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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La politique économique de la gauche. Tome I. Le mirage de la croissance (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel Beaud, La politique économique de la gauche. Tome I. Le mirage de la croissance (mai 1981-décembre 1982). Paris: Éditions Syros, 1983, 214 pp. Collection: Alternatives économiques. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation accordée par M. Beaud et son éditeur, La Découverte, le 1er août 2007]

Introduction

Mai-juin 1981. Élection de François Mitterrand, fête à la Bastille, relèvement des bas salaires et des prestations sociales, annonce des grandes réformes de structures, victoire de la gauche aux élections législatives. 

L'avenir est rose. Certes, il y a beaucoup à faire. Mais il suffit de relancer la machine économique. La croissance paiera. 

Mai-juin 1982. La relance amorcée à la fin de 1981 n'a été relayée ni par l'investissement ni par une reprise internationale. Sécurité sociale, UNEDIC, budget de l'État : les déficits se creusent. L'inflation, contenue, reste trop élevée par rapport à celle de nos grands concurrents. Le déséquilibre extérieur s'aggrave ; le franc reste faible, notamment par rapport à un dollar que renforce la politique reaganienne de hauts taux d'intérêts. 

Deuxième dévaluation. Blocage des prix. Blocage des salaires. L'horizon est gris. Les experts annoncent deux années difficiles. 

La croissance n'avait pas été au rendez-vous.

 

* * *

 

Les Français sentent bien qu'il y a eu un échec « quelque part ». Entre les mesures engagées en mai-juin 1981 et le blocage des salaires en juin 1982, ils ont le sentiment d'un sérieux retournement. 

Dès lors, parler de « nouvelle phase » du changement, de « phase suivante » de la politique économique est ambigu, équivoque. Il faut dire où est l'échec et en quoi il implique de nouvelles mesures : cela seul permettra de faire ressortir la continuité et, si elle existe, la cohérence. 

À nos yeux, l'échec peut être délimité : c'est l'échec de la tentative de relance, d'inspiration keynésienne, de l'économie nationale. Cet échec est relatif : l'activité a été mieux soutenue et la montée du chômage a été mieux contenue qu'aux États-Unis et en Allemagne Fédérale ; le pouvoir d'achat des catégories les plus démunies a été relevé. 

Mais en même temps, cet échec est crucial dans la mesure où tout reposait sur la croissance à venir : trop dépendait d'elle...

 

* * *

 

Car au printemps 1981, le gouvernement de gauche a en quelque sorte joué son « va-tout » sur la croissance. 

La croissance devait permettre de financer à la fois le progrès social, l'effort d'investissement et de recherche, l'équipement collectif ; elle devait même faire reculer l'inflation et ramener l'équilibre des finances publiques et une meilleure compétitivité extérieure. En quelque sorte : « le cercle vertueux de la croissance ». 

Mais très vite ce rêve se brise. Les premières mesures constituent d'abord des charges accrues pour les budgets publics et les entreprises. La dépendance extérieure, avec un dollar qui monte à 5, puis 6 francs – et qui dépassera 7 francs – se révèle terriblement contraignante. Les différentes couches et catégories surveillent avec vigilance leurs acquis, leurs situations relatives. Les importations se gonflent. L'investissement, lui, continue de fléchir. Et ce sera le « cercle vicieux de la croissance avortée ». 

Relance impossible. Croissance introuvable. 

Pour certains, cela s'explique par la période, par la conjoncture mondiale, par les effets de la politique de Reagan. Nul n'ose dire qu'on a touché le fond ou qu'on peut entrevoir le bout du tunnel... Mais, pour beaucoup, ce n'est que partie remise : le plus dur est derrière nous ; dans deux ans tout ira mieux, et pourquoi pas l'an prochain ? Si seulement... 

L'année prochaine à 5 %... 

Et si cette perspective était une « fausse fenêtre ». 

Si la crise était plus profonde et plus durable ? Et si elle connaissait, dans les années qui viennent, de nouveaux développements, une nouvelle aggravation ? Et puis la relance d'inspiration keynésienne n'est-elle pas un remède inadapté à une crise qui traduit précisément l'engorgement de la grande croissance des années 1948-1973 ; à une crise qui porte en elle de profondes mutations structurelles ? 

Dès lors, au lieu de vouloir mettre la crise entre parenthèses en guettant, de saison en saison, les premiers signes du retour de la croissance, ne vaut-il pas mieux « s'emparer de la crise » ? S'en servir pour une réflexion au fond sur le contenu et l'orientation de la croissance ? L'utiliser pour engager l'avancée vers ce nouveau mode de développement que nous appelons de nos vœux depuis des lustres ? 

C'est dans la crise que se jouent les transformations majeures. Quand la croissance sera revenue, il sera difficile de peser et d'infléchir. Au lieu de subir la crise, utilisons-la !

 

* * *

 

On a beaucoup, depuis mai 1981, évoqué la rigueur. Or ce mot a deux sens : 

1. « Exactitude, précision, régularité, netteté, logique inflexible (...) Rigueur du jugement, de l’esprit. V. RECTITUDE » [1]. 

2. « Sévérité, dureté, austérité extrême (...) La rigueur du destin, du sort (...) La rigueur de l'hiver. V. ÂPRETÉ, DURETÉ » [2]. 

Laissant jouer le flou tenant à ce double sens, on a pu évoquer la rigueur... d'une manière fort peu rigoureuse. Or nous sommes de ceux qui estiment que la démocratie se mérite ; qu'elle est exigence de clarté et de vérité ; que les fausses habilités, les dérobades, les demi-vérités qui nourrissent trop souvent le débat politique aujourd'hui entament la crédibilité de ceux qui nous dirigent, et surtout affaiblissent la démocratie : comment ne pas se rappeler combien il est dangereux, dans une période de grande crise, de dévaloriser la Démocratie ! 

Alors, soyons clairs. 

Pour un pays moyen comme la France, avec son industrie dégradée, et avec une dépendance extérieure profonde, la crise, la sortie de crise impliquent, imposent une période de « rigueur-austérité ». 

Qui supportera principalement cette « rigueur-austérité » ? À quoi, à qui servira-t-elle ? Vers quelles perspectives nous permettrait-elle d'avancer ? Voilà des questions auxquelles le gouvernement se doit, et nous doit, de répondre en permanence avec rigueur, rectitude, clarté et cohérence. 

Sinon, il n'y aurait pas mobilisation pour l'effort. Il n'y aurait pas acceptation de sacrifices, dont nul ne verrait clairement le sens. Il y aurait renfermement dans les égoïsmes des cocons individuels, locaux ou catégoriels. Et sous le discours de la rigueur se déploierait la logique du chacun pour soi, du laisser-aller et finalement du déclin.

Analyser l'échec de la tentative de relance, d'inspiration keynésienne, de l'économie française. En rechercher les racines. Cerner l'espace du possible. Tel est l'objet de ce livre. 

Un second livre examinera dans quelle mesure les transformations structurelles en cours élargissent les perspectives et dans quelle direction, entre capitalisme, socialisme et étatisme, elles nous conduisent. 

Et notre crainte est, qu'après avoir été égarés pendant la première année par le « mirage de la croissance », nous ne soyons maintenant menacés par « le danger d'étatisme ».


[1] Paul Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, T. VI, p. 223.

[2] Idem.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 septembre 2007 16:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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