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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Lucille Beaudry, Pertinence et actualité d'une critique de l'orthodoxie : Stanley B. Ryerson et les courants marxistes-léninistes des années 70. In ouvrage sous la direction de Robert Comeau et Robert Tremblay, Stanley Bréhaut Ryerson, un intellectuel de combat, pp. 209-221. Montréal: Les Éditions Vents d’Ouest inc., 1992, 425 pp. Collection: Asticou/Histoire des idées politiques. Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée, Musée de La Pulperie, Chicoutimi, Québec. [Autorisation accordée par Robert Comeau, historien, le 4 novembre 2010 de publier tous ses écrits publiés il y a plus de trois ans dans Les Classiques des sciences sociales.]

[209]

Pertinence et actualité
d'une critique de l'orthodoxie
.

Stanley B. Ryerson
et les courants marxistes-léninistes
des années 70
.”

Lucille Beaudry

[pp. 209-221.]

Introduction
Primauté de la révolution socialiste
Indissociabilité  du social et du national
CONCLUSION

La « question nationale » [...] ne se laisse pas résoudre par des excommunications prononcées du haut de la chaire.
Stanley B. RYERSON, « Nos débats difficiles »,
Socialisme québécois, 24 (1974), p. 79.

Le sentiment national peut jouer un rôle tantôt progressiste, tantôt réactionnaire : cela dépend des classes sociales qui en assument la direction.
Stanley B. RYERSON, Le Canada français : sa tradition, son avenir, Montréal, Éditions la Victoire, 1945, p. 144-145.



Écrire l'histoire et intervenir sur le cours des événements imprègnent à plus d'un titre l'œuvre de Stanley B. Ryerson. Aussi, le sens que nous pouvons attribuer à une telle œuvre ne s'épuise pas dans l'ouvrage qui lui est consacré ici et encore moins dans le propos qui retient notre attention, à savoir la position critique que Ryerson adopte à l'égard du dogmatisme politique et des organisations d'extrême gauche pendant la décennie 70 et, en particulier, à propos de la question nationale du Québec lors du référendum de mai 1980. C'est là considérer un aspect bien limité de cette œuvre imposante. Néanmoins, c'est un aspect intéressant et pertinent eu égard au contexte politique actuel du Québec, et au moyen d'éviter le dogmatisme sans pour autant abandonner une position politique progressiste.

[210]

Pourquoi s'arrêter à la position critique qu'il adopte à l'égard du dogmatisme et de l'orthodoxie des groupes d'extrême gauche et, surtout, pourquoi y trouver un intérêt alors que ce courant politique, fort répandu au Québec dans le monde ouvrier et chez les intellectuels progressistes au milieu des années 70, non seulement n’a plus cours mais ne semble pas sur le point d'émerger bientôt du revers théorique et politique qu’il a subi au début des années 80 ?

Parce que la position que Ryerson développe alors est valable, d'une part, pour tout groupe d'extrême gauche pour qui la ligne de parti, la ligne juste, l'emporte sur l'analyse de la conjoncture et de la configuration des forces et des classes sociales en présence et, d'autre part, pour tout parti ou groupe politique qui dissocie le mouvement d'émancipation nationale d'un projet de transformation de la société.

Cet intellectuel engagé très tôt pour la cause du communisme au Canada en vient étonnamment à appuyer le projet de souveraineté-association et le camp du « oui » lors du référendum de mai 1980 [1] et ce, au moment où, pour la première fois dans l'histoire du Québec, il y a des organisations révolutionnaires de gauche qui clament leur antinationalisme et proclament leur obédience stalinienne. Face à celles-ci, Ryerson oppose une résistance critique à leur orthodoxie, résistance qui n’a d'égal que la ferveur des militants marxistes-léninistes de l'époque. Si la position qu'il développe alors garde autant d'intérêt à l'heure actuelle, avec le retour au pouvoir du Parti québécois lors de l'élection de septembre 1994 et l'éventualité d'un troisième référendum, c'est d'abord parce que le dogmatisme n'est pas tout à fait absent de la scène politique, ne serait-ce que par la présence des adeptes de l'« indépendance pure et dure » ; ensuite parce que, depuis longtemps et encore de nos jours, des militants socialistes, surtout du Canada anglais, persistent à voir la lutte nationale du Québec comme une diversion, une déviation de la lutte pour le socialisme au Canada, sinon une lutte rétrograde, empreinte de chauvinisme, [211] voire de racisme; et enfin, parce que, outre cette incompréhension persistante des « progressistes » anglo-canadiens [2] la question nationale, dans le contexte actuel, ne semble pas s'accompagner, du moins dans sa tendance majeure, d'une volonté de changer l'ordre économique et social du marché et que ses défenseurs apparaissent plus que jamais préoccupés d'inscrire le Québec dans la modernité nord-américaine [3]. Ne serait-ce qu'en raison de ces considérations, la position de Stanley B. Ryerson sur le dogmatisme et la question nationale nous semble à la fois pertinente et actuelle. Aussi, pour apprécier le bien-fondé de son analyse critique, il importe au préalable d'exposer brièvement ce qu'il en fut de l'orthodoxie politique des organisations d'extrême gauche et de la primauté accordée à la révolution socialiste au Canada.


PRIMAUTÉ DE LA RÉVOLUTION SOCIALISTE

Faut-il se rappeler le lendemain des événements d'Octobre 70 et l'apparition, au Québec, de l'emprise idéologique du marxisme sur une partie importante des intellectuels progressistes, tant cette période nous apparaît non pas lointaine mais révolue ? La critique acerbe du nationalisme québécois, de la « gauche du PQ » et du réformisme social-démocrate, lancée, entre autres, par la publication de la brochure pour le parti prolétarien en 1972 [4], a donné le coup d'envoi d'un tel revirement intellectuel et politique. Véritable manifeste, cette brochure ouvrait la voie au développement de la suprématie intellectuelle du marxisme orthodoxe au Québec en posant l'urgence de constituer une organisation révolutionnaire d'avant-garde et en faisant la promotion d'un militantisme voué d'abord à l'avènement d'une société socialiste. Les événements d'Octobre, l'apogée et l'échec du terrorisme, révèlent aux intellectuels marxistes non seulement la précarité de leur position mais surtout leur isolement du milieu ouvrier, et [212] renforcent leur volonté de confronter les analyses marxistes à la pratique de la lutte des classes. C'est le début d'un long processus de recherche et d'action sur les questions de stratégie révolutionnaire et du parti à édifier. C'est ainsi qu'à la faveur de la lutte pour le socialisme et de la recherche des intérêts stratégiques du prolétariat, s'estompe progressivement la prédominance de la question nationale et se développe, d'une manière presque obsessive, la question du parti. À l'époque, cette orientation politique trouve son application dans la mise sur pied de divers groupes militants qui mettent tous à l'ordre du jour la création d'une organisation révolutionnaire. Parmi ceux-ci, le groupe En Lutte ! et la Ligue communiste marxiste-léniniste du Canada (LCMLC, devenue par la suite Parti communiste ouvrier - PCO) seront les principaux protagonistes de cet objectif primordial : fonder le parti révolutionnaire prolétarien, parti dont l'absence aurait constitué la cause majeure de l'échec du mouvement ouvrier et en particulier de celui de la stratégie terroriste du Front de libération du Québec en octobre 1970.

Fortes des mêmes préceptes du marxisme-léninisme et d'une conception bolchevique du parti à construire, ces deux organisations divergent, entre autres, sur les moyens d'y parvenir. Alors que le groupe En Lutte ! mise sur la formation d'une avant-garde et la pratique de l'agitation propagande, la Ligue/PCO préconise, à la base du travail idéologique et politique, l'implantation de militants intellectuels en milieu ouvrier comme moyen de lier les révolutionnaires aux « prolétaires avancés » et d'ancrer l'organisation révolutionnaire dans les rangs du prolétariat.

S'il est concevable que dans une société où il n’y a pas d'organisation politique de la classe ouvrière la question du parti devienne à ce point prioritaire, il est étonnant qu’elle emprunte la voie de la « science marxiste-léniniste », et ce, dans la mesure où elle provient de militants déterminés, au départ, à faire de leurs positions politiques l'émanation de la pratique. Or, c'est la pensée Mao Tsé-Toung, en particulier [213] son analyse des contradictions, qui va prescrire à En Lutte ! et à la Ligue/PCO (au-delà de leurs divergences politiques et organisationnelles nombreuses) les cadres d'analyse de la réalité québécoise et canadienne. S'appuyant sur la position de type léniniste du droit à l'autodétermination, leur analyse relègue la question nationale québécoise au niveau d'une contradiction secondaire, subordonnée à la contradiction principale opposant le prolétariat et la bourgeoisie au Canada. L’une fait de la Chine, l'autre de l'Albanie un modèle stratégique de mobilisation des masses pour créer le parti révolutionnaire nécessaire au renversement de la bourgeoisie canadienne et à l'édification d'une société socialiste au Canada. Pour ce faire, l'unité des prolétariats des deux nations s'impose d’emblée [5], et ce, nonobstant la reconnaissance du « droit à l'autodétermination » du peuple du Québec. En cela, ces organisations marxistes-léninistes manifestent une attitude politique caractéristique et davantage tributaire de leurs milieux politiques de référence, en l'occurrence la Chine et/ou l'Albanie, que de la conjoncture politique canadienne. Tout se passe comme si la conjoncture politique canadienne devenait l'occasion de proclamer et d'appliquer les thèses de Lénine et de Staline, de même que les résolutions de l'Internationale communiste.

Dès lors, le mouvement nationaliste au Québec ne peut être que bourgeois, réactionnaire et teinte de chauvinisme; surtout qu'il divise et affaiblit la lutte de la classe ouvrière canadienne, qu'il va à l'encontre et retarde la lutte pour le renversement, au Canada, de l'ordre économique capitaliste. Dans cet ordre d'idées, on le conçoit aisément, s'inscrivent les mots d'ordre d'« abstention » ou d'« annulation » donnés à leurs militants et sympathisants respectifs à la veille du référendum de mai 1980. C'est à partir de cette position politique antinationaliste, proclamée au nom de la révolution socialiste, que nous pouvons le mieux saisir la pensée de l'historien engagé contre le dogmatisme et l'orthodoxie. Contre les prises de position des groupes d'extrême gauche et des nationalistes québécois intransigeants, [214] Ryerson fait valoir l'importance d'une analyse marxiste de la situation ou le social et le national sont indissociables.


INDISSOCIABILITÉ
DU SOCIAL ET DU NATIONAL


Militant communiste de la première heure, Stanley B. Ryerson avait déjà exprimé sa dissidence au sein du Parti communiste canadien au sujet de l'analyse de la situation du peuple canadien-français et de la politique y afférant. Des 1937, il considère la spécificité de l'oppression du peuple canadien-français au Canada et il refuse, comme le fait son parti, de la réduire à un phénomène de minorité, de groupe social ou de groupe ethnique dont les droits sont brimés dans le cadre de la constitution canadienne [6]. En 1937, il publie son ouvrage intitulé Le réveil du Canada français dans lequel il expose la situation d'infériorité économique, sociale et culturelle dont sont victimes les Canadiens français au Canada; il en poursuit l'étude historique et théorique dans French Canada : A Study in Canadian Democracy, (Toronto, Progress Books) paru en 1943 et publié en français, en 1945, sous le titre Le Canada français : sa tradition, son avenir (Montréal, Éditions la Victoire). C'est dans cette étude qu'il définit le peuple canadien-français comme une nation :


     Le peuple canadien-français s'est formé en nation à travers trois siècles de vie commune vécue sur son territoire : il a sa langue et sa culture à lui, son tempérament, sa vie économique et sociale [7].


Si, à cette époque, il attribue le statut de nation au Canada français et en vient à reconnaître comme étant légitime son aspiration à l'autodétermination, c'est-à-dire son droit en tant que nation à disposer d'elle-même, c'est toutefois le problème de l'égalité politique du Canada français au sein du Canada qui retient l'attention de Ryerson. Cette ouverture politique au phénomène de l'oppression nationale [215] des Canadiens français ne le porte pas néanmoins à appuyer d'emblée le mouvement nationaliste canadien-français qu'il associe alors à Maurice Duplessis et aux forces traditionalistes de la société canadienne-française [8]. Il en sera tout autrement pendant les années 60, quand le renouveau du mouvement national, ou le néo-nationalisme québécois, deviendra l'expression des forces et des courants progressistes de la société. Dans ce contexte de la Révolution tranquille, Ryerson écrit que « l'avenir économique et national » du Québec réside dans le socialisme et, plus encore, considérant les bases matérielles et sociales de l'avènement du socialisme au Québec, il ajoute : « C'est la montée du mouvement national pour l'autodétermination qui en est l'accélérateur historique [9]. » Il partage alors la perspective des militants qui cherchent à concilier l'indépendance et le socialisme au Québec.

Si l'analyse concrète de la situation des Canadiens français en tant que peuple opprimé au Canada le prémunit contre le dogmatisme et le porte à l'avant-garde de ses camarades et en dissidence de la ligne de son parti, elle le dissocie également du mouvement nationaliste traditionnel du régime duplessiste. Cette analyse des forces sociales en présence le conduit quelques années plus tard, pendant la Révolution tranquille, à s'allier aux éléments progressistes du mouvement indépendantiste québécois.

C'est le même schéma d'analyse qui amène Ryerson à résister, pendant les années 70, aux objurgations des militants révolutionnaires marxistes-léninistes à propos du droit à l'autodétermination du Québec et de la primauté à accorder à la révolution socialiste au Canada. Celui qui admet que les « différences nationales précèdent et suivent l'ère du mode de production capitaliste [10] », doit tenir compte du lien inéluctable existant entre le social et le national, lien qui est démontré de façon péremptoire dans le « réveil » des Québécois depuis les années 60 [11]. Pour Ryerson, subordonner la solution des problèmes de l'oppression nationale du Québec à l'avènement du socialisme au Canada, c'est faire [216] fi du mouvement social réel de revendication nationale car, de son point de vue, « les revendications nationales coïncident avec la recherche d'une restructuration sociale [12] ». C'est l'interaction des facteurs relies aux différences nationales et aux classes sociales, analysés dans le processus historique des formations socio-économiques du Québec et du Canada [13], qui lui dicte sa position. De ce processus, il avait décelé la source du conflit entre les Canadiens français et les Canadiens anglais qu'il situe en termes d'une union inégale : la création de l'État canadien fut, écrit-il, l'œuvre conjointe de la bourgeoisie canadienne-anglaise, de ses subordonnés canadiens-français et de I'Église semi-féodale [14].

Cette appréciation des rapports entre le social et le national constitue le fondement de son argumentation contre le dogmatisme politique, mais en faveur de la primauté à accorder à l'option de la souveraineté-association, et explique son appui au camp du « oui » en mai 1980. Pour Ryerson, il n’y a pas un choix à faire entre combattre l'oppression nationale et la lutte des classes, l'une ne va pas sans l'autre, et il l'exprime en ces termes :


     Les antagonismes d'intérêts de classe découlant de l'exploitation du travail par le Capital n'existent pas dans le vide; n'excluent nullement la présence des conditions d'inégalité nationale, qui à leur tour engendrent des luttes, les deux domaines de conflit se recoupant au niveau des structures étatiques comme à celui des consciences individuelles et collectives [...] S'il existe au Canada une situation d'inégalité nationale entre les communautés francophone et anglophone (en ce qui concerne la configuration de l'État ainsi que les rapports socio-économiques et culturels), alors un vote populaire traduisant une volonté d'autodétermination, de réalisation du principe de l'égalité des peuples, d'un remaniement étatique des rapports nationaux sur les bases nouvelles, « d'égal à égal », pourrait bien avoir une portée positive [15].


[217]

C'est donc à partir de cette perspective d'interaction des facteurs sociaux et nationaux, que Stanley B. Ryerson dénonce et réfute les deux positions politiques dogmatiques, l'une exclusivement socialiste et l'autre exclusivement nationaliste, qu'il considère « figées », erronées; diamétralement opposées, bien que défendues avec toute la ferveur du contexte référendaire , toutes deux sont « dogmatiques et mécanicistes [16] », c'est-à-dire sans considération de l'état des rapports de forces en présence.

Il fustige la « logique suicidaire » des dogmatismes d'une gauche qui soutient, au nom de l'unité prolétarienne, l'unité canadienne fédéraliste, « mécanisme clé » de l'oppression nationale dont l'effet, par le renoncement a la lutte nationale, est d'accentuer la division entre les travailleurs anglo-canadiens et ceux du Québec et ce, au bénéfice de la classe dirigeante.

À ceux-là mêmes dont l'appui au principe de l'autodétermination du peuple québécois n'est que « verbal », il signifie que le rejet du nationalisme et du mouvement national constitue, en réalité, le refus d'envisager justement l'application concrète du droit à l'autodétermination du Québec français et un appui effectif à la campagne de l'unité canadienne, au statu quo politique, dût-il être clamé par fidélité à l'« unité ouvrière ». C'est là faire fi de la configuration des forces socio-politiques en présence dans la conjoncture conflictuelle Canada/Québec, aussi bien que de l'histoire qui sous-tend la structure étatique et socio-économique du pays, celle du rapport de subordination politique et économique et des deux siècles de résistance à l'assimilation anglo-saxonne.

Si le marxisme orthodoxe ne permet pas une position politique appropriée au mouvement réel de la lutte nationale, la position exclusivement nationaliste, celle de « l'indépendance tournée en absolu », est, à ses yeux, tout aussi condamnable parce qu'elle est tout à fait dissociée de la lutte pour une plus grande justice sociale et, en particulier, parce qu'elle pèche par le manque d'attention au processus [218] de conscientisation des masses, d'où ce nationalisme qu'il trouve « intégraliste et innocent [17] ».

Quand l'extrême gauche combat le nationalisme et le mouvement national, elle se trompe de cible, renforce le statu quo politique et perpétue le phénomène de l'oppression nationale; quand l'indépendance « pure et dure » est revendiquée, ses défenseurs font fi des besoins sociaux et du niveau de conscience des travailleurs et du peuple. L'une et l'autre position passent à côté du mouvement social réel.


Ou bien on entérine le maintien en place et la consolidation ultérieure de la réaction politique, en perpétuant l'empire d'un engin d'État au service du grand patronat et des corporations transnationales, avec tout ce que cela comporte en termes de rapports de classes et de communautés nationales.

Ou bien on prend position dans les seuls termes qui traduisent ne fût-ce que fort approximativement, le niveau réellement atteint à ce jour par la conscience sociale et politique de la grande masse du peuple travailleur, en faveur de la démarche de la démocratisation des structures du Québec et du Canada.

La première est celle de la droite. L’abstention la cautionne.

La seconde est celle d'une gauche qui s'élargit... à temps [18].

Pourrait-on en dire autant à l'heure actuelle ?


CONCLUSION

Que peut-on retenir du parcours analytique de Ryerson en regard du contexte actuel ? Les positions successives qu'il a fait valoir pendant toutes ces années, constituent assurément un exemple de différenciation entre une analyse marxiste de la situation et une application littérale des préceptes marxistes. Contre la facilité du dogmatisme et [219] l'obéissance à une ligne de parti, Stanley B. Ryerson a constamment choisi l'analyse concrète de la situation et du rapport des forces en présence pour étayer et faire valoir la position politique appropriée. De sorte que sa position politique change quand la situation change. Particulièrement, en ce qui concerne l'aspect de son œuvre que nous avons choisi d'analyser, il nous enseigne l'importance de considérer la volonté collective du peuple à l'autodétermination et, surtout, la nécessite de ne pas isoler la question nationale du contenu social qu'elle comporte. Il analyse toujours cette question sous l'angle de l'interaction du social et du national, de sorte que l'autodétermination d'un peuple n'a de sens qu'en association avec la lutte pour une plus grande égalité sociale, égalité comprise aussi bien entre les peuples qu'entre les individus. Tel est le sens qu'il a toujours attribué à l'indissociabilité de la lutte nationale et de la lutte des classes. Si l'analyse d'une telle interaction garde toute sa pertinence, ne serait-ce qu’en raison de la situation actuelle de chômage et de pauvreté, l'option pour un Québec socialiste semble plus que jamais reportée aux calendes grecques. En effet, ses enseignements mettent en évidence non seulement l'absence d'organisations politiques progressistes, mais l'absence même d'une analyse marxiste de la situation, voire l'absence de l'expression du phénomène de l'oppression nationale dont il n'est plus jamais question. Il s'agit désormais, du moins dans le discours dominant en faveur d'un Québec souverain, d'édifier « un pays moderne, dynamique, pluraliste et ouvert sur le monde [19] ». Et c'est cette option qui a reçu récemment, lors du dernier référendum tenu en l995, l'appui des centrales syndicales et des groupes communautaires. En conséquence, si la question nationale peut encore être posée selon les termes de l'analyse de Ryerson, la réponse, elle, ne saurait être mécaniste : elle se situe assurément du côté des forces sociales progressistes en présence dans le mouvement national.



[1] Stanley B. RYERSON, « Scénario pour un cauchemar à éviter », Les Cahiers du socialisme, 5 (printemps 1980), p. 4-13.

[2] Serge DENIS, Le long malentendu : le Québec vu par les intellectuels progressistes au Canada anglais 1970-1991, Montréal, Boréal, 1992, 202 p.

[3] Martin MASSE, Identités collectives et civilisation : pour une vision non nationaliste d'un Québec indépendant, Montréal, VLB éditeur, 1994, 195 p.

[4] L’ÉQUIPE DU JOURNAL, Pour un parti prolétarien, Montréal, édition L’équipe du journal, 1972.

[5] Lucille BEAUDRY, « Le marxisme au Québec, une hégémonie intellectuelle en mutation 1960-1980 », dans Lucille BEAUDRY, Christian DEBLOCK et Jean-Jacques GHISLAIN (dir.), Un siècle de marxisme, Sillery, PUQ, 1990, p. 259-279; voir, entre autres, LCMLC, « Résolution sur la question nationale québécoise », document du Ile congrès, Octobre, no 2-3 (1978), p. 64-106; « Spécial référendum québécois », Octobre, no 8 (printemps 1980); EN LUTTE !, Pour  L’unité révolutionnaire des ouvriers de toutes les nations et minorités nationales, contre l'oppression nationale, mars 1978; voir aussi, EN LUTTE ! Appel aux travailleurs du Québec : ni fédéralisme renouvelé ni souveraineté-association, février 1980; Le Québec a le droit de choisir, février 1980.

[6] Stanley B. RYERSON (pseudonyme E. Roger), Le réveil du Canada français, Montréal, Éditions du peuple, 1937.

[7] Stanley B. RYERSON, Le Canada français : sa tradition son avenir, Montréal, Éditions la Victoire, 1945, p. 5-6.

[8] Voir, entre autres, Marcel FOURNIER, Communisme et anticommunisme au Québec, 1920-1950, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979, chapitre IV, p. 99-109.

[9] Stanley B. RYERSON, « L’avenir économique et national du Québec est lié au socialisme », Socialisme 67, no 12-13 (avril-juin 1967), p. 37-42, p. 39.

[10] Idem, « Quebec : Concepts of Class and Nation », dans Gary TEEPLE (dir.), Capitalism and the National Question in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1972, p. 224.

[11] Idem, « Le social et le national dans le “réveil québécois” », dans Anouar Abdel Malex (dir.), Sociologie de l’impérialisme, Paris, Anthropos, 1971, p. 543-567.

[12] 1bid, p. 562.

[13] Ibid, p. 565.

[14] Stanley B. RYERSON, Unequal Union. Confederation and the Roots of Conflict in the Canadas 1815-1873, Toronto, Progress Books, 1968, 477 p.; Le Capitalisme et la Confédération, Montréal, Parti Pris, 1972, 549 p.

[15] Idem, « Scénario pour un cauchemar à éviter », loc. cit, p. 5. Voir aussi « Why l'Il Vote Yes », This Magazine, vol. 14, no 3 (mai-juin 1980), p. 4-7 et « After the Quebec Referendum : A Comment », Studies in Political Economy : A Socialist Review, 4 (automne 1980), p. 139-146.

[16] Ibid, p. 8.

[17] Ibid, p. 9.

[18] Ibid,, p. 13.

[19] Voir, entre autres, L. FOURNIER, « Les camarades et les candidats », Le Devoir, 18 août 1994, p. 7; Martin MASSE, op. cit.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 9 juillet 2011 6:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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