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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Un développement ambigu. Structure et changement de la société réunionnaise (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Jean Benoist, Un développement ambigu. Structure et changement de la société réunionnaise. St-Denis, Île de la Réunion: FRDOI, Fondation pour la recherche et le développement dans l’océan indien, 1983, 200 pp. Collection: documents et recherches, no 10. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 17 juillet 2007 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.].

Introduction

Le mode de formulation d'une question limite, à lui seul, le champ des réponses possibles. Il découpe la réalité de telle façon que l'interlocuteur, même pour exprimer son désaccord, doit adopter les cadres implicitement contenus dans la question. Et s'il les refuse, c'est le dialogue qui cesse.

Il en va souvent ainsi entre les sociétés. Et celle qui a la force pour elle donne au dialogue un cadre où sa partenaire ne peut entrer qu'en se niant. Toute étude alors devient impossible, car il n'est de connaissance qu'à partir de catégories conformes à la réalité de l'objet à connaître. C'est pourquoi, lorsque deux sociétés sont en rapports inégalitaires, la plus forte connaît si mal la plus faible.

L'enquête sociologique classique prend dans ces conditions le visage d'une caricature. Issues de la société dominante, les réponses quantifiées se placent en porte à faux sur la société interrogée: bien des faits sociaux demeurent ainsi masqués, et d'autres, malgré leur importance pour ceux qui les vivent sont jugés marginaux par ceux qui les observent.

A l'inverse, la quête de la réalité d'une société peut se faire par une plongée beaucoup plus intime, laissant venir les hommes et les observations, en tentant de ne perturber ni leur nature ni leur expression. L'observateur est alors un décrypteur qui, à l'aide de sa formation théorique, essaie de traduire les innombrables messages de la vie quotidienne et le sens de leurs enchaînements. Mais alors, ce que la recherche gagne en spécificité, elle peut le perdre en généralité. Placé dans un secteur géographique et social nécessairement étroit, l'observateur évalue difficilement la portée de ce qu'il a découvert.

C'est devant ce dilemme que se trouve placé tout effort de connaissance de la société réunionnaise. Mal connue de ceux qui y vivent et en font partie, elle est encore plus mal connue de ceux qui y exercent des responsabilités importantes tout en n'en étant pas originaires. Elle prête aisément aux paradoxes et, en raison même de la rareté des études scientifiques, aux affirmations péremptoires. Celles-ci offrent de la Réunion des tableaux contradictoires qui nous apprennent surtout la complexité de l'idéologie inconsciente des acteurs du jeu social.

Nous avons voulu très fortement dégager la société réunionnaise de cette position inconfortable de l'interlocuteur qui doit entrer dans le vocabulaire de son partenaire et qui ne parvient ni à s'exprimer, ni même à concevoir clairement ce qu'il aurait dit si on le lui avait demandé autrement. Aussi notre objectif ne fut-il pas de nous attaquer aux problèmes les plus visibles que cette société connaît actuellement. D'autres l'ont fait abondamment dans des plans, des programmes et des projets. Notre effort vise à la fois moins et plus. Il s'agit de remonter plus en amont vers les sources, d'aller au niveau fondamental, alors qu'on a trop tendance à se cantonner à celui des effets seconds. Né du décalage, profondément ressenti dans bien des milieux, entre les schémas généraux autour desquels sont édifiés les plans, et la vie sociale authentique de la Réunion, il propose les cadres d'une écoute de l'île, et certaines trames d'analyse.

Il ne s'agit pas là d'un problème anodin. A la Réunion, les sources de l'action sont pauvres d'imagination. L'ignorance ne procède pas dans cette île d'un manque de données, mais de la simplification de l'analyse de ces données, de l'inadéquation du regard à la réalité spécifique de la société réunionnaise.

C'est pourquoi notre réflexion débouche sur une pratique, mais non comme guide direct de celle-ci. En cherchant quelques axes autour desquels puissent être ordonnés les faits recueillis et à recueillir, nous offrons un itinéraire, des cadres mentaux à cette pratique. Faute de quoi, si l'action ne tient pas compte de l'identité collective du milieu où elle s'exerce, tout changement d'origine externe fondé sur une modification économique ou politique est porteur de révolte et de destruction.

Au delà de cette connaissance, la recherche anthropologique, sociologique, historique, géographique, économique ou linguistique remplit une fonction plus fondamentale, plus durable, sans doute sa fonction essentielle.

Bien des malaises qui troublent les hommes dans une société en changement ne procèdent pas en effet d'un déterminisme strictement matériel. Ce n'est pas seulement en termes de niveau de vie que le changement social est vécu, mais aussi en termes d'identité personnelle ou collective. Les altérations du rythme d'évolution, le sentiment que celui-ci échappe au contrôle de ceux qui le vivent, engendrent un malaise qui paraît bien plus lourd que le bénéfice reçu. Quand le changement se fait à travers des mécanismes sociaux qu'on perçoit mal, au sein d'une culture qui dérive et où chacun a le sentiment de déraper, la recherche apporte des zones de clarté, elle offre des points d'arrimage. En ce sens elle est le prélude nécessaire à toute participation, à toute éducation véritablement populaire. Sinon les efforts éducatifs, loin d'ouvrir la vole à l'épanouissement des hommes et de la société ne sont que les corollaires et les mécanismes d'intériorisation d'une aliénation. Aussi, souhaitant que les mutations actuelles conduisent la Réunion vers l'équilibre qui lui manque, espérons-nous contribuer quelque peu à la lucidité nécessaire à son authenticité.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 août 2007 8:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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