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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre Beaulne, “Pour en finir avec l'obsession de la dette”, in ouvrage sous la direction de M. Jean-Marc Piotte, ADQ à droite toute! LE PROGRAMME DE L'ADQ EXPLIQUÉ, chapitre 5, pp. 115 à 130. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 2003, 252 pages. [M. Jean-Marc Piotte et l'éditeur, M. Arnaud Foulon, nous ont accordé conjointement leur permission de diffuser ce texte et tout le livre dans Les Classiques des sciences sociales le 27 novembre 2006.]

Pierre Beaulne

“Pour en finir avec l’obsession de la dette”.


Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Marc Piotte, ADQ à droite toute! LE PROGRAMME DE L'ADQ EXPLIQUÉ, chapitre 5, pp. 115-130 Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 2003, 252 pp.


Pour bien des jeunes, déjà aux prises avec des dettes d'études onéreuses, la dette publique constitue un sujet fort préoccupant. Quand ils ajoutent dans l'équation les effets du vieillissement de la population et la croissance des coûts de santé, ifs se voient déjà pris à la gorge dans quelques années avec un fardeau financier excessif qu'ils seraient seuls à supporter. Ces craintes sont-elles justifiées ou sont-elles plutôt tributaires de toute la polémique entourant le rôle de l'État ? Pour aider à faire la part des choses, nous voudrions, dans le cadre limité de ce texte, verser au dossier quelques éléments d'information pour éclairer la problématique intergénérationnelle, faire le point sur l'évolution de la dette publique et examiner les initiatives prises par divers gouvernements et leur pertinence, en accordant une attention plus particulière au traitement qu'en fait le programme de l'Action démocratique du Québec (ADQ).


Une question d'équité intergénérationnelle ?

La préoccupation au sujet de la dette publique trouve un large écho dans le programme. À défaut de nuances, le diagnostic que pose l'ADQ a le mérite d'être clair :

Dans le passé, nous avons vécu collectivement au-dessus de nos moyens. De façon responsable, nous ne pouvons faire payer la note par une nouvelle génération de contribuables. À l'heure actuelle, les Québécois sont les plus endettés au Canada. En 1998, on évaluait l'endettement moyen des Québécois à11896$. Lorsqu'on limite notre analyse aux contribuables, on constate un niveau d'endettement moyen de 24 945 $. La situation s'est encore dégradée depuis. Cette réalité est inquiétante. En effet, avec le vieillissement de la population et le phénomène de la dénatalité, le nombre de contribuables diminuera au cours des prochaines années. Ceux qui nous suivent seront moins nombreux pour rembourser cet héritage financier [...] En accumulant les déficits, les gouvernements qui se sont succédé ont hypothéqué l'avenir de la nouvelle génération. Ils sont responsables de ce malheureux héritage.

Bref, l'ADQ fait de la dette publique une question d'équité intergénérationnelle et en appelle à la responsabilité de la société, un autre thème qui lui est cher, pour veiller à ce qu'elle soit remboursée.

Sur la base de ce diagnostic, le parti affirme qu'« un gouvernement de l'ADQ établira dans une loi un plan précis de remboursement de la dette du Québec établi en fonction des surplus budgétaires, et ce, afin de ne pas la laisser en héritage aux générations qui nous suivent ».

Cette façon de percevoir la dette publique, en tant qu'héritage empoisonné légué aux générations futures par des gouvernements dépensiers, souffre d'une faiblesse évidente. Elle ne prend en considération qu'un côté d'un bilan social. Or, comme dans n'importe quel bilan, il faut examiner l'actif et le passif pour être en mesure de porter une appréciation éclairée, ce que l'ADQ néglige de faire.

Examinons en quoi consiste ce « malheureux héritage »évoqué par l'ADQ. Selon Statistique Canada [1], les avoirs financiers et non financiers des ménages québécois, soit 3,115 millions d'unités familiales, s'élevaient à 725 milliards de dollars en 1999, tandis que les dettes totalisaient 85,7 milliards de dollars, laissant une valeur nette positive de 639 milliards de dollars. Cela correspondait à une valeur nette moyenne de 205 200 $ par ménage. Voilà une estimation de la valeur marchande actuelle de l'avoir des particuliers. Même là, on ne trouvera aucune comptabilité sur le potentiel de savoir-faire acquis grâce à un système d'éducation hautement développé. Au regard de ces données, la dette publique totale du Québec atteignait 105 milliards de dollars en 2001. C'est dire que la richesse des particuliers est six fois supérieure à la dette publique. Est-ce si déprimant comme héritage ?

Encore là, il faut faire les nuances qui s'imposent. Le gouvernement détient aussi des actifs financiers, qui compensent quelque peu son endettement. C'est comme pour un particulier qui aurait une hypothèque de 100 000 $, mais aussi des épargnes, sous forme de REER, de 30 000 $. Dans la comptabilité du Québec, la dette totale (ou dette brute) est composée de la dette directe du gouvernement, 67 milliards de dollars, et de la dette au titre des régimes de retraite des employés, 38 milliards de dollars. La dette totale est en partie compensée par des actifs que détient le gouvernement. Quand on prend en considération la valeur des avoirs financiers de 16 milliards de dollars, on obtient la dette nette, qui s'établit à 90 milliards de dollars. Et quand on soustrait de cela la valeur des immobilisations comptabilisées depuis la réforme de 1998, on obtient la dette représentant les déficits accumulés, soit 81,9 milliards de dollars en 2001-2002.

Dans les comptes du bilan national, Statistique Canada établit aussi la richesse nationale, mais seulement pour le Canada dans son ensemble. Celle-ci comprend, outre la valeur nette des particuliers, celle des sociétés et des administrations publiques. Ainsi, pour 2001, la valeur nette nationale, c'est-à-dire le patrimoine moins l'endettement extérieur net, s'établissait à 3 519,1 milliards de dollars (ou 3,5 billions de dollars), soit 112 800$ par habitant. Si tant est que le Québec compte pour environ le quart de l'économie canadienne, la valeur nette nationale (la somme des actifs moins la somme des dettes publiques et privées) serait de l'ordre de 880 milliards de dollars. Sur le plan historique, aucune génération n'aura reçu un tel héritage.

Considérer la dette publique comme un boulet attaché aux pieds des générations futures reflète une incompréhension du phénomène. Il s'agit d'une dette collective qui ne peut pas être assimilée à la dette d'un particulier. La dette publique, quand elle est intérieure, est un système de dettes et de créances entre Canadiens donnant lieu à une redistribution. À chaque dette correspond une créance. C'est comme si, dans une famille, les enfants et les parents avaient des dettes et des créances les uns envers les autres. À peu près tout le monde est à la fois créditeur et débiteur. Par exemple, les obligations des gouvernements, qui font partie de la dette publique, sont détenues par des fonds de pension, qui font partie de l'actif des particuliers. Ainsi, la génération qui hérite de la dette hérite aussi de la créance. La génération future n'est donc ni appauvrie ni enrichie par la dette publique, à moins que celle-ci ne soit due aux étrangers. À la différence d'un grand nombre de pays en développement, la dette publique canadienne demeure essentiellement intérieure. En 2001, par exemple, la part de la dette nette fédérale détenue par des non-résidents se limitait à 14% (75 milliards de dollars). Au Québec, cette proportion est un peu plus élevée, de l'ordre du quart.

S'il y a un aspect qui peut être problématique pour les générations futures, c'est l'endettement extérieur, dans la mesure où il entraîne un drainage de ressources financières vers l'étranger. L'endettement extérieur comprend à la fois la part des dettes des administrations publiques détenue par des non-résidents (sous forme d'obligations ou de bons du trésor, par exemple), ainsi que les dettes des entreprises envers les non-résidents. Ces emprunts privés à l'extérieur pour financer l'expansion des activités des entreprises, dont on n'entend jamais le patronat se plaindre, donnent aussi lieu à des paiements d'intérêts à l'étranger. Globalement, la situation était plutôt préoccupante quand la dette extérieure nette du Canada (ce que les Canadiens doivent aux non-résidents moins ce que les non-résidents leur doivent) avait grimpé à 44,3% du PIB en 1993. Depuis lors, cependant, les choses se sont améliorées de manière spectaculaire. Grâce à la forte progression des excédents commerciaux, l'endettement extérieur a été ramené d'un sommet de 324 milliards de dollars en 1995 à 203,4 milliards de dollars en 2001, ce qui correspond à 23,1% du PIB. En 2002, l'endettement extérieur est tombé sous les 20% du PIB, soit le niveau le plus faible depuis au-delà de 50 ans. Cela signifie que les Canadiens peuvent disposer d'une plus grande part de leurs revenus.

Un des motifs invoqués par l'ADQ pour justifier l'urgence de rembourser la dette publique est cette affirmation qu'avec le vieillissement de la population il y aura moins de contribuables dans les prochaines années pour supporter ce fardeau. Une telle idée est fort suspecte. L'ADQ confond peut-être le nombre total de contribuables, qui est appelé à augmenter au même rythme que la population, avec la proportion de ceux qui, effectivement, paient de l'impôt et dont le nombre dépend des politiques fiscales des gouvernements.

L'ADQ s'embrouille aussi dans l'interprétation des indicateurs inventés par les démographes. Ceux-ci construisent, par exemple, un indicateur appelé le « rapport de dépendance », lequel est défini comme le rapport du nombre d'enfants et de personnes âgées de 65 ans et plus à la population en âge de travailler (les 15 à 64 ans). Avec le vieillissement de la population, ce rapport est appelé à augmenter. Et puis après ? Ce n'est pas tout le monde dans la population « en âge de travailler » qui est un contribuable « payant », ni tout le monde de 65 ans et plus qui est « personne à charge », comme le laisse supposer ce vocable inapproprié.

La génération qui se retirera graduellement du marché du travail est mieux équipée que n'importe quelle autre dans l'histoire pour subvenir à ses propres besoins financiers et elle continuera à contribuer aux charges sociales dans la mesure de ses moyens. Selon une étude de Statistique Canada, les deux tiers des ménages québécois de 45 à 64 ans vont possiblement disposer d'épargnes privées suffisantes pour s'assurer à la retraite un revenu de remplacement d'au moins les deux tiers de leur revenu d'emploi [2]. Leurs revenus seront complétés par les prestations de la Régie des rentes (RRQ) et par les pensions de sécurité de vieillesse du gouvernement fédéral, toutes imposables.

Ces personnes paieront moins d'impôts, certes, parce que leurs revenus de retraite seront plus faibles que leurs revenus d'emplois. Mais d'un autre côté, le manque à gagner pour les gouvernements sera atténué par la réduction des dépenses fiscales au titre des régimes de pension et des REER, qui sont présentement très substantielles. Au Québec, les pertes de recettes fiscales associées aux déductions pour régimes de retraite étaient estimées à 3,8 milliards de dollars en 1999 [3]. Les REER, il ne faut pas l'oublier, constituent un impôt différé. En ce qui a trait au RRQ, des mesures ont été prises, il y a quelques années, pour relever rapidement les cotisations de façon à provisionner suffisamment le régime afin d'assurer sa stabilité à long terme, ce qui permettra aussi de stabiliser les cotisations. Ainsi, le gouvernement a choisi de faire passer progressivement le taux de 6%, en 1997 à un taux constant de 9,9% en 2003, ce qui évitera aux générations futures de supporter un taux de 13% pour les mêmes bénéfices. Sans doute la société a-t-elle tardé à procéder aux rajustements qui s'imposaient, mais elle l'a finalement fait et assez tôt pour ne pas reporter sur les jeunes de demain un fardeau excessif,

Une des questions les plus épineuses demeure celle de l'équité fiscale intergénérationnelle. Cette question renvoie à la comparaison entre les différentes générations des contributions fiscales auxquelles elles seront astreintes et des bénéfices qu'elles peuvent s'attendre à recevoir. Si l'on suppose constants les régimes d'imposition et de transferts, les changements dans la structure démographique sont susceptibles d'affecter différemment les générations présentes et futures. Cela se comprend facilement quand on considère, d'une part, que la proportion de personnes âgées dans la population est appelée à doubler au cours du prochain quart de siècle, et que, d'autre part, les dépenses de l'État pour les personnes âgées sont environ deux fois plus élevées que pour les jeunes. Dans l'analyse de ce phénomène, toutefois, il faut se méfier des raisonnements simplistes et des conclusions intempestives. Un ensemble de variables démographiques et sociologiques, économiques et fiscales, dont certaines plutôt difficiles à prévoir, vont interagir. Une appréciation des incidences, prenant en compte l'ensemble des interactions, exige donc le recours à un appareillage conceptuel et empirique complexe.

Pour éclairer la réflexion, certains économistes ont mis au point, depuis une dizaine d'années, une méthodologie appelée « comptabilité des générations ». Celle-ci est définie comme la valeur présente des impôts payés moins les transferts reçus (pensions et autres transferts sociaux, éducation, santé) que les individus de diverses générations paient en moyenne leur vie durant. Ces comptes sont fondés sur la contrainte budgétaire intertemporelle des gouvernements, qui postule que la somme des dépenses de consommation futures des gouvernements doit être égale à la somme des impôts nets futurs (impôts moins transferts) moins la dette publique nette. Bref, étant entendu qu'à long terme la somme des dépenses publiques, y compris la dette, doit être égale aux recettes fiscales, il s'agit d'évaluer qui paie quoi et qui reçoit quoi, à compter de maintenant. Voilà pour le principe. Sur de telles bases, des études ont été réalisées dans divers pays pour déterminer si les politiques poursuivies par les gouvernements conduisaient à des situations de déséquilibre intergénérationnel. Un déséquilibre est constaté si les générations futures doivent supporter des impôts nets supérieurs à ceux des générations qui naissent aujourd'hui.

Il n'est pas sans intérêt d'évoquer les constats d'une étude réalisée en 1998 par Lawrence J. Kotlikoff et Willi Leibfritz, qui figurent au nombre des pionniers de cette approche avec Alan Aurbach. Avec d'autres collaborateurs, Kotlikoff a examiné 17 pays. De ce nombre, cinq pays affichent un déséquilibre extrême : Japon, Italie, Allemagne, Pays-Bas et Brésil. Cela signifie que si les gouvernements poursuivent leurs politiques fiscales et sociales, les générations futures auront à supporter des impôts nets prohibitifs. Cinq autres pays présentent un déséquilibre important : États-Unis, Norvège, Portugal, Argentine et Belgique. Trois pays, l'Autriche, la France et le Danemark, ont un déséquilibre substantiel. Seul le Canada, d'après l'étude, semble être en équilibre. Enfin, trois pays, la Suède, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande présentent un déséquilibre négatif, ce qui implique que la poursuite des politiques laissera aux générations futures une imposition nette plus faible. Même si de telles études doivent être prises avec certaines réserves, celle-ci a le mérite de montrer que dans le cas du Canada il ne semble pas y avoir péril en la demeure [4].

En somme, sans vouloir mettre en doute la bonne foi des gens de l'ADQ, le regard borgne qu'ils promènent sur les réalités économiques et financières les conduit malheureusement à attiser inutilement les tensions intergénérationnelles. Un peu moins de complaisance et un peu plus de rigueur ne feraient pas de tort.


La dette publique : état de la situation

Le niveau d'endettement public a beaucoup diminué depuis le milieu des années 1990 et ne pose pas, dans le contexte actuel, de problème économique particulier.

Au milieu des années 1990, l'endettement croissant des gouvernements entraînait inexorablement l'économie vers l'asphyxie, en drainant l'épargne, en poussant les taux d'intérêt à la hausse, en creusant les déficits publics. Pour renverser la vapeur, les gouvernements ont appliqué la politique d'austérité budgétaire que l'on sait au milieu des années 1990 en vue d'éliminer les déficits. En même temps, ils se sont trouvés fort bien servis par une conjoncture de forte croissance économique et de baisse des taux d'intérêt. Sans cela, les efforts pour équilibrer les finances publiques n'auraient servi à rien.

En conséquence, la spirale de l'endettement, qui avait pris son élan au début des années 1970, a été enrayée. À cet égard, il est nettement abusif de mettre sur le dos de gouvernements prétendument indisciplinés la responsabilité du gonflement de la dette publique. Au cours de ces décennies, l'économie canadienne a été secouée par les chocs pétroliers, elle a été frappée de plein fouet par deux récessions majeures et a dû composer avec des taux d'intérêt extravagants qui ont fortement contribué à creuser les déficits publics et, par voie de conséquence, à gonfler la dette. Les taux d'intérêt applicables à la dette s'établissaient à environ 9% à 10% dans les années 1980, parfois davantage, comparativement à 6% à 7% aujourd'hui. Parallèlement, les efforts de redistribution des revenus ainsi que le soutien au développement des réseaux de santé et d'éducation étaient aussi nettement plus substantiels qu'aujourd'hui. Sans les efforts financiers publics consentis tout au long de ces décennies, nous n'aurions pas, aujourd'hui, le pays moderne, relativement prospère et développé que certains tiennent un peu trop facilement pour acquis.

Depuis le retournement de la dynamique, le poids de la dette fédérale dans l'économie est en train de fondre comme neige au soleil. Même si des remboursements partiels ont ramené la dette publique nette du gouvernement fédéral d'un sommet de 583,2 milliards de dollars, en 1996-1997, à 536,5 milliards de dollars en 2001-2002, ce sont surtout la croissance de l'économie et les faibles taux d'intérêt qui ont contribué à l'amélioration de la situation.

Ce qui est beaucoup plus important que le remboursement partiel de 46,7 milliards de dollars en 5 ans est le fait que le ratio de la dette au PIB a diminué de 70,7% à 49,1% au cours de la même période. (Le gouvernement fédéral prévoit qu'il aura diminué à 47,1% en 2003.) Pour bien saisir l'importance de ce phénomène, on peut penser que si la dette avait continué à augmenter au même rythme que l'économie, et donc que le ratio dette/PIB était demeuré inchangé, celle-ci atteindrait aujourd'hui 775 milliards de dollars, soit 238 milliards de dollars de plus que présentement, avec des intérêts à l'avenant. Les effets combinés de la croissance économique sur les revenus, de la baisse des taux d'intérêt et de la réduction partielle de la dette ont réduit la part de chaque dollar de revenu devant être consacrée au paiement des intérêts sur la dette de 36 cents, en 1995-1996, à 21,8 cents en 2001-2002, dégageant du fait même des marges de manoeuvre additionnelles de l'ordre de 25 milliards de dollars.

L'appréciation de la dette publique doit se faire non pas sur son niveau absolu, mais sur son poids relatif dans l'économie, sans oublier la dimension de l'endettement extérieur. Il faut bien comprendre que la dette du gouvernement canadien n'a jamais été remboursée. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la dette fédérale, de l'ordre de 12 milliards de dollars, représentait plus de 100% du PIB. Cette dette a continué à croître modérément, mais comme l'économie progressait plus rapidement et que les taux d'intérêt étaient faibles, le poids de la dette est graduellement descendu à 20% du PIB au milieu des années 1970. Au rythme où vont les choses, le poids de la dette fédérale dans l'économie sera ramené au niveau des années 1970 dans moins d'une quinzaine d'années, sans qu'il soit nécessaire de rembourser un sou.

Au Québec, les progrès sont moins spectaculaires, mais ils suivent la même tendance. Ainsi, la dette totale du gouvernement est passée de 97,7 milliards de dollars, en 1997-1998, à 105,2 milliards de dollars en 2001-2002, alors que le ratio de la dette au PIB baissait de 51,9% à 45,6%. La dette nette du gouvernement, c'est-à-dire la dette totale moins les actifs financiers, a légèrement diminué de 82,5 à 81,9 milliards de dollars. Du seul fait de cette stabilisation, toutefois, le ratio dette/PIB a diminué de 43,8% à 35,6%. Parallèlement, les intérêts sur la dette ont baissé de 17,5 cents par dollar de revenu à 14,4 cents.

Les comparaisons internationales fournissent aussi une indication des progrès réalisés. La dette nette de l'ensemble des administrations publiques canadiennes s'était fortement écartée de la moyenne du G-7 au début des années 1990. En 1995, celle-ci représentait 68% du PIB, comparativement à une moyenne de 46,8% pour le G-7. En 200 1, la dette nette de toutes les administrations publiques au Canada est passée sous la moyenne des pays du G-7, soit 43,6% du PIB, comparativement à 44,7% [5].


Les plans de remboursement de la dette :
faut-il les prendre au sérieux ?

Avant d'aborder les perspectives pour le Québec, il n'est peut-être pas sans intérêt d'examiner ce qui se fait ailleurs.

Le gouvernement fédéral s'est donné un plan de remboursement de la dette. Essentiellement, celui-ci consiste à inscrire dans les budgets équilibrés une dépense fictive de trois milliards de dollars à titre de réserve pour éventualités, ce qui revient à planifier un surplus déguisé. Si, au bout de l'année, cette somme n'a pas été dépensée, elle est appliquée au remboursement de la dette. Du moins, c'est ce qui est prévu sur papier. En réalité, depuis qu'il a restauré l'équilibre budgétaire en 1997, le gouvernement fédéral a choisi de consacrer au remboursement de la dette l'essentiel des énormes surplus que lui a procurés une conjoncture économique florissante, dont 18,1 milliards de dollars pour l'année 2000-2001 et 8,9 milliards de dollars pour 2001-2002. Quand le contexte économique s'est quelque peu assombri, en 2001, le plan a été modifié pour réduire la réserve pour éventualités de 3 milliards de dollars à 1,5 milliard en 2001, à 2 milliards en 2002, puis à2,5 milliards en 2003. Enfin quand l'économie a montré des signes de redressement, en 2002, le gouvernement a de nouveau rétabli à trois milliards de dollars la réserve pour éventualités pour 2003. Comme quoi, en ce domaine, la théorie et la pratique sont loin de coïncider.

Certaines provinces ont aussi mis en oeuvre des plans de remboursement de la dette, notamment l'Alberta, le Manitoba et la Colombie- Britannique.

Après avoir assaini ses finances, la Colombie-Britannique envisageait de rembourser sur 20 ans sa dette de 12,3 milliards de dollars à compter de 1996-1997, en procédant par des versements directs. Ce projet ne comportait pas d'encadrement législatif. Mais, par la suite, les remboursements ont fluctué au gré des excédents ou des déficits. En 2000, la dette nette avait été abaissée à 11,2 milliards de dollars. Mais en 2001, le nouveau gouvernement conservateur s'est empressé d'accorder des réductions d'impôt de 25% au moment même où les revenus s'affaissaient, si bien que la province est retombée en déficit et que la dette est remontée à 13,4 milliards de dollars. Pour l'avenir immédiat, d'autres déficits sont prévus, dans le cadre d'un plan triennal visant à restaurer l'équilibre budgétaire sur la base de réductions massives de dépenses. Il va sans dire que, dans les circonstances, le remboursement de la dette a été relégué aux calendes grecques.

Le gouvernement de l'Alberta a légiféré en vue de rembourser, d'ici 2025-2026, sa dette accumulée, qui s'élevait à13,4 milliards de dollars en 1993-1994. Mais l'ampleur de la rente pétrolière et gazière a procuré des surplus si massifs que la réduction de la dette s'est opérée à un rythme beaucoup plus rapide que prévu. En 2000-2001, par exemple, l'excédent budgétaire a atteint 6,4 milliards de dollars. Tant et si bien que la dette accumulée a été ramenée à 5,3 milliards de dollars et qu'on est en avance de 9 ans sur l'échéancier législatif pour le remboursement complet. Cette situation, qui n'est pas trop affligeante en soi, présente tout de même un caractère passablement artificiel. Quand l'Alberta présente ses comptes financiers, en ajoutant notamment du côté des actifs les quelque 12 milliards de dollars d'actifs financiers du Heritage Fund et, du côté du passif, les quelque 4,8 milliards de dollars dus aux régimes de retraite, en plus d'autres éléments, le solde financier net présente un excédent de 4,3 milliards de dollars. Dans la présentation que le gouvernement fédéral fait des dettes provinciales, l'Alberta affiche une dette nette « négative » de cinq milliards de dollars en 2001, c'est-à-dire un excédent financier [6]. Selon une telle comptabilité, l'Alberta s'est transformée en créditrice nette. C'est vraisemblablement sur la base d'un tel bilan que le gouvernement de l'Alberta annonçait, en avril dernier, qu'il repoussait de cinq ans l'échéance du remboursement de la dette accumulée afin de consacrer plus de fonds dans l'immédiat à la santé et à l'éducation. Vu sa richesse particulière, la politique budgétaire de l'Alberta ne peut guère servir de référence pour les autres provinces.

Au Manitoba, le gouvernement a aussi légiféré pour commencer à rembourser sa dette de 6,8 milliards de dollars à compter de 1997-1998. Pour ce faire, il a constitué un fonds de remboursement de la dette s'articulant à un fonds de stabilisation des recettes. Dans le premier fonds, le gouvernement doit verser pendant cinq ans le plus élevé de 75 millions de dollars ou de 1% de la dette. (Au Québec, l'équivalent serait de 800 millions de dollars.) Les fonds accumulés ainsi que les revenus de placement devront être appliqués au remboursement de la dette au plus tard à la fin de la cinquième année, avant de recommencer. Il reste à voir ce qui en résultera car, pour le moment, la dette nette du Manitoba continue à augmenter et la province parvient tout juste à préserver ses équilibres budgétaires.

Il convient de signaler par ailleurs que plusieurs provinces, qui ne se sont pas dotées de plans de remboursement de la dette comme tels, ont quand même réduit leur endettement net au cours des dernières années, notamment l'Ontario, le Québec et la Saskatchewan.

D'où notre question initiale : faut-il prendre au sérieux les plans de remboursement de la dette ? Les gouvernements qui disposent de tels plans ont tendance à les assouplir dès que la conjoncture se gâte ou que d'autres priorités s'imposent, tandis que plusieurs autres gouvernements qui n'ont pas de plan ont fait aussi bien à ce chapitre. Nous pouvons aussi rappeler que, le 23 octobre 2002, l'Assemblée nationale du Québec a voté à l'unanimité une résolution proposée par l'ADQ qui prévoit « que le gouvernement mette en vigueur un plan de remboursement de la dette québécoise ». Le gouvernement péquiste s'est rallié à cette proposition parce qu'il estime qu'il dispose déjà d'un plan de remboursement de la dette avec la Loi sur l'équilibre budgétaire. Au fond, ce n'est pas l'existence d'un plan qui garantit le succès d'une telle entreprise. Cela dépend bien plus de la volonté politique et d'un contexte de prospérité économique.


Rembourser la dette publique au Québec :
quelles perspectives ?


En marge des travaux de la Commission sur la fiscalité et les services publics de 1996, le ministère des Finances avait publié une série de fascicules, dont un qui traitait d'une proposition soumise par MM. Norbert Rodrigue, Jean-Pierre Bélanger et Paul Fecteau visant la création d'un fonds de remboursement de la dette [7]. Les avantages et les inconvénients de cette proposition étaient évalués par rapport à un scénario de base concernant l'évolution de la dette, lequel supposait comme condition le maintien de l'équilibre budgétaire sur une longue période. Le scénario prévoyait que le ratio de la dette totale au PIB s'abaisserait graduellement de 44,3% en 1997-1998 à17,1% en 2026-2027. (En faisant les adaptations nécessaires pour tenir compte de la réforme de la comptabilité du gouvernement survenue en 1998 et des données les plus récentes, le ratio de la dette au PIB serait plutôt ramené à19,6% en 2026-2027.)

L'étude comportait diverses simulations. Ainsi, pour abaisser le ratio de la dette à 12,5% du PIB, comparativement à 17,1% selon le scénario de base, il aurait fallu, en plus du maintien de l'équilibre budgétaire, une contribution de 190 millions de dollars à compter de 1997, croissant au même rythme que le PIB par la suite. Pour abaisser le ratio de la dette au PIB à6J%, il faudrait une contribution de 600 millions de dollars à compter de 2000, croissant par la suite au même rythme que le PIB. À l'horizon 2026-2027, selon ce scénario, l'encours de la dette aurait été réduit de moitié, passant de 81 à 44 milliards de dollars. De telles simulations indiquent que le remboursement de la dette exigerait des efforts financiers passablement substantiels, ce que l'ADQ s'est bien gardée d'illustrer, tout comme d'expliquer d'où proviendraient les ressources pour le faire.

L'ADQ envisage de légiférer pour établir un plan de remboursement de la dette en fonction des surplus budgétaires. Soit. Mais l'ADQ veut aussi alléger le fardeau fiscal par l'instauration d'un taux unique d'imposition. En outre, son programme contient une variété de mesures de soutien financier pour la famille, les étudiants, les écoles privées, les services de garde, les régions, sans oublier la promesse d'instaurer une sorte de revenu minimum. Y aura-t-il même des surplus à consacrer à son plan de remboursement de la dette si l'ADQ met en application toutes les promesses de son programme-catalogue ? L'absence de cadre financier dans lequel s'articuleraient les propositions de l'ADQ constitue, à n'en pas douter, un handicap sérieux pour la crédibilité de son projet. Et la réplique facile qui consiste à dire que ces mesures seront mises en oeuvre graduellement ne constitue pas une garantie en ce qui a trait au remboursement de la dette, puisque, de toute façon, il n'y a pas moyen de procéder autrement.

Dans quel carcan un éventuel gouvernement adéquiste se retrouverait-il s'il s'avisait de fixer des cibles de remboursement de la dette sans égard à la conjoncture ? Nous avons déjà au Québec une Loi sur l'équilibre budgétaire qui pose des contraintes à peu près insurmontables en cas de récession. Selon cette loi, si le gouvernement accuse un déficit de moins de un milliard de dollars une année, il doit prendre des mesures de revenus ou de dépenses pour compenser l'écart dans l'année qui suit. Il faut comprendre ici que compenser signifie réaliser un excédent équivalant au déficit, et pas seulement rétablir l'équilibre budgétaire. Si le déficit dépasse le milliard de dollars, le gouvernement doit présenter un plan quinquennal visant à compenser l'écart avec obligation de compenser les trois quarts de l'écart dès la première année. Alors, s'il fallait que l'économie du Québec subisse une récession sérieuse, s'étendant sur plus d'un an comme ce fut le cas en 1982 ou en 1990, il serait impossible de compenser les déficits creusés par les pertes de revenus et le gonflement automatique des dépenses sans ruiner complètement l'économie et les services publics. Ce n'est pas par l'ajout d'une nouvelle contrainte, imposant parallèlement la constitution de provisions pour la dette, que la gestion des finances publiques s'en trouvera facilitée. Bien au contraire, au moindre orage économique tout le château de cartes législatif s'écroulera. Alors, de deux choses l'une : ou bien le plan de remboursement évoqué par l'ADQ, mais non défini à ce jour, est une coquille vide, un discours à saveur populiste sans substance ; ou bien c'est un projet non viable dans le contexte actuel du Québec.


Conclusion

Bien évidemment, il serait préférable que la dette publique soit moins élevée afin que l'État puisse disposer de marges de manœuvre plus confortables. En toute honnêteté, cependant, il faut prendre la mesure des progrès accomplis au cours des dernières années et éviter de noircir le tableau à dessein. Pour le moment, le niveau d'endettement public a été stabilisé. La forte croissance économique des dernières années, combinée aux faibles taux d'intérêt, a permis d'abaisser sensiblement le poids économique de la dette publique, à l'échelle tant fédérale que provinciale, inscrivant celle-ci sur une trajectoire descendante. C'est déjà un gros changement. Vouloir accélérer le mouvement, comme le propose l'ADQ, et par voie de contrainte légale en plus, représente une entreprise questionnable, non seulement quant à sa pertinence, mais aussi quant à sa faisabilité. Grâce à des efforts considérables qui ont provoqué de sérieuses lésions aux services publics, les finances publiques du Québec ont été assainies, mais elles demeurent fragiles. Les pressions sur les dépenses, les incertitudes liées àla conjoncture, mais aussi le déséquilibre fiscal entre le gouvernement fédéral et les provinces, limitent grandement les options en matière de politique budgétaire. Qu'il y ait ou non un plan de remboursement de la dette, les contraintes demeureront les mêmes. La croissance économique et les faibles taux d'intérêt font déjà plus pour réduire le poids de la dette que n'importe quelle contribution financière directe. Et pour avoir un impact sensible, les contributions directes devraient être substantielles. Cela se ferait nécessairement au détriment d'autres priorités sociales, sans gain appréciable.



[1] Statistique Canada, Enquête sur la sécurité financière, novembre 2001.

[2] Statistique Canada, Les savoirs et les dettes des Canadiens : perspectives sur l'épargne au moyen de régimes de pension privés, 13-596-XIF, décembre 2001.

[3] Ministère des Finances, Les Dépenses fiscales, édition 2001, Québec, p. 41.

[4] Lawrence J. Kotlikoff et Willi Leibfritz, An International Comparison of Generational Accounts, National Bureau of Economic Research, États-Unis, mars 1998.

[5] Ministère des Finances du Canada, Tableaux de référence financiers, octobre 2002, p. 64.

[6] Ibid., p. 33.

[7] Ministère des Finances, Le Fonds de remboursement de la dette, Québec, 1996.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 février 2010 8:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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