix du conjoint. Ceci implique une stratégie de la recherche qui tienne étroitement compte de cette dépendance, voire même qui fasse de cette dépendance son objet et brise le cadre contraignant des sous-disciplines de l'anthropologie. 

 

LE CAS DE SAINT-BARTHÉLEMY [1]

 

Peuplée en 1961 de 2 216 habitants (dont 324 au bourg de Gustavia et 1892 dans les quartiers ruraux), la petite île de Saint-Barthélemy (25 km2) abrite l'un des groupes humains les plus hautement endogames qui se puisse rencontrer. De surcroît, ce groupe évolue depuis trois siècles à partir d'une population initiale restreinte assez nettement définie, et il était tentant de se rendre compte de la nature et de l'ampleur des transformations somatiques et biologiques qui pouvaient théoriquement s'y déceler. Une interprétation suffisamment fine des données biologiques requérait alors une enquête portant sur l'histoire de ce groupe et sur ses structures sociales actuelles en vue de délimiter l'unité de microévolution et l'agencement interne de cette unité.

 

1˚ Évolution historique de l'isolat.

 

Quoique située géographiquement au cour de l'aire des plantations, Saint-Barthélemy n'en fait pas partie : ses caractéristiques sociales et économiques l'en empêchent. Son relief, la sécheresse générale de son climat, le morcellement de la propriété terrienne s'opposèrent toujours à un véritable essor de la monoculture de la canne à sucre. Aussi les corollaires sociaux de la monoculture industrielle de l'« Amérique des plantations » n'ont‑ils jamais apparu développement d'une abondante main‑d'oeuvre servile, stratification sociale à connotation raciale, regroupement des terres en grandes unités d'exploitation aux mains d'une aristocratie de race blanche, transformation des structures familiales et émergence du système matrifocal. Tandis que la plupart des territoires environnants subissaient ces transformations, les habitants de Saint-Barthélemy (les « Saint-Barts ») perpétuaient les conditions de vie des premiers colons, s'écartant progressivement tant de la population de couleur, de plus en plus nombreuse dans les autres îles, que des Blancs de ces îles dont le niveau économique avait considérablement évolué. Dès le début du XVIIIe siècle ils demeurèrent la seule communauté importante d'agriculteurs ou de pêcheurs de race blanche des Petites‑Antilles, et la coupure, raciale avec les gens de couleur de même niveau économique, sociale avec les Blancs de niveau socio‑économique très supérieur, devint définitive. 

L'isolat ainsi constitué a cependant connu une histoire complexe qui eût pu l'éroder ou y laisser pénétrer des immigrants. Toutefois, entre ses origines et nos jours, il semble que ces interférences n'aient joué que de façon restreinte. La continuité culturelle et génétique des Saint-Barts est attestée par divers documents historiques et par les données de l'état civil. Lasserre (1961, pp. 845-883) rappelle qu'un texte de 1772 signalait que les habitants (blancs) de Saint-Barthélemy descendaient de la trentaine d'hommes envoyés en 1659 coloniser l'île et que ce groupe était, en 1664, d'une centaine d'individus. S'appuyant sur d'autres documents des XVIIe et XVIIIe siècles, il donne de sérieux arguments en faveur de la continuité de cette population à cette époque. 

Entre les origines et 1784, la population totale reste faible (581 en 1687, 754 en 1775, 739 en 1784) et l'élément de couleur, essentiellement formé d'esclaves, en représente à peu près le tiers. Malgré l'absence de documents directs, on peut inférer de la situation des Antilles à l'époque que la tendance au métissage opérait dans un seul sens - des Blancs vers les Noirs - le courant inverse étant fortement combattu. Le faible volume de la population et sa stabilité devaient faciliter les mécanismes de contrôle social par lesquels les Blancs interdisaient l'entrée de Noirs dans leur groupe. Toutefois nous ne devons pas oublier qu'à la différence des Blancs créoles de la Guadeloupe et surtout de la Martinique, les Saint-Barts étaient pauvres et peu instruits. Leur connaissance des généalogies, de nos jours, est bien moins poussée que celle de leurs voisins, et on ne fouille pas le passé des individus au-delà de quatre générations, ce qui laisse la possibilité à quelques individus métissés de « franchir la ligne ». On peut supposer que cela permit une légère ouverture du groupe. 

D'autre part on connaît malles mouvements migratoires des Blancs pendant cette période. La stabilité démographique implique que l'immigration fut faible, mais on doit se souvenir qu'en raison de l'excédent des décès les populations antillaises ne pouvaient à l'époque se maintenir qu'à l'aide d'une immigration continue. 

De 1784 1878 l'île passa sous domination suédoise. Cette période se caractérise par un afflux d'immigrants, qui semble avoir finalement laissé à l'écart les Saint-Barts ruraux. De 739 habitants dont 281 Noirs en 1784, la population passe à 5 492 dont 3 534 de couleur en 1812, pour redescendre à 2 079 en r86o. Il semble que ces fluctuations ne concernent qu'une population directement liée à la vie commerciale de Gustavia ; elles sont parallèles à l'épanouissement puis au déclin de la ville. Les insulaires semblent avoir eu des contacts assez restreints avec ce groupe. Les patronymes suédois n'ont pas laissé de trace, et nous verrons plus loin les traits de la structure familiale qui permettent d'inférer que le nombre des liaisons clandestines entre Suédois et insulaires dut rester négligeable. Cette période d'essor économique ne semble donc guère avoir rompu l'isolement génétique des Saint-Barts. Les deux communautés, séparées par la langue, la religion et le statut économique, ont coexisté sans s'interpénétrer. Protégés par leurs curés et leurs écoles et se tenant à distance de Gustavia, les insulaires ont connu un sort parallèle à celui des Canadiens français de cette époque, à une tout autre échelle. Après le retour de Saint‑Barthélemy à la France les traces de la présence suédoise s'effacèrent rapidement.

 

TABLEAU I

Endogamie des Blancs de Saint-Barthélemy. 

Origine du conjoint

1862-1914

1914-1961

 

 

 

Blancs (Saint‑Barthélemy)

296

421

Gens de couleur (Saint-Barthélemy)

1

7

Blancs (France)

0

1

 

La période suivante, qui s'étend jusqu'à nos jours, montre une poussée démographique compensée par un courant d'émigration, mais on ne décèle d'autre immigration que celle de gens de couleur qui, fixés à Gustavia, demeurent en contact plus étroit avec les îles avoisinantes qu'avec les Blancs de Saint‑Barthélemy. Le dépouillement des registres paroissiaux, qui reflètent avec précision les mariages des cent dernières années, met en relief (tableau I) le très haut degré d'endogamie de l'île. Les rares mariages avec des gens de couleur ne représentent pas une ouverture du groupe car les enfants de ces mariages ne font plus partie de la communauté. 

Les documents publiés ne précisent pas l'origine exacte des premiers colons, mais la tradition locale veut que ce soit la Normandie ; bien des traits ethnographiques (coiffes, vocabulaire) semblent montrer que l'aire d'origine est un peu plus vaste et s'étend sans doute vers la région vendéenne. 

Carte. St-Barthélemy - Endogamie

 

Les Saint-Barts, venus de l'ouest de la France, sont restés en marge de l'essor des sociétés créoles et de ses conséquences (métissage pour les couches économiquement inférieures des colons, transformation en aristocratie de ceux qui détiennent la propriété terrienne), et fermés aux apports extérieurs malgré les bouleversements de la région caraïbe, grâce vraisemblablement à leur homogénéité sociale et à l'exiguïté de leur territoire insulaire.

 

2° Analyse de Saint-Barthélemy.

 

Saint‑Barthélemy, ou tout au moins sa population blanche, semble donc réaliser les conditions les plus favorables à l'étude d'un isolat et de son évolution. La rupture historique avec la France métropolitaine, la pression démographique qui interdit toute immigration, les barrières raciale, linguistique et religieuse dans les rapports avec les Noirs de l'île et des îles avoisinantes introduisent une « discontinuité significative » entre le stock génique des Saint-Barts et celui des groupes humains connexes. Cette discontinuité concorde avec celles qui se retrouvent à divers niveaux des caractéristiques culturelles, la coupure historique et la migration vers les Antilles, puis l'isolement par des barrières culturelles expliquant la constitution et le maintien de l'isolat. Mais on peut souhaiter atteindre un niveau d'analyse plus fin, qui révèle, à l'intérieur de l'isolat, en rapport avec son organisation sociale, la circulation des gènes et sa canalisation par cette organisation. 

Si Saint-Barthélemy est en effet pour le biologiste et le démographe un isolat et, socialement, une communauté, il se peut que d'autres structures doivent aussi être considérées. Les règles sociales peuvent faire de ce groupe, soit une population approximativement panmictique, soit un système plus complexe par le jeu de la prescription, systématique ou de fait, de certaines alliances ; les caractéristiques théoriques liées à sa dimension absolue peuvent être sérieusement transformées par les variations ainsi introduites, et les données biologiques globales ne prennent leur pleine signification qu'après cette seconde étape de l'étude.

 

Les unités sociales : quartiers et paroisses.

 

L'île forme une seule commune, administrée par un conseil municipal qui siège à Gustavia, mais elle est divisée en deux paroisses, Gustavia et Lorient ; chacune regroupe plusieurs « quartiers » ruraux peuplés de 50 à 200 habitants et qui constituent l'agglomération élémentaire. Toutefois, alors que la paroisse de Lorient dessert tous les quartiers dits « Au Vent », celle de Gustavia est subdivisée : l'église de Gustavia est fréquentée par la population de Gustavia et des quartiers immédiatement environnants, tandis qu'une autre église, située à Colombier, reçoit les habitants de la plupart des quartiers « Sous le Vent ». 

Les écoles primaires, catholiques, suivent l'implantation des églises et se partagent la population selon la même répartition. 

En marge de ces cercles, les Noirs, anglicans, fréquentent le temple de Gustavia. 

Sous l'unité administrative, il existe donc une fragmentation à base religieuse, en paroisses, et une fragmentation résidentielle, en quartiers. Pour le biologiste, il importe de savoir si ces faits se répercutent sur les mariages : existe‑t‑il plusieurs unités endogames dans l'île ? S'agit‑il des quartiers, des paroisses, ou de toute autre forme de groupement ? 

Or la structure religieuse conditionne la plupart des activités collectives : l'école est paroissiale, les fêtes également (processions), ainsi que les associations (enfants de Marie, chorales, coopératives artisanales). Les affrontements politiques ont également tendance à se faire entre paroisses. 

D'autre part, les travaux, les fréquentations et les achats quotidiens des femmes se font dans le cercle du quartier, voire du fragment de quartier. 

Il en ressort que le quartier coïncide avec les activités de la vie domestique, la paroisse avec les activités collectives, tandis que le reste de l'île n'est fréquenté qu'à titre exceptionnel. Le seul point de rencontre entre originaires des deux paroisses est le bourg de Gustavia où se trouvent les commerces de produits anomaux, l'état civil, la perception, la poste et le port. 

TABLEAU II

Lieu de naissance des conjoints, et endogamie des paroisses. 

 

Même paroisse

De couleur

Autre paroisse

Total

Lorient :

 

 

 

 

1862-1914

141 (97,%)

0

3

144

1914-1961

195 (94,6%)

5

6

206

Gustavia :

 

 

 

 

1862-1914

142 (92,8%)

1

10

153

1914-1961

199 (87,2%)

7

22

228

 

Mais si les femmes et les enfants évoluent dans ces cercles de déplacement et de fréquentation, les hommes en sont passablement affranchis ; ils assurent généralement toutes les relations de leur famille avec Gustavia, la femme demeurant dans son quartier ; nombre d'entre eux (colporteurs, chauffeurs de taxi, ouvriers de chantiers routiers) circulent dans l'île de quartier en quartier, et hors de l'île, à titre d'émigrants temporaires, de pêcheurs ou de contrebandiers. Toutefois, les hommes d'une paroisse se rendent plus souvent à Gustavia ou dans d'autres îles que dans l'autre paroisse. 

Ces faits s'accordent avec ce que révèle l'examen des registres paroissiaux (tableau II et carte), et l'étude de l'origine des conjoints dans quelques quartiers (tableau III).

TABLEAU III

Endogamie de trois quartiers ruraux. 

Quartier

Nombre de couples
(1962)

Les deux conjoints d'un même quartier

Les deux conjoints d'une même paroisse

Population totale

Corossol

42

31 (73%)

40 (95%)

158

Anse des Cayes

20

15 (75%)

16 (80%)

115

Lorient

33

18 (57%)

33 (100%)

151

 

L'endogamie des paroisses est très élevée, et chacune d'elles se présente en fait comme un isolat. Saint‑Barthélemy est en réalité la juxtaposition de deux isolats, eux‑mêmes organisés en zones relativement endogames. Les données biologiques ne doivent donc pas être présentées globalement pour l'île, mais on doit considérer séparément chacune des deux régions « Au Vent » et « Sous le Vent ».

 

Normes et comportements réels.

 

Mais dans quelle mesure les données de l'état civil reflètent-elles les échanges géniques qui se produisent réellement ? Nous ne devons pas oublier que nous sommes en présence d'une société antillaise, et qu'avant de s'appuyer sur de telles données, il importe d'en tester la validité. Selon les sociétés, les comportements réels dans le domaine des alliances s'inscrivent à des distances variables des modèles conscients et des comportements exprimés ; aux Antilles, cette distance est considérable, et l'analyse des mariages est un bien mauvais indicateur des échanges génétiques une structure familiale très fluide et hautement instable tolère de nombreux canaux clandestins d'échanges qui traversent les barrières sociales. Avant de conclure à propos de Saint-Barthélemy, nous devons donc utiliser l'enquête ethnologique pour jauger la validité des données officielles. 

Seules les conclusions de l'étude intensive de trois quartiers (Anse des Cayes, Corossol et Lorient) et de Gustavia seront présentées ici. Il s'en dégage les lignes générales suivantes 

À la différence de ce qui se rencontre dans les autres îles antillaises, le foyer abrite toujours à Saint-Barthélemy la famille nucléaire formée d'un couple légitime et de ses enfants. La femme vient le plus souvent résider dans le quartier de son mari, dans une maison qu'il a achetée ou construite en vue de son mariage, et que le couple ne quittera plus. 

- Le mariage est extrêmement stable. On note 4 divorces pour 426 mariages au cours de la période allant de 1927 à 1961. 

- Le contrôle de la vie sexuelle de la femme est très rigoureux, et le groupement des maisons dans les quartiers, la grande rareté des sorties hors de la paroisse, l'impossibilité pratique de tout déplacement clandestin hors du quartier semblent le rendre très efficace avant comme après le mariage. La vie des hommes est bien plus libre, à condition qu'elle se déroule dans les îles voisines où certains entretiennent des familles parallèles. Ce fait renforce certainement la structure dans laquelle sont engagées les femmes les hommes appartiennent simultanément à deux systèmes, la liberté qu'ils ont dans le groupe de couleur leur permettant d'être plus stricts dans leurs rapports au sein de leur propre groupe. Les femmes, peu mobiles, n'appartiennent qu'à un seul groupe domestique, et c'est par elles que passe le contrôle du groupe blanc. On peut remarquer que la mobilité des hommes, leur absence fréquente pourraient, à l'image de ce qui se passe ailleurs dans les Antilles, donner à la femme une position prédominante dans la famille et certains y ont vu l'une des conditions d'apparition de la matrifocalité. Mais à Saint‑Barthélemy, à la différence des autres îles, l'homme garde une autorité et une responsabilité économique totales et son absence, voire l'existence de familles parallèles ailleurs, ne lui retirent pas le contrôle exclusif de son foyer. 

Le taux d'illégitimité officielle est très bas ; ce qui précède tend à démontrer qu'il en va de même du taux d'illégitimité réelle. Dans ces conditions, la répartition des mariages peut être tenue comme un bon reflet des mouvements du patrimoine héréditaire et il devient dès lors possible d'interpréter les caractéristiques de celui-ci en fonction de l'agencement des échanges. 

 

3° Les caractéristiques physiques et leurs transformations.

 

L'étude anthropométrique et biologique détaillée de Saint-Barthélemy a été publiée ailleurs (Benoist, 1965). Il en ressort les faits suivants : 

Les sujets examinés diffèrent significativement d'une paroisse à l'autre quant à certaines mesures corporelles stature, indice céphalique, indice nasal, indice transverso-zygomatique. 

- Les groupes sanguins du système ABO diffèrent très significativement de l'une à l'autre paroisse, et ils diffèrent pour l'ensemble de l'île de tous les résultats obtenus en France métropolitaine. En particulier le groupe B a disparu entièrement de la moitié « Sous le Vent » et ne se retrouve « Au Vent » que dans 4,54 % des cas, les examens ayant porté sur 734 individus blancs. 

La discussion de l'interprétation théorique de ces variations, de leur direction et de leur intensité concerne à peu près exclusivement le biologiste et le généticien. Quelles que soient la nature des caractères qui ont ainsi divergé et l'orientation de leur évolution, les manipulations qu'ils ont subies dépassent ce cadre. Dans la différenciation de Saint-Barthélemy et dans son morcellement biologique, nous trouvons un certain nombre de faits plus ou moins étroitement subordonnés les uns aux autres la différence des fréquences géniques d'une moitié à l'autre ne s'est constituée que dans la mesure où une barrière peu franchissable séparait les stocks génétiques de deux groupes humains géographiquement très proches ; elle implique que cette barrière se retrouve aussi dans les modèles conscients de la société insulaire tout entière et que les contraintes sociales et religieuses les font suffisamment respecter. Elle implique encore que cette structure globale dure depuis un temps suffisamment long pour que les perturbations qu'elle apporte dans le hasard des redistributions héréditaires aient eu le temps de jouer ; ce faisant elle nous donne une indication historique sur la permanence d'une structure que l'étude purement synchronique se contente de révéler. 

Mais si, de cette façon, les données biologiques contribuent à éclairer certains points de l'histoire sociale du groupe, corrélativement l'état social actuel nous permet de prévoir certaines implications biologiques dont il est porteur, en particulier le fait que, malgré leur apparente unité géographique, les Saint-Barts ne tendent nullement à se particulariser du point de vue biologique en un groupe unique. Divisés, comme dans une expérience bien conduite, en deux unités endogames elles-mêmes structurées, ils conduisent l'observateur à dissocier deux niveaux d'action des forces évolutives: 

- l'influence du milieu, que révèle le transfert sous les tropiques d'un groupe de race blanche qui s'y est solidement implanté.
 
- l'effet de l'endogamie de petites populations que le développement parallèle de deux isolats placés dans des conditions mésologiques identiques permet de reconnaître en montrant que les pressions exercées uniformément par le milieu tolèrent, dans les réponses que celui-ci suscite, une certaine marge de variabilité. 

De plus, la microévolution de chacun des deux sous‑groupes peut se faire, pour une bonne part, sous l'effet de fluctuations non orientées. Selon que les résultats différents auxquels elle aboutit proviennent d'un écart de vitesse dans une même direction (cas des groupes sanguins dans l'étude exposée ici) ou de divergences dans des voies indépendantes, on peut tenter de distinguer, parmi les fluctuations, celles qui sont orientées et celles qui sont dues au hasard, c'est-à-dire l'influence respective de la sélection et de la dérive. 

Certes, il ne s'agit là que d'indications méthodologiques qui mériteraient de sérieuses précisions. La confrontation avec d'autres recherches, l'étude systématique, par les ethnologues, de populations qui répondent aux conditions requises permettraient de leur donner pleine signification. Au carrefour peu fréquenté de disciplines pourtant complémentaires, l'étude de la dynamique évolutive des populations devrait être l'objet de recherches interdisciplinaires, voire de travaux spécialement orientés vers ce domaine particulier du biologique qui relève des sciences sociales.

 

II. STRUCTURES GÉNÉTIQUES, STRUCTURES SOCIALES
ET DYNAMIQUE ÉVOLUTIVE

 

Sans verser dans une abstraction excessive qui construirait des modèles si généraux qu'ils n'échapperaient à la gratuité qu'en devenant truismes, il est possible d'essayer de généraliser ce qui ressortit au cas de l'isolat l'existence d'une corrélation des faits génétiques et des faits sociaux dans la dynamique de la microévolution. 

On peut remarquer que, dans les études du type de celle qui précède, il importe peu, au fond, que les gens examinés soient des Noirs ou des Blancs, que les groupes sanguins aient telle ou telle fréquence, le nez telle ou telle largeur. Les lois génétiques tressent un réseau d'alternatives dont le « marqueur » est la nature des allèles. Les faits sociaux eux‑mêmes se coulent nécessairement dans le moule de ces lois tant formelles que statistiques, et n'agissent sur la nature des allèles que par cet inéluctable intermédiaire. Le problème que nous abordons se situe donc au niveau où cet « ensemble coordonné dont la fonction est d'assurer la permanence du groupe social grâce à un entrelacs de liens de consanguinité et d'affinité)) (Lévi-Strauss, 1953) interfère avec ces lois. 

L'isolat, cas certes privilégié, peut alors n'être qu'un cas particulier, et l'on peut espérer déceler, dans d'autres types de sociétés, les homologues de certaines de ses propriétés à condition de considérer là aussi la nature des allèles comme un moyen de mettre à jour une structure génétique. 

Il faut toutefois prendre garde au fait que si nous pouvons chercher une corrélation éventuelle entre les transformations génétiques et les structures sociales, la nature même de cette corrélation ne se prête peut‑être pas à généralisation : l'existence de liens entre deux plans ne préjuge pas de leur forme. 

 

La dynamique du métissage.

 

Phénomène microévolutif majeur, le métissage se présente comme l'homogénéisation progressive de deux ou plusieurs groupes humains qui diffèrent par leur composition génétique globale. Les croisements entre individus des groupes en cause créent une population intermédiaire, qui participe à l'hérédité de ces groupes proportionnellement à leur importance démographique initiale. 

Mais ce schéma, extrêmement simplifié, comporte nécessairement divers paramètres qui conditionnent le rythme et les modalités selon lesquels l'état final d'homogénéité sera atteint. La dynamique du métissage de deux groupes humains dépend de tous les facteurs biologiques, géographiques et sociaux qui permettent ou qui empêchent les croisements et de ceux qui leur confèrent une plus ou moins grande fécondité. Avant de les examiner sur le terrain, il importe de fixer le cadre théorique général de leur étude, du point de vue qui nous concerne. 

* 

Le métissage, en tant que créateur de configurations génétiques nouvelles, se situe tout à l'opposé de l'isolement. Celui‑ci fragmente et diversifie un ensemble auparavant homogène ; celui‑là édifie des combinaisons nouvelles par le jeu de regroupements inédits. La raciation semble avoir cheminé le long de ces convergences et de ces divergences entremêlées au cours de l'histoire humaine, et l'étude du métissage représente le pôle complémentaire de celle des petites communautés endogames. Alors que cette dernière étude trouve son objet privilégié au sein des sociétés traditionnelles, c'est la société industrielle et ses marges coloniales qui offrent au métissage les conditions les plus favorables, quoique l'on ne doive pas oublier qu'il existe des isolats au sein des grandes villes, comme d'intenses courants géniques entre les groupes les plus archaïques (Tindale, 1953). Mais demeurer à ce niveau de généralité ne contribuerait guère à notre recherche et il nous faut examiner de plus près les voies par lesquelles, fait biologique, le croisement des groupes distants du point de vue génétique est orienté, pondéré, modelé par les structures sociales. 

Par définition, avant tout métissage, existent au moins deux groupes distincts. Que se lèvent les barrières qui les séparent, aussitôt les gènes diffuseront comme le font les atomes de deux gaz soudain en contact. La dynamique suit en cela des lois statistiques homologues de celles qui régissent la cinétique de tels mélanges. La vitesse de diffusion, la création de courants et de contre‑courants, la diversité des états locaux à un moment donné, les fluctuations autour d'un équilibre final prévisible mais jamais parfaitement atteint, dépendent là aussi de divers paramètres. 

Dans le cas idéal de deux groupes égaux qui se mêlent d'emblée selon un schéma panmictique, chaque individu a une chance sur deux de se croiser avec un individu de l'autre groupe et, de génération en génération, l'écart par rapport à l'équilibre est divisé par deux. Cet écart ainsi progressivement réduit peut indiquer « l'ancienneté » du métissage ; il correspond à un certain « niveau d'intégration » des deux groupes (Benoist, 1961, 1963). À condition de pouvoir le mesurer, ou tout au moins l'évaluer, il offre une voie de comparaison entre populations, au niveau non plus de leur composition formelle mais de leur structure génétique. 

Or, dans toute population de gamètes émise par les individus de chacun des deux groupes qui se métissent, les allèles dont la nature ou la fréquence diffère d'un groupe à l'autre sont statistiquement associés, même s'il n'existe aucune autre liaison génétique entre eux que cette concomitance. A mesure que se font les croisements, ces liaisons se défont l'homogénéisation des groupes par le métissage se traduit au niveau biologique par la disparition des associations stochastiques entre caractères génétiquement indépendants mais véhiculés simultanément par l'une ou l'autre des races initiales. Le degré d'association reflète donc le niveau d'intégration et diminue à mesure que l'intégration s'accomplit. 

Mais, si tel est le moyen d'approcher un certain aspect de la structure génétique des populations métisses, n'ouvre‑t‑il pas, du même coup, la voie à l'étude de l'incidence des faits sociaux sur ces structures ? 

Parmi les paramètres qui affectent le cours d'une intégration, certains (valorisation de traits morphologiques, diversité linguistique, stratification économique...) sont d'ordre socio­culturels. Mais, et les sociétés afro‑américaines en donnent de nombreux exemples, bon nombre de ces paramètres ont la double propriété de jouer largement sur le choix du conjoint et d'être en corrélation avec certains caractères morphologiques. Ainsi, aux Antilles et, semble‑t‑il, au Brésil, les corrélations qui existent entre l'éducation et le niveau économique des conjoints recoupent‑elles celles portant sur la couleur de la peau, la forme des lèvres et des cheveux. Un certain degré d'homogamie perturbe le schéma panmictique en rendant fort inégales les chances de rencontre des gamètes, et le phénomène est parfois si important qu'il opère une véritable stratification, où traits physiques et traits sociaux s'épaulent mutuellement. L'une des conséquences les plus immédiates de cette homogamie est de freiner l'intégration en maintenant un haut degré de corrélation entre l'ensemble des caractères morphologiques qui sont utilisés par la société comme critères d'appartenance ethnique. On a pu montrer (Stern, 1960) que cette solidarité n'affecte pas les caractères que cette même société ne retient pas : les groupes sanguins, par exemple, ou la forme de l'oreille, ou tout autre trait qui n'est pas discriminé, ne font pas l'objet de barrages ou d'homogamie. En effet, les discriminations raciales ne sont pas globales, du point de vue des caractères anthropologiques. Dans l'image que se fait un groupe humain des autres groupes raciaux, les traits corporels ont une signification, culturellement déterminée, qui les rend inégaux quant à. leur pouvoir d'identification : si la pigmentation fait percevoir le nègre plus que la forme de son oreille ou la longueur relative de ses membres, elle n'est pas plus caractéristique. Chaque trait peut être ainsi affecté d'un véritable coefficient de discrimination qui traduit sa place dans l'échelle de valeurs de la société. Tant que deux groupes raciaux en présence ne se mêlent pas, les incidences de ce trait sont mineures ; mais, s'ils commencent à se croiser, le jeu des lois de Mendel répartira inégalement entre les métis les caractères à haut coefficient de discrimination et les autres. Il est vrai que, statistiquement et pendant longtemps, les métis les plus sombres seront aussi par leurs autres traits les plus négroïdes. Mais il ne s'agit là que d'un fait statistique global. Nécessairement certains individus recevront en partage la part du patrimoine « blanc » qui, d'après cette pondération, définit l'appartenance ethnique. Quoique métis, ils seront classés parmi les blancs. L'inverse est également vrai, tout métis impossible à discerner somatiquement aura tendance à rejoindre le groupe auquel il est identifié morphologiquement et à apporter dans ce groupe une part du patrimoine héréditaire de l'autre groupe, la part non perçue. Un canal de perméabilité inapparente se crée ainsi, qui tend nécessairement à égaliser les fréquences géniques des deux groupes en contact, mais seulement pour les traits invisibles. 

Ce cas particulier montre un mécanisme par lequel les systèmes de valeur et de représentation s'inscrivent dans les transformations génétiques. Le patrimoine héréditaire est divisé en une part socialement neutre qui tend vers le maximum d'entropie et une part, vectrice de signification sociale, que cette signification maintiendra à distance de l'équilibre. Tout se passe comme si les conditions du métissage et sa dynamique propre prenaient le calque génétique de certaines valeurs sous forme de différences d'« information » entre les allèles d'un groupe métis. 

Ainsi, la diffusion des gènes introduits dans un groupe peut‑elle s'écarter largement du hasard, voire aboutir à une répartition ordonnée en fonction de causes non biologiques lorsque la pigmentation de l'épouse devient signe de mobilité sociale, la structure génétique se moule sur certains aspects de la structure sociale. La fréquence des allèles et celle des combinaisons génotypiques sont régies par des lois statistiques conduisant à des équilibres que le moindre coup de pouce déplace. En perturbant ces équilibres, globalement ou de façon différentielle, les faits sociaux s'inscrivent dans le patrimoine héréditaire et, s'interposant entre celui‑ci et le milieu naturel, prennent le relais de ce dernier dans la conduite obscure de la microévolution. 

* 

Mais cette voie n'est pas la seule qui permette de franchir les barrières entre deux groupes. Dans le cas le plus simple, l'introduction des gènes nouveaux se fait en une seule fois, et le problème se ramène à celui de la diffusion, étudié plus haut. La pénétration peut néanmoins être progressive, chaque génération recevant un « flux » génique par l'effet d'un certain nombre de croisements avec les membres d'un autre groupe ; ces apports peuvent varier, soit par simple fluctuation d'échantillonnage, soit parce que se succèdent des populations différentes ; le taux des entrées, même entre groupes semblables, peut fluctuer. Dans tous ces cas, l'équilibre final théorique vers lequel s'acheminait la population se déplace à chaque génération ; la fréquence des diverses combinaisons génotypiques serait différente si les apports exogènes s'étaient faits d'un seul coup. Or ce perpétuel changement de cap, et les régulations qu'il entraîne, est la traduction, au niveau de la structure génétique, des faits qui règlent le débit et la nature du « flux » génique ; celui-ci a fait l'objet d'un grand nombre de travaux, soit purement théoriques (Wright, 1943 ; Glass et Li, 1953), soit socio‑démographiques (Spuhler et Kluckhohn, 1953 ; Hulse, 1957 ; Spuhler, 1959 ; Salzano, 1961) dont se dégage l'idée que son contrôle entre populations est largement assuré par les variables historiques et sociologiques, à tel point que certains auteurs (Glass et Li, 1953) ont proposé d'utiliser les variations de ce flux comme moyen d'investigation historique. Cette voie conduit, elle aussi, à constater l'emprise des facteurs culturels et leur primauté dans l'enchaînement de certains phénomènes microévolutifs. 

La dynamique du métissage, c'est‑à‑dire le cheminement d'une population métisse vers l'homogénéité, à partir de ses composantes initiales, est donc au cour du problème qui nous occupe. D'une part, elle est en étroit rapport avec la structure génétique de la population : à partir du stock génique global, à un moment donné, le hasard des rencontres tend à établir cette structure sous forme de proportions entre les diverses combinaisons génotypiques possibles. D'autre part, tous les faits sociaux qui font varier la composition du stock de gènes ou qui, sans même le perturber, écartent la structure du hasard, affectent directement la dynamique du métissage. Contrôlant l'entrée des gènes dans un groupe, jouant sur leur diffusion, interférant plus ou moins intensément avec les forces naturelles dans la sélection, les faits sociaux font partie intégrante des facteurs de la microévolution. 

Nous sommes alors en mesure de clarifier l'analyse de leurs interventions en considérant qu'elles s'effectuent à deux niveaux:  

-   Celui d'une dynamique externe, qui concerne l'entrée de gènes nouveaux par métissage dans un groupe donné.
 
-   Celui d'une dynamique interne, qui touche à la diffusion de ces gènes dans le groupe après leur introduction. 

Chacun de ces aspects, dans une population donnée et à un moment particulier, est indépendant de l'autre et peut varier selon un gradient qui va, pour la dynamique externe, de l'ouverture maximum à la fermeture totale après métissage et, pour la dynamique interne, d'un schéma presque panmictique à une structuration qui subdivise le groupe en sous‑populations pratiquement imperméables entre elles. 

La première est directement réglée par les relations entre groupes en contact l'histoire et la sociologie de ces groupes décident de leur ouverture, du sens des courants géniques, de leur intensité et de leurs fluctuations. Les relations interethniques sont à ce niveau déterminantes. 

La dynamique interne, après métissage, est affectée par tous les facteurs qui structurent la société métisse, et cela d'autant plus que certains de ces facteurs sont eux‑mêmes en corrélation directe avec des traits physiques. 

Nous pouvons alors conclure que ce qui a été dit à propos des populations métissées s'applique également à l'isolat, qui n'est, dans ce schéma, qu'un cas particulier. En fait toute population se situe sur cette double échelle puisqu'elle combine diversement ouverture et fermeture, cloisonnement et homogénéité. Dans toutes les sociétés, c'est également par le jeu de paramètres qui entrent dans la fixation de ces points, que le niveau technologique, la structure sociale ou les systèmes de valeur influencent la fréquence des gènes et la structure génotypique. Les cas extrêmes du métissage et de l'isolat permettent de pressentir le niveau auquel il est possible de les rechercher dans les autres cas, tâche qui conduira à une interprétation générale. 

* 

Indépendamment des regroupements d'ordre zoologique qui classent les populations humaines en groupes et sous‑groupes selon leurs affinités morphologiques, ne peut-on pratiquer une autre forme d'analyse, directement axée sur les conditions de la microévolution en cours ? La structure des populations, du point de vue génétique, les corrélations des caractères avec les conditions du milieu et de la culture (Birdsell, 1950, 1953), ouvrent une voie nouvelle. Deux isolats, qu'ils soient esquimau ou boschirnan, deux populations métisses fermées, à Pitcairn ou à Kisar, se ressemblent plus, du point de vue qui nous occupe, que deux groupes de la même unité taxinomique différemment structurés. Une typologie des populations basée sur de tels regroupements est la seule qui permettrait de dégager des observations de terrain les propriétés de telle ou telle structure, c'est‑à‑dire les diverses voies par lesquelles l'homme manipule inconsciemment son patrimoine héréditaire. 

À mesure que l'anthropologie physique quitte le premier étage, descriptif, de sa construction, pour rejoindre la génétique des populations humaines, on s'aperçoit que les sociétés jouent avec leur substrat biologique selon des mécanismes dont elles ne sont pas conscientes. Si le travail des ethnologues s'est longtemps limité à décrire et à expliquer les formes de ce jeu, tandis que les anthropologues physiques en décrivaient les acteurs, la convergence des deux disciplines vers l'étude de la structure des populations et de la dynamique de leur évolution ne permettra-t-elle pas d'en connaître la pratique et d'en prendre progressivement la direction ?

 

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[1]    Île française des Petites-Antilles (Îles du Vent).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 septembre 2007 10:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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