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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Philippe Thérien (Université de Montréal), Louis Bélanger (Université Laval) et Guy Gosselin (Université Laval) “LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE QUÉBÉCOISE.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome I., chapitre 12, pp. 255-278. Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection : Société: dossiers documents. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par Alain G. Gagnon, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[255]

Jean-Philippe Thérien (Université de Montréal),
Louis Bélanger (Université Laval) et Guy Gosselin (Université Laval)

La politique étrangère
québécoise
.”

texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome I, deuxième partie: “L’État, la société et la politique”, chapitre 12, pp. 255-278. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection : Société : dossiers documents.


Ce chapitre brosse un tableau d'ensemble des relations internationales du Québec depuis le début des années 1960 [1]. Partant d'une approche classique, l'analyse se concentrera sur les activités relevant du registre inter-étatique, laissant de côté l'étude de la transnationalisation des comportements des agents de la société civile. Certes, les relations internationales ne constituent pas un espace d'intervention à proprement parler nouveau dans la politique québécoise (Hamelin, 1973). Cependant, l'importance qu'elles ont récemment acquise est sans précédent (Balthazar, Bélanger, Mace, 1993).

Le développement des relations internationales du Québec doit d'emblée être compris à l'intérieur du cadre des transformations structurelles qu'a connues le système mondial au cours du dernier demi-siècle. Parmi celles-ci, la première à prendre en considération concerne l'accroissement général de l'interdépendance entre les États (Keohane et Nye, 1989 ; Rosenau, 1980). Ce phénomène d'interdépendance s'est particulièrement manifesté dans le secteur économique (Vernon, 1987, p. 26-27). En ce sens, la période de l'après-guerre à aujourd'hui s'est caractérisée par une forte internationalisation de la production, des échanges, des flux financiers et des services. La mondialisation des marchés qui a accompagné l'effacement des frontières s'est graduellement imposée comme la toile de fond incontournable de l'ensemble des choix faits par les décideurs politiques. Dans le cas du Québec, la tendance à la mondialisation des marchés a eu un effet d'autant plus grand que son économie est fortement tournée vers l'extérieur.

L'intensification du rôle des acteurs non étatiques constitue un autre trait de l'évolution récente de l'environnement international qui permet de mieux saisir l'expansion des relations internationales du Québec (Mansbach et al., 1976 ; Taylor, 1984). Conséquence de la diversification des enjeux dans le fonctionnement des rapports internationaux, l'accroissement du rôle des acteurs non étatiques a pris forme parallèlement à l'éparpillement des centres de décision, à la transnationalisation des rapports politiques et à l'affaiblissement de la souveraineté de l'État. Parties prenantes à cette fragmentation du pouvoir, de nombreux acteurs non étatiques, privés comme publics, sont apparus sur la scène internationale. Les acteurs non étatiques publics peuvent être distingués selon leur champ d'action supra-étatique (organisations internationales) ou infra-étatique (États fédérés, provinces, villes). Se rangeant dans cette seconde catégorie, le Québec dispose évidemment de pouvoirs et de responsabilités moindres qu'un État souverain. En moins d'une génération, il a pourtant réussi à mettre en œuvre une véritable para-diplomatie (Duchacek, 1988, p. 12-13 ; Soldatos, 1988, p. 109).

[256]

Un dernier élément de l'environnement extérieur global qui permet d'éclairer l'expansion des relations internationales du Québec tient à la transformation des conditions d'appartenance à la communauté internationale. Les propriétés constitutives à la base de l'ordre politique international ont peu changé depuis le XVIIe siècle. Pourtant, la multiplication des États dont les attributs sont universellement reconnus a considérablement modifié le contexte dans lequel prennent forme les relations internationales contemporaines (Keating, 1990, p. 29 ; Plischke, 1977). En démontrant que la division de l'espace mondial en un nombre fini de sous-espaces souverains n'était pas intangible, l'évolution de l'après-guerre a illustré le potentiel de flexibilité des règles d'opération du système diplomatique international (Holsti, 1988, p. 88-89). Elle a dès lors facilité l'émergence d'une politique étrangère spécifiquement québécoise.

En somme, l'apparition des relations internationales du Québec a été favorisée par certaines tendances lourdes de l'environnement international. Toutefois, compte tenu de leur diffusion relativement uniforme à travers l'ensemble du système politique international, ces tendances lourdes ne suffisent pas pour expliquer la spécificité québécoise. La question est incontournable : pourquoi le Québec a-t-il investi plus d'énergie que la plupart des États fédérés, en particulier les autres provinces canadiennes, dans la mise en place d'une diplomatie autonome ? Répondre à cette interrogation exige qu'on saisisse la forme et le sens des relations internationales du Québec à travers le prisme du contexte politique et culturel canadien.

Au sein de la fédération canadienne, le Québec se trouve dans un rapport de force défavorable. D'un point de vue quantitatif, il représente à peine 26 % de la population canadienne, une proportion qui, du reste, ne cesse de diminuer. D'un point de vue plus sociologique, le Québec est membre d'un pays dont la culture dominante est largement intégrée à celle –internationalement hégémonique – du voisin américain. Fortement conditionné par cette asymétrie (Tarlton, 1965), le développement politique de la province a donné lieu, à partir de la révolution tranquille, à un double processus de state-building et de nation-building. D'une part, le Québec s'est doté de nouveaux leviers d'intervention politique. D'autre part, il s'est progressivement défini une identité collective propre. \

Certains auteurs ont déjà avancé l'idée que l'extension de l'activité internationale du Québec relevait d'une logique de modernisation de l'État ou de state-building (Painchaud, 1980, p. 352 ; Latouche, 1988). Évoquée par Latouche, l'hypothèse selon laquelle l'expansion des relations extérieures du Québec a aussi répondu à un besoin de nation-building reste à ce jour peu explorée. Or, c'est un approfondissement de ces deux intuitions que nous voulons ici entreprendre. Notre approche s'appuie sur le fait que la politique étrangère québécoise est une réalité à la fois matérielle et symbolique. Sur le plan matériel, le gouvernement québécois a renforcé l'institutionnalisation du fonctionnement de l'État en donnant un cadre formel à ses activités sur la scène internationale. La politique étrangère québécoise repose ainsi d'abord sur des structures d'opération qui assurent une continuité de l'action étatique. Sur le plan symbolique, les relations internationales ont également contribué à consolider le capital de légitimation qui lie l'État et la société civile. Autrement dit, en affirmant et en faisant reconnaître le rôle international du Québec, le gouvernement a permis de [257] confirmer la singularité des intérêts de la province et de mettre en relief son statut de société distincte.

Dans ce qui suit, la piste analytique que fournissent les notions de state-building et de nation-building sera sondée à partir de quelques aspects marquants de l'expansion des relations internationales du Québec. Nous examinerons ainsi la mise en place de l'appareil québécois de politique étrangère, le développement des relations avec la francophonie et les États-Unis, de même que la montée des nouveaux enjeux que constituent l'immigration et le commerce extérieur.


L’INSTITUTIONNALISATION
D'UN CHAMP D’INTERVENTION


L'institutionnalisation de l'action internationale du Québec s'est principalement caractérisée par la signature d'ententes avec des partenaires étrangers, la constitution d'une bureaucratie spécialisée et l'expansion d'un réseau de représentations extérieures. Parmi ces moyens, la signature d'ententes a joué le rôle le plus déterminant. Précisons d'entrée de jeu que le gouvernement québécois nomme ententes les accords, procès-verbaux, échanges de lettres ou communiqués conjoints qui engagent la province et un gouvernement étranger. Ces ententes ont rempli plusieurs fonctions : en plus de contribuer à l'affirmation de la capacité d'agir du Québec sur la scène internationale, elles ont officialisé des flux de coopération et d'échanges tout en légitimant la mise en place de structures administratives complexes.

La question du statut international du Québec s'est d'abord posée à l'occasion de la signature de deux de ces ententes avec la France en février et novembre 1965. Ces ententes établissaient les premiers mécanismes officiels de la coopération franco-québécoise en matière d'éducation et de culture (Québec, 1984, p. 4-8). Le gouvernement fédéral réagit à l'initiative québécoise en signant à son tour avec la France un accord-cadre qui devait servir de parapluie aux relations entre Québec et Paris. Un vif débat s'ensuivit sur la portée juridique des ententes signées par le Québec : engageaient-elles en elles-mêmes les parties contractantes ? Fondant son interprétation sur le principe du prolongement international des compétences constitutionnelles provinciales – la doctrine Gérin-Lajoie (Gérin-Lajoie, 1965) –, le gouvernement du Québec a toujours considéré ces ententes comme de véritables accords internationaux. Pour sa part, le gouvernement canadien nie le caractère officiel des accords internationaux signés par les provinces sur la base de l'indivisibilité de la politique extérieure au Canada (Canada, 1968a et 1968b). En tout état de cause, la position du Québec a ouvert une brèche – pas encore refermée – dans la doctrine juridique canadienne (Jacomy-Millette, 1983).

Depuis les événements de 1965, profitant d'un flou juridique acceptable pour les deux parties, le Québec a continué à signer de nombreuses ententes pour se créer un important réseau de rapports officiels. Une analyse des 294 nouvelles ententes signées par le Québec de 1964 à 1992 montre que ce réseau ne cesse de s'élargir. Sa diversification se manifeste par la variété des secteurs d'activité et par le nombre des partenaires concernés (voir le graphique 1). Le fait que 56 % des ententes ont été [258] signées avec un gouvernement d'État souverain ou l'une de ses agences conforte par ailleurs la volonté gouvernementale de traiter d'égal à égal avec les autres membres de la communauté internationale.

En officialisant des contacts préexistants ou en créant de nouveaux rapports avec l'extérieur (Beaudoin, 1977, p. 448-458 ; Donneur, 1983), les ententes internationales ont permis de constituer un nouveau domaine d'intervention politique. Afin d'occuper ce champ, une bureaucratie spécialisée imposera graduellement sa présence à Québec. Ce processus s'est fait à coups d'efforts de centralisation, contre la volonté des ministères à vocation sectorielle désireux de s'occuper eux-mêmes du prolongement international de leurs activités. La rapidité relative avec laquelle l'opération s'est effectuée tient sans doute à l'effet combiné de deux facteurs. D'abord, la pression exercée par l'élan plus général de la révolution tranquille a eu un effet significatif. Une classe de politiciens et de hauts fonctionnaires prenait conscience du potentiel de légitimité qu'elle pouvait retirer d'une reconnaissance internationale et des réseaux d'information intergouvernementaux que celle-ci leur ouvrait (Latouche, 1988). À ce premier facteur vint s'ajouter la grande sensibilité politique que revêtent, dans le contexte constitutionnel canadien, les ambitions du Québec à mener sa propre politique étrangère dans les domaines de sa compétence. Ces facteurs, en plus de ceux qui poussent naturellement un État sinon à contrôler, du moins à orienter les ressources et les contraintes de son espace extérieur, ont contribué à faire de l'international un enjeu particulier pour l'État, mais aussi dans l'État québécois.

Les premiers moyens bureaucratiques d'intervention extérieure que se donne le gouvernement au début des années 1960 s'adressent à une réalité indistinctement canadienne et internationale. C'est le cas, par exemple, du Service du Canada français d'outre-frontières du ministère des Affaires culturelles mandaté pour tisser des liens avec les francophones du reste du continent. Notons aussi qu'au début, les relations internationales du Québec s'organisent de manière décentralisée. Cependant, dans le contexte de l'époque, elles deviennent rapidement les outils d'une compétition interministérielle ; c'est ce que Claude Morin (1987, p. 42) a appelé le nationalisme administratif. Afin de coordonner toute cette activité, le gouvernement mit sur pied en 1965 une Commission interministérielle des relations extérieures qui réunit les sous-ministres de tous les ministères susceptibles de développer une politique internationale. Cette mesure se révéla insatisfaisante et, en 1967, il fut décidé de créer un ministère des Affaires intergouvernementales (MAIG) en élargissant le mandat du ministère des Relations fédérales-provinciales. Au sein de cette nouvelle entité administrative centralisatrice, commence à se dégager un champ d'intervention spécifique aux relations internationales à côté de celui des relations fédérales-provinciales.

L'évolution du MAIG fut, à l'origine, marquée par un souci de coordination sectorielle qui correspondait à la logique des grands programmes gouvernementaux : affaires sociales, économiques, éducatives, culturelles... (Noda, 1988, p. 152-161). Toutefois, la réforme qui accompagne, en 1974, le transfert au MAIG des services de coopération avec l'extérieur des ministères de l'Éducation et des Affaires culturelles inaugure une nouvelle stratégie. Aux préoccupations liées à la coordination interne s'ajoute une volonté d'opérationnaliser la politique étrangère québécoise en fonction de priorités géographiques. Parallèlement à la division sectorielle de la Direction

[259]

Graphique 1

RÉPARTITION DES ENTENTES SIGNÉES
PAR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, PAR RÉGION
ET PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ (1964-1992) N = 294

1. Comprend l'Asie, le Moyen-Orient et les ententes multilatérales couvrant plus d'une région.

2. France exclue.

3. Transport routier inclus.

Source : Compilation du Centre québécois de relations internationales à partir des données fournies par le ministère des Affaires internationales du Québec.


[260]

générale de la coopération internationale se développe donc une logique d'intervention régionale assumée par la Direction générale des relations internationales. Celle-ci compte initialement quatre directions et organisations internationales : a) Europe, b) Amérique, c) Afrique et d) Asie et Océanie. En janvier 1979, une nouvelle réforme rassemble, sous une même Direction générale des relations internationales, trois directions de coordination sectorielle chargées de l'évaluation et de la programmation de la politique, et six directions régionales – une direction France ayant été ajoutée à la direction « Europe » et la direction « Amériques » ayant été scindée en deux : États-Unis et Amérique latine – chargées de la mise en œuvre des opérations et de la cueillette d'informations (Québec, 1980, p. 4-5).

En 1985, la création du ministère des Relations internationales (MRI) met fin à la cohabitation au sein d'une même entité administrative des relations internationales et des relations fédérales-provinciales. En même temps disparaissent les directions de planification organisées selon une logique sectorielle ; c'est à une logique géographique que sera dorénavant soumise l'action du ministère. Ces deux éléments de la réforme de 1985 en font un moment décisif du processus d'identification de l'international comme domaine particulier d'intervention pour l'État québécois. Celui-ci, en se donnant un véritable appareil diplomatique, signale clairement aux intervenants nationaux et internationaux sa volonté de contrôler lui-même ses relations internationales dans les domaines de sa compétence.

L'institutionnalisation des relations internationales du Québec s'est aussi réalisée par une meilleure articulation des préoccupations économiques et politiques du gouvernement. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ce mouvement se soit accentué au lendemain de la récession de 1981-1982. Amputé de la responsabilité des délégations du Québec à l'étranger lors de la création du MAIG, le ministère de l'Industrie et du Commerce avait conservé par la suite sa propre zone d'intervention dans les relations économiques internationales du Québec en se donnant un Service des relations extérieures. Celui-ci s'est plus tard transformé en Direction des services internationaux, puis en Office québécois du commerce extérieur et enfin, en 1983, en ministère. En 1988, la fusion des ministères des Relations internationales et du Commerce extérieur donna naissance au ministère des Affaires internationales (MAI).

Ce ministère a désormais le mandat exclusif de planifier, de coordonner et de mettre en œuvre la politique étrangère du Québec (Québec, 1988a, art. 11-18). C'est pour remplir cette mission que le MAI a proposé en 1991 une politique de relations internationales visant à orienter l'ensemble des actions gouvernementales à l'étranger (Québec, 1991). Le nouveau ministère, doté d'un budget de plus de 100 millions de dollars, compte deux directions générales qui ont le mandat de concevoir et de proposer des politiques régionales et sectorielles, et six qui ont le mandat d'assurer l'application de la politique sur une base régionale. À l'exception de deux d'entre elles, les directions générales responsables des relations avec une région sont subdivisées en directions sous-régionales. La France et les États-Unis méritent en effet une attention particulière et ont leurs directions générales propres.

[261]

Tableau 1

RÉPARTITION DE L'EFFECTIF À L'ÉTRANGER
SELON LA RÉGION ET LE PRINCIPAL SECTEUR
D'ACTIVITÉ CONCERNÉ (1993)


Secteur d'activité

Région

Nombre de représentations

Administration et direction

Affaires publiques

Culture

Économie3

Immigration

Science et technologie

Coopération4

Total

Afrique

4

8

2

18

Amérique Latine

4

15

3

1

29

6

2

56

Asie

5

17,5

2

20

16

3

2

60,5

États-Unis

6

22

13

2

45

8

1

5

96

Europe1

7

29

4

1

28

18,5

5

15

100,5

France

1

25

9

27

14

75

Moyen-Orient

1

7

7

Autres2

22

3

25

TOTAL

28

130,5

22

13

122

93,5

9

40

430

1. France exclue.

2. Postes transitoires et occasionnels.

3. Comprend économie, agro-alimentaire et tourisme.

4. Comprend le personnel polyvalent œuvrant dans les domaines suivants : communications, éducation et affaires européennes.

Source : Québec, 1993c.


Le MAI exerce aussi pleine autorité sur la représentation du Québec à l'étranger. Il s'agit là d'un véritable mini-réseau diplomatique composé de 28 délégations générales, délégations et bureaux qui assurent un contact permanent avec les cibles privilégiées de la politique internationale québécoise. Quand Jean Lesage prit le pouvoir en 1960, le Québec possédait déjà une agence à New York. C'est cependant avec l'ouverture en 1961 et en 1962 des délégations générales de Paris et de Londres que démarre le processus de mise en place progressive d'un réseau qui emploie aujourd'hui plus de 430 personnes. Cet effectif concentre son effort dans les deux secteurs prioritaires de la politique extérieure québécoise : l'économie et l'immigration (voir le tableau 1).

L'institutionnalisation graduelle de la capacité d'action du gouvernement dans le domaine des relations internationales a manifestement correspondu à un élargissement et à un renforcement de l'État québécois. De façon parallèle, elle s'inscrit dans un processus plus large d'affirmation de l'identité nationale. On ne saurait trop répéter que, parmi les provinces canadiennes, le Québec est celle qui a le plus investi dans le [262] développement de ses rapports avec l'extérieur. En fait, qu'on la compare avec la situation de n'importe quel État fédéré dans le monde, l'expérience québécoise apparaît fort singulière. Depuis trente ans, les transformations de la société québécoise ont exigé une modernisation de l'État. Or, le champ d'intervention de tout État moderne tend de plus en plus à s'internationaliser.

L'émergence de la nation québécoise sur la scène internationale s'est effectuée dans le sillage du débat constitutionnel avec Ottawa. À l'origine, le Québec a choisi de développer sa politique extérieure, convaincu que le gouvernement fédéral n'était pas en mesure de défendre adéquatement les intérêts internationaux de la société québécoise. Son point de vue n'était évidemment pas étranger au fait que le ministère des Affaires extérieures à Ottawa a traditionnellement été une chasse gardée des Canadiens anglais. C'est en bonne partie à cause de ce décalage entre besoins sociaux et moyens institutionnels que le gouvernement québécois a consacré autant de ressources à promouvoir ses intérêts internationaux. Malgré tous les soubresauts qu'elle a connus, il est finalement révélateur que l'institutionnalisation de la politique extérieure québécoise s'est déroulée dans un contexte de continuité, relativement à l'abri des intérêts strictement partisans.

Dans la mesure où elle comporte une dimension internationale, l'identité collective des Québécois se fonde largement sur la nature distinctive de leur État. En ce sens, l'institutionnalisation des relations extérieures du Québec illustre l'imbrication systématique des notions de nation-building et de state-building : les moyens que le Québec s'est donnés pour exprimer son caractère distinct sur la scène internationale ont eux-mêmes renforcé une différence qui, à son tour, a appelé la mise en œuvre d'autres moyens.


LA FRANCOPHONIE :
NOYAU DUR DES RELATIONS EXTÉRIEURES
DU QUÉBEC


La France d'abord, puis la communauté des pays francophones dans son ensemble ont exercé un rôle décisif sur l'orientation et la maturation de la politique étrangère québécoise. En bref, la francophonie a servi de tremplin à l'expansion des relations extérieures du Québec. La France a notamment fourni à la politique extérieure québécoise une condition nécessaire à son existence : un interlocuteur prêt à s'engager dans une relation officielle. La participation directe du Québec à la communauté politique francophone a donné lieu à de fréquentes épreuves de force entre les gouvernements fédéral et québécois (Lalande, 1989 ; Morin, 1987). Mais, au bout du compte, la francophonie a fortement contribué à consolider la place du Québec dans le champ des relations internationales. En outre, la France et la francophonie ont servi à légitimer la volonté d'autonomie de la nation québécoise en permettant de projeter à l'étranger le caractère distinct de la province.

L'institutionnalisation de l'engagement du Québec dans la francophonie est indissociable de la controverse évoquée plus haut concernant la division constitutionnelle des pouvoirs dans le secteur des relations extérieures. Comme le Québec a constamment [263] fait valoir son droit de prolonger à l'extérieur les champs de compétence que lui attribue la constitution, notamment l'éducation et la culture, il est facile de comprendre que ses premiers pas dans le monde de la francophonie aient été faits dans ces deux secteurs d'activité. En outre, sur le plan de la légitimité politique, le Québec a sans cesse maintenu qu'en tant que seul gouvernement francophone d'Amérique du Nord, il avait la responsabilité de développer ses relations extérieures. Étant donné son isolement culturel, il était logique que l'ouverture du Québec sur le monde privilégie les pays partageant sa langue. On est même allé jusqu'à comparer la politique francophone du Québec à une véritable politique de défense (Painchaud, 1988, p. 204).

C'est dans ce contexte général que se sont développées les relations bilatérales et multilatérales du Québec avec ses partenaires francophones. Sur le plan bilatéral, des représentations extérieures furent successivement ouvertes à Paris (1961), Abidjan (1970), Bruxelles (1972), Port-au-Prince (1976), Dakar (1987) et Rabat (1991) [2]. À cause d'une méfiance réciproque, la coexistence du Canada et du Québec dans le monde francophone a donné lieu à de fréquentes confrontations fédérales-provinciales. La récurrence des conflits n'a toutefois pas empêché le Québec de se tisser un important réseau de rapports bilatéraux, surtout avec la France. Les rencontres – en principe annuelles mais devenues irrégulières – des premiers ministres français et québécois représentent l'indicateur le plus clair de l'importance que les deux États accordent au renforcement de leur coopération. Depuis le milieu des années 1960, dans la foulée des nombreuses visites ministérielles mutuelles, une quarantaine d'accords ont été conclus entre la France et le Québec. Parallèlement aux efforts gouvernementaux coordonnés par une commission bilatérale permanente, la coopération franco-québécoise se voit aussi animée par l'action d'organisations non gouvernementales parmi lesquelles les plus importantes sont le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise et les associations France-Québec et Québec-France. L'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) a permis quant à lui, depuis sa création, à plus de 60 000 Français et Québécois de participer à des programmes d'échange.

En comparaison avec cette expansion de liens bilatéraux, la volonté québécoise de se tailler une place au sein des réseaux francophones multilatéraux suscita des tensions encore plus vives et lourdes de sens. Le Québec est probablement aujourd'hui le seul État fédéré à être membre d'une organisation inter-étatique. Il établit un précédent lorsqu'en 1968, à l'instigation de la France, il prit part à la Conférence des ministres de l'Éducation nationale des pays francophones (CONFEMEN) à Libreville. Fort indisposé par cette situation, le gouvernement fédéral prit les moyens pour qu'elle ne se reproduise plus. Dès 1969, les représentants québécois à cette Conférence furent intégrés au sein d'une délégation canadienne en vertu d'un arrangement ad hoc entre les deux ordres de gouvernement.

Les Conférences de Niamey I (1969) et II (1970), qui aboutirent à la création de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), opposèrent plus que jamais les points de vue canadien et québécois. Ottawa souhaitait une institution regroupant exclusivement des États souverains alors que le Québec, appuyé par la France, militait en faveur d'une institution aux statuts plus souples. Grâce à une médiation de la France, le différend fut finalement résolu par l'adoption de l'article 3.3 de la Charte de l'Agence. Cet article a permis de créer le statut de gouvernement participant [264] parallèlement au statut de membre à part entière. En accord avec les dispositions de l'article 3.3 de la Charte, un protocole d'entente fut signé en 1971 entre Ottawa et Québec pour confirmer l'entrée du Québec à l’ACCT. Les représentants de l'État québécois s'y voyaient reconnaître le droit d'exprimer « le point de vue du gouvernement du Québec sur toutes matières ressortissant à sa compétence constitutionnelle » (Québec, 1988b, p. 28-3 1).

L'accord de 1971 était une trêve qui allait être compromise dès la fin des années 1970, au moment où la question d'un Sommet des chefs d'États francophones commença à mobiliser l'attention publique. À l'encontre de la volonté du gouvernement fédéral, le Québec tenait à y être représenté. Cette divergence de vues bloqua longtemps l'organisation du premier Sommet et suscita la frustration de nombre d'Africains qui y voyaient une histoire de grands Blancs (C. Morin, 1987, p. 415). En 1980, alors que le Sénégal avait prévu la tenue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères en vue de préparer un Sommet, le conflit Ottawa-Québec obligea d'annuler la rencontre à la dernière minute. C'est finalement l'élection de Brian Mulroney en 1984 qui permit de dénouer l'impasse en insufflant un nouvel esprit dans les relations fédérales-provinciales.

Une entente convenue en 1985 entre les gouvernements canadien et québécois rendit possible la tenue d'un premier Sommet au début de 1986 en y autorisant la participation du Québec. Le Sommet allait comporter deux parties distinctes : l'une serait consacrée à la situation politique et économique mondiale et l'autre à la coopération et au développement. Du point de vue de l'équilibre formel des pouvoirs entre Ottawa et Québec, le Sommet était en réalité structuré en trois volets. En effet, la première partie, sur la situation politique et économique mondiale, a donné lieu à une double procédure. Sur les questions politiques, le Québec ne peut agir qu'en « observateur intéressé ». Sur les questions économiques, il peut intervenir « après concertation et avec l'accord ponctuel » du Canada. Pendant la seconde partie du Sommet, le Québec jouit d'un plein droit de participation, comme à l'ACCT (Québec, 1988b, p. 32-33).

L'entente de 1985 a eu comme effet de renforcer le pouvoir du Québec dans le monde francophone. Cette consolidation de la politique extérieure québécoise s'exprime, notamment, dans le volume des budgets consacrés aux institutions de la francophonie : le Québec y consacre annuellement plus de cinq millions de dollars. La reconnaissance renouvelée du droit du Québec d'intervenir dans le champ des relations internationales a simultanément permis d'apaiser le contentieux constitutionnel entre les gouvernements du Canada et du Québec (Bernier, 1988, p. 68). Les cinq Sommets tenus à ce jour ont en ce sens été marqués par une collaboration étroite entre les deux ordres de gouvernement ; ceux-ci ont même mis de l'avant des propositions conjointes, par exemple dans le domaine de l'environnement. Ce climat de confiance inédit a provoqué de surprenants revirements de situation, comme la coalition du Canada et du Québec en faveur de la candidature du Québécois Jean-Louis Roy au poste de secrétaire général de l'ACCT en 1989, contre le candidat belge ayant l'appui de la France. La percée internationale du Québec favorisée par les Sommets reste cependant fragile. En effet, depuis le Sommet de Chaillot, en 1991, la dynamique francophone est dominée par le désir de la France de voir la francophonie dépasser son mandat original, axé sur [265] la coopération, pour prendre une orientation résolument plus politique. Le Québec se retrouve de ce fait dans une situation délicate, car les réformes institutionnelles souhaitées par la France risquent de le marginaliser dans son rôle d'« observateur intéressé ». Le Québec est ainsi amené à défendre une position opposée à celle de la France – son mentor diplomatique – en ce qui concerne l'avenir même du multilatéralisme francophone.

À côté des gains juridico-politiques qu'elle a tout de même permis, la francophonie a aussi façonné l'identité du Québec en confirmant son statut de société distincte. En bref, elle a donné au Québec l'occasion de définir et de promouvoir ses propres intérêts sur la scène internationale. La francophonie a d'abord contribué à valoriser le capital culturel du Québec et à le projeter à l'étranger ; de ce point de vue, le réseau de télévision francophone TV-5 est sans doute la réalisation dont le rayonnement est le plus significatif. En même temps que ce médium permet de sensibiliser les Québécois à la diversité du monde francophone, il permet de familiariser la population d'autres pays à la réalité québécoise. En engendrant un sentiment d'appartenance à une communauté culturelle représentant aujourd'hui 49 États membres, la francophonie a par ailleurs favorisé le processus de socialisation de l'élite politique québécoise au fonctionnement des relations internationales. Parallèlement aux réunions de la CONFEMEN et de la CONFEJES (Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports), le Québec a participé à de nombreuses rencontres ministérielles dans des domaines aussi variés que la science et la technologie (1977), la justice (1980 et 1989), la culture (1981), la recherche scientifique et l'enseignement supérieur (1983) ainsi que les communications (1985).

Plus largement, la francophonie a contribué à l'apprentissage par l'État québécois de la coopération au développement. Au fil des Sommets, le Québec a cherché à mettre en relief l'expertise dont il peut faire profiter les pays en développement francophones. Le domaine de l'énergie s'est ainsi imposé comme le créneau le plus prometteur, ce dont témoigne la mise sur pied à Québec d'un Institut de l'énergie des pays francophones. Puis, par sa présence à l'ACCT et aux Sommets, le Québec s'est sensibilisé aux bénéfices du multilatéralisme comme mode de gestion des rapports internationaux. Il est clair que, dans un regroupement aussi fortement hiérarchisé que la francophonie, un petit État comme le Québec a naturellement avantage à une plus grande multilatéralisation de son fonctionnement. Sur un registre symbolique mais non négligeable, la francophonie a également fourni un forum politique permettant au gouvernement québécois d'exprimer ses vues sur des enjeux stratégiques comme la crise libanaise, l'endettement du Tiers-Monde ou l'évolution du prix des matières premières.

La francophonie a enfin permis au Québec d'internationaliser le problème constitutionnel canadien. Le gouvernement québécois a ainsi réussi à mobiliser des ressources additionnelles en vue de maximiser son autonomie politique. Même s'il s'agissait fondamentalement d'un enjeu de politique intérieure, le long conflit Ottawa-Québec n'a pas été imperméable à l'environnement extérieur. À cet égard, la France a joué un rôle décisif dans l'affirmation progressive du statut international du Québec. La relation particulière entre la France et le Québec s'est notamment concrétisée dans le statut de quasi-ambassade accordé à la délégation du Québec à Paris et au consulat de France à Québec. Tout au long de l'affrontement entre Québec et Ottawa, la France a [266] adopté une position qui reconnaissait largement la légitimité des aspirations du Québec. Cette position s'est notamment illustrée par le « Vive le Québec libre ! » lancé par le général de Gaulle en 1967. Ottawa a régulièrement dénoncé le comportement du gouvernement français comme une forme d'intrusion inacceptable dans les affaires intérieures du pays. Face à cette critique, la France soutenait que sa politique était fondée sur le double principe de la non-ingérence et de la non-indifférence (Portes, 1988, p. 109). En bout de ligne, il est indéniable que les sympathies françaises ont largement contribué à ce que le Québec acquière la crédibilité internationale dont il dispose aujourd'hui.

Le potentiel d'interactions économiques qu'offre la francophonie reste sans aucun doute limité (Soldatos 1989, p. 121). Au-delà de quelques gros projets isolés comme l'établissement de Péchiney au Québec ou l'accord de collaboration Bombardier-Aérospatiale, il convient de noter que la France, plus important partenaire commercial francophone du Québec, n'absorbe que 2 % des exportations québécoises. Elle n'occupe que le cinquième rang parmi les marchés extérieurs de la province (Québec, 1991, p. 208). Quant à l'Afrique francophone, elle demeure dans un état de pauvreté tel qu'elle est littéralement insolvable. Par surcroît, les liens traditionnels entre cette région et la France constituent un obstacle de taille à l'intensification de ses échanges avec le Québec. Néanmoins, sur un plan politique, la francophonie a largement contribué à l'évolution des relations internationales du Québec. Entouré de nombreux États plus démunis que lui, le Québec a graduellement pu s'y construire une réputation de partenaire moderne et dynamique. Grâce à ce regroupement, il a beaucoup gagné en termes de prestige international et de visibilité. Pour toutes ces raisons, le monde francophone demeure, encore aujourd'hui, le premier pilier de la diplomatie québécoise.


LES ÉTATS-UNIS :
UN PARTENAIRE NATUREL ET PERMANENT


Bien avant ceux qu'il a tissés avec la France, les premiers rapports extérieurs du Québec moderne se sont établis avec les États-Unis. D'abord orientées vers le secteur privé, les relations américaines du Québec ont pris un caractère davantage public avec les années 1960. Elles se sont alors amplifiées, en particulier avec les États américains. Toutefois, c'est surtout à partir de 1976 – donc après l'ouverture québécoise à l'endroit de la France et de la francophonie – qu'elles se sont consolidées sur le plan institutionnel et qu'elles ont participé au raffermissement de la personnalité internationale de l'État québécois. Cette évolution est indissociable du fait que la société québécoise entretient depuis longtemps des contacts nombreux et étroits avec la société américaine. Sur le seul plan économique, environ les trois quarts des exportations de la province vont aux États-Unis. De plus, les produits culturels américains sont généralement appréciés par les Québécois et les flux touristiques sont, dans les deux directions, très élevés. L'omniprésence des États-Unis exerce une influence décisive sur l'identité collective du Québec. La formalisation politique de cette relation a eu comme effet d'approfondir encore davantage la nord-américanité de la société québécoise (Hero et Balthazar, 1988, p. 199-202).

Comme dans le cas du Canada, les multiples rapports entre le Québec et les États-Unis allaient de soi et nécessitaient peu d'interventions politiques directes. Néanmoins, [267] le Québec a progressivement formalisé ses relations avec les États-Unis en reconnaissant qu'il s'agissait là, avec la France, de son partenaire le plus important sur la scène internationale (Québec, 1985). L'institutionnalisation des rapports du Québec avec les États-Unis s'est développée d'une manière graduelle, mais l'année 1976 marque certes un point tournant. En élisant cette année-là un gouvernement souverainiste, le Québec est passé à un stade plus avancé d'affirmation nationale et de développement de son État propre. En ce qui concerne la définition de la politique extérieure, cette évolution des choses s'est traduite par un virage américain de la part du nouveau gouvernement.

Après l'ouverture en 1943 de l'Agence générale du Québec à New York, les visites ministérielles ont particulièrement contribué à l'institutionnalisation des relations entre le Québec et les États-Unis. Le nombre de ces visites a augmenté continuellement tout au cours de la période de l'après-guerre et a beaucoup crû après l'élection du Parti québécois. Avant 1960, les visites effectuées occasionnellement par des premiers ministres québécois à New York revêtaient un caractère surtout privé. Le premier ministre Lesage fut le premier à donner à ces visites un caractère public et, par conséquent, une importance politique plus grande. Sous une forme nouvelle, il poursuivait un rituel voulant qu'un nouveau chef de gouvernement du Québec prenne personnellement contact avec les responsables des institutions financières américaines ayant prêté des sommes considérables au gouvernement de la province (Roy, 1977, p. 501-505). En dépit de ce changement de style, au cours des années suivantes, les visites du premier ministre et de ses ministres aux États-Unis n'ont que progressivement accru leur rythme. C'est de 1976 à 1985, sous les deux gouvernements du PQ, que la fréquence des déplacements gouvernementaux vers le voisin du sud atteignit sa vitesse de croisière. On dénombra pour cette période 160 visites ministérielles, un rythme maintenu depuis. Par ailleurs, depuis 1964, 78 ententes furent signées entre le Québec et un partenaire américain, environ le tiers d'entre elles à l'initiative du gouvernement du PQ. Pour préciser le sens de ce mouvement de rapprochement politique entre le Québec et les États-Unis, soulignons premièrement qu'environ les deux tiers des visites ministérielles et des ententes conclues ont été consacrés en priorité aux questions économiques. Deuxièmement, ce sont les États américains plutôt que le gouvernement des États-Unis qui en sont les partenaires, ce dernier ne l'étant que de façon exceptionnelle.

L'Agence générale du Québec à New York, qui devint une Délégation générale en 1961, fut la seule représentation du Québec aux États-Unis jusqu'à la fin des années 1960. Cinq autres représentations – trois délégations et deux bureaux – furent installées en 1969-1970 à Chicago, Boston, Los Angeles, Lafayette (fermé en 1992) et Dallas (fermé en 1987). Par la suite, Québec a ouvert un bureau à Atlanta en 1977 et un autre à Washington en 1978. Le gouvernement québécois aurait souhaité donner à ce dernier une vocation politique de lobbying, mais l'opposition d'Ottawa l'a finalement réduit à l'état de bureau touristique (Lisée, 1990, p. 307-312).

À partir de 1976, le gouvernement du PQ a accru de façon importante le personnel et le mandat des représentations du Québec aux États-Unis. Ce renforcement de la présence québécoise aux États-Unis s'est fait essentiellement en vue du référendum de 1980, mais il s'est par la suite révélé durable. Le Québec a favorisé un élargissement [268] du rôle traditionnellement économique et touristique de ses délégations. Dans le but de corriger l'image que donnait de lui le Canada anglais et qu'il estimait déformée, le Québec créa des services d'information dans la plupart de ses représentations. En déployant de nouveaux moyens pour défendre ses intérêts particuliers, il consacrait ainsi l'importance de ses rapports avec les États-Unis. Il se donnait aussi des outils pour mener une vigoureuse campagne axée sur l'affirmation du caractère distinct de la nation québécoise et sur la légitimation de sa démarche politique.

Par ailleurs, de solides liens institutionnels ont été établis entre le Québec et des États américains. Dans certains cas, ces liens se sont développés à l'intérieur de structures bilatérales. Mentionnons à cet égard les rencontres régulières entre les représentants du Québec et de certains États et les comités mixtes établis avec les États de New York, du Maine et du Vermont. Dans d'autres cas, le rapprochement avec les États américains a pris forme à l'intérieur de structures multilatérales dont l'intérêt est apparu d'autant plus grand au gouvernement québécois qu'elles lui offraient un cadre d'action stable et un rayonnement élargi. Parmi celles-ci, domine la Conférence annuelle des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'Est du Canada qui se réunit depuis 1973. Son ordre du jour très diversifié touche l'énergie, l'environnement, le transport, le tourisme, le commerce, la finance, le développement économique, la pêche, la forêt, l'agriculture, la haute technologie, l'histoire locale et la généalogie. Les questions de l'énergie et de l'environnement, où les intérêts du Québec sont considérables, ont traditionnellement dominé les travaux de la Conférence, qui s'est dotée de comités permanents sur ces deux thèmes. À titre de principale province canadienne membre de l'organisation, le Québec y joue un rôle évidemment stratégique. Le Québec et l'Ontario ont aussi assisté, dans les années 1980, aux rencontres du Council of Great Lakes Governors. Cet organisme cherche à favoriser une plus grande coordination de l'action des provinces et des États dans le cadre de la Charte des Grands Lacs qu'ils ont signée en 1985 (Lubin, 1986, p. 30).

Au sein même du ministère des Affaires internationales, il a fallu attendre en 1979 pour qu'apparaisse une Direction des États-Unis. Dans les années 1960, les relations avec les États-Unis relevaient, d'une part, du ministère de l'Industrie et du Commerce auquel étaient rattachées les délégations du Québec à l'étranger et, d'autre part, du ministère des Affaires culturelles dont le Service du Canada français d'outre-frontières assurait un rayonnement culturel auprès des groupes francophones du continent. En 1974, le ministère des Affaires internationales s'était doté d'une Direction des Amériques qui couvrait tous les pays du continent, mais ses moyens restaient très limités. La création de la Direction des États-Unis en 1979 sera accompagnée d'une forte augmentation des effectifs qui passeront de 2 à 16. En complément, soulignons que par la force des choses, de 1983 à 1988, les responsabilités du ministère du Commerce extérieur concernaient principalement le commerce avec les États-Unis.

L'appareil étatique mis en place pour structurer les rapports du Québec avec les États-Unis a aussi été un instrument servant à légitimer le caractère distinct de la nation québécoise. Jusqu'en 1976, les objectifs du Québec se résumaient surtout à la promotion économique, à la recherche de capitaux et à quelques échanges culturels avec la Louisiane. Toutefois, même avant cette date-charnière, les autorités québécoises avaient mis en relief à quelques reprises la spécificité sociologique de la province. [269] Dans cette perspective, devant la Canadian Society de New York, le premier ministre Lesage prononça en 1962 un discours remarque qui traduisit avec une force jamais vue auparavant la singularité des objectifs politiques et sociaux du peuple et du gouvernement du Québec. Peu après son élection en 1970, le premier ministre Bourassa s'empressera d'exposer aux Américains les progrès récents de la société québécoise et de souligner la nécessité de protéger la langue de la majorité francophone. En septembre 1974, devant le Council on Foreign Relations, il ira plus loin en insistant sur le fait que les milieux d'affaires doivent s'adapter à la volonté québécoise de « devenir un élément intégral du dynamisme qui anime les nations nord-américaines tout en conservant son indispensable identité culturelle » (Roy, 1977, p. 502-507).

Après 1976, le gouvernement québécois a poursuivi ses objectifs traditionnels de promotion des intérêts économiques et de développement des relations avec les communautés francophones et francophiles. Mais il s'est aussi donné pour but d'améliorer la connaissance et la perception du Québec aux États-Unis ainsi que de défendre ses intérêts politiques. Effectuant son premier déplacement à l'extérieur du Québec en janvier 1977, le premier ministre Lévesque inaugura lui-même une série d'interventions publiques à l'intention des Américains en prononçant un important discours à l'Economic Club de New York. La stratégie québécoise prit par la suite la forme d'une « Opération Amérique » qui, étalée sur les dix-huit mois qui précédèrent le référendum de 1980, donna lieu à une série de visites ministérielles. L'« Opération Amérique » visait un double objectif. Elle avait pour but premier non pas de rechercher des appuis extérieurs au projet d'indépendance du Québec, mais plutôt d'amener les États-Unis à ne pas s'y opposer (C. Morin, 1987, p. 275). En deuxième lieu, le gouvernement québécois voulait rectifier l'image de la province que le Canada anglais et ses porte-parole transmettaient aux Américains. Il a donc cherché à rassurer les milieux d'affaires en exposant le plus clairement possible son projet politique et en en soulignant le caractère démocratique. Par ailleurs, tout en insistant sur l'originalité culturelle du peuple québécois – son double enracinement nord-américain et français –, le discours gouvernemental de l'époque a mis en évidence la modernité du Québec, sa capacité à assumer lui-même ses relations avec le monde extérieur et son attitude d'ouverture à l'égard des investissements étrangers.

La grande importance alors accordée aux États-Unis s'est ensuite maintenue. En 1980, l'administration américaine passa aux mains des républicains, qui se révélèrent plus ouverts que leurs prédécesseurs démocrates envers le gouvernement du PQ. Le changement de la position américaine est certes demeuré limité, comme en témoigne l'incident du 2 février 1983 où, par un communiqué, le Département d'État américain rabrouait officiellement le ministre Bernard Landry qui avait évoqué la possibilité d'un marché commun entre le Québec, les États-Unis et le Canada. Cependant, sous l'influence apaisante des résultats du référendum de 1980, la nouvelle attitude américaine s'est reflétée dans le discours du président Reagan à Québec en 1985, lors de sa rencontre avec le premier ministre Mulroney. Constatant que les Québécois avaient démontré un double attachement à leur province et au Canada, le président américain a alors mis en relief leur long développement historique en tant que communauté nord-américaine francophone. Plus tard, conformément à ses options antérieures, le Québec a vigoureusement soutenu la conclusion de l'accord de libre-échange entre le Canada [270] et les États-Unis et le projet d'accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Pour leur part, les milieux d'affaires américains, qui s'étaient affolés à l'idée d'une indépendance du Québec en 1976, ont eu une réaction relativement sereine devant la rapide montée de l'appui populaire à la souveraineté provoqué par l'échec de l'accord du lac Meech en juin 1990. Plusieurs études américaines effectuées à l'époque, dont une produite par la firme de courtage Merrill Lynch, conclurent à la viabilité économique et politique d'un Québec indépendant, illustrant avec éloquence l'évolution de la position américaine.

Les rapports du Québec avec les États-Unis découlent en premier lieu d'une nécessité économique. Les deux économies sont fortement intégrées et le Québec n'a rien à gagner en favorisant une attitude antagoniste de la part des Américains. Mises à part quelques frictions concernant les échanges commerciaux de produits tels que le porc, le bois d'œuvre, l'amiante et l'énergie hydro-électrique ainsi que le contrôle des pluies acides, il apparaît que l'histoire des relations entre le Québec et les États-Unis n'a soulevé que peu de conflits. Les problèmes qui se posent entre le Québec et les États-Unis sont en tout cas moindres que ceux qui existent entre le Canada et les États-Unis. Le Québec se sent moins menacé par ce pays que le Canada anglais. Si Québécois et Américains partagent des valeurs communes et un même mode de vie, le Québec possède une identité culturelle propre qui, à tort ou à raison, lui donne un sentiment de protection face à son puissant voisin.


L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX ENJEUX

Le commerce extérieur

Le développement du commerce extérieur mobilise aujourd'hui l'ensemble de la politique étrangère québécoise. Toutefois, il n'en a pas toujours été ainsi. Au début des années 1960, la stratégie économique du gouvernement visait bien davantage à sécuriser les investisseurs, principalement américains, que l'on croyait inquiets de l'interventionnisme étatique et des risques de nationalisation. Puis, au cours des années 1970, les immenses besoins de capitaux requis pour la construction des installations hydro-électriques du Nord et la perception négative du gouvernement du PQ par les milieux financiers internationaux – surtout après la nationalisation des mines d'amiante de la General Dynamics – entraînèrent d'importants efforts pour attirer des investissements étrangers. C'est avec le tournant des années 1980 que le commerce extérieur s'imposa comme une priorité. Avec la fin de la récession de 1981-1982, la reprise du commerce international et les pressions pour une libéralisation multilatérale et continentale des échanges ont fait prendre davantage conscience aux Québécois de la dépendance de leur économie à l'égard des marchés extérieurs. Le discours gouvernemental a dès lors insisté comme jamais auparavant sur l'objectif de l'augmentation des exportations. Rappelons que les exportations internationales ont représenté jusqu'à 20 % du produit intérieur brut (PIB) québécois au cours des années 1980, pour être ramenées à environ 15 % au début de la présente décennie.

[271]

Il est clair qu'au total, la marge de manœuvre du gouvernement québécois en matière de commerce international est mince. La plupart des pouvoirs qui s'y rapportent sont concentrés entre les mains du gouvernement fédéral. En ce sens, l'institutionnalisation de l'action québécoise dans le domaine est relativement récente. Elle s'est d'abord effectuée par le biais d'une consolidation de la participation de la province au processus « national » de prise de décision. C'est grâce à une plus grande concertation fédérale-provinciale que la politique commerciale québécoise a pu trouver un écho sur le plan international. Il importe de noter que, dans les négociations commerciales internationales, le gouvernement fédéral doit tenir compte du point de vue des provinces. Comme il ne peut lier ces dernières en matière de pratiques commerciales internationales, il doit s'assurer qu'elles n'entraveront pas la réalisation de ses engagements internationaux en les incluant dans le processus de définition de sa politique (Bernier et Binette, 1988). C'est dans ce contexte que des mécanismes de coordination fédérale-provinciale furent créés pour les négociations du Tokyo Round, de même que pour celles de l'accord de libre-échange avec les États-Unis, de l'Uruguay Round et de l'accord de libre-échange nord-américain.

Outre sa participation à la formulation de la politique canadienne, le gouvernement québécois intervient principalement dans le domaine du commerce extérieur par le biais de diverses mesures incitatives. Par exemple, le MAI propose des cours de formation à l'exportation, offre une aide à la prospection et au développement des marchés et facilite la participation des entreprises à différentes foires, expositions et missions à l'étranger. De plus, par l'entremise de la Société de développement industriel du Québec, le gouvernement favorise la formation de consortiums voués à l'exportation et à l'implantation d'entreprises à l'étranger en offrant des prises de participation directe et des prêts.

D'autres organismes gouvernementaux proposent des programmes d'aide plus spécialisés. Conformément au discours des décideurs politiques, on tend de plus en plus à intégrer les domaines de la culture, des communications et de l'éducation à l'intérieur de la politique commerciale. Parallèlement aux initiatives du MAI, deux sociétés publiques, la Société générale des industries culturelles et la Société d'exploitation des ressources éducatives du Québec, offrent des programmes d'aide à l'exportation. La conjonction de l'action de l'ensemble de ces intervenants semble indiquer que le commerce extérieur est en voie de devenir un instrument privilégié de l'élargissement du champ d'intervention international de l'État de même qu'un nouvel axe d'intégration de sa politique extérieure.

La montée des enjeux commerciaux dans les relations internationales du Québec n'a pas servi qu'au renforcement de l'État. Elle a aussi contribué à mieux définir la spécificité de la nation québécoise. De façon générale, par rapport aux questions économiques internationales, on remarque que le Québec a été traditionnellement plus ouvert sur l'extérieur que le reste du Canada. Cela s'est d'abord vérifié en ce qui a trait aux investissements étrangers. La différence d'attitude entre le Québec et le Canada a pris un sens politique particulier au moment où le gouvernement du PQ s'est opposé aux politiques protectionnistes du gouvernement fédéral lors de la mise sur pied de [272] l'Agence de tamisage des investissements étrangers en 1974. Les autorités québécoises ont d'ailleurs profité de ce différend pour dénoncer le nationalisme obtus du gouvernement canadien et pour mettre en relief les tensions entre ce dernier et le gouvernement américain (J.-Y. Morin, 1982, p. 8).

Dans le domaine des échanges, la position québécoise est également apparue plus libérale que celle du Canada anglais dans son ensemble. Contrairement à la province voisine de l'Ontario, dont l'économie dépend pourtant des exportations dans une plus large mesure que celle du Québec, ce dernier a donné un fort appui aux projets d'accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique (Québec, 1988c et 1993b) et aux négociations du GATT (Québec, 1990a). Solidement entériné par le milieu des affaires mais contesté par le monde syndical, l'appui gouvernemental au libre-échange continental exprime simultanément une crainte à l'égard du protectionnisme américain et un parti pris en faveur d'une libéralisation générale des échanges économiques.

On a fait grand état au cours des quinze dernières années de la maturation de l'élite économique québécoise. Au cours de ce processus, le développement de nouveaux marchés d'exportation a été un leitmotiv constant. Sur le plan sociologique, tout cela a eu pour conséquence de favoriser l'émergence d'un assez large consensus social sur la relation qui existe entre le bien-être économique général et l'accroissement des échanges. Le gouvernement a bien sûr servi de relais politique à ce consensus. Mais, d'abord et avant tout, il en a été en quelque sorte le catalyseur. C'est ainsi que peut être interprétée la démarche de concertation à laquelle il conviait tous les secteurs de la société québécoise lors des conférences socio-économiques « Le Québec dans le monde » du début des années 1980. Depuis cette époque, la volonté québécoise d'une plus grande intégration aux marchés mondiaux s'inscrit comme un aspect supplémentaire du caractère distinct de la province.

L'immigration

Traditionnellement, l'immigration représente un thème de low politics dans les relations extérieures d'un pays. Néanmoins, son contrôle reste un élément classique de l'exercice de la souveraineté. La décision québécoise d'investir ce champ d'activité de manière de plus en plus soutenue à partir de la révolution tranquille revêtait donc une lourde signification constitutionnelle. En outre, si l'immigration relève d'une problématique de relations internationales, le suivi et l'insertion sociale des immigrants s'inscrivent dans un contexte de politique intérieure. Or, en sensibilisant la majorité francophone à d'autres cultures, la politique d'immigration du Québec a contribué à définir une identité collective plus tolérante et moins repliée sur elle-même.

C'est en 1965 que le gouvernement du Québec a mis sur pied un service de l'immigration rattaché au ministère des Affaires culturelles (Gow, 1986, p. 224). Ce service s'est par la suite transformé en une direction générale affiliée au Secrétariat de la province. En 1968, le gouvernement créa le ministère de l'Immigration auquel on a greffé, en 1969, huit Centres d'orientation et de formation des immigrants (COFI) qui étaient auparavant sous la responsabilité du ministère de l'Éducation. En 1981, voyant son mandat élargi, le ministère de l'Immigration est devenu le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (MCCI).

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L'institutionnalisation de la politique québécoise d'immigration s'est traduite par une forte croissance des ressources disponibles. Entre 1969 et 1993, les effectifs du ministère sont passés de 35 employés à plus de 1 200 et son budget, qui était de 2 800 000 $, a grimpé à plus de 114 000 000 $ (Québec, 1993a). Le nombre de bureaux à l'étranger est passé de 2 à 14 (5 en Europe, 2 en Amérique latine, 2 aux États-Unis, 2 en Asie, 2 en Afrique et 1 au Moyen-Orient). Du reste, l'expansion géographique des activités du ministère n'est pas terminée, puisque celui-ci songe aujourd'hui à étendre le réseau de ses opérations vers l'Europe de l'Est (Québec, 1990b, p. 90).

La première décennie du ministère fut marquée par le besoin de définir un champ d'action propre par rapport au gouvernement fédéral. L'évolution des relations entre Ottawa et Québec a été jalonnée par les ententes Cloutier-Lang (1971), Bienvenue-Andras (1975) et Couture-Cullen (1978). La première accordait aux fonctionnaires québécois à l'étranger un rôle d'informateur. La seconde obligeait le gouvernement fédéral à tenir compte de l'avis du Québec dans la sélection des immigrants. La troisième, beaucoup plus engageante, octroyait au Québec le pouvoir de sélectionner les immigrants à l'étranger et laissait au gouvernement fédéral le seul contrôle de l'admission au pays.

La décentralisation du pouvoir de décision en matière d'immigration a constitué une pièce maîtresse de l'accord raté du lac Meech. Fournissant une couverture constitutionnelle aux revendications québécoises, cet accord prévoyait élargir le pouvoir de sélection du Québec aux immigrants sur place. En outre, il donnait au Québec la possibilité de recevoir une part de l'immigration canadienne proportionnelle à sa population, avec droit de dépasser ce seuil de 5 % (Hogg, 1988, p. 66-68). Rappelons qu'au cours de la période 1980-1989, les 200 000 immigrants reçus par le Québec n'ont représenté que 17 % du total des immigrants arrivés au Canada (Québec, 1990b, p. 22).

L'échec de Meech n'a pas empêché l'État québécois d'aller de l'avant en présentant, à la fin de 1990, un vaste énoncé de politique sur l'immigration. Ce document insistait notamment sur la nécessité d'améliorer les conditions de l'intégration des immigrants. Par-dessus tout, il attestait que l'immigration constituait désormais un axe d'intervention stratégique de l'action gouvernementale québécoise (Québec, 1990c). Cet énoncé de politique aura peut-être servi de déclencheur car, quelques semaines seulement après sa parution, les gouvernements canadien et québécois concluaient finalement une entente administrative en tous points conforme aux dispositions de l'accord du lac Meech. La nouvelle entente a eu, entre autres effets, celui de mener à d'importants transferts de ressources humaines et financières du gouvernement fédéral vers le gouvernement québécois.

L'expansion de l'activité du gouvernement dans le domaine de l'immigration a aussi permis au Québec de confirmer son statut de société distincte. Notons d'abord qu'aucune autre province n'a négocié avec Ottawa d'arrangements administratifs du type de ceux dont bénéficie le Québec. La Colombie-Britannique a fait une demande en ce sens, mais le gouvernement fédéral n'y a pas donné suite (Russ, 1991, p. 188-189). Par ailleurs, il convient de souligner que la création même du ministère de l'Immigration s'est faite alors qu'éclatait la crise linguistique québécoise et que le [274] recul démographique de la majorité francophone devenait un enjeu politique majeur. L'encadrement de l'intégration de la population immigrante est dès lors apparu comme un besoin pressant. Les COFI sont ainsi devenus des instruments privilégiés pour sensibiliser les nouveaux arrivants à leur culture d'adoption. Toutefois, ce n'est que progressivement que la francisation des immigrants s'est imposée comme une condition incontournable de leur pleine insertion dans la société québécoise. L'insistance portée à la francisation dans le récent énoncé de politique du gouvernement illustre finalement combien cette orientation constitue une tendance lourde de la politique québécoise d'immigration.

La politique d'immigration du gouvernement a également servi d'appui à l'expression d'une solidarité internationale de la part de la population québécoise. Cet internationalisme s'est notamment manifesté à l'égard des vagues d'immigrants en provenance du Chili, du Viêt-nam, d'Haïti et de la Turquie. La solidarité québécoise a été encouragée par les options politiques personnelles des ministres en poste. Toutefois, au-delà des personnalités, elle a aussi reflété une ouverture de l'État face aux besoins des plus démunis. À cet égard, le Québec a joué un rôle de pionnier dans l'accueil des revendicateurs du statut de réfugié. Il est d'ailleurs révélateur qu'au cours des années 1980, le Québec ait accueilli environ la moitié des revendicateurs du statut de réfugié arrivant au Canada.

En somme, l'engagement du gouvernement en matière d'immigration a permis d'élargir les frontières de l'action de l'État. En mettant de plus en plus l'accent sur l'amélioration de l'intégration des immigrants et sur la contribution que ceux-ci peuvent apporter sur le plan du développement économique, il a aussi contribué à définir une identité nationale plus ouverte sur l'extérieur.


CONCLUSION

Les relations internationales du Québec ont connu une formidable croissance au cours des trente dernières années. Ce processus s'est avant tout appuyé sur l'institutionnalisation progressive d'un espace d'intervention international au sein de l'appareil gouvernemental. L'expansion et la spécialisation continues des structures de l'administration publique vouées à la gestion des rapports internationaux sont à cet égard très révélatrices. Sur un plan géographique, le Québec a concentré sa politique extérieure sur deux pays : la France et les États-Unis. Le choix de ces partenaires découle de deux logiques différentes : politico-culturelle dans le premier cas, économique dans le second cas. Cette dualité correspond en fait à une projection internationale des composantes génériques du débat politique interne. En termes de champs d'intérêt, de nouveaux enjeux ont relayé les anciens ; après la culture et l'éducation, le commerce extérieur et l'immigration s'imposent comme des leviers d'intervention d'une importance grandissante. Cette diversification des priorités traduit d'emblée une forte sensibilité générale à l'endroit des questions économiques. Il aurait été difficile que l'État parvienne à légitimer l'accroissement de ses rapports internationaux autrement qu'en l'appuyant sur des arguments d'ordre économique.

[275]

Le développement rapide des relations extérieures du Québec s'explique en définitive par l'importance croissante de la dimension internationale dans le double processus de state-building et de nation-building qu'a connu la province au cours de son histoire récente. De façon générale, l'évolution des sociétés est plus que jamais influencée par les conditions de fonctionnement du système mondial. Or, à cause de sa position asymétrique au sein de la fédération canadienne, le Québec a cherché à se donner un accès direct aux ressources matérielles et symboliques de son environnement international ; en retour, celles-ci lui ont permis de consolider les moyens de la gouverne politique tout en contribuant à l'établissement d'une identité collective mieux définie.

Il est difficile de répondre de façon définitive à la question de savoir si l'accroissement des relations internationales du Québec est le fruit d'une politique délibérée ou le produit d'événements contingents. Les premiers pas du Québec sur la scène internationale doivent certes être interprétés comme le résultat d'une démarche volontariste. Cette démarche a été favorisée par la disponibilité conjoncturelle d'un acteur externe, la France, pour lequel la reconnaissance du Québec comme interlocuteur privilégié s'accordait à des objectifs plus généraux de politique étrangère. Cela dit, à partir des années 1970, l'évolution globale du système international a manifestement joué un rôle d'accélérateur dans la montée des relations internationales du Québec. Dans cette optique, l'interdépendance croissante a infléchi le comportement du gouvernement québécois comme celui de tous les autres membres de la communauté internationale. En tout cas, il est difficile de penser que les politiciens et les fonctionnaires qui furent les pionniers de la mise en place de la politique extérieure québécoise aient pu envisager toute l'importance que cette question allait prendre avec le temps.


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NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Louis Bélanger

Louis Bélanger est chargé de recherche au Centre québécois de relations internationales de l'Université Laval. Ses recherches portent sur la politique extérieure du Canada et du Québec ainsi que sur les théories de la politique étrangère et des relations internationales. Il a publié en 1993, avec Louis Balthazar et Gordon Mace, Trente ans de politique extérieure du Québec, 1960-1990 (1993) et est auteur ou co-auteur de plusieurs chapitres et d'articles parus, entre autres, dans Études internationales, le Journal of Interamerican Studies and World Affairs et la Revue québécoise de science politique.

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Guy Gosselin

Guy Gosselin est professeur agrégé au département de science politique de l'Université Laval. Spécialiste des relations internationales, il participe aux travaux du groupe de recherches sur la politique étrangère de l'Institut québécois des hautes études internationales (Université Laval). Ses publications récentes ont porté sur les relations internationales des provinces canadiennes, notamment dans Trente ans de politique extérieure du Québec, 1960-1990 et dans le numéro spécial d'Études internationales de septembre 1994.

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Jean-Philippe Thérien

Jean-Philippe Thérien est professeur agrégé au département de science politique de l'Université de Montréal. Parallèlement à ses travaux sur les relations internationales du Québec, il s'intéresse aux enjeux du développement international. Il est l'auteur de Une voix pour le Sud : le discours de la CNUCED (1990). Ses articles ont notamment été publiés dans Études internationales, International Journal, Journal of Inter-American Studies and World Affairs, Politique africaine, Revue canadienne de science politique et Revue internationale de sciences sociales.



[1] La rédaction de ce chapitre a été rendue possible grâce à une subvention du fonds FCAR au Programme d'analyse de la politique étrangère du Centre québécois de relations internationales de l'Université Laval.

[2] Mentionnons aussi la représentation permanente ouverte au Caire en 1992 qui, comme celle de Rabat, vise essentiellement le recrutement d'une immigration francophone en Afrique du Nord.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 31 décembre 2012 11:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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