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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pratique politique étudiante au Québec” (1972)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de MM. Paul R. Bélanger Paul R. Bélanger et Louis Maheu, “Pratique politique étudiante au Québec”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 13, no 3, septembre-décembre 1972, pp. 309-342. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par M Paul. R. Bélanger de diffuser toutes ses publications accordée le 12 février 2007 et M. Maheu le 16 octobre 2006 de diffuser cet article.]

Introduction

La mobilisation politique des populations étudiantes n'est pas en soi un phénomène vraiment contemporain. Certaines études ont déjà établi que des groupes étudiants ont participé à des mouvements politiques à diverses époques de l'histoire. [1] Par contre, la pratique politique étudiante, ces dernières années, s'est amplifiée en même temps qu'elle se caractérisait par des traits plus spécifiques et particuliers à cette population. Aussi a-t-on vu croître, en sociologie, un intérêt nouveau pour l'analyse de ces phénomènes. Les études consacrées à ce sujet se multiplient de même que les schémas d'analyse se diversifient. 

Pour l'étude de la pratique politique étudiante québécoise contemporaine, nous avons, pour notre part, opté pour une grille d'analyse qui n'enferme pas l'étudiant, comme agent politique, dans le système d'enseignement supérieur. Sa mobilisation politique ne nous semble pas, au premier chef, être fonction de sous-cultures étudiantes plus ou moins contestataires et typiques des milieux universitaires ou des seules difficultés de fonctionnement des systèmes universitaires. Encore moins sommes-nous portés à penser que la marginalité sociale de la jeunesse étudiante est un facteur déterminant de politisation : « camper hors de la nation » ou de la société n'est pas de nature à susciter la mobilisation politique. 

Au contraire, notre analyse ne produit une définition de l'étudiant comme agent politique qu'au moyen de déterminations structurelles qui conditionnent, provoquent et organisent la pratique politique étudiante qui vise elle-même à modifier le cadre sociétal où elle émerge. 

Au nombre des principales caractéristiques de la période des années '60 dans l'histoire du Québec, il nous faut retenir la politisation des problèmes de fonctionnement de l'appareil scolaire québécois : les rapports entretenus par cet appareil avec d'autres structures de la société, le système de production économique par exemple, devenaient l'enjeu de luttes et de rapports politiques. L'État et les diverses couches sociales qui appuyaient ses politiques d'intervention auprès de l'appareil scolaire rencontraient l'hostilité et l'opposition plus ou moins soutenues d'autres couches. sociales qui appréciaient différemment les politiques de l'État en ce domaine. 

Avec l'adoption du bill 60 qui créait, en 1963, le Ministère de l’Éducation du Québec, le parti au pouvoir imposa une restructuration de l'appareil scolaire qui impliquait une responsabilité plus nette et ferme accordée à l'État et la mise en place d'organes officiels de consultation, comme le Conseil supérieur de l'éducation, où l'Église était loin de conserver une fonction prépondérante. [2] Le législateur devait même consulter, au moment de la formation du premier Conseil supérieur de l'éducation, de multiples associations qui n'avaient pu auparavant s'imposer comme interlocuteurs dans un secteur contrôlé par l'Église. Parmi celles-ci, notons les associations d'enseignants ; les associations d'administrateurs dans le domaine scolaire ; les associations de parents et parents-maîtres ; les associations syndicales ; et diverses associations d'affaires. Puis finalement, le législateur dut consentir, après que 'des représentations eurent été faites dans ce sens, à prendre aussi l'avis d'associations étudiantes et d'associations de professeurs et d'administrateurs universitaires. [3] 

On a pu également observer, dans le processus de régionalisation de commissions scolaires, que même au niveau local et régional, les agents qui contrôlaient traditionnellement l'appareil scolaire pouvaient voir leur position sociale remise en cause. [4] Bref, la politisation des problèmes d'éducation a modifié les rapports de force entre les divers groupes sociaux qui se préoccupaient des politiques d'intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire. 

L'État devait aussi se lancer, au cours des années '60, dans des transformations importantes des structures académiques et du contenu des programmes d'enseignement. Ces mutations de structures et de programmes académiques visaient essentiellement à reprendre le retard que connaissait le Québec, par rapport aux principales provinces canadiennes, et notamment l'Ontario et la Colombie britannique, dans le développement de son appareil scolaire. On attribuait à ce retard les problèmes de développement économique du Québec qui se manifestaient par un revenu moyen inférieur à celui des provinces canadiennes riches et par une productivité industrielle, en général, plus faible. La main-d'œuvre québécoise ne présentait pas des standards de qualification très élevés, ni des niveaux d'instruction jugés satisfaisants. [5] 

Aussi, l'intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire québécois avait-elle un sens bien précis : elle concernait la préparation et la modernisation d'une main-d'œuvre professionnelle au moyen de transformations apportées aux structures et au contenu de l'enseignement. Afin d'assurer une plus grande adaptation de l'appareil scolaire aux exigences de développement de la société, l'État misait essentiellement sur le « capital humain » et le perfectionnement des « ressources humaines » comme facteur de production. 

Ainsi cette intervention s'est accompagnée d'une augmentation considérable dés investissements en éducation. Les dépenses totales d'enseignement au Québec qui étaient, à la fin des années '50, de l'ordre de $300,000,000, passaient en 1963 à $719,319,000 ; elles ont donc plus que doublé sur une période de cinq ans. [6] Les dépenses du Ministère de l'éducation sont passées de près de $200,000,000 en 1960-61 à près de $710,000,000 en 1967-68, puis à $1,100,114,000 en 1970-71 ; sur une période de dix ans, ces dépenses ont été multipliées à peu près par dix. Ces hausses représentent des taux d'augmentation annuelle qui sont légèrement supérieurs à l'augmentation annuelle des dépenses du gouvernement du Québec [7] ; ainsi, la proportion du budget total consacrée à l'enseignement est passée de 23% en 1959 à 32% en 1964, puis à 34.7% en 1969. 

Il faut encore souligner que cette intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire s'est accompagné d'un discours idéologique de circonstance. L'État, au moyen de slogans tels « Qui s'instruit s'enrichit », devait expliquer à la population combien l'éducation était le moyen par excellence de la promotion collective de la communauté canadienne-française. Le Québec était invité à joindre les sociétés industrielles avancées qui valorisaient, comme politique de croissance et de progrès, le développement et le perfectionnement continus des « ressources humaines ». [8]


[1] Voir à ce sujet, S.M. LIPSET, « Youth and Politics », in Robert K. MERTON et R. NISBET, (eds.), Contemporary Social Problems, third édition, New York, Harcourt, Brace Jovanovich, 1971, pp. 743-791.

[2] Voir : Léon DION, Le bill 60 et la société québécoise, Montréal, H.M.H., 1967.

[3] Id., pp. 194-197.

[4] Voir : Gabriel GAGNON et C. GOUSSE, Le processus de régionalisation scolaire dans l'Est du Québec, Annexe technique 2 au Plan de développement 1967-72 du Bas Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Ïles-de-la-Madeleine, Bureau d'Aménagement de l'Est du Québec Inc., 1965 ; voir aussi : G. GAGNON, et C. GOUSSE, « Le processus de régionalisation scolaire », in Guy ROCHER et P. W. BÉLANGER, (éd.), École et société au Québec, Montréal, H.M.H., 1970, pp. 313-321.

[5] Voir : Rapport de la Commission royale d'enquête sur renseignement dans la province de Québec (Rapport PARENT), Québec, 1963 et 1966, 3e partie, chap. 8. Voir aussi l'étude de J.R. PODOLUK, Incomes of Canadians, Ottawa, D.B.S., 1968 (1961 Census Monograph), surtout chap. 7, qui analyse les variations de revenus entre les provinces en tenant compte des différences dans les taux de scolarisation et d'urbanisation de la main-d’œuvre et dans les structures occupationnelles des provinces.

[6] Rapport de la Commission royale..., op. cit., 3e partie, chap. 8, tableaux IX et X, « Les sources du financement de l'éducation au Québec et leur importance relative de 1954 a 1963 ».

[7] Voir à ce sujet : Rapport du Ministère de l'éducation, 1964-65 à 1970-71, Québec, 1967 à 1972. Il y a quelques exceptions aux taux annuels supérieurs d'augmentation des dépenses du Ministère de l'éducation par rapport à celles du gouvernement du Québec. L'exception la plus remarquable est celle de l'année 1965-66 qui s'explique par la récupération faite en 1964-65 par le Québec de $36,700,000 du gouvernement fédéral affectés aux constructions d'écoles polyvalentes ; cette récupération eut donc des conséquences sur le budget de l'année 1965-66. (Voir : Rapport du Ministère de l'éducation, 1964-65, p. 98.)

[8] Paul GÉRIN-LAJOIE, premier titulaire du Ministère de l'éducation du Québec en 1964, était, quant à lui, des plus explicites : citant le président du « Science Advisory Board » qui parlait de la nécessité d'investir dans l'éducation, il ajoutait : « Ce fonctionnaire américain a raison de parler d'investissement : les dépenses d'éducation, même considérées du simple point de vue économique, en dehors de toute considération humaniste ou morale, ne sont pas du gaspillage. On s'est rendu compte que l'éducation est le moteur de la croissance économique et que toute parcimonie en ce domaine est un pas vers la ruine.

« Par exemple, une enquête récente portant sur plus de 400 fermes, au Danemark, a révélé que le revenu global du capital engagé est de 4.8% pour les fermiers qui ont une formation primaire supérieure, et de 7.5% pour ceux qui ont une formation secondaire ou professionnelle prolongée. La rentabilité de l'investissement dans le capital humain a fait l'objet d'études approfondies par le professeur Schultz de l'Université de Chicago. Il a établi que le supplément moyen de salaire perçu par des travailleurs, de 18 à 64 ans, représente 19 fois le capital investi dans l'enseignement supérieur. L'investissement en éducation est donc l'un des plus productifs qui soient. » (Paul GÉRIN-LAJOIE, Pourquoi le bill 60, Montréal, Éditions du Jour, 1963, p. 34.)


Retour au texte de l'auteur: Paul-R. Bélanger, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 février 2007 10:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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