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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul R. Bélanger et Benoît Lévesque, “Modernisation sociale des entreprises: diversité des configurations et modèle québécois”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Paul R. Bélanger, Michel Grant et Benoît Lévesque, La modernisation sociale des entreprises, chapitre 1, pp. 17-52. Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 1994, 320 pp. Collection: Politique et économie, Tendances actuelles. [Autorisation accordée par M. Bélanger le 3 août 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Paul R. Bélanger et Benoît Lévesque

Sociologues, professeurs, département de sociologie, UQÀM. 

Modernisation sociale des entreprises:
diversité des configurations et modèle québécois
”. 

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Paul R. Bélanger, Michel Grant et Benoît Lévesque, La modernisation sociale des entreprises, chapitre 1, pp. 17-52. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1994, 320 pp. Collection : Politique et économie, Tendances actuelles. 

Introduction
 
Les dimensions de l’entreprise
 
Rapports sociaux et modèles de développement
L’entreprise-institution
L'entreprise-organisation
 
Les configurations (ou “modèles”) d’entreprise
 
Une diversité de configurations
 
Le modèle québécois: un modèle pluriel?
 
Conclusion
Bibliographie
 
Tableau 1. La dimension organisationnelle.
Tableau 2. Les modèles de modernisation des entreprises

 

Introduction

 

La modernisation des entreprises est un processus relativement continu puisque que le succès et la bonne performance ne sont jamais définitivement acquis. Dans les secteurs traditionnels comme dans les secteurs de pointe, on retrouve des entreprises, grandes et petites (Julien, 1992; Blais et Toulouse, 1992; Rivard, 1992), qui s’imposent aussi bien par leurs innovations technologiques que par leurs innovations organisationnelles. Il existe cependant des périodes où les innovations se produisent par “vague massive” (Schumpeter, 1984:96) et deviennent plus globales et plus radicales de sorte que ce qui est en cause, c’est un nouveau modèle de production voire un nouveau modèle de développement (Freeman et Perez 1988; Boyer, 1992: 60; OCDE, 1988: 37). L’idée de modernisation des entreprises “traduit (alors) l’urgence des problèmes à résoudre. Elle prend en compte la multiplication des dysfonctionnements dans le capitalisme en crise et l’inadaptation des structures mises en place dans les périodes antérieures (Biard, 1990: 43).” De ce point de vue, la modernisation des entreprises doit être analysée non seulement sous l’angle organisationnel mais aussi sous l’angle institutionnel et des rapports sociaux. 

La modernisation des entreprises selon cette double dimension est produite dans le cadre de rapports de domination où tous les acteurs impliqués ne sont pas sur le même pied. Il s’en suit par conséquent qu’elle peut se réaliser aussi bien dans le sens d’un élargissement de la démocratie que dans le sens d’un renforcement de tendances antérieures (Messine, 1987; Bélanger et Lévesque, 1992). La diversité et l’ouverture des formes de modernisation des entreprises ont favorisé la multiplication des études de cas et le retour à la tradition ethnographique (Edwards,1992). Ce parti pris méthodologique doit s’allier à une approche sociologique capable d’expliquer ces transformations autrement que par simples ajustements à des contraintes externes, une approche donc susceptible de cerner les enjeux que représente la modernisation des entreprises. Enfin, cette approche doit aussi permettre de passer du niveau micro, celui de l’entreprise, au niveau macro, celui de la société, puisque la modernisation en cours répond à des dynamiques sociales à la fois internes et externes (Bélanger et Lévesque, 1993) 

Dans ce chapitre, notre contribution vise à fournir les éléments d’une problématique pour l’étude de la modernisation sociale des entreprises. Cette dernière est qualifiée de sociale pour bien mettre en évidence notre intérêt pour l’étude des entreprises du point de vue des rapports de travail et du mode de gestion. Nous n’opposons pas le social et le technologique puisque la modernisation des entreprises comprend aussi bien des innovations organisationnelles et institutionnelles que des innovations technologiques. Dans une première partie, nous identifierons les diverses dimensions qui permettent de caractériser la modernisation des entreprises. Dans une deuxième partie, nous esquisserons une typologie des diverses configurations que peuvent prendre ces dimensions. Si cette typologie s’appuie sur l’étude d’un certain nombre de cas d’entreprises innovatrices [1], elle permet non seulement de mettre en évidence la diversité des formes de modernisation d’entreprise mais également de caractériser, au moins à titre d’hypothèse, ce que plusieurs appellent le modèle québécois d’entreprise (Chanlat et Bédard, 1990; Aktouf, Bédard et Chanlat, 1992).

 

Les dimensions de l’entreprise

 

Comme nous l’avons montré ailleurs, les diverses approches sociologique de l'entreprise privilégient généralement une dimension plutôt qu’une autre: les rapports sociaux pour l'approche marxiste, l'institution pour l'approche webérienne et l'organisation (ou la culture) pour l'approche durkeimienne (Bélanger et Lévesque, 1992). Toutes ces dimensions doivent être prises en considération mais à partir d'une approche qui les ordonne, les hiérarchise en montrant leur interdépendance au lieu de simplement les juxtaposer. Dans cette perspective, les rapports sociaux se traduisent en compromis institutionnalisés, en règles du jeu qui constituent le système politique de l'entreprise, règles du jeu qui à leur tour servent de cadre au système organisationnel, à l'agencement des diverses unités de l'entreprise. Les rapports sociaux doivent être mis au centre de l'analyse car ils déterminent la configuration des sociétés, des institutions sociales et donc des entreprises. 

 

Rapports sociaux et modèles de développement

 

La modernisation des entreprises renvoie à des innovations organisationnelles, institutionnelles et technologiques dont la portée est différente selon le modèle de développement dans lequel elles s’inscrivent. La modernisation des entreprises de la fin XIXe siècle, celle de l’après seconde guerre mondiale et celle des années 1980 désignent des transformations organisationnelles et technologiques différentes aussi bien au niveau du contenu que de l’ampleur. Les changements en cours ressembleraient plus à ceux qui se sont produits à la fin du siècle dernier et qui touchaient le régime d’accumulation ( c’est-à-dire les principes d’organisation de la production et du mode de vie) qu’à ceux réalisés à la crise des années 1930 et qui concernaient principalement le mode de régulation (Boyer, 1986:227). Au niveau du système technique et du paradigme technologique, la modernisation des entreprises au lendemain de la dernière guerre s’est faite sans grande rupture (Roobeck,1987) alors les transformations actuelles s’inscrivent vraisemblablement dans un nouveau modèle de production. 

Plusieurs analystes font l’hypothèse que les sociétés occidentales sont en train de passer d’un modèle de développement à un autre ou tout au moins d’un modèle de production à un autre (Boyer, 1992 et 1989; Brödner, 1990; Kern et Schuman, 1989; Piore et Sabel, 1989; Streeck, 1992). Nous attirons l’attention sur le modèle de développement que dans la mesure où cette référence nous permet de mieux cerner les enjeux de la modernisation des entreprises. Le paradigme sociétal fordiste se caractérisait par une "conception du progrès reposant sur trois pieds: progrès technique (conçu comme progrès technologique inconditionnellement poussé par les travailleurs intellectuels), progrès social (conçu comme progrès du pouvoir d'achat, extension du règne de la marchandise), progrès de l'État (conçu comme garant de l'intérêt général contre les empiétements des intérêts individuels)” (Lipietz 1989: 25). Selon ce paradigme, l’application de la science et de la technique à la production constituait une exigence transcendant les affrontements sociaux (Boyer, 1992a). Ainsi les syndicats mettaient de l’avant des revendications se limitant principalement au salaire laissant aux directions d’entreprise tout ce qui concerne l’organisation du travail, la gestion de la production et le choix des technologies. 

À partir du début des années 1970, un nouveau paradigme sociétal prend progressivement forme sous la poussée aussi bien des nouvelles demandes sociales que des nouveaux acteurs. En premier lieu, la configuration des rapports sociaux se révèle de plus en plus complexe. En plus des principaux acteurs que constituaient la classe ouvrière et la bourgeoisie à travers le syndicalisme et le patronat, il faut maintenant tenir compte de l'arrivée de nouveaux acteurs sur la scène politico-économique: les nouveaux mouvements sociaux. En deuxième lieu, ces nouveaux acteurs remettent en question le modèle rationalisateur productiviste et dé-légitiment en quelque sorte de la logique centrée sur le système qui impose sa définition des besoins, des identités et des comportements. Ainsi, le mouvement écologique, le mouvement féministe et les mouvements de consommateurs, dénonçant l'imposition de modes de vie conformes aux intérêts particuliers des entreprises, s’en prennent aussi bien à la “puissance des appareils de production et de décision”, qu’“à l’élargissement des marchés et la manipulation des consommateurs” (Touraine, 1968:10; Wieviorka, 1987). Le nouveau paradigme sociétal en émergence s’articule autour de l'environnement, de l'identité et de l'autonomie (Offe, 1985a et 1985 ; Tessier, 1989), et sur la contradiction entre une production centrée sur le système et ses expressions marchandes et une production centrée sur le sujet (Touraine, 1990 et 1992). De même, les travailleurs, longtemps relégués au rang d'exécutants n’ayant plus à penser, exigent de plus en plus la reconnaissance de leur capacité créatrice; une nouvelle identité de classe se construit qui entraînera le rejet des anciens compromis fondés sur la passivité et l'exclusion (Zarifian, 1983). 

On peut remonter également à la fin des années 1960 avec le mouvement contre-culturel et les nouveaux mouvements sociaux pour identifier le début de la contestation de la consommation de masse (et notamment la pauvreté culturelle de ces biens) et de la recherche de biens différenciés de qualité (Roszak, 1969; Aglietta, 1976). Le mouvement de la consommation simplicitaire, réduction volontaire de la consommation qui rejoint environ trois millions d’américains à la fin des années 1970 (Mc Robbie, 1981), le mouvement écologique et, dans une mesure moindre, le mouvement "consumérisme" poursuivent cette remise en question de façon plus ciblée encore. Outre cette demande pour des produits de meilleure qualité, la saturation du marché de la consommation de masse de même que l’ouverture croissance des marchés nationaux - ouverture allant de pair avec la multiplication de mesures protectionnistes et la constitution de blocs régionaux (Deblock et Éthier, 1992) - contribuent à modifier en profondeur les formes de la concurrence. 

En résumé, les mouvements sociaux s’affrontent autour d’orientations économiques et culturelles, le paradigme sociétal, et même d’orientations plus spécifiquement technico-économiques qu’on pourrait appeler le paradigme technologique (Dosi et alii, 1990; Dosi, 1988; Freeman et Perez, 1988). La classe ouvrière de même que les nouveaux mouvements sociaux tels le mouvement écologique ou le mouvement féministe contribuent ainsi à modeler les entreprises (Herscher, 1988), y compris dans leurs choix technologiques, comme par exemple dans les secteurs de l’énergie ou des pâtes et papiers. De même, les mouvements de consommateurs influent aussi bien sur la définition des produits que sur le choix des matériaux et des technologies (Wieviorka, 1987). Comme le suggèrent certains économistes (Porter, 1985), les entreprises doivent compter de plus en plus sur les stratégies étatiques et sur le tissu social local, selon l’exemple des économies-territoires (Benko, 1990; Benko et Lipietz, 1992; Dommergues, 1989). Les entreprises se préoccupent donc de plus en plus de leur environnement social, d’où l’importance croissante accordée au bilan social corporatif. La même remarque peut être faite à propos de l’insertion de l’entreprise dans les réseaux de compétitivité internationale où elle apparaît de plus en plus comme responsable du changement et de la dynamique collective. Certaines entreprises peuvent s’inscrire directement dans les conflits de classes et être ainsi étroitement associées à la production et à la diffusion du modèle de société et de développement. On pourrait alors en parler comme les acteurs de classes lorsque, en raison de cette contribution, elles se mobilisent et sont mobilisées au service d’un projet social et d’un modèle de développement, comme ce fut le cas d’Hydro-Québec et de ses ingénieurs pendant la Révolution tranquille (Chanlat, 1984). 

Entre les rapports sociaux éminemment conflictuels et le niveau organisationnel où l’on retrouve la coopération nécessaire (non exempte de conflits) à la production de biens et de services, il existe un niveau intermédiaire, celui de l’institutionnalisation des conflits (Touraine, 1973: 241) ou des formes institutionnelles (Delorme et André, 1983). La prise en charge de cette seconde dimension, celle des compromis institutionnalisés et de la codification des rapports sociaux, permet d’expliquer comment des forces sociales qui relèvent de l’environnement (si l’on s’en tient aux théories organisationnelles), sont également présentes dans les processus internes de modernisation des entreprises.

 

L’entreprise-institution

 

La dimension institutionnelle représente les "contraintes historico-sociales": elle fournit les règles sociales de l’organisation. Dans le court terme, elle apparaît comme un “donné” sur lequel les diverses parties impliquées n’ont apparemment pas de pouvoir. Elle résulte cependant “largement de l’évolution conflictuelle des intérêts des groupes sociaux en longue période” (Ménard, 1990: 20-21). Elle représente donc "les mécanismes de formation des décisions légitimes dans une unité politique", mécanismes dont le rôle propre "est de combiner l'unité de la gestion politique et la représentation d'intérêts sociaux divergeants ou conflictuels" (Touraine,1973). Elle constitue en quelque sorte le système politique de l'entreprise dans un double sens: d'abord elle détermine la répartition des pouvoirs dans l'entreprise (les droits et les responsabilités des parties), ensuite elle précise les procédures de prise de décisions qui lui permettent d'élaborer des politiques concernant à la fois son organisation interne et son adaptation à son environnement (Jarniou,1981:176 et 192). Elle est à la fois contrainte, expression et renforcement des rapports de pouvoir, du fait de la non-coïncidence des intérêts des dirigeants et des travailleurs, et aussi centre de décision relativement autonome car elle doit constamment négocier et s'adapter aux changements qui interviennent constamment dans son environnement. 

Comme institution, l'entreprise n'est le produit ni du seul pouvoir de la classe dominante, ni d’un consensus entre les divers groupes sociaux impliqués. Elle est l'expression d'une hégémonie, c'est-à-dire de la domination d'un groupe social sur un autre (Lipietz,1984; Burawoy, 1979). Le compromis s’impose dans la mesure où, même si le rapport entre les parties est inégal, aucune d’entre elles ne peut arriver à dominer l’autre de manière à imposer totalement ses propres intérêts. De plus, chacune des parties, y compris la partie dominante, a en quelque sorte besoin de l’autre, de son consentement et de sa participation. De ce point de vue, l'entreprise est un construit social qui, comme toute institution, porte la marque des rapports sociaux et des luttes sociales propres à chaque société (Erbes-Séguin, 1988: chap. I). La conflictualité n'est pas disparue mais elle se traduit en normes sociales, reconnues comme légitimes, définissant les mécanismes de prise de décision ainsi que les responsabilités respectives des divers groupes sociaux et aussi leurs avantages, leurs intérêts. En somme, l'entreprise n'est ni un effet direct ou la transcription immédiate de la domination du capital, ni une unité autonome devant s'adapter à des contingences ou à un environnement "externes", ni un simple produit des groupes sociaux internes. 

Cette dimension d’analyse permet de passer du macro au micro puisqu’elle rend possible l’intégration “des forces externes dans la constitution des unités individuelles. Dans cette perspective, même les forces les plus larges et les crises globales sont vues comme ayant une origine locale.” Autrement dit, comme l’écrit Mark Elam (1990:33), cette approche permet de “comprendre les unités individuelles comme constituant toujours un flux, comme une perpétuelle situation de résistance et d’accommodation à des processus d’influence plus large qui sont aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du contexte local”. Dans le cadre d’un processus politique où l’État n’est pas absent, les rapports sociaux sont codifiés par diverses formes institutionnelles: les conventions collectives, le code du travail, les normes environnementales, les législations et réglementations concernant les actionnaires, etc. Ces codes ou normes qui assurent la continuité ou la stabilité des pratiques sociales s'incorporent dans des habitudes. Ces règles du jeu constituent l'espace qui permet aux individus d'entrer en rapport sans devoir mener des luttes sans fin. Les périodes de grandes crises sont celles où les compromis sociaux éclatent et où les formes institutionnelles se révèlent incapables de canaliser les nouveaux conflits ou encore d’inclure les nouveaux acteurs. Enfin, il faut rappeler que le niveau institutionnel est aussi un système d'action toujours plus ou moins conflictuel. Tout en respectant les règles du jeu, les différents acteurs tendent à renforcer leur position dans les mécanismes de prise de décision et ainsi obtenir des décisions qui leur soient favorables (Bélanger, Lévesque, Plamondon, 1987: 9-16). 

Dans la perspective de l’élaboration de nouveaux compromis et de la mise en place de nouvelles formes institutionnelles, on peut parler d’innovation institutionnelle; la modernisation touche l’ensemble des rapports constitutifs de l’entreprise. Il s’agit sans doute des relations patronales-syndicales mais également des rapports consommateurs-entreprises, des rapports communautés locales-entreprises, des rapports actionnaires-entreprises, des rapports entre entreprises (ex. formes de sous-traitance, la concentration, etc). Même s’il s’en distingue à certains égards comme mécanisme de transfert des droits de propriété, le marché lui-même peut être analysé d’un point de vue institutionnel comme certains économistes le reconnaissent (Granovetter, 1991; Williamson, 1985). Tous ces rapports donnent lieu à des codifications à travers des législations, des règlements, des contrats et ententes ayant valeur légale (pouvant permettre un recours devant les tribunaux). 

Ainsi, pour les relations patronales-syndicales, le compromis dans l'entreprise s'explicite dans le contrat de travail qui codifie le partage du pouvoir et les règles du jeu auxquelles les comportements des acteurs doivent se conformer. Le compromis fordiste repose sur l'exclusion des travailleurs comme en témoigne l'exclusivité des droits de gérance en échange. Dans le contexte historique de la montée des ingénieurs et de la défaite corrélative des ouvriers professionnels (Coriat, 1979), les droits de gérance réservés à la direction ont permis à celle-ci de généraliser la rationalisation de l'organisation de la production selon les principes tayloriens. Cette gestion rationnelle et légale, pour reprendre les termes de Weber, fut reconnue non seulement comme légitime, mais aussi comme scientifique, efficace et fonctionnelle (Gorz, 1980). Cette reconnaissance constitue un pivot central de la culture institutionnelle propre au fordisme. Dans les sociétés avancées, cette domination légitime a fait l’objet d’une double contestation comme nous l’avons indiqué précédemment. Pour l’avenir, deux voies cependant se dessinent: l'une vise à renforcer les anciens principes en y accolant des technologies de contrôle social rapproché (Coriat, 1990) qui détournent le sens des demandes de participation en les retournant contre les travailleurs (Slaughter, 1988); l'autre s'orienterait vers une "démocratie salariale" reposant sur une plus grande participation des travailleurs dans les mécanismes de décision. 

En ce qui concerne le contrat de travail, l'élément le plus significatif concerne la participation ou la non participation, l'inclusion ou l'exclusion dans les mécanismes de décision tels que codifiés (à la limite l'exclusion peut prendre la forme d'une absence de contrat collectif comme le suggère le modèle néo-libéral). Ainsi l'institution passe par un partage des droits de gérance et donc par des règles du jeu autres que celles reposant sur les prérogatives patronales ou des droits de gérance. Selon l’une ou l’autre de ces voies (et donc selon le bloc social en formation), le code du travail, les législations concernant la protection de l’environnement, le développement des technologies et la protection des consommateurs auront une importance et un contenu variables. De même, en liaison avec la forme que prendra la codification des relations de travail (Leborgne et Lipietz, 1988), les rapports entre entreprises peuvent donner lieu à des ententes (interfirm agreements) allant soit dans le sens d’un division relativement stricte du travail comme dans la sous-traitance traditionnelle, soit dans le sens d’un nouveau partenariat et de relations de coopération (Lodge et Walton, 1989; Jorde et Teece, 1989). Comme dans le cas du contrat de travail et des normes environnementales, les ententes entre firmes définissent des règles du jeu qui ont des incidences certaines sur les choix des technologies et leur diffusion. 

Par conséquent, les forces sociales qui étaient considérées jusqu'ici comme externes n'agissent pas que de l'extérieur: elles pénètrent de plus en plus l'entreprise en raison de leur influence sur les formes institutionnelles (et organisationnelles). De même les choix stratégiques concernant l’environnement (le marché et la technologie) se font dans le cadre de règles définies par les parties impliquées. Dans son rapport sur les grandes tendances de la nouvelle société, Naisbitt relève qu’au moins "quatre mouvements clés refaçonnent les formes de la participation dans les entreprises: le consumérisme pour une représentation externe sur les conseils d'administration, le nouvel activisme des actionnaires, la participation des travailleurs et les droits des employés" (Naisbitt, 1984: 195). À ces forces sociales, il faut en ajouter d’autres comme les mouvements écologiques qui tentent non seulement d’être entendus mais d’être représentées sur les instances concernées par la définition des orientations de la recherche et même sur les lieux de production des nouvelles technologies (Gagnon, 1991).

 

L'entreprise-organisation

 

Toute entreprise est aussi une organisation en ce qu'elle agence des moyens techniques et des ressources pour réaliser ses objectifs de production de biens ou de services. Cet agencement comporte deux sous-dimensions: des formes de division du travail entre catégories professionnelles et des mécanismes d'intégration et de coordination des activités différenciées. Ces sous-dimensions sont interdépendantes (voir le tableau 1). Ainsi, une division parcellaire du travail combinée avec une coordination par des règles précises et une surveillance étroite caractérise le taylorisme. À l'autre extrême, des tâches polyvalentes coordonnées par l'adhésion à des objectifs ou à ce que certains appellent une culture organisationnelle correspondent à un dépassement du taylorisme, à une nouvelle professionnalité qui favorise l'autonomie nécessaire à la mobilisation de la créativité. Les Relations Humaines (Mayo et Likert) ainsi que l'élargissement des tâches (Herzberg) sont des situations intermédiaires, vouées à une moins grande généralisation et plus instables. 

Tableau 1: La dimension organisationnelle  

 Coordination

 

Règles-surveillance

 

Objectifs-culture d'entreprise

Division
du travail

Parcellaire

Taylorisme

Néo-taylorisme

Relations humaines

Polyvalente

Recomposition

Élargissement

Post-taylorisme

Professionnalité

 

Comme nous l'avons montré ailleurs (Bélanger et Lévesque, 1992a), la qualification nous semble être l'élément le plus significatif sociologiquement pour caractériser l'organisation du travail puisqu'elle renvoie directement aux modes de division du travail et aux mécanismes de coordination. En misant sur la séparation entre conception et exécution, et sur une division de plus en plus poussée du travail d’exécution, le taylorisme faisait passer l’augmentation de la productivité pour des biens indifférenciés par la voie de la déqualification. Au contraire, comme nous l’avons vu précédemment, une augmentation de la productivité pour des biens diversifiés de qualité exige une requalification des travailleurs. Si les nouvelles technologies sont susceptibles de favoriser un meilleur contrôle de l’homme sur la machine en exigeant de ce dernier polyvalence et compétence, il n’existe pas un lien nécessaire. Elles peuvent être aussi bien occasion de déqualification que de qualification (Lapointe, 1992). De même, des techniques traditionnelles peuvent être occasion de requalification à travers une certaine polyvalence, le travail d'équipe et un investissement dans la formation. C’est ce que nous avons pu observer dans le domaine de l'automobile et de l'industrie du meuble (Huard, 1991; Bagaoui, 1992; Lebeau, 1992). La production de biens indifférenciés est de moins en moins avantageuse à partir du taylorisme et de l’automatisation rigide puisque les incertitudes du marché exigent également de la flexibilité. 

La plus grande partie des études considèrent l’entreprise presqu’exclusivement comme une organisation. Ces études se posent toujours la même question: quels sont les meilleurs arrangements structurels capables d'assurer à la fois l'efficacité et la survie de l'entreprise. Cette interrogation a d'abord donné lieu aux analyses des processus internes (dysfonctions, types d'autorité) et des conduites des acteurs (déviance, groupes informels, stratégies gagnantes.). L'entreprise comme organisation est alors considérée comme un système fermé et autonome. Un renouvellement important s'est produit lorsque les caractéristiques structurelles sont apparues comme dépendantes de variables externes ou contextuelles telles la taille, les technologies ou le marché (Mintzberg,1987). A la suite de Woodward (1958), Mintzberg émet l’hypothèse qu’une organisation efficace sera celle qui réussit à établir une congruence et une cohérence entre les paramètres de conception et les facteurs de contingence (Mintzberg, 1982: 210). À titre d'exemple de cette démarche, le modèle mécanique-bureaucratique (forte spécialisation des tâches et coordination centralisée) correspondrait à un environnement stable alors qu'un environnement turbulent induirait un modèle organique (ou professionnel). Dans cette perspective on peut penser qu’une organisation efficace devrait établir une certaine congruence entre le type de production (production à l’unité et en petites séries, production en grande série, production en continue), la technologie (rigide ou souple) et l’organisation du travail (parcellisation ou polyvalence) (Laville, 1992). La structure des entreprises de production en continu (ce vers quoi tentent toutes les formes de production relevant de l’automatisation souple) reposerait davantage sur le travail qualifié, le travail en équipe et un faible encadrement, par exemple. Il n'y a cependant pas de forme structurelle idéale, les structures sont contingentes; mais il n'y a pas non plus de déterminisme étroit entre l'environnement et un modèle d'entreprise. "Une organisation efficace sera celle qui sera parvenue à atteindre des états de différenciation et d'intégration les mieux adaptés aux contraintes de l'environnement" (Mathé et Rivet, 1992). Cet équilibre entre différenciation et intégration peut être obtenu à plusieurs niveaux de centralisation-décentralisation et de spécialisation-flexibilité. 

Crozier (et l’analyse stratégique) nous met en garde contre le danger de s’en remettre non seulement au déterminisme technologique mais également au déterminisme multivarié (Crozier et Friedberg, 1977: 135 et 142). D’une part, les recherches qui concluent à un tel déterminisme s’en tiennent à la structure formelle de l’entreprise. D’autre part, les entreprises ont une marge de manœuvre par rapport aux contraintes de l’environnement puisque ces dernières “charrient des exigences fluctuantes, ambiguës, et souvent divergentes voire contradictoires” (Ibid:153). Les décisions prises à ce niveau seront donc le résultat en partie des stratégies des acteurs sociaux. Ceux-ci font une lecture "intéressée" de leur environnement et, selon les moyens à leur disposition, cherchent à imposer les solutions qui leur sont le plus favorables. Les exigences de l’environnement telle la technologie ne deviendra contraignante pour l’organisation qu’à partir du moment où les acteurs les incorporent dans leur stratégie et donc à travers le processus d’actualisation de ce choix. Dès lors, on comprend que les effets spécifiquement technologiques s’appréhendent rarement comme tels puisqu’ils sont habituellement “modulés par la gestion du changement technologique, notamment par le redesign organisationnel concomitant au changement technologique que les responsables du changement peuvent réaliser selon leur propre perspective” (Alsène, 1990: 334). La technologie y est en quelque sorte socialisée puisqu’elle “s’y inscrit de plus en plus fréquemment dans une conception différente de la rationalisation” et de la division du travail (Kern et Schuman,1988: 5). Cette position est assez proche de celle de Kochan, Katz et McKersie (1986) mais s’en distingue par son explication de la formation des règles du jeu (voir le texte de Michel Grant). 

Pour l’analyse stratégique, il n'y a pas de solution unique, de "one best way", ce que confirme la diversité des modèles organisationnels y compris dans des établissements de la même entreprise (Lapointe, 1992). Ainsi l'autonomie des formes organisationnelles semble bien fondée de même que l'approche organisationnelle des entreprises. Celle-ci appréhende l'entreprise comme un système d'action, comme un construit social qui "correspond à un ensemble de relations de pouvoir articulé sous forme de jeux dans le cadre desquels des acteurs relativement autonomes poursuivent leurs intérêts divergents et négocient leur participation à l'ensemble (Crozier et Friedberg, 1977: 160)". Mais alors il faut se demander d’où viennent ces règles du jeu, comment sont choisies et instituées ces structures de jeu. 

La réponse de Crozier, comme celle de tous ceux qui refusent l'hypothèse de l'organisation "culture-free", consiste à relier les règles du jeu aux valeurs de la société (Crozier, 1964). C'est la culture qui en dernière analyse explique les différences entre les formes organisationnelles ou les construits sociaux, entre les solutions diverses apportées au problème de la coopération en vue d'une activité collective. Cette explication culturaliste s'est largement répandue ces dernières années autant dans les études sur le modèle japonais (Bouissou et G. Faure, 1984 ) ou québécois (Aktouf, Bédard et Chanlat, 1992) que chez les propagandistes de la culture d'entreprise. Cette réponse est insatisfaisante et montre les limites d'une approche exclusivement organisationnelle de l'entreprise. Car les règles du jeu de l'organisation, en particulier celles qui déterminent les types d'autorité et de ce fait distribuent la force relative des acteurs dans les relations de négociation, sont issues du système politique et institutionnel de l'entreprise et, à travers lui, des rapports sociaux de domination. 

Ainsi, la présence d'un syndicat fort et offensif dans les mécanismes de prise de décision va entraîner des différences dans les formes de coordination et de division du travail, comme le montrent les études sur les trajectoires nationales (Boyer, 1989). L'autonomie de l'organisation est donc limitée par les décisions émanant du niveau institutionnel qui fixe les grands paramètres à l'intérieur desquels peuvent s'élaborer les stratégies gagnantes. Le lieu organisationnel est donc à la fois autonome et dépendant du niveau institutionnel, lui-même produit des rapports sociaux. 

L'entreprise s'appréhende donc par les trois dimensions hiérarchisées qui prennent des formes différentes selon les périodes. La stabilité d'un modèle d'entreprise dépend de la compatibilité entre ces formes (Leborgne et Lipietz, 1988). Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de ce texte, le modèle fordien combine un paradigme sociétal centré sur le progrès par la science, un système de décision réservé aux dirigeants, une division taylorienne du travail, un paradigme technologique centré sur la production de biens indifférenciés. Une des trajectoires post-fordiennes, illustrée par le modèle de la démocratie salariale, met en harmonie un paradigme écologique (Tessier, 1989) , une inclusion des travailleurs et d'autres groupes sociaux dans le système de décision, une organisation participative du travail et une trajectoire technologique orientée vers l’automatisation flexible. Comme nous le verrons maintenant, ces dimensions de l’entreprise peuvent donner lieu à diverses configurations.

 

Les configurations
(ou “modèles”) d’entreprise

 

Pour caractériser les divers “modèles” d’entreprise, il faut prendre en considération non seulement les dimensions institutionnelles et organisationnelles mais également les rapports sociaux qui varient considérablement d’une société à l’autre (ex.l’importance et la place des syndicats). Ainsi les rapports sociaux caractérisant la société québécoise expliquent pourquoi une ou deux configurations s’imposent au détriment de autres. La dimension organisationnelle comme la dimension institutionnelle doivent par ailleurs être prises en considération pour spécifier chacune de ces configurations. À l’intérieur de ces dernières, la relation avec la technologie est définie non seulement avec l’entreprise-organisation mais aussi avec l’entreprise-institution. Nous commencerons par caractériser à grands traits toutes les configurations possibles pour ne retenir, par la suite, que celles qui semblent caractériser le modèle québécois.

 

Une diversité de configurations

 

Les dimensions institutionnelles et organisationnelles ayant été définies précédemment, nous n’y reviendrons pas. Il faut cependant expliquer que ces configurations ont valeur de type idéal dans le sens wébérien: pour caractériser chacune des dimensions, nous avons accentué “par la pensée des éléments déterminés de la réalité” (Weber,1965:180). Ainsi, la dimension la plus significative du point de vue des nouveaux modèles de production semble bien être la requalification alors que l’ancien modèle était caractérisé par la déqualification (Piore et Sabel, 1989; Kern et Schuman, 1988). La qualification est l'élément le plus significatif sociologiquement de l'organisation du travail puisqu'elle renvoie directement au mode de division du travail et aux mécanismes de coordination. Il s’agit d’une dimension qui inclut en quelque sorte les autres. Ainsi, les principes tayloristes orientent l’organisation du travail dans le sens d’une déqualification croissante. Les formes de modernisation (ou la rationalisation) qui s’en inspirent, accentuent la séparation entre conception et exécution et favorisent une division toujours plus poussée du travail (parcellisation). En revanche, les nouveaux modèles de production mettent de l’avant la polyvalence, le travail en équipe, la formation technique et professionnelle à partir des principes de flexibilité et d’intégration des fonctions. Dans ce cas, la modernisation tend à favoriser la requalification et à s’appuyer sur des technologies se caractérisant par la flexibilité. 

Pour la dimension institutionnelle, nous retenons moins le contenu que la forme ou la direction que prend la codification des rapports entre la direction et les employés, ce qui suppose un compromis de base. Outre le maintien des règles définies dans le cadre du fordisme, deux possibilités peuvent être observées: dans un cas, la dissolution ou l’affaiblissement des règles existantes allant de pair avec une individualisation des rapports de la direction avec les employés (cette orientation n’est évidemment pas favorable à la négociation avec un syndicat); dans l’autre, une redéfinition de règles collectives mettant l’avant une implication plus forte des travailleurs (élargissement du champ de la négociation pour inclure certains aspects de l’organisation du travail et même de l’orientation de l’entreprise). Notre analyse de la dimension institutionnelle est ici réduite au rapport patronal-syndical même si nous avons souligné plus haut que d’autres acteurs sont de plus en plus partie prenante lorsqu’une entreprise décide de se moderniser. Sauf de rares exceptions, ces négociations se font généralement avec l’État à travers des législations et des réglementations. C’est pourquoi nous nous en tiendrons ici au rapport patronat-syndicat quitte à faire des commentaires appropriés pour les cas où ces négociations se feraient au niveau de l’entreprise. 

En tenant compte des deux dimensions identifiées, il est possible d’identifier six configurations qui permettent de se dégager d’un modèle binaire qui opposerait participation et conflit ou encore participation et non-participation. Dans la typologie que nous proposons (voir le tableau 2), la participation peut prendre deux formes: la coopération conflictuelle ou participation négociée (le fordisme renouvelé et la démocratie salariale) et la participation intégrative (le modèle californien dans lequel le collectif de travail n’est pas reconnu comme tel). Voyons maintenant chacun de ces diverses configurations.  

Tableau 2:
les modèles de modernisation des entreprises
 

Contrat de travail
Organisation du travail

Règles collectives de travail et exclusion

Dissolution ou affaiblissement des règles collectives

Règles collectives avec inclusion ou participation

Déqualification

Fordisme et taylorisme

Néo-fordisme
(Segmentation
Dualisme)

Taylorisme et autogestion

Requalification
(Innovations organisationnelles et technologiques)

Fordisme renouvelé
(Sécurité d'emploi et flexibilité)

Californien
(Individualisation et flexibilité)

Partenariat
(Flexibilité et participation)

 

Nous n’insistons pas sur le modèle fordiste et tayloriste (1) puisqu’il est connu et que nous l’avons caractérisé précédemment. La modernisation dans ce cas se limite habituellement à des innovations locales qui vont dans le sens d’un renforcement du modèle ou d’aménagements qui ne modifient pas ses caractéristiques de base: a) une organisation du travail déqualifiante, b) un compromis négocié où les travailleurs sont exclus de tout ce qui concerne l’organisation du travail et la gestion de la production en échange d’avantages salariaux. Dans une telle configuration, les dirigeants auraient tendance à maintenir des technologies relevant de l’automatisation rigide. Dans ce modèle, les innovations de procédé de production faisant appel à la micro-électronique sont possibles mais elles risquent de rigidifier davantage l’organisation du travail et d’achopper sur l’implication nécessaire des travailleurs. Devant cette situation, deux voies de modernisation sont possibles: celle du néo-fordisme (2) et celle du fordisme renouvelé(3). 

Dans le fordisme renouvelé (2), la requalification est amorcée à partir de la formation et de la recomposition des tâches. Pour réduire la résistance collective des travailleurs aux plans de modernisation technologique et obtenir certaines concessions dont la flexibilité dans l’organisation du travail, la direction offre en échange au syndicat une plus grande sécurité d’emploi et la formation technique et professionnelle. La sécurité d’emploi est donc offerte au collectif des travailleurs pour obtenir leur participation dans les innovations organisationnelles et technologiques et leur engagement pour l’augmentation de la productivité. Cette configuration amorce donc un dépassement du taylorisme tout en demeurant dans les limites du contrat collectif fordiste. Les innovations sont ici à dominante organisationnelle et technologique alors que le compromis demeure relativement inchangé quant au pouvoir de chacune des parties: les droits de gérance ne sont pas modifiés. Une telle configuration suppose tout de même une redéfinition de la pratique syndicale et notamment une flexibilité quant à la définition des tâches. Dans une conjoncture où la sécurité d’emploi était menacée et dans des secteurs fortement touchés par la concurrence internationale, ce modèle a été expérimenté (ex. dans le secteur automobile aux Etats-Unis). Il ne s’est pas étendu pour deux raisons: d’une part, les syndicats n’y voit que les concessions: leur rôle n’étant pas modifié; d’autre part, les directions notamment chez nos voisins du sud privilégient d’autres configurations ( le néo-fordisme et le californien). En somme, la modernisation se limite ici aux formes d’organisation du travail mais ne touche pas le niveau institutionnel, la répartition du pouvoir entre les parties. 

Le néo-fordisme et le “modèle” californien vont dans la même direction du point de vue des règles collectives ( affaiblissement ou dissolution) mais dans des directions opposées du point de vue de l’organisation: déqualification, dans un cas; requalification, dans l’autre. 

Dans le néo-fordisme (3), on assiste à un affaiblissement des règles collectives à travers le développement de la sous-traitance, la délocalisation de la production, la dualisation du collectif de travail (multiplication des statuts d’emploi temporaires et à la limite la double convention). Dans cette configuration, les syndicats sont sur la défensive: les travailleurs accusent d’importants reculs et le collectif est segmenté. La direction privilégie une stratégie de modernisation axée sur la technologie (contrôle informatique de la ligne de montage, par exemple) plutôt que sur les ressources humaines comme solution au problème de la productivité et comme moyen pour relever le défi de la concurrence. Les nouvelles technologies de l’information sont également utilisées comme moyen pour approfondir le taylorisme et notamment le contrôle et la séparation entre conception et exécution. Il s’en suit une polarisation croissante des qualifications: une minorité, les nouveaux techniciens, de plus en plus qualifiée et une majorité de plus en plus déqualifiée (ces derniers n’ayant pas accès aux terminaux d’ordinateur, par exemple). Cette stratégie qui a été mise de l’avant dans les grandes entreprises à partir du milieu des années 1970, révèle ses limites au milieu des années 1980 alors que l’on redécouvre l’importance des ressources humaines (Reich, 1990 et 1991; Thurow, 1992). Les analyses de cette configuration ont pu laisser supposer que les nouvelles technologies de l’information favoriseraient la polarisation des qualifications et la dualisation des collectifs de travail (Bernier, 1984). 

La configuration californienne (4) s’inscrit dans un processus de dissolution des règles collectives et d’individualisation des rapports de la direction avec les travailleurs. Elle correspond bien à l’idéologie et aux pratiques manégériales qui s’en remettent au marché pour les ajustements nécessaires, y compris pour le travail (Kourchid, 1992:324-325). L’objectif est d’implanter un modèle non syndiqué fondé sur une réorganisation du travail donnant priorité à la compétence individuelle (pay for knowledge). En mettant de l’avant les nouvelles technologies, la polyvalence des tâches et les équipes de travail, cette stratégie de modernisation cherche à mobiliser l’autonomie et la créativité des travailleurs pour augmenter la productivité et la qualité. Le processus de sélection du personnel devient un moyen privilégié pour recruter du personnel qualifié et docile, quitte à compléter par une formation sur le tas. Bien qu’on soit favorable aux nouvelles technologies, ce n’est pas à elles qu’on fait appel pour assurer la coordination mais à la culture d’entreprise et aux cercles de qualité. A cette fin, on tente de mobiliser le sentiment d’appartenance à une institution (université) liée à l’entreprise ou le sentiment d’appartenance à une région au profit de l’entreprise. Le contrôle de la direction sur les travailleurs aura tendance à s’exercer par une intériorisation des normes. C’est ce que certains appellent le “contrôle social rapproché” (Coriat, 1990). Cette configuration est aussi appelée “stratégie du sud” (southern strategy) puisqu’elle s’est d’abord généralisée dans des Etats où la législation n’est pas favorable aux syndicats. Elle véhicule une image de l’entreprise comme un lieu de coopération où les relations conflictuelles entre patron et employés seraient disparues au profit de la seule coopération et identification à l’entreprise. Une partie de la rémunération peut dépendre des résultats de l’entreprise. Pour obtenir une certaine stabilité, cette configuration doit s’appuyer sur une direction charismatique et aussi sur le succès commercial. C’est pourquoi elle se retrouve surtout dans les PME et dans les grandes entreprises non-syndiquées ayant une image de marque forte (ex. IBM). 

La configuration de la démocratie salariale (6) se caractérise également par une organisation du travail axée sur le travail en équipe, la polyvalence des tâches, la compétence du personnel, en un mot la requalification. Mais, à la différence de la configuration précédente, ces aménagements s’appuient sur une redéfinition des règles collectives et donc une négociation de la participation. Ce modèle suppose des changements majeurs dans l’encadrement. Des comités paritaires pour les technologies, la formation technique et professionnelle, pour le règlement continu des conflits ou pour toutes autres questions jugées importantes par les parties, contribuent à impliquer le syndicat dans les initiatives de modernisation de l’entreprise, y compris au plan technologique. La redéfinition des règles collectives peut être analysée à partir de la convention collective où l’on retrouve les éléments d’un nouveau compromis. En échange de l’implication des travailleurs, les patrons doivent offrir non seulement un travail plus intéressant mais aussi un partage des “bénéfices de la rationalisation de l’entreprise” (Kern et Schuman, 1988: 106). Ce modèle suppose une redéfinition des pratiques syndicales. Ainsi, un syndicalisme axé sur les revendications des salaires, indifférents à tout ce qui touche l’organisation du travail et disposé à s’en remettre au mécanisme des griefs pour règler les différents, doit céder la place à un syndicalisme de proposition, un syndicalisme attentif à l’organisation du travail, à la qualité de la production, aux décisions stratégiques de l’entreprise concernant le choix des technologies et la conquête des marchés (Tixier, 1992: 126 sq) . On le devine: ces nouvelles préoccupations ne signifient pas que les intérêts des travailleurs s’identifient désormais à ceux de la direction, ni que les conflits soient à tout jamais disparus. Au contraire, le champ de la négociation s’est élargi et avec lui celui de la démocratie. 

Enfin, le taylorisme social-démocrate ou coopératif (5) correspond également à une configuration où les règles collectives favorisent une implication des travailleurs mais sans remettre en cause les principes tayloristes de l’organisation du travail et le processus de déqualification qui s’y rattache. Outre le cas de pays social-démocrates où divers comités paritaires ont permis aux relations patronales et syndicales de négocier autre chose que les seuls salaires, cette configuration se retrouve en Amérique du Nord et au Québec dans certaines entreprises où les travailleurs participent à la propriété de l’entreprise. Ainsi, dans certaines coopératives où les travailleurs dirigent l’entreprise, il arrive que l’organisation du travail soit traditionnelle, c’est-à-dire reposant sur une définition précise des tâches conformément au taylorisme (Comeau, 1993; Lévesque et alii, 1985). Même propriétaire de l’entreprise, le collectif des travailleurs s’en remet complètement au directeur ou au gérant qu’il a engagé. Ce dernier se comporte alors comme n’importe quel gérant ou directeur d’usine qui s’inspire des principes tayloriens pour l’organisation du travail. Cette configuration peut également se retrouver dans des entreprises où les travailleurs possèdent une partie plus ou moins importante du capital-actions comme c’est le cas dans les ESOP (Employee Stock Ownership Plan) et dans les coopératives de travailleurs-actionnaires (Lévesque, 1992; Comeau et Lévesque, 1992 et 1993; Rock, 1991). Dans tous ces cas, la participation des travailleurs repose principalement sur leur participation à la propriété et moins sur le fait qu’ils soient travailleurs dans l’entreprise. Au niveau du plancher de l’usine, les principes de la division taylorienne du travail prévalent. Par conséquent, c’est plus en tant que propriétaires que travailleurs qu’ils donneront leur point de vue sur la modernisation et la rationalisation de l’entreprise. Les travailleurs propriétaires de l’entreprise qui adoptent une telle configuration, sont souvent contraints de se donner un syndicat qui en sera un de revendication. Il va de se soi que toute participation ouvrière à la propriété ne s’inscrit pas nécessairement dans cette configuration (Jain, 1992: 97). 

Le plein épanouissement de ces configurations suppose des mesures à l’échelle de la société en ce qui concerne la formation et les politiques industrielles. Ainsi, il semble bien que le néo-fordisme et le modèle californien ont plus de chance de s’épanouir pleinement dans un modèle de développement de type néo-libéral permettant la déréglementation dans tous les secteurs pour s’en remettre au marché comme mécanisme principal de régulation, y compris dans le travail. En revanche, des configurations qui supposent la formulation de nouvelles règles allant dans le sens d’un plus grande participation ont plus de chance de se produire dans des sociétés favorables à l’institutionnalisation de tels compromis. Comme l’écrit Wolgang Streeck (1992:7-8), “le marché et le management des entreprises ne peuvent d’eux-mêmes arriver à la généralisation d’un modèle de production diversifiée de qualité.” Pour y arriver, il faut en plus des “institutions sociales non-économiques” comme en témoigne éloquemment le cas allemand.

 

Le modèle québécois:
un modèle pluriel ?

 

Lorsqu’on avance l’hypothèse d’un modèle québécois d’entreprise, on pense sans doute à la structure de propriété des entreprises québécoises. De ce point de vue, il ne fait aucun doute que le Québec se singularise aussi bien par rapport aux Etats-Unis que par rapport au Canada. Le réseau des entreprises étatiques, coopératives et capitalistes autochtones, le Québec Inc., est unique en Amérique du Nord (Lévesque et Malo, 1992; Bélanger et Fournier, 1987). Il est le produit d’une histoire singulière où l’entrepreneurship autochtone n’a pu s’exprimer qu’en s’appuyant sur des forces collectives à travers la formule coopérative, les entreprises étatiques et l’appartenance régionale et communautaire dans le cas des entreprises individuelles (Hamel, 1990). Cette singularité mériterait un long développement car elle colore les relations entre les acteurs sociaux, y compris les relations patronales-syndicales, et confirme l'idée exprimée plus haut, à savoir que les rapports sociaux déterminent les formes institutionnelles et donc les modèles d'entreprises. Cependant, nous nous demandons ici comment le modèle québécois peut être caractérisé par rapport aux six configurations que nous avons identifiées précédemment. Quelles semblent être les configurations privilégiées du point de vue de la modernisation sociale et même technologique? 

Dès le départ, trois mises au point s’imposent. En premier lieu, au Québec comme ailleurs, le modèle fordiste est encore dominant même si Taylor ne constitue plus une référence incontestée. En deuxième lieu, la diversité s'imposerait également: on peut retrouver des entreprises québécoises appartenant à l’une ou l’autre des six configurations identifiées précédemment. Le secteur public (et notamment celui de la santé) et des entreprises comme l'Hydro-Québec, ont été dans le sens du néo-fordisme (sous-traitance, travail à temps partiel, dualisation des collectifs, etc.) et donc d'un affaiblissement des règles collectives (Chanlat, 1984; Hafsi et Demers,1989, Bélanger et Lévesque, 1987 et 1990). Les entreprises qui ont proposé des contrats de six ans et offert des garanties relativement importantes au niveau de la sécurité d’emploi, semblent bien relever du fordisme renouvelé. Le taylorisme coopératif existe également comme on pouvait le constater dans certaines coopératives de travail reposant sur le travail déqualifié. En troisième lieu, comme les monographies constituent encore la meilleure source étant donné que le système est décentralisé et qu'il n'existe pas de relevés statistiques permettant de constituer des configurations, les conclusions concernant le modèle québécois doivent être prises avec beaucoup de prudence (Aktouf, 1990; Chanlat, 1990). Ces réserves faites, nous avancerions l'hypothèse que les expériences novatrices qui se produisent dans les secteurs les plus importants de l'économie québécoise, oscillent entre le modèle californien et la démocratie salariale. Nous donnons ici quelques exemples. 

Le secteur de l'aluminium au Québec témoigne amplement de la diversité des modèles. Des sept usines d'aluminium du Québec ayant fait l'objet d'une recherche récente (Lapointe, 1991; également Lapointe dans cet ouvrage), une seule n'a pas bougé des principes du fordisme. Deux usines s'en sont démarquées mais pour les approfondir dans le sens du néo-fordisme, en particulier à l'occasion de changements technologiques en affectant des cadres techniques à la production et ainsi en déqualifiant les opérateurs de leur savoir-faire acquis par expérience; et surtout en menant une lutte anti-syndicale par l'embauche de travailleurs sans expérience de travail en usine, peu qualifiés et peu scolarisés, et en les soumettant à des tests psychologiques susceptibles de révéler leurs aptitudes à la coopération. En revanche, trois usines se sont engagées dans un fordisme renouvelé: pour favoriser l'implication et la requalification, les usines ont amélioré les conditions de travail (souvent très pénibles dans les salles de cuves ), accordé la sécurité d'emploi et des augmentations de salaires, élargi les tâches pour accroître la polyvalence et permettre la rotation. Toujours dans le cas de ces trois usines, et à l'occasion de l'introduction de nouvelles technologies informatiques pour surveiller la température et le niveau d'alumine dans les cuves, les opérateurs ont été requalifiés pour utiliser les ordinateurs sans l'intervention de cadres techniques. Enfin, une usine semble s'orienter vers le modèle de démocratie salariale. La clé du nouveau régime est la sécurité d'emploi en échange de l'implication dans la productivité et la qualité; depuis cette entente, la courbe de tous les indicateurs de relations de travail et de performance a changé de sens: griefs, absentéisme, départs volontaires, grèves, productivité. De plus, le syndicat est associé à des comités paritaires même si formellement les droits de gérance sont toujours reconnus. 

L'usine de GM à Boisbriand représente un modèle probablement inédit dans l'industrie automobile en Amérique du Nord et partage plusieurs des éléments du modèle de la démocratie salariale (voir Bélanger et Huard dans le chapitre consacré à GM). Sous la double influence d'une direction décidée à redresser une usine menacée de fermeture et d'un leadership syndical désireux d'assumer les conséquences du ras-le-bol des travailleurs (environ 6000 griefs non réglés en 1984) et en particulier "l'obligation de mal faire son boulot" qu'induisait l'obligation de suivre les consignes, les parties s'engagèrent dans un large processus de réflexion sur la gestion et l'organisation du travail. Pendant cette période, les griefs sont l'objet d'ententes, environ 35% des postes de cadres sont éliminés et l'usine se hisse au premier rang quant à la performance (productivité et qualité) de sorte qu'elle réussit, avec une technologie relativement vétuste, à obtenir un contrat pour les dix prochaines années, contrat que convoitaient plusieurs autres usines pour la plupart situées aux Etats-Unis. Les responsables du syndicat sont allés visiter les expériences américaines (notamment NUMMI en Californie) dont s'inspiraient en partie la direction locale mais les ont rejetées pour mettre de l'avant des propositions originales. Trois nouveautés méritent d'être soulignées: la déclaration sur les droits des parties, les équipes de travail et les comités conjoints (Huard 1990). 

Dans une longue déclaration de leurs droits et devoirs, les parties syndicale et patronale reconnaissent leurs responsabilités mutuelles dans l'amélioration de la qualité de la vie au travail, la construction d'un produit de qualité et la croissance de l'entreprise. Une telle déclaration est tout-à-fait nouvelle dans une convention collective en Amérique du Nord. Elle contredit en quelque sorte la traditionnelle reconnaissance des droits de gérance et des limites à l'action syndicale qui fondait la stricte division du travail entre la responsabilité de dégager des profits et celle d'en négocier le partage. Elle indique clairement le passage d'un syndicalisme d'opposition, défensif, à un syndicalisme offensif de proposition. 

La formation d'équipes de travail s'accompagne généralement de la dissolution des règles de travail (work rules ) de sorte que le travail en équipes est interprété comme l'abandon d'un syndicalisme centré sur le contrôle de l'emploi en faveur d'une coopération dans la gestion des ressources humaines. Il semble bien que ce soit le cas aux E.U. (Kochan, Katz et McKersie, 1986; voir aussi Parker et Slaughter 1988 et leur description des équipes de travail chez NUMMI). Mais à GM-Boisbriand, le syndicat a élaboré des normes collectives négociées qui lui permettent de ne pas abandonner à la direction toute discrétion sur certains points importants: les chefs d'équipes sont syndiqués et nommés par ancienneté; la progression des salaires est soumise à des règles de promotion selon l'ancienneté; l'absentéisme demeure la responsabilité de la direction et non de l'équipe. Ainsi tout en acceptant les principes de base du travail en équipes: responsabilisation et implication dans la qualité et l'amélioration des procédés de production; flexibilité dans l'attribution des tâches par la simplification des classifications, le syndicat a refusé l'individualisation des salaires et des relations avec la direction; il tenait à des normes collectives qui favorisent la solidarité et l'unité des travailleurs. 

Ce mode de fonctionnement des équipes est adossé à des comités conjoints qui d'une part surveillent la mise en place et le fonctionnement des équipes et d'autre part assurent un droit de regard sur des activités et décisions jusque là considérées comme prérogatives patronales: mutation du personnel, nouvelles technologies, formation, performance générale de l'entreprise, etc. Ces comités paritaires sont consultatifs, mais dans l'économie générale de cette nouvelle entente, ils consacrent l'inclusion des travailleurs dans le processus de décision de l'entreprise et s'inscrivent dans un mouvement de.démocratisation. 

Plus généralement, de telles initiatives sont soutenues par le Fonds de solidarité des travailleurs dont une grande partie des fonds(50%) est consacrée au capital de risque. Ses investissements sont l'occasion de favoriser l'émergence de la démocratie salariale dans certaines entreprises à partir entre autres de la formation offerte aux travailleurs. Le coût de cette formation est assumé à la fois par le Fonds et les entreprises. Même si au départ elle est surtout destinée à comprendre les états financiers de l’entreprise, les travailleurs auraient tendance non seulement à s’impliquer davantage dans l’organisation du travail mais également dans les mécanismes de décision. 

Le modèle californien serait dominant dans un bon nombre d’entreprises québécoises. Ainsi, dans le Mouvement Desjardins qui constitue le secteur coopératif le plus important au Québec, la direction de certaines fédérations comme la Fédération de Montréal et de l'Ouest du Québec a mis de l'avant une nouvelle philosophie de gestion des ressources humaines qui s'apparente au modèle californien (Grant, 1990; Lévesque, 1990). Elle favorise une stratégie de contournement du syndicat qu’un vice-président aux ressources humaines nous avait résumé de la façon suivante: “gérer une caisse syndiquée comme s’il n’y avait pas de syndicat et gérer une caisse non syndiquée comme si elle l’était.” Après avoir été le leader dans le domaine de l’informatisation du secteur financier, les dirigeants en sont arrivés à la conclusion au milieu des années 1980 que “le personnel constitue l’actif le plus important de l’entreprise” (Bernier, 1985). La flexibilité qu’exige la modernisation technologique et la forte concurrence dans ce secteur, s’appuie aussi bien sur les valeurs coopératives que sur le service à la communauté (Beauchamp et Lévesque, 1993). 

Outre les entreprises appartenant à des intérêts étrangers (Hyundai, IBM, GE), cette stratégie est présente dans un bon nombre d'entreprises québécoises qui, à l’exemple de Cascades, tentent de développer un culture d'entreprise favorisant une plus grande appartenance à travers une certaine individualisation des rapports (Cuggia, 1989; Aktouf, 1990). Tout en privilégiant l’absence de syndicat, la direction favorise une individualisation des rapports, une forte implication des employés et un investissement important dans la culture d’entreprise. Chez Cascades, on admet que cette configuration est plus facile à maintenir dans les usines où la taille des collectifs de travail ne dépasse pas trois cent employés. Une direction charismatique ou tout au moins une direction suscitant la confiance donne une certaine stabilité à cette configuration. De même, la plupart de ces entreprises sont situées dans des petites villes où l’appartenance des travailleurs à la communauté locale joue un rôle important. De plus, certaines institutions locales exercent en partie une fonction de régulation des conflits, favorisant ainsi la consolidation de relations de travail caractérisées par le paternalisme. La forte implication individuelle ne résulte pas de la réglementation et de la surveillance mais d’une intériorisation des contraintes de l’entreprise et surtout de la mobilisation du sentiment d’appartenance à une même région, communauté ou ethnie au profit de l’entreprise. Nos recherches sur des entreprises dans le secteur du meuble (Bagaoui, 1991) et des pâtes et papier (Bernier et Saucier, 1991) laissent entrevoir des modèles instables et changeants comme si les projets patronaux et syndicaux ne réussissaient pas à se cristalliser. En somme, si la faible institutionnalisation de rapports direction-employés assure une certaine flexibilité, elle peut constituer un point faible pour la pérennité de cette configuration.

 

Conclusion

 

En conclusion, nous reviendrons sur deux points: en premier lieu, le modèle québécois; en deuxième lieu, le rapport innovations organisationnelles et innovations technologiques. 

1) Le modèle québécois d’entreprise se caractériserait donc par une oscillation entre deux modèles: le modèle californien et le modèle de la démocratie salariale qui ont tout les deux comme caractéristique de mettre de l’avant la participation des travailleurs. Pourquoi ces deux modèles s’imposent-ils? La spécificité du Québec comme d’ailleurs celle du Canada par rapport aux Etats-Unis est souvent expliquée par les dimensions culturelles et religieuses (Lipset, 1986). De ce point de vue, le modèle québécois pourrait être expliqué par “la résurgence d’une éthique féodalo-catholique” laquelle permettrait l’expression d’un “haut degré de convivialité, d’engagement des employés, de complicité et de productivité” dans les entreprises québécoises (Aktouf, Bédard, Chanlat, 1992:94). Sans sous-estimer cette dimension culturelle, nous faisons l’hypothèse que cette spécificité s’enracine dans la structure sociale de la société québécoise. 

Le modèle californien qui n’est pas spécifique à la société québécoise, s’y inscrit cependant d’une façon singulière. Au Québec, ce modèle a reçu une impulsion relativement forte de la part d’entrepreneurs francophones qui ont affirmé leur engagement à relever le défi du nouveau contexte international et notamment de l’ouverture des marchés. Ces entreprises sont localisées principalement dans de petites communautés et régions où une identité régionale ou communautaire forte soutient des relations à la fois coopératives et compétitives. Les relations d’aide mutuelle, de parenté et de proximité entre les membres du collectif de travail alimentent des relations de travail moins conflictuelles qu’ailleurs (Hamel, 1990). Mais, en même temps, ces entreprises portent des responsabilités sociales importantes à l’égard de ces communautés. De plus, diverses institutions locales dans lesquelles ces directions sont généralement impliquées sont là pour leur rappeler leur responsabilités sociales (voir le chapitre sur le cas beauceron, Carrier et Billette dans cet ouvrage). 

De même, le modèle de la démocratie salariale serait favorisé par un patronat moderniste et un syndicalisme plus enraciné au Québec et plus ouvert à la concertation et aux nouvelles formes d’organisation du travail. En premier lieu, en raison des efforts collectifs de modernisation des années 1960 et de la mise sur pied d'un important réseau d’entreprises coopératives, privées et étatiques, les entreprises québécoises qui ont bénéficié de ce réseau pour leur développement portent d’importantes responsabilités sociales. Ceux qui contrôlent ces entreprises, ne peuvent vendre ces entreprises à des intérêts étrangers sans susciter un débat à l’assemblée nationale et dans les média. En deuxième lieu, les expériences tri-partistes (syndicat-patronat-État) dans des domaines comme celui de la santé-sécurité sans oublier les expériences de concertation (les Sommets économiques et plus récemment le Forum sur l’emploi) ont préparé la voie à des compromis pour la formulation de stratégies nationales dans les domaines du développement économique ou de la formation technique et professionnelle, par exemple. Ainsi, depuis le milieu des années 1985, les syndicats, la CSN et la FTQ, se font les défenseurs de nouvelles formes d’organisation du travail qui iraient dans le sens d’une participation démocratique des travailleurs (Boucher, 1992). 

Enfin, les deux configurations qui nous semblent bien caractériser le modèle québécois, ne sauraient être confondues bien que l’une et l’autre fassent appel à une forte implication des travailleurs. Le modèle californien peut facilement conduire à de nouvelles formes de domination à travers la manipulation symbolique des intérêts et motivations. Comme les conditions de travail dans ce modèle reposent sur la bonne volonté de la direction, la stabilité de ce modèle demeure fragile. En revanche, le modèle de la démocratie salariale offre apparemment plus de stabilité puisqu’il s’appuie sur une institutionnalisation des rapports. En échange de plus d’engagement et d’implication au travail, les syndicats peuvent obtenir non seulement de meilleurs salaires et conditions de travail mais également une participation dans le processus de décision politique. Ces arrangements institutionnels présentent plusieurs avantages: d’une part, les entrepreneurs sont contraints d’innover et d’investir dans les productions à haute valeur ajoutée; d’autre part, la participation des travailleurs renforce leur engagement et leur connaissance de la gestion et des besoins de l’entreprise. 

2) Au lieu d’opposer modernisation sociale et modernisation technologique, nous avons tenté de montrer comment les innovations technologiques comme les innovations organisationnelles et institutionnelles étaient parties intégrantes du processus de modernisation. De cette perspective, la modernisation constitue un processus qui peut aussi bien débuter par l’achat d’équipements que par des innovations organisationnelles. Ainsi, dans la plupart des PME, “la modernisation de l’usine commence par l’achat d’une première machine moderne” (Julien,1992:30) Cependant, une compréhension du changement technologique comme processus et une analyse en profondeur de la dynamique de la modernisation des entreprises laissent bien de voir la complexité du rapport technologie et organisation-institution. Sans s’en remettre au déterminisme social et sans nier que la technologie ait des effets spécifiques (Maheu et Beauchemin, 1985), il faut reconnaître que ce sont les formes institutionnelles et organisationnelles qui donnent leur sens aux innovations technologiques. 

Avec le virage technologique (Gouvernement du Québec, 1982; Leclerc, 1990: 17), les études d’évaluation sociale des technologies et notamment des études d’impact sont revenus à la mode (Salomon, 1990: 58). De l’avis de certains, la notion d’impact n’est pas appropriée pour étudier les relations entre la technologie et organisation puisqu’elle laisse supposer une relation à sens unique allant dans le sens du déterminisme technologique (Alsène, 1990:322). Il faut reconnaître que le changement de paradigme sociétal et la remise en cause du modèle de développement qui s’opère au même moment, pouvait laisser supposer que les changements organisationnels et institutionnels n’étaient que le produit d’adaptation à une série d’innovations technologiques (ces dernières étant par ailleurs réduites au noyau dur des nouvelles technologies). De même, les entreprises qui ne font pas ou peu de RD et qui importent leur technologie de l’extérieur, peuvent donner cette impression que tout vient de l’extérieur comme si l’organisation n’était pas douée d’une certaine autonomie et que certaines contraintes institutionnelles n’existaient pas. Le rapport de la technologie dans l’entreprise doit être analysé à partir non seulement de la dimension organisationnelle mais aussi institutionnelle. Selon les modèles d’entreprises définis à partir de ces deux dimensions, il est possible de voir qu’une trajectoire technologique est plus appropriée que l’autre, telles l’automation rigide dans les modèles fordistes et l’automation flexible dans les modèles postfordistes. Il est également possible de voir comment une même technologie peut favoriser ou défavoriser la qualification des travailleurs selon la configuration dans laquelle elle s’inscrit. 

Les choix et l’implantation de la technologie dans une entreprises se fera différemment si l’entreprise est dotée d’un syndicat fort ou si elle n’est pas syndiquée. Si le rapport direction et syndicat relève du compromis fordiste (comme c’est le cas dans le fordisme et le néo-fordisme), le choix des technologies se fera vraisemblablement sans la consultation des travailleurs. Les choix de la direction sont dictés par la volonté de remplacer le travail vivant par des machines sophistiqués. La technologie est alors vue comme la solution au problème de la productivité. Selon cette configuration, la modernisation technologique contribue alors à la déqualification de la majorité des travailleurs au profit d’une minorité, les nouveaux techniciens. Ce faisant, elle accentue les problèmes inhérents au modèle fordiste, en particulier la faible implication des opérateurs directs. Ce problème devient d’autant plus important que les pannes sont désormais de plus en plus coûteuses en raison du prix élevé de ces équipements et de la plus grande intégration existante entre les départements (Veltz, 1986). 

En revanche, dans une configuration comme celle de la démocratie salariale, le choix et la mise en place des nouveaux équipements peut se faire à partir de la consultation et de la participation à travers des comités paritaires, par exemple. De plus, la modernisation technologique peut alors s’inscrire dans un processus de formation technique et professionnelle favorisant la requalification non seulement des techniciens mais aussi de l’ensemble des travailleurs. D’autres configurations existent également comme le modèle californien qui investit dans la formation mais dans ce cas les choix technologiques relèvent presqu’exclusivement de la direction comme dans le cas du fordisme renouvelé. Une même technologie peut s’inscrire dans des configurations différentes et donc s'accompagner d’effets différents aussi bien au plan de la qualification des opérateurs que de leur autonomie comme certaines études l’ont montré dans le domaine de l’aluminium et des pâtes et papier (Lapointe, 1992; Legendre, 1990). 

Avec la plus ou moins grande généralisation des nouvelles technologies selon les secteurs, il apparaît maintenant que l’avantage comparatif d’une firme repose davantage sur la qualification et la compétence des travailleurs que sur les seules technologies. La formation des ressources humaines devient déterminante (Reich, 1990, Thrurow, 1992; Dertouzous, Lester, Solow, 1990). Cela est particulièrement manifeste dans les programmes de qualité totale qui, comme pour l’informatisation, touche tous les départements et toutes les catégories de travailleurs. “Dans les circonstances actuelles, écrivent Kern et Schuman (1989: 372), il n’est pas possible d’accroître la productivité sans se consacrer davantage au travail vivant, et sans le considérer de façon plus ‘progressiste’; c’est là une constatation que le capital, lui aussi, a dû faire.” Dans la perspective de la modernisation et du long terme, il ne fait aucun doute que la configuration de la démocratie salariale offre le plus de potentiel mais les chances de la voir s’imposer varie considérablement d’une société à l’autre. Ces chances sont cependant meilleures au Québec que n’importe où ailleurs en Amérique du Nord.

 

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[1]    Il s’agit d’une recherche sur “la modernisation sociale des entreprises québécoises” subventionnée par le FCAR et le CRSH.


Retour au texte de l'auteur: Paul-R. Bélanger, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 5 août 2008 12:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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