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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean Benoist, “Les Amériques” (1980)
Présentation des Amériques


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Jean Benoist, “Les Amériques”. Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de J. Hiernaux, La diversité biologique humaine / Human Biological Diversity, 6e partie, pp. 311-393. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal ; Paris : Masson, Éditeur, 1980, 420 pp. Collection d'anthropologie physique. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 17 juillet 2007 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Présentation des Amériques

1. Une dynamique évolutive
2. Un tableau historique et culturel 

 

L'anthropologie contemporaine sait qu'il ne lui suffit plus de faire l'inventaire de la diversité biologique humaine pour accomplir sa tâche. Elle se tourne vers les causes de cette diversité, vers les mécanismes qui l'ont déterminée et qui la maintiennent. En abordant les Amériques, elle doit alors envisager d'une façon neuve son objet et sa démarche. Elle peut certes concentrer son intérêt sur la situation qui existait à l'arrivée de Colomb et de ses successeurs immédiats, et, en procédant ainsi, négliger les bouleversements ultérieurs, qu'il s'agisse des métissages, des effondrements démographiques ou de l'intrusion d'immigrants : ces transformations récentes n'apparaissent que comme des « brouillages » à celui qui s'en tient uniquement aux Amérindiens. Elles perturbent les deux niveaux les plus significatifs de ses investigations : la reconstitution de l'histoire biologique des groupes amérindiens, et l'étude des mécanismes d'adaptation de certains d'entre eux à des milieux extrêmes (froid, altitude), car l'intrusion européenne est venue altérer l'évolution de l'homme américain ; dans bien des cas elle a remanié ses rapports avec un environnement auquel il s'était adapté dans la conquête relativement récente de son continent. 

Les chercheurs tentent alors d'effacer ce « brouillage ». Reconstituant le tableau d'une Amérique précolombienne, ils s'efforcent de ne tenir compte que des faits qui concernent directement celle-ci et ils passent sous silence les remaniements ultérieurs. Deniker (1926), Haddon (1930), von Eickstedt (1933), Montandon (1933), Hooton (1947), Vallois (1948), Coon, Garn et Birdsell (1950), Comas (1960) adoptent systématiquement cette attitude. Seul Coon (1965) consacre un chapitre (« The Racial History of Man since 1492 ») aux effets de la présence européenne, et encore ne le fait-il que sous la forme d'une simple description de même que Stewart (1973). Si bien, qu'à en croire les principaux auteurs d'une anthropologie générale des Amériques, celle-ci paraît s'être brisée à l'arrivée de Colomb : d'une part certains groupes Indiens et Inuit [1] maintiennent en pointillé les traces du tableau originel et aident à le reconstruire, d'autre part, un flot de populations étrangères s'est déversé sur le continent, sans sembler concerner l'anthropologie. 

Or les faits sont plus contraignants. Les Amérindiens ne représentent qu'une minorité des populations actuelles de l'Amérique. Les transformations biologiques majeures (métissages, isolements, fluctuations démographiques) ne surviennent pas seulement chez eux mais surtout dans ces autres populations qui se sont déversées sur l'Amérique à partir de 1492. Tenir compte de ces faits oblige à réviser l'objet de la démarche anthropologique. Faire entrer dans l'analyse l'ensemble des groupes humains actuellement présents dans les Amériques, c'est se trouver en face d'une telle diversité d'origines, de dispersion, de subdivisions et de recombinaisons que toute description est presque impossible. Devant la mobilité rapide des hommes et l'ampleur des métissages elle ne pourrait d'ailleurs tracer qu'un tableau bien provisoire. Lieu de pulsations démographiques considérables, lieu de convergences d'hommes venus de toute la terre, les Amériques imposent donc une approche qui, par chance, s'accorde particulièrement bien à la préoccupation actuelle de l'anthropologie : mettre à jour sous les faits observables la dynamique de l'évolution biologique humaine. 

 

1. Une dynamique évolutive

 

Dans cette vaste zone soumise au grand vent des brassages et des migrations, mais cloisonnée aussi par des barrières génétiques inédites dues aux rencontres des ethnies, des cultures et des sociétés, c'est l'étude de ces mouvements eux-mêmes qui passe avant celle de leurs résultats encore incertains et fluctuants. Les Amériques sont avant tout des terres de synthèse, des terres où la dynamique évolutive de l'humanité a pris un rythme inédit par suite de l'ampleur des flux de population et de la multiplicité des subdivisions qui les canalisent. Et les fluctuations, les « brouillages » qui sont si préjudiciables dans une optique taxonomique - ou même pour celui qui se préoccupe des effets sélectifs au long cours - nous plongent au coeur de l'analyse et de l'explication. La dynamique des mouvements des hommes et celle de leurs relations devient le soubassement principal de l'étude, tandis que les données biologiques sont à la fois les indicateurs et les effets de l'immense mouvement qui les dépasse. 

Faisant appel à des évènements qui débordent largement la biologie, voire l'anthropologie sociale, le chercheur découvre combien les grands courants de l'histoire économique et sociale du monde occidental des cinq derniers siècles rythment les pulsations anthropo-biologiques de l'Amérique : ils mettent en place les populations, ils organisent leurs rapports, leurs hiérarchies, leurs conditions de reproduction. Cette histoire modèle les vagues migratoires au sein du continent, conditionne l'appropriation des terres et la dispersion des hommes, entraîne les luttes qui font disparaître certains groupes humains et en font prospérer d'autres. Elle amène dans ses fourgons les idéologies et les religions qui renforcent les Pouvoirs ou les détruisent, entraînant d'autres mouvements humains, d'autres métissages et d'autres génocides. Elle ouvre aux maladies de nouveaux itinéraires de contagions, elle transporte avec les hommes des gènes jusqu'alors absents et elle en règle la diffusion. 

L'histoire biologique récente des Amériques n'est alors que l'expression d'une autre histoire, bien plus vaste, qui la détermine. Déconcerté devant cette situation, le biologiste tend souvent à l'éviter en se réfugiant dans des études ponctuelles. Mais, peu à peu, l'anthropobiologie intègre aux données biologiques les données relatives à la culture et à l'organisation sociale, ce qui apporte un lot d'informations où les principales questions relatives à la dynamique évolutive de l'humanité trouvent des éléments de réponse. 

On comprendra donc que ce chapitre choisisse délibérément de s'écarter des travaux classiques consacrés aux populations du continent américain. Il n'est pas question ici de refaire, en la retouchant sur quelques détails, une classification raciale des Amérindiens. Les questions que se pose l'anthropologie ne sont plus seulement de cet ordre, et d'ailleurs il suffit de se référer aux travaux cités plus haut pour trouver une abondante documentation à ce sujet. 

Par contre nous avons ici le privilège de bénéficier d'une masse considérable de travaux récents qui ont étudié la dynamique évolutive, des populations. La proximité relative du terrain a en effet incité les chercheurs des nombreuses universités nord-américaines, puis ceux du Brésil, à effectuer des études intensives de nombreuses populations. Ces recherches bénéficiaient dès le départ d'une approche interdisciplinaire qui avait manqué, et qui manque souvent encore, à l'anthropologie biologique européenne. Ne coupant pas l'étude de l'homme en deux versants qui s'ignorent pratiquement - un versant biologique et un versant socio-culturel -, les chercheurs qui ont travaillé sur le continent américain jouissaient le plus souvent d'une formation anthropologique générale, qui intègre la biologie humaine à son contexte social et culturel. Cela les a conduits à considérer biologie et société dans un même regard et à se poser les problèmes biologiques en termes de populations et de sociétés, en abandonnant un point de vue strictement anatomique et zoologique. La structure génétique des populations, les mécanismes sociaux qui la conditionnent et les effets biologiques qu'elle entraîne deviennent le carrefour des études anthropo-biologiques. Les inventaires systématiques ne trouvent leur sens que rapportés aux forces qui structurent les populations, et aux modèles d'organisation génétique qui règlent la redistribution du patrimoine héréditaire. 

Concordance remarquable, par conséquent, d'un continent où les populations sont soumises à d'intenses courants sociaux et culturels et d'une anthropo-biologie qui place ces courants au centre de ses intérêts... Faits qui guident la démarche de ce chapitre et qui permettent de situer d'emblée la question à son vrai niveau : la dynamique évolutive. 

 

2. Un tableau historique et culturel

 

Les évènements qui ont suivi la conquête espagnole et l'expansion européenne n'ont pas affecté de façon analogue toutes les régions des Amériques et la répartition actuelle des populations reflète les systèmes sociaux qui se sont mis en place au cours de cette période courte et intense. Trois aires culturelles contrastées, qui sont aussi, globalement des zones de peuplement biologique diffèrent, se sont alors dessinées. 

Ainsi que l'a écrit Wagley ces aires se sont différenciées à partir de l'action conjuguée de plusieurs facteurs : « la nature de l'environnement physique, la densité de la population indigène, le niveau de complexité des sociétés et des cultures indigènes, les sources de l'immigration, les formes de l'implantation européenne depuis l'an 1500 » (1975, p. 31). 

S'appuyant sur ces faits, on peut distinguer une Euro-Amérique, une Indo-Amérique et une Afro-Amérique, chacune étant désignée par sa principale composante ethnique. On ne doit cependant jamais oublier que les contrastes biologiques sont d'abord les effets de l'histoire. Ils se sont établis au sein de celle-ci, à travers l'organisation économique et les rapports sociaux mis en place sous l'impulsion des conquérants. De toute façon il en a résulté une forte corrélation entre la distribution des caractères raciaux et le découpage des Amériques en grandes aires culturelles et économiques. 

- L'Euro-Amérique occupe les extrémités du Nouveau Monde. Au Canada et dans la partie Nord des Etats-Unis elle est marquée par une immigration venue de l'Europe du nord et du Centre, tandis qu'au Chili, en Argentine et en Uruguay le peuplement espagnol a été dominant, le sud du Brésil ayant reçu surtout un apport portugais. Dans ces zones de climat tempéré s'est développée une civilisation paysanne puis industrielle, tandis que les apports Amérindiens ou ceux des immigrants originaires de régions du monde autres que l'Europe n'occupaient qu'une place modérée et en tout cas très minoritaire. 

- L'Indo-Amérique correspond à des zones où la contribution amérindienne est encore importante, voire prépondérante, quoique l'acculturation face aux conquérants espagnols et les métissages y revêtent une certaine importance. Dominées par les conquérants, elles sont encore en position défavorisée dans la vie sociale, économique et politique, mais elles tendent à s'affirmer et à reprendre une place importante. Il s'agit d'abord de l'axe andin de hautes civilisations agricoles, mais aussi des zones de peuplement peu dense et encore menacé où les populations amérindiennes se sont maintenues tout en cédant peu à peu du terrain devant l'avance européenne, porteuse de surmortalité et de métissages dans l'Amazonie et en Amérique du nord, et aussi les cas particulier des Inuit de l'Alaska et du nord canadien. 

- L'Afro-Amérique inclut toutes les terres tropicales de basse altitude où s'est développé le système de la plantation esclavagiste, c'est-à-dire les Antilles, le Sud des Etats-Unis, les côtes caraïbes de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud, les Guyanes et le Nord du Brésil. Là, les immigrants européens n'ont guère été nombreux, mais ils ont développé avec l'appui des métropoles une économie productrice de denrées d'exportation. Le besoin d'une main-d’œuvre abondante et peu coûteuse les a poussés à introduire des millions d'Africains par la traite africaine, et ceux-ci sont devenus majoritaires dans cette zone. Ils se sont parfois métissés avec les groupes amérindiens locaux, et souvent avec les Européens, mais la composante africaine est partout la plus importante. Tardivement des travailleurs asiatiques (Chinois et Indiens) ont à leur tour été introduits dans quelques territoires de cette zone. 

Ainsi, le tableau ethnique apparaît-il fondé sur une aventure historique placée en situation écologique : partout, face à l'Amérique qu'ils avaient conquise, les pouvoirs européens ont mené une opération coloniale, mais celle-ci a adapté ses voies aux conditions locales. Colonies de peuplement et d'exploitation dans les régions tempérées, colonies d'encadrement d'une main-d’œuvre importées dans les régions tropicales insalubres et peu peuplées ou conquête et exploitation d'une population amérindienne déjà solidement implantée. Tableau ethnique qui nous place d'emblée devant la réalité majeure de l'anthropologie biologique américaine : celle-ci est le témoin de l'histoire, et les caractères biologiques ont été impliqués dans cette histoire. Dans des affrontements globaux entre peuples issus de continents différents, dans des sociétés inégalitaires où les dominations sociales prenaient figure de luttes ethniques, les traits physiques ont été enrôlés dans bien des combats, sont devenus porteurs de bien des symboles et l'une des recherches de l'anthropologie biologique est de connaître comment ces combats et ces symboles ont retenti sur les traits qu'ils utilisaient. 

Le biologiste quant à lui reconnaît dans les aires culturelles mises en place par l'histoire trois grands ensembles : les populations autochtones C'est-à-dire de souche précolombienne, les populations récemment immigrées d'Europe, d'Afrique ou d'Asie et enfin les néo-populations faites des convergences et des métissages, chacun de ces trois ensembles trouvant dans son propre contexte historique les conditions de son évolution. 


[1] Le terme « Esquimau » est en voie d'être partout remplacé par le nom sous lequel les intéressés se désignent eux-mêmes, Inuit, et que nous utiliserons.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 décembre 2007 19:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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